lundi 10 août 2020

Comment faire quand un patient refuse de voir un médecin pour des motifs (apparemment) racistes ?

 Une internaute m'a écrit ce message à la suite de l'article précédent : 

"Est-il donc si aberrant de vouloir choisir son médecin ?" 

J'ai lu votre article sur le choix de son médecin avec beaucoup d'intérêt.

Cette demande de choix racial se présente très régulièrement dans un service d'urgence.

La demande ayant plutôt une connotation raciste " je ne veux pas être pris en charge par un médecin noir".

Nous avions convenu que, sauf si le patient demandait à être pris en charge par un médecin présent ce jour-là et dont il connaissait le nom, les urgences seraient distribuées équitablement et au hasard dans l'équipe présente aux soins d'urgence.

Ce genre de demande existait également pour les femmes de confession musulmane.

Ces règles avaient été établies en concertation avec la direction médicale.
L'urgence primant sur le choix du médecin et pour éviter la dérive que toute la charge de travail pourrait être reportée sur un seul membre de l'équipe en cas de binôme.

Votre avis à ce sujet m'intéresse.

Voici ce que je lui ai répondu : 

Bonjour 
Je pense que l'attitude de votre service est saine : il faut que la charge soit répartie équitablement. 
Le droit des patients de choisir un médecin est aussi celui de le refuser. Ce n'est pas le droit d'imposer à des médecins qui ne sont pas là de venir les soigner. :-) 

MAIS l'hôpital a l'obligation de soigner tout le monde. Ca complique beaucoup les choses...

Cela étant, j'ai connu moi aussi cette situation (vis-à-vis de médecins venus du Liban ou de Syrie, parfois de médecins Africains, nombreux dans l'hôpital où je travaillais), dans les années 70. Elle n'est pas nouvelle. 

Le chef de service avait une recommandation qui était : "Avant de toucher les gens, écoutez-les et rassurez-les. Ca se passera mieux après." 

Dans l'immense majorité des cas, on arrivait à résoudre le problème en discutant avec la/les personnes concernées pour savoir d'où venait leur refus - c'était parfois un préjugé raciste ; parfois, c'était autre chose : l'idée qu'un médecin non-français ne pouvait pas être aussi qualifié qu'un médecin "ayant la tête et le nom d'un français". 

Quand la personne n'était pas seule, on intégrait l'accompagnant(e) à la discussion pour qu'il ne s'agisse plus d'un rapport de force mais d'une négociation. Souvent, ça permettait de rassurer tout le monde. 

Souvent, les infirmièr(e)s les plus chevronné(e)s et les plus bienveillant(e)s parvenaient à trouver une procédure acceptable par tout le monde. 

Il m'est arrivé à plusieurs reprises, aux urgences pédiatriques où un de mes internes, citoyen Malien, était souvent de garde, de le voir dire très tranquillement : "Votre enfant a mal, est-ce que vous permettez qu'on le soulage ?" Ca faisait déjà tomber l'angoisse des parents, qui étaient beaucoup plus ouverts, ensuite, à ce qu'il examine leur enfant. J'ai moi-même utilisé cette méthode en tant qu'interne (j'avais une grande barbe noire et le teint mat) quand on me regardait avec inquiétude. 

Il nous arrivait aussi de contourner le problème en envoyant un(e) externe ou un(e) infirmièr(e) chevronné(e) accepté par le/la patiente pour l'examiner/interroger. Bref, on arrivait à se débrouiller. 

Mais bien sûr, il y avait toujours (quoique pas souvent) des personnes qui ne voulaient rien savoir... 

Et souvent, la solution était simple : le médecin-chef du service (c'était toujours un homme blanc, à l'époque) était d'astreinte et on l'appelait, même si ça le dérangeait. C'était son boulot, aussi... 

Je crois que dans les cas les plus épineux, le statut d'autorité d'un(e) chef(fe) de service permet de résoudre les choses. Encore faut-il que ce(tte) chef(fe) accepte de se déplacer... 

Ca m'intéresserait beaucoup de savoir, en dehors du protocole que vous m'avez indiqué, comment en pratique, vous faites dans votre service. 

---- 

Il me semble, plus généralement, que se focaliser sur le motif (apparent) du refus ("Je ne veux pas d'un médecin noir") est une perte de temps et d'énergie mais justifie qu'on se focalise sur autre chose : Qu'est-ce qui amène la personne aux urgences ? Il est rare qu'on n'ait qu'un médecin/une médecienne à proposer à un(e) patient(e). Il y a des infirmier(e)s, des internes, des externes. Soigner, c'est d'abord entrer en relation et rassurer. Le médecin (et son intervention) peut venir après. 

Encore faut-il avoir des attitudes cohérentes par rapport aux personnes qui se présentent. 

Cette situation illustre le fait que soigner doit toujours être une négociation. Or, pendant des décennies on a enseigné aux professionnelles  que les personnes qui demandent des soins doivent se plier à leurs demandes, voire à leur présence. Il n'en est rien. 

Pointer du doigt comme étant "anormales" les personnes racistes parmi les soignées évite d'avoir à considérer ces personnes comme des personnes qui ont besoin de soin - et de réfléchir non seulement à la manière de négocier avec elles, mais aussi au racisme à l'intérieur de la profession.

Accepter l'idée que les personnes soignées ont des préjugés (y compris racistes) ça impose de chercher comment les dépasser avec elles, quand c'est possible (et ça l'est souvent)... et comment lutter contre ces préjugés parmi les professionnelles. 

Evidemment, ça ne se fait pas dans l'urgence. Mais ça devrait être fait pour préparer les professionnelles des urgences à ces situations. 

Et j'ajouterai : ça m'intéresse de savoir comment les autres soignantes travaillant en service d'urgences appréhendent, se préparent, se forment, se comportent face à ce type de problème. 

Ecrivez-moi, je publierai vos réponses ici en les anonymisant. 

Martin Winckler
martinwinckler @ gmail.com 


lundi 3 août 2020

Est-il donc si aberrant de vouloir choisir son médecin ?

NB : Je rappelle que désormais, sur ce blog, tous les termes pouvant désigner des personnes de toutes les genres sont utilisés sous la forme féminine (et parfois féminine-plurielle). 

---------

Marie-Hélène Lahaye, Julien Aron et toutes les emmerdeuses, mes soeurs, que je lis quotidiennement sur les réseaux sociaux. La lutte continue. 


S'il est une liberté dont chacune de nous voudrait toujours pouvoir disposer librement, c'est celle de faire des choix. 
Pour sa vie en général, et tous les éléments de cette vie -- mais aussi, en particulier pour sa santé. 

Il y a des choses qu'on ne choisit pas : le milieu socio-économique et la famille dans lesquelles on naît ; le bagage génétique dont on est porteuse; l'environnement dans lequel on grandit, évolue, vieillit et meurt. 

Ces circonstances, avant toute autre décision, sont déterminantes pour la santé d'une individu. En principe, dans un pays démocratique, le système de santé est là pour contrebalancer les inégalités et assurer à toutes des soins appropriés. 

D'autres facteurs de santé dépendent (en partie) de nos décisions : fumer ou ne pas fumer, boire un peu ou beaucoup d'alcool, conduire vite ou non sur la route, s'alimenter de manière pas trop déséquilibrée quand c'est possible, marcher ou faire du vélo, etc. 

Je dis qu'ils dépendent en partie de nos décisions car les conditions socio-économiques peuvent en elles-mêmes être un obstacle. Quand on a de l'argent, il est plus facile de prendre des décisions "bénéfiques" pour sa santé que quand on n'en a pas. Et ne parlons pas des pressions de l'entourage, des discours fallacieux des industriels qui ont des produits à nous vendre, etc. 

Parmi toutes les décisions que nous devons prendre, aucune n'est plus cruciale que le choix de la professionnelle de santé à qui nous demanderons des conseils, un soutien, des soins. 

La liberté pour chaque citoyenne de choisir son médecin est écrite en toutes lettres, et au tout début du Code de déontologie, lui-même issu du code de la Santé publique. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est l'Ordre des médecins

De ce principe découle une règle simple (et pourtant très souvent enfreinte) : une personne n'a pas à justifier de son choix. Si je préfère être soignée par une femme plutôt que par un homme, c'est mon droit le plus strict. Si je préfère avoir affaire à une professionnelle dont la peau est de la même couleur que la mienne, c'est mon droit le plus strict. Cela ne sera pas toujours possible, certes, mais ce droit est, en lui-même, indiscutable. 

Le droit de choisir tombe sous le sens : la personne qui me soigne compte à mes yeux. J'ai des préférences, des attentes, des craintes. J'ai aussi une expérience : telle professionnelle m'a fait des commentaires désagréables ou a porté un jugement blessant sur mon aspect physique, mon accent, mes origines ethniques, mon mode de vie, mes préférences sexuelles, mon identité de genre. 

Or, le jugement est incompatible avec le soin. Pour aller mieux j'ai besoin que, précisément, on ne me juge pas, mais qu'on m'accepte telle que je suis. Quand je raconte ma vie à une professionnelle de santé, c'est pour demander des soins ; ce n'est pas une confession ou un acte de contrition, et je ne demande ni une absolution, ni une pénitence, ni une leçon de morale.  

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que je cherche à rencontrer des personnes qui se comportent en soignantes, et non en directrices de conscience. 

Or, force est de constater qu'en 2020, en France, beaucoup de professionnelles ne se comportent pas en soignantes. 

A l'ère de l'internet et des réseaux sociaux, quoi de plus logique alors que de mettre en commun des noms, pour en faire des annuaires de soignantes bienveillantes, gay et lesbian-friendly, non grossophobes, non transphobes, non racistes - et pourquoi pas des soignantes gay et lesbiennes, en surpoids, transgenres et racisées  ? 

C'est d'autant plus logique que (ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les psycho-sociologues) on soigne plus volontiers, plus facilement et avec plus de bienveillance, les personnes qui nous ressemblent que celles qui sont très différentes de nous. (Certes, il existe des mutantes prêtes à soigner tout le monde sans discrimination, mais, justement, ce sont des mutantes, des exceptions, pas la généralité...) 

Il est cependant des personnes, des institutions, des associations, qui voient ces annuaires d'un mauvais oeil. Et qui (quand on porte des jugements, on en porte à tout bout de champ) les qualifient de "communautaristes", "extrémistes", de "folie identitaire", voire de "racistes à l'envers" (traduire : "anti-blanc"). 
Pour ne pas dire "contraire à la laïcité et à l'égalité". (Comme si la France était un état laïc et égalitaire...) 

Ces personnes oublient l'article 6 du code de déontologie. Ou plutôt, elles font mine d'ignorer qu'il existe. Ou pire encore, elles ne comprennent pas qu'il existe et voudraient qu'il n'existe pas. Ou que les professionnelles puissent se passer de le respecter. 

Pourquoi ? Parce que le respect - d'une personne qui demande des soins, de sa personnalité, de ses choix - c'est vraiment emmerdant. 

Le respect signifie que les professionnelles (qui ont tout de même fait dix ans d'études, etc.) n'ont pas tous les droits malgré leur statut. 
Le respect sous-entend qu'on ne peut pas imposer un examen, un traitement, une hospitalisation, un diagnostic, une étiquette. 
Le respect impose qu'on soit au service de la personne qu'on soigne. Et non qu'elle soit à nos ordres. 

Si le respect (de la personne soignée, de sa personnalité, de ses choix) est aussi inconvenant aux yeux de tant de personnes (médecins ou non), c'est au fond parce qu'elles pensent que toutes les praticiennes ont les mêmes qualités de par le simple fait qu'elles ont un diplôme de docteure en médecine. 

Et là, je me sens contraint de les détromper. Toutes les personnes qui pratiquent la médecine ne sont pas identiques. Et, en particulier, toutes n'ont pas le même respect des règles éthiques et des personnes qu'elles soignent. 

Pour reprendre les paroles d'un de mes camarades, Bruno Sachs : "Si le diplôme de médecin conférait une éthique parfaite à toutes celles qui l'obtiennent, il n'y aurait pas eu de médecin nazi."

Et franchement, sans aller jusque là, tout le monde est d'accord pour dire qu'il y a des individus franchement discutables, dans la profession médicale. 


On trouve normal qu'une personne choisisse librement sa boulangerie et son épicerie, qu'elle vote de préférence pour une personne plutôt qu'une autre, qu'elle confie sa voiture à un garage précis. 
On trouve naturel de vouloir confier ses cheveux à un coiffeur plutôt qu'un autre, de choisir ses films, son fournisseur d'accès internet, sa pharmacie et son mode de transport pour faire Lyon-Bordeaux. 


Et il ne serait pas acceptable qu'on veuille choisir son médecin ? 

On ne voit jamais d'inconvénient à ce qu'une citoyenne cherche "la meilleure spécialiste", "le meilleur hôpital", "les meilleurs traitements". Pourquoi s'offusquerait-on de ce que les citoyennes cherchent (et s'organisent pour identifier et dresser des annuaires) des professionnelles qui leur ressemblent et/ou qui les acceptent comme elles le souhaitent ? Bref, d'user des critères qui leur conviennent pour choisir leurs soignantes et être bien soignées ? 

Oui, il est compréhensible que des personnes maltraitées veuillent éviter de l'être. Et qu'elles s'arrangent pour choisir les personnes qui ne les maltraiteront pas. Et qu'elles dressent des listes pour ça. 

Ce qui n'est pas compréhensible, c'est qu'on attende de ces mêmes personnes qu'elles se laissent maltraiter sans rien dire !!!!  

Et au cas où vous feriez partie de ceux que les listes effraient, je vous rassure tout de suite : il n'est pas nécessaire d'être une femme, d'être noire, d'être gay ou lesbienne, d'être en surpoids ou encore d'être transgenre ou intersexuée pour soigner les personnes qui le sont et figurer sur des listes de praticiennes safe

Il suffit d'être respectueuse et bienveillante. Et pas trop bouchée à l'émeri. Et, quand on ne sait pas, d'être ouverte à l'idée d'apprendre, de comprendre, de recevoir. 
Bref, d'aimer soigner les Autres. Toutes les Autres. (Notez que je n'ai pas écrit "d'aimer-les-autres" mais "d'aimer-soigner-les-autres" ; c'est pas religieux et c'est plus facile : il suffit d'aimer que l'autre aille mieux après vous avoir vue...) 

Si toutes les professionnelles étaient sélectionnées d'emblée sur des critères de bienveillance, si leur formation leur montrait en exemple qu'on doit être bienveillante (et qu'on peut, et que ça marche, et que les soins bienveillants sont plus efficaces que la maltraitance...), si leurs enseignantes étaient bienveillantes avec elles, bref, si... les rêves de quelques-unes devenaient réalité, les personnes de tous genres et de toutes conditions n'auraient pas besoin de chercher. Toute professionnelle ferait l'affaire. Toute professionnelle serait prête. 

Malheureusement cette formation bienveillante n'est pas (pas encore) la règle dans les facultés de médecine française. 
En attendant, les personnes soignées dresseront des listes. Et elles auront bien raison de le faire. 

Et ça n'empêche nullement les professionnelles de bonne volonté de figurer sur lesdites listes. Car ce n'est pas compliqué, je vous assure. 
On apprend à être safe pour l'Autre - quelle qu'elle soit - en souriant et en ouvrant ses oreilles.
Certes, ça demande de la patience et du temps, mais nul besoin d'être ancien chef de clinique, interne des hôpitaux de Paris ou major de promo. (Ou l'équivalent en 2020.) 

Soigner tout le monde avec bienveillance, ça n'exige pas une compétence universitaire ; c'est une attitude. 

Autant dire que c'est à la portée du premier benêt venu. Et je sais de quoi je parle. 

Marc Zaffran/Martin Winckler