A la suite de ma lecture critique de la conférence de Sophie Paricard "Viol en gynécologie : que dit le droit ?", Diane Roman, Professeure de droit public à La Sorbonne, a réagi en m'écrivant le texte qui suit, et qui éclaire très utilement le débat pour les médecins, comme pour les femmes.
Je le publie avec son autorisation, et je la remercie vivement pour cet éclairage.
MW
Cher Martin Winckler,
Je me permets de vous écrire à la suite de votre recension de l’intervention de ma collègue Sophie Paricard. Je l’ai lue avec beaucoup d’intérêt et je suis assez troublée par ce que vous rapportez.
Il me semble que ma collègue toulousaine, qui me cite sans se référer explicitement à mes travaux, s’est basée sur certains de mes articles consacrés aux violences obstétricales et gynécologiques parus dans des revues juridiques: l’un publié en 2017 à la Revue de droit sanitaire et social, p.867 et s., intitulé « Les violences obstétricales, une question politique aux enjeux juridiques », l’autre en 2022, écrit avec ma collègue Caroline Lantero, de l’Université de Clermont-Ferrand, sous le titre « L'obstétrique et le juge administratif, au-delà de l'accident » (Revue française de droit administratif, 2022, p. 743 et s.).
J’y développe une analyse de la jurisprudence citée par Mme Paricard, ainsi que de la distinction entre le « care » et le « cure », ou encore de la faute d’humanisme, dans une perspective sensiblement différente toutefois de celle de ma collègue : il s’agit pour moi de montrer à chaque fois que ces pratiques sont à la croisée des violences de genre et des violences institutionnelles, qu’elles sont le produit d’une formation médicale paternaliste et patriarcale, et que la justice peine à les sanctionner comme elles devraient l’être.
En tout état de cause, je ne partage pas l’analyse que dresse Sophie Paricard, avec qui je n’ai jamais évoqué cet enjeu, et avec qui je suis souvent en désaccord (par exemple sur la question de la constitutionnalisation de l’avortement).
Bien au contraire, mes travaux se sont toujours inscrits dans une perspective d’analyse critique du droit, et ont cherché à introduire dans le champ académique français les apports de l’analyse féministe du droit. Notamment, je ne rejoins pas ma collègue sur sa délimitation de l’infraction de viol, qui serait, à l’en croire, inapplicable à la relation médecin-patient en l’absence d’une « pulsion sexuelle » du médecin, qui serait, selon elle, un élément constitutif du crime de viol.
Si on lit l’article 222-23 du Code pénal, on voit que : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».
Nulle part n’est exigé ce que les juristes appellent un dol spécial, à savoir une intention particulière comme une pulsion sexuelle. Au contraire, l’application de la loi pénale requiert une interprétation stricte, en vertu du principe de légalité des délits et peines et les juges ne sauraient ajouter des conditions particulières.
Cela a été particulièrement illustré à propos du délit d’exhibition sexuelle : la cour de Cassation a considéré que l’exhibition de sa poitrine par une femme, même réalisée pour des motifs de protestation politique, relève de l’infraction d’exhibition sexuelle, laquelle ne comprend pas, au titre de ses éléments constitutifs, de dol spécial consistant dans une volonté d’exhibition à connotation sexuelle (Crim. 26 février 2020, n° 19-81.827).
En d’autres termes, le simple fait d’être torse-nu pour une femme constitue le délit d’exhibition, sans rechercher la connotation érotique ou une éventuelle démarche érotomane… A mon sens, la même interprétation doit prévaloir pour le viol : une pénétration sexuelle est une pénétration des organes sexuels ou par des organes sexuels, et non pas une pénétration destinée à assouvir des pulsions sexuelles.
Certes, dans le cas de la relation médecin-patiente, certains suggèrent qu’un fait justificatif est prévu par la loi, la relation médicale ayant pour effet d’ « excuser » l’atteinte au corps humain. Mais c’est à la seule condition qu’il y ait eu consentement du patient à cette atteinte. Où l’on en revient à la centralité du consentement !
Après, qu’il soit opportun de qualifier de tels actes de viol et de renvoyer leurs auteurs en cour d’assises (ou devant les nouvelles cours criminelles départementales) est une question de choix politique.
Certaines de mes collègues suggèrent à ce titre de créer une infraction spéciale (https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/06/viol-gynecologique-une-perspective-d-evolution-de-la-loi-penale-merite-d-etre-reflechie_6137333_3232.html ) mais c’est là un débat politique sur des choix législatifs à effectuer !
Désolée pour ce commentaire technique, mais dans la mesure où mon nom était cité, je m’autorise ces précisions, qui me permettent de vous exprimer toute l’estime que j’ai pour votre œuvre, à la fois littéraire et militante.
Bien à vous,
Diane Roman, Professeure de droit public à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
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