dimanche 5 juillet 2020

Que faire pour éviter qu'une échographie endovaginale soit (perçue comme) un viol ?

NB : Je rappelle que désormais, sur ce blog, j'utilise le féminin générique pour désigner les groupes majoritairement féminins (professionnelles de santé, en particulier). 
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Ci-dessus : Sonde d'échographie endovaginale
A droite : sonde d'échographie abdominale










                                                                                                   




Pour le code pénal français, le viol est défini comme étant : 

"Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis (...) par violence, contrainte, menace ou surprise". 

Quand elles ne sont pas librement consenties, les échographies endovaginales sont des viols. 

Démonstration.  

1. "Tout acte de pénétration sexuelle"

Certains médecins et médeciennes prétendent/affirment/soutiennent qu'un toucher vaginal ou un examen gynécologique pratiqués par une professionnelle de santé n'est pas sexuel, mais "médical". 

Cette affirmation est typique de la culture des brutes en blanc : elle suggère que la perception des professionnelles ("Ce que je vous fais n'est pas sexuel/brutal/douloureux/humiliant") est la seule réalité valide. Et que cette "réalité" s'impose à toute personne qui s'adresse à elles. 

Elle suggère aussi, accessoirement, que les définitions du Code pénal ne s'appliquent pas aux corps médical. Or, s'il existait une exception le concernant, elle serait clairement indiqué dans ledit Code, ce qui n'est pas le cas. (Il n'existe rien de tel non plus dans le Code de la santé publique, que lesdites professionnelles ne sont pas censées ignorer...)   

Penser qu'un médecin sait toujours dire ce qui est sexuel ou non, c'est oublier qu'en tout temps, la perception de la personne soignée est primordiale : c'est elle qui ressent les symptômes ; c'est sur ses indications qu'une praticienne  recherche un diagnostic et/ou propose et ajuste un traitement ; ce sont ses perceptions qui suggèrent 
- qu'elle est voie de guérison ("Je me sens mieux depuis que j'ai pris le traitement")
- ou qu'elle est guérie ("Tous mes symptômes ont disparu et je me sens très bien."). 

Et ce sont ses symptômes qui invitent à évoquer une rechute de maladie, bien avant qu'on en observe les effets par des tests diagnostiques. 

Nier ces perceptions (ou n'en nier qu'une seule) c'est déjà une brutalité et une vision contraire à l'éthique. En plus d'être contre-productive et non-professionnelle... 

Par conséquent, il appartient à la personne examinée de dire si le fait, pour une tierce personne, de la toucher est, ou non, sexuel. Ce n'est pas à la tierce personne de le décréter. 

Cette manière de voir n'est pas une posture de principe contre le corps médical, c'est la seule attitude possible si l'on veut pouvoir dénoncer viols et agressions sexuelles commises par n'importe qui, et en particulier par les personnes d'autorité (professionnelles de santé, membres du corps enseignant ou des forces de police, parents ou tuteurs/ices, membres du clergé, supérieures hiérarchiques et/ou employeures, adultes encadrant des enfants, etc.). 

2. "De quelque nature que ce soit" : 

L'obligation de se déshabiller entièrement et la palpation "systématique" des seins d'une femme qui n'a rien demandé  (cette palpation n'a rien d'utile ni de nécessaire, médicalement parlant, en l'absence de symptômes ressentis par la femme) sont des brutalités, et la seconde peut être considérée comme un attouchement, autrement dit comme une agression sexuelle
Ici encore, ce n'est pas la perception de la professionnelle de santé qui compte mais celle de la femme concernée. Se montrer nue à un(e) étranger(e) n'est pas une situation "anodine", et le fait d'être contrainte à le faire au cours d'une consultation médicale est inacceptable.  

L'examen au spéculum, outre qu'il doit être médicalement justifié, explicité au préalable par le/la professionnelle (au moyen de dessins et/ou schémas, s'il le faut), et que la professionnelle doit y procéder sans provoquer de douleur (spéculum de taille appropriée, utilisation d'un lubrifiant, insertion délicate et retrait du spéculum dès qu'il n'est plus utile, etc.) est bien entendu assimilable à un viol quand elle n'est pas librement consentie. 

Je ne reviens pas sur le "toucher vaginal", dont il est question un peu partout dans les médias depuis plusieurs années ; c'est un examen sans intérêt, peu fiable d'un point de vue diagnostique, et qui (comme l'examen des seins) n'a aucune raison d'être imposé à titre systématique à une femme en bonne santé et qui ne se plaint de rien, en particulier quand celle-ci demande une prescription de pilule... (Je rappelle que ce n'est pas moi qui le dis mais 1. la communauté scientifique internationale et 2.... Le conseil de l'Ordre des médecins. Et cela, depuis près de 20 ans !!!.)  

3. "Par violence, contrainte, menace ou surprise" 

L'autonomie de la personne soignée est un des principes fondamentaux de l'éthique médicale (qui en principe régissent le comportement de toute professionnelle de santé, car ils sont inclus dans le code de déontologie). 
Le mot autonomie est simple : "C'est mon corps, c'est à moi de décider ce que j'en fais." 
Ce qui garantit cette autonomie, c'est le consentement libre et éclairé, condition essentielle. 

Le consentement n'est pas un simple accord de principe, tacite et définitif. C'est une marque de confiance accordée à la professionnelle de santé ("Je vous confie la responsabilité des soins dont j'ai besoin") ; la personne soignée peut suspendre son consentement unilatéralement et à tout moment - ou ne l'accorder que pour certains gestes et à certaines professionnelles, mais pas pour d'autres. 

Pour être "éclairé", le consentement doit se faire en connaissance de cause. (Pour plus de détails, je vous invite à lire cet article.) 
Mais il doit également être libre. Or, il n'est pas rare que des professionnelles fassent pression de manière plus ou moins "subtile" sur les personnes soignées pour leur imposer un geste ou un traitement. 

- Le chantage au soin : "Si vous ne faites pas ce que je demande, je ne vous soignerai pas/je ne peux pas vous soigner"
- Le chantage moral et la culpabilisation : "Pensez à votre famille..." 
- La menace : "Si je ne peux pas vous examiner, vous risquez une complication grave." 
- La force : "C'est comme ça et pas autrement." 
- La surprise : Je ne compte pas le nombre de témoignages de femmes à qui on a infligé une échographie endovaginale sans les prévenir. La sidération (favorisée par la position allongée les cuisses écartées) peut tout à fait empêcher de réagir, comme au cours d'un viol. A cette agression s'ajoute le sentiment de culpabilité parce qu'il s'agit d'un médecin. 

*

Ces formes de pression sont particulièrement sournoises en ce qui concerne l'échographie endovaginale, présentée comme "le seul examen diagnostique" possible dans un certain nombre de cas. C'est faux (il y a toujours moyen de faire autrement).  

Lorsqu'une professionnelle affirme qu'elle "ne peut pas faire de diagnostic" sans échographie endovaginale, de deux choses l'une : ou bien elle est incompétente, ou elle ment. 

D'un point de vue techniqueune échographie abdominale (la sonde est posée sur l'abdomen) est toujours possible. Et le plus souvent, elle apporte toutes les informations dont le médecin a besoin. 

D'un point de vue éthique : quand bien même une personne ne refuserait que la seule échographie endovaginale, c'est son droit le plus strict et elle n'a pas à le justifier, puisque son consentement doit toujours être recueilli avant de faire quoi que ce soit !

D'un point de vue déontologique et légalle refus d'un examen n'autorise jamais une professionnelle de santé à suspendre la délivrance des soins.

D'un point de vue diagnostique, l'échographie (quelle que soit sa forme) n'est jamais la seule option : tout aussi importantes, voire plus encore sont l'écoute attentive de la personne soignée, l'examen clinique (même sans "toucher vaginal"...), les tests sanguins ou urinaires, les autres méthodes d'exploration (radiographies, IRM)... 

NB : A la question d'une internaute : "Est-ce qu'une colonoscopie peut être perçue comme un viol ?" la réponse est : Oui
Une colonoscopie imposée peut être perçue comme un viol par la personne qui la subit. Là encore, ce n'est pas aux professionnels de décréter ce que les personnes ressentent. Il leur appartient en revanche de faire en sorte que les gestes qu'ils pratiquent ne soient pas ressentis comme des viol(ence)s. 

***

Que faire pour éviter qu'une échographie endovaginale soit un viol ? 
(Ou pour que tout geste médical soit une maltraitance ?) 

*Si vous êtes une personne (de toute orientation/préférence/genre) qui consulte une professionnelle de santé, rappelez-vous que : 

- votre corps vous appartient ; rien ne peut vous êtes imposé par une professionnelle de santé ; 
- tout geste peut être refusé ou interrompu par vous à tout moment ; 
- les commentaires désagréables ou dénigrants, le chantage, la menace, l'humiliation et la culpabilisation (mais aussi les comportements de flatterie et de séduction) disqualifient la professionnelle qui les exprime ; 
- vous avez le droit d'obtenir des réponses à toutes les questions (il n'y a pas de question stupide) il n'est pas acceptable qu'on vous réponde "Vous n'avez pas besoin de le savoir", "Vous posez trop de questions", "Vous n'allez pas comprendre" ou encore "Je sais ce que je fais, c'est moi le médecin ici." 
- votre refus de consentir à un geste ne justifie jamais qu'on vous refuse des soins ; il est toujours possible de soigner une personne qui ne veut pas d'un examen ou d'un traitement ; les professionnelles qui connaissent leur métier savent le faire ; si vous sentez que la délivrance des soins dont vous avez besoin dépend du bon vouloir de la professionnelle et de votre soumission à ses diktats, changez de professionnelle : celle-ci ne vous soignera jamais correctement ; 
- vous avez à tout moment le droit de vous lever, de prendre vos affaires et de partir. Et rien ne vous oblige à vous acquitter d'une consultation qui se passait mal parce que vous vous sentiez maltraitée. 

Et enfin : le viol est puni par la loi. Bien qu'une plainte soit toujours une démarche moralement très lourde, et socialement et émotionnellement éprouvante pour les personnes qui s'y risquent, il n'est pas interdit de l'envisager... et d'en parler avec une avocate. 

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* Si vous êtes une professionnelle de santé en exercice   
(quelle que soit votre pratique, car ces règles s'appliquent à toutes)
 
 si une femme se sent brutalisée par un de vos gestes, ne songez à aucun moment à lui en faire porter la responsabilité (ou à nier sa perception) : c'est aux professionnelles de santé qu'il incombe de "D'abord, ne pas nuire" !!! 
- révisez vos pratiques de consultation courante et en urgence ; de nombreux travaux ont été publiés sur la fiabilité des gestes que vous avez appris et que vous pratiquez parfois de manière "automatique" ; beaucoup peuvent être abandonnés
- écoutez les femmes et respectez ce qu'elles vous disent ; (s'il est nécessaire qu'on vous explique pourquoi, vous avez beaucoup de travail à faire)... 
- rappelez-vous que quand on souffre ou quand on a peur pour sa santé ou sa vie, il n'y a pas de question stupide : si une personne vous fait la confiance de vous interroger, vous êtes dans l'obligation de lui répondre de la manière la plus précise et la plus respectueuse possible ; répondez à toutes les questions ; et si vous ne connaissez pas la réponse, "Je ne sais pas mais je vais me renseigner" est une réponse parfaitement acceptable ; 
- avant de procéder au moindre geste, parlez-en à la femme qui se trouve devant vous et dites-lui pourquoi (à votre avis) ce geste est justifié dans sa situation
- dites-lui précisément en quoi ce geste consiste ; insistez sur le fait que vous ne ferez rien sans son accord explicite et que le geste cessera dès qu'elle le demandera !
- comme me l'ont rappelé plusieurs soignantes internautes en lisant cet article, quand l'examen est accepté, proposez à la femme d'insérer elle-même le spéculum ou la sonde d'échographie
- si elle refuse un geste, respectez son choix et puisez dans votre expérience pour faire autrement (vous n'avez pas fait dix ans d'études pour rien, n'est-ce pas ?) 
- si elle l'accepte, ne procédez pas de manière brutale ou "expéditive", mais toujours en prévenant à chaque étape et en gardant toujours un contact verbal avec la personne examinée ; 
- ne faites aucun commentaire sur l'habillement, les caractéristiques physiques (poids en particulier) de la personne que vous examinez : l'humiliation est une brutalité qui peut transformer un examen gynécologique en agression et une échographie en viol... 

Enfin : rappelez-vous que le plus grand accomplissement professionnel, quand on est chargée de soigner, c'est d'aider les personnes soignées à aller mieux, à être le plus autonomes possible et à se passer des soignantes... 

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Si vous êtes une professionnelle de santé en formation

- n'hésitez jamais à questionner les gestes ou comportements qui vous semblent discutables ; vos perceptions - et en particulier vos valeurs morales - ne sont pas moins respectables que celles des formatrices qui vous encadrent, surtout si vous êtes choquée par leur comportement envers les personnes soignées ; 
- refusez par principe de procéder à des gestes "pour apprendre" si la personne n'en a pas besoin (ou s'il a déjà été fait par une autre professionnelle) : les personnes soignées ne sont pas des cobayes ; 
- exigez de pouvoir vous entraîner  sur un mannequin et avec le matériel approprié avant d'avoir à le faire sur une personne réelle ; 
demandez toujours le consentement de la personne concernée en lui assurant que son refus ne compromettra pas les soins dont elle a besoin ; 
- si vous êtes témoin de gestes pratiqués sans consentement, questionnez les personnes qui les font, et interposez-vous chaque fois que vous le pouvez ; chaque fois que ça vous est possible, comportez vous en alliée des personnes soignées, et non en complices des brutes en blanc ;  
- s'il n'est pas possible de vous interposer, déclarez-les aux autorités compétentes ; si ce n'est pas possible, ouvrez un blog sous pseudonyme et faites un podcast et décrivez ce que vous avez vu.  
- organisez-vous en groupes d'apprenantes (associations) ou joignez-vous à un syndicat pour vous défendre contre la violence de vos aînées ; le fait que vous soyez en formation ne signifie JAMAIS que vous êtes corvéables à merci ou que vous êtes "au service" des personnes qui sont censées vous former ; ce sont les enseignantes qui ont des obligations à votre égard, et non l'inverse ; 

Enfin : rappelez-vous que vous n'êtes pas responsable des violences auxquelles vous assistez ou auxquelles on vous fait participer contre votre gré ; vous en êtes, vous aussi, victimes. Gardez votre liberté de penser et en particulier de documenter ce que vous voyez.  Dites-vous bien que si ce que fait telle ou telle collègue est inacceptable, cela remet en question tout ce qu'elle prétend vous enseigner. 





Marc Zaffran/Martin Winckler