mercredi 24 février 2016

Excisions chirurgicales "a minima" - Quelques réflexions médicales et éthiques

Sollicité pour répondre à des questions concernant le récent article publié dans le Journal of Medical Ethics par deux chirurgiens américains, j'ai écrit le texte qui suit. Notez qu'ici, je ne réponds pas à tous les arguments avancés dans l'article (ils sont nombreux et méritent des réponses appropriées) mais à des questions simples qui m'ont été posées par une journaliste.



 Q :  Les deux auteurs de l'article proposent de légaliser des "excisions minimalistes" qui n'auraient aucun effet sur le plaisir sexuel. Comment est-ce possible ?

Ce n'est pas possible et médicalement ça ne tient pas debout. L'anatomie (et en particulier l'anatomie neurologique) n'est pas une science exacte : tout le monde a une anatomie neurologique différente, d'une part ; une sensibilité différente, d'autre part ; et tout geste chirurgical est susceptible de laisser des séquelles neurologiques car la peau est parsemée de terminaisons nerveuses. (Pensez aux douleurs résiduelles des femmes qui subissent une épisiotomie par exemple. Et les cicatrices abdominales d'une ablation de la vésicule biliaire par voie endoscopique, pourtant très petites, sont souvent encore douloureuses des années plus tard. Concernant une zone aussi richement innervée que les grandes lèvres, la vulve et le clitoris, on peut multiplier ces douleurs par mille...) 

Donc, à mon humble avis, leur « projet » ne tient pas, scientifiquement parlant. Sans compter que 1° nul ne peut  jamais garantir que leur intervention n'aura pas d’effet indésirable (il existe des accidents de circoncision, alors il n'est pas garanti que ça n'existera pas pour des "excisions chirurgicales") 2° nul ne peut prévoir ce que sera à l'âge adulte la sensibilité de la femme opérée dans son enfance.  


Q :  Ils comparent cette procédure à la circoncision. La comparaison est-elle pertinente? 

Non. Car les deux organes sont très différents, ainsi que les procédures concernées. La circoncision est l'ablation du prépuce et non du gland (équivalent anatomique masculin du clitoris, mutilé par les excisions rituelles). L'intervention "a minima" proposée dans l'article serait soit une simple "piqûre" à visée symbolique ; soit une "plastie" du capuchon clitoridien ou des lèvres, dont les auteurs ne "s'attendent pas" à ce qu'elles modifient durablement le plaisir sexuel. Mais ce qu'ils "attendent" et ce qui peut en découler est très différent... 

Or, cette comparaison avec la circoncision est une pirouette mentale destinée à "justifier" l'intervention mais elle n'est pas scientifique non plus. ​Même si on peut avoir une sexualité satisfaisante après circoncision, il y a aussi de bonnes raisons de penser que la sensibilité après circoncision n'est pas la même que si l'on avait conservé son prépuce. (On dispose de témoignages d'hommes circoncis à l’âge adulte pour le dire.) Et, même si ça n'est pas aussi destructeur qu'une excision, c'est tout de même une mutilation. (Tout comme le serait de couper un bout de l’oreille ou du nez.) D'ailleurs, les auteurs le reconnaissent. 

De toute manière, si l'on veut rester dans le domaine de l'éthique, on ne peut pas justifier la mutilation des femmes en prenant pour « norme » la mutilation des hommes. C’est à la fois sexiste (pour les femmes) et violent (pour les personnes des deux genres, car cela « normalise » la circoncision). 

On peut aussi rappeler qu’aujourd’hui, les « reconstructions » chirurgicales imposées aux enfants intersexués au prétexte de les « normaliser » sont vivement remises en question un peu partout dans le monde (y compris aux Etats-Unis). 

Il est par conséquent insensé de proposer des interventions chirurgicales sur les organes génitaux de fillettes en bonne santé simplement parce que la famille le demande ! 


*

Q :  Par ailleurs les auteurs proposent de légaliser ces excisions car elles seraient pratiquées en milieu hospitalier et n'auraient donc aucun effet néfaste physique ou psychologue à moyen terme. Qu'en pensez-vous? 

Que, là encore, ils n'en savent rien. Pour l'affirmer ou le réfuter, il faudrait faire une étude, et l’éthique interdit de faire une étude sur le vécu et les conséquences d'une mutilation pratiquée par les médecins à la demande des parents !!! 

Le désir (louable) de prévenir les complications mortelles (hémorragie, infection) des excisions clandestines ne justifie pas de banaliser des complications sensorielles et sexuelles en pratiquant des excisions "légales". Le rôle des médecins, c’est de soigner les individus, pas de les rendre « conformes » contre leur gré à quelque norme que ce soit.  

*

Rappel éthique :

Il n’appartient pas aux médecins de décréter à eux seuls ce qui est "moralement acceptable" ou non.
L'éthique biomédicale telle qu’on la conçoit aujourd’hui impose en particulier
- de respecter l'autonomie (la liberté) du patient 
- d'abord de ne pas nuire.
Or, ces deux principes fondamentaux sont totalement bafoués dans le cas où un médecin pratique une mutilation sur un enfant !!! Pratiquer une intervention génitale mutilante sur des enfants à la demande des parents n’est pas dans l'intérêt de l'enfant et ce n'est certainement pas dans l'intérêt de l'adulte que l'enfant deviendra. 

Excision et circoncision ​sont des pratiques de mutilation très anciennes ayant une signification rituelle. On peut débattre de leur signification symbolique, ce qui n'est pas mon propos, mais médicalement parlant, rien ne les justifie : elles n'améliorent pas la santé des personnes qui les ont subies, au contraire ; et même dans le cas de la circoncision, on est en droit de penser que pour certains d'entre eux, elles l'altèrent (même s'ils n'ont pas de possibilité de comparer "sans" et "avec" prépuce) car toute ablation d'une zone sensible est susceptible de laisser persister une douleur "fantôme" ou, au moins une modification locale de la sensibilité.

Réflexions autour de la pratique médicale dans le cadre de la loi  :

Loi de moi l'idée qu'un médecin doit toujours forcément respecter la loi, car certaines lois sont liberticides ou opprimantes. Mais pour qu’un médecin puisse défendre une pratique illégale, il faut au moins que cette pratique apporte à l’individu une liberté fondamentale qui lui a été retirée ou qui lui est interdite par la loi. Un médecin ne peut pas défendre une pratique pour des raisons seulement idéologiques. Il faut que cette pratique soit bénéfique pour la santé des premiers intéressés. 

Ainsi, je conçois qu’un médecin brave la loi pour pratiquer des avortements clandestins afin de permettre aux femmes de disposer librement de leur corps sans danger. Mais pratiquer une excision, c’est exactement le contraire !!! C’est attenter à la liberté des femmes avant même qu’elles aient l'âge d'avoir leur mot à dire !!!!


Bien que la circoncision soit légale dans certains pays, il n'appartient pas aux médecins de la pratiquer en dehors de circonstances médicales rares. 

Il en va de même a fortiori pour l'excision qui, elle, est interdite dans la plupart des pays du monde. Les médecins ne sont pas des législateurs. S’ils veulent promouvoir une loi, qu’ils le fassent en citoyens, et non en effectuant des gestes discutables, au profit de tiers (les parents) et qui n’apportent rien aux personnes qui les subissent !!!

Pratiquer des excisions (ou des circoncisions) chirurgicales, dans le cadre d’un lieu voué à la santé, c’est se rendre activement complice de mutilations. ​L'enfant n'est pas l'objet de ses parents, et la loi délimite strictement les droits des parents à l'égard de leurs enfants. Il n'appartient certainement pas aux médecins de se faire l'allié des parents pour mutiler des enfants qui n'ont rien demandé, envers et contre la loi. Tout comme il serait inacceptable qu’un médecin avorte contre son gré une adolescente à la demande de ses parents ou stérilise sans son consentement une femme à la demande de son époux !

Il est certes très difficile d'interdire la circoncision, car les hommes circoncis sont peu nombreux à s'en plaindre (s'ils s'en plaignaient, les circoncisions "hygiénistes" prônées en Amérique au 20e siècle auraient rapidement disparu). Ca ne veut pas dire qu'il s'agit d'un geste "anodin" ou "banal". Les médecins n'ont donc pas, à mon sens, à pratiquer des circoncisions rituelles. Ce n'est pas leur rôle. De même, ils n'ont pas à pratiquer des excisions pour en "faciliter" (ou en "sécuriser") la coutume et la faire entrer dans les moeurs. Ce serait le pire service à rendre aux petites filles et aux futures femmes qui l'auront subi.  

Une dernière réflexion, autour du respect culturel : 

La lutte contre l'excision est l'un des combats les plus importants d'organismes internationaux comme l'UNICEF, qui dans un rapport récent indique que dans de nombreux pays, la population est opposée à ces pratiques, et que leur fréquence est en décrudescence dans de nombreux états.

Les auteurs de l'article du Journal of Medical Ethics avancent que des procédures "a minima" permettraient de trouver un compromis entre les valeurs des pays développés, où elles sont interdites, et les groupes ethniques qui considèrent les mutilations génitales comme faisant partie de leur culture. 

Or, cette suggestion pèche gravement par son paternalisme (voir par son néo-colonialisme) : si les mutilations génitales disparaissent, ça ne sera pas parce que les Occidentaux prescrivent la "meilleure" manière de les faire disparaître (ou, en l'occurrence, de les amoindrir en faisant mine de les conserver) ; ce sera parce que les populations concernées ont trouvées, par elles-mêmes, des moyens de les faire disparaître qui soient compatibles avec leur propre vision du monde et leurs exigences culturelles et morales.  

Tout récemment, la Gambie mettait l'excision hors-la-loiD'après l'UNICEF, il faudra cependant de nombreuses années pour que cette pratique disparaisse des coutumes des populations qui la pratiquent. 

En attendant, est-il vraiment cohérent de proposer que les pays où l'excision est interdite la fassent entrer dans leurs hôpitaux ? 
A mon humble avis, non.

Marc Zaffran (M.D.)/Martin Winckler

dimanche 14 février 2016

Aucune contraception ne peut être "interdite" par un.e professionnel.le de santé - par Marc Zaffran/Martin Winckler

Sur Twitter, une internaute hèle médecins et sages-femmes en demandant : "Est-ce que le diaphragme et la cape cervicale sont interdites aux nullipares ?"

C'est une question légitime, et pas du tout ridicule. Même si vous connaissez la réponse, ça ne veut pas dire que tout le monde la connaît. Et même si vous connaissez la réponse, vous êtes en droit de vous la poser aussi - pour vous assurer que ce que vous croyez est la bonne réponse, ou est bien toute la réponse.

Dans mon esprit, en matière de santé, il n'y a pas de question "ridicule" ou "stupide". On sait, ou on ne sait pas. Si on ne sait pas, on est en droit de poser la question. Rien ne peut être su spontanément. Il faut qu'on nous l'ait appris. A une question simple, répondre "Tu devrais le savoir" est au minimum paternaliste et supérieur, au maximum insultant et méprisant. Quand quelqu'un vous (par "vous", j'entends "une personne réputée savoir") pose une question, la moindre des choses est de le prendre comme une marque de confiance et d'y répondre au mieux. C'est à dire, d'abord en essayant de savoir pourquoi elle pose la question - afin de lui donner la réponse la plus appropriée pour elle.

Dans un premier temps (parce que j'avais été "hélé" par une autre internaute), j'ai répondu : "Aucune contraception n'est interdite aux nullipares."
Mais derrière cette question, j'en ai entendu deux autres. L'une que pose l'internaute. L'autre, que je me pose.

1° "Est-il médicalement valide qu'une femme nullipare (qui n'a jamais mené de grossesse à terme) utilise un diaphragme ou une cape cervicale ?"

2° "Qu'est-ce qu'une contraception interdite ?" Le mot "interdit" est fort. A lui seul il en dit long sur la nature des relations entretenues par certain.e.s professionnel.le.s de santé avec les patient.e.s qui les consultent. (Vous observerez que je n'écris pas "leurs" patient.e.s, tout comme je n'écris plus "mes" patient.e.s depuis longtemps.)

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Répondons brièvement à la première question : OUI, un diaphragme ou une cape cervicale sont des contraceptions parfaitement valides pour une femme qui n'a pas eu d'enfant. Et ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'état actuel des connaissances.

Diaphragme, cape cervicale et préservatifs féminins sont les équivalents du préservatif masculin : des méthodes dites "barrière", qui s'opposent au passage des spermatozoïdes. Rien ne s'oppose à ce qu'une femme les utilise, on peut même dire qu'il y a probablement très peu de situations qui rendent leur utilisation impossible. S'il y en avait, la responsabilité du médecin consisterait à les énumérer à la patiente qui lui demande conseil, afin de faciliter son choix.

Vous noterez que l'âge ou le fait d'avoir ou non mené une grossesse à terme n'ont rien à voir avec leur utilisation. Médicalement parlant, toute femme qui a des rapports sexuels et qui se croit susceptible d'être enceinte est en droit de se protéger d'une grossesse non désirée. (Certaines parfois ne le font pas par "inconscience" mais parce qu'elles ne peuvent pas, ou pensent sincèrement que le risque de grossesse n'existe pas.) Cependant, la culture ambiante favorise - ou s'oppose - à l'utilisation de ces méthodes selon que l'information et la prescription contraceptives sont ou non contrôlées par les seuls médecins. 

Car dans les pays où la contraception est enseignée et disponible à qui la veut, ces méthodes sont utilisées librement par toute femme qui le désire (je pense aux Pays-Bas, à l'Angleterre, aux pays scandinaves, en particulier). Dans ces pays-là, on considère que c'est à la femme de choisir sa contraception.

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Voyons la seconde question : Qu'est-ce qu'une contraception interdite ?

D'abord, une notion simple : aucun traitement ne peut être interdit par un médecin ou un.e professionnel.le de santé. Il ou elle peut le déconseiller ou refuser de le prescrire, mais pas "l'interdire". C'est la loi qui interdit. Les professionnels n'ont pas ce pouvoir : la loi s'applique aussi à eux. Et ils ne peuvent pas "interdire" à la place du législateur.

Il est, par exemple, interdit à un citoyen lambda d'acheter des morphiniques sans ordonnance. C'est la loi. Le pharmacien ne peut pas transgresser la loi, il ne peut donc pas lui en délivrer : c'est un médicament à prescription contrôlée (pour éviter toxicomanie et trafics). Mais un médecin, en revanche, a le droit de prescrire ce qu'il veut - tout en respectant la loi. S'il prescrit de la morphine à quelqu'un qui dit souffrir, il est en droit de le croire. S'il lui prescrit de la morphine en sachant que le patient va la revendre, alors il enfreint la loi en participant sciemment à un trafic de stupéfiants.

Autre exemple, il est tout à fait possible pour un médecin de prescrire des diurétiques ou des hormones thyroïdiennes à un.e patient.e pour les faire maigrir. Ce n'est pas spécifiquement interdit par la loi, mais c'est tout de même une faute professionnelle parce que c'est une prescription dangereuse et inefficace ; si le/la patient.e qui les prend fait un accident ou une complication liés à cette prescription, il/elle sera en droit de porter plainte et de demander réparation. Et il/elle gagnera.

Dans cette même circonstance, et en l'absence de tout accident, un patient, un médecin ou un pharmacien sont parfaitement en droit de signaler à l'autorité de tutelle (la sécu, par exemple) que le médecin se conduit de manière anti-professionnelle. Et ce sera juste.

Ces deux exemples pour montrer que les "interdictions" ne sont jamais énoncées par les médecins eux-mêmes. Elles découlent des données de la science et inscrites dans les recommandations de bonne conduite professionnelle. Elle découlent aussi de principes d'éthique. ("D'abord, ne pas nuire.")

En médecine comme dans d'autres domaines, les interdictions strictes ne peuvent donc être que légales ou, à la rigueur réglementaires (dans le cadre d'une institution ou d'une école, par exemple). Elle ne peuvent pas être décrétées unilatéralement par un individu, car la loi ou les réglements s'appliquent en principe à tou.te.s.

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Revenons à la contraception. Un médecin peut-il interdire à une femme d'employer telle ou telle méthode ? Vous savez désormais que la réponse est NON.

En France, contrôler sa fertilité, ça n'est pas interdit par la loi. Quelle que soit la méthode considérée.

Si l'avortement clandestin est interdit, cette interdiction concerne les non-médecins qui pourraient les pratiquer et mettre les femmes en danger. Pas les femmes elles-mêmes. Par ailleurs, l'avortement dans le cadre d'un centre d'IVG est parfaitement légal. Même si la femme est mineure, et sans l'autorisation de ses parents.

Depuis 2001, même la stérilisation volontaire est clairement autorisée par la loi. Si son accès est si compliqué, c'est que beaucoup de médecins se dressent devant les personnes qui la demandent. 

Certaines méthodes contraceptives (les préservatifs, le diaphragme, la cape cervicale, la contraception d'urgence) sont accessibles sans ordonnance. D'autres méthodes (pilule, DIU, implant...) ne sont accessibles que sur ordonnance, mais elles ne sont pas soumises au même régime restrictif que les stupéfiants ou les amphétamines, par exemple. Dans de nombreux pays, on débat pour savoir si les pilules ne devraient pas être en vente libre en pharmacie, sans ordonnance. Et l'auto-pose de DIU est actuellement à l'étude.

Autant dire qu'en matière de contraception, il n'y a pas grand-chose d' "interdit".  

Du point de vue du professionnel, un médecin peut conseiller ou au contraire déconseiller fortement, voire refuser de prescrire une méthode (ou refuser de pratiquer une IVG). Tout ça fait partie de ses prérogatives. Mais il ne peut en aucun cas "interdire". En revanche, et c'est plus grave, il peut choisir de désinformer la femme ou diaboliser son choix de contraception.

Déconseiller : un professionnel peut déconseiller vivement à une patiente de prendre une pilule contenant des estrogènes après 35 ans si elle fume. Il peut également refuser de la lui prescrire.

En théorie, il peut cependant, après avoir dûment informé cette patiente des risques (phlébite, embolie pulmonaire), la lui prescrire parce que 1° elle dit comprendre les risques ; 2° le risque d'être enceinte lui est beaucoup plus intolérable ; 3° elle ne peut ou ne veut pas utiliser d'autres méthodes, et c'est son droit le plus strict.

Si je parle de la pilule estroprogestative, c'est parce qu'à l'heure actuelle, c'est la seule contraception qui comporte un risque grave (accident vasculaire) ou mortel (décès par embolie). Aucune autre contraception (non, pas même le DIU) ne peut, à elle seule, provoquer un décès du seul fait de son utilisation.

Et cependant malgré le risque, un médecin peut la prescrire. Ce  n'est ni criminel (il s'agit d'un risque, pas d'une certitude) ni crapuleux (a priori, s'il ne "monnaie" pas sa prescription, le médecin ne gagnera rien de plus à la prescrire qu'à ne pas le faire), ni contraire à l'éthique : si la patiente est informée des risques, il est éthique de l'aider à prendre une décision risquée ; tout comme il serait parfaitement éthique, par exemple, d'accompagner dans sa grossesse une femme qui veut la poursuivre alors même que sa vie est en danger. C'est ce qu'on appelle une décision partagée. (Je vous conseille cet excellent billet sur le sujet.)

Pour le dire plus simplement : un médecin ou une sage-femme sont habilité.e.s à laisser une patiente choisir entre deux risques celui qui, pour elle, est le plus acceptable. Il suffit de comparer la probabilité d'être enceinte à 35 ans et celle d'avoir un accident thrombo-embolique sous pilule pour comprendre que certaines femmes puissent choisir de courir le second risque plutôt que le premier. (Rappelons que le risque thrombo-embolique existe aussi pendant la grossesse, et qu'il est supérieur à celui de la prise de pilule...)

Refuser de prescrire : un médecin ou une sage-femme qui refuse (calmement) de prescrire une pilule estroprogestative à une femme de (mettons) quarante-cinq ans, qui fume et a déjà fait une phlébite ne prononce pas une "interdiction", il/elle se contente de dire : "Le risque que je vous ferais courir est supérieur aux avantages que vous pourriez en tirer, et c'est contraire à mes obligations."
Notez que ses obligations lui imposent aussi de lui proposer toutes les autres méthodes disponibles, de les lui expliquer, de l'aider à en choisir une et de les mettre à sa disposition. S'il se contente de lui dire : "Non je vous prescrirai pas votre pilule" et de la laisser en plan, il commet une faute professionnelle - non par son refus de prescrire, par son refus de l'informer des alternatives.

Désinformer ou diaboliser : entre désinformation et diabolisation, la nuance peut être ténue.

La désinformation peut être, tout simplement : "Un diaphragme ou une cape cervicale, ça n'est pas une contraception efficace pour une femme sans enfant."

C'est faux (l'efficacité dépend de la femme et de ses conditions de vie, pas seulement de la méthode), et c'est contre-productif. Pour une femme donnée, toute contraception peut être une bonne méthode si elle la choisit en pesant le pour et le contre d'un ensemble de facteurs : efficacité théorique, confort d'utilisation, adéquation à la fréquence de ses rapports sexuels, etc.

Plus grave, affirmer par exemple :  "La stérilisation est interdite avant 35 ans" est un mensonge pur et simple.

Et dire : "Les DIU provoquent des grossesses extra-utérines, des infections et une stérilité" est une contre-vérité scientifique et donc, une diabolisation : aucune femme n'aura envie d'y recourir dans ces conditions.

Dans un cas comme dans l'autre, désinformer un peu ou beaucoup peut suffire à interdire l'accès d'une méthode.

Que signifie, pour un.e professionnel.le de santé, d' "interdire" à une femme l'accès à une méthode de contraception ? 

Un professionnel de santé, nous l'avons dit, n'a pas à "interdire" quoi que ce soit. Il ne peut que rappeler la loi ou les réglements. Et le faire loyalement - c'est à dire sans mentir ou désinformer à leur sujet.

Par conséquent, "interdire" à une femme l'accès à une méthode qu'elle pourrait utiliser sans danger est une contre-vérité scientifique et une faute éthique, et de ce fait une faute professionnelle.
Plus précisément, un refus de soin. Et, dans le cas précis des femmes nullipares, leur refuser une méthode au seul motif qu'elles n'ont pas eu d'enfant, c'est une discrimination.

Or, le refus de soin et la discrimination sont interdits par la loi et peuvent donc faire l'objet d'une plainte. 

Ce n'est pas moi qui le dis, mais le Code de la Santé publique.



Marc Zaffran/Martin Winckler