vendredi 27 juillet 2018

Le syndicat des homéopathes en plein déni de la réalité scientifique


En 1983, année où je suis devenu l'un de ses rédacteurs, La Revue Prescrire commença une série de publications consacrées à l’homéopathie. 

Aujourd'hui, on peut lire ce document destiné au public, et pour s'assurer que ce n'est pas un jugement "rapide", il suffit de taper le terme « Homéopathie (discipline) » dans la zone de recherche de la revue pour lire les titres des articles. Il y en a à ce jour 87. J'ai suivi la rédaction et participé à la relecture de tous ceux qui ont été publiés entre 1983 et 1989.

Ce sont des articles scientifiques de la même rigueur que tous les autres. Ils examinent, minutieusement, les données présentées par les industriels (Boiron, et d’autres) qui commercialisent des « médicaments » homéopathiques. Ils rappellent aussi l’histoire de la discipline, font le point des essais cliniques, analysent l’ « Affaire Benveniste » (la mémoire de l’eau, vous vous souvenez ?). Bref, une seule et même revue médicale française, dont l’indépendance vis-à-vis de tous les industriels du médicament n’est plus à démontrer, a depuis 35 ans minutieusement examiné au fil de 87 publications (plus de deux par an, pour beaucoup des dossiers de plusieurs pages) toutes les « preuves » avancées par les tenants de la « discipline ».

Pour un seul résultat : les médicaments homéopathiques constituent une escroquerie industrielle de grande envergure. La théorie homéopathique de Hahnemann, qui date de la fin du XVIIIe siècle, ne repose sur aucune notion scientifique démontrée, avérée, reproductible et reproduite. Entre les effets d’une substance pharmacologiquement active et ceux d’un médicament homéopathique (dont la définition dans la pharmacopée française n’est pas son action sur certains symptômes mais, tout simplement, la manière dont il est fabriqué !!!), il y a le même gouffre qu’entre une observation faite et disputée par des dizaines d'astronomes sur les photographies prises par le téléscope Hubble et les prédictions de l’astrologue qui fait des passes autour de sa boule de cristal.

Oui, je sais que cette comparaison va ulcérer les personnes qui, en toute bonne foi, pensent que l’homéopathie est une approche médicale avérée. Et j’en suis désolé. Mais je ne le dis pas pour les blesser, je le dis parce que tout, autour de nous (de la génétique au GPS en passant par la construction des ponts suspendus et l’observation du réchauffement climatique), est fondé sur des connaissances scientifiques avec lesquelles la théorie homéopathique est incompatible.

La préparation d’un médicament homéopathique repose sur la dilution d’une substance jusqu’à ce qu’elle ne soit plus présente. Or, une substance qui n’est pas présente ne peut pas avoir d’activité pharmacologique. Point final.

Face à cette notion scientifique élémentaire (aussi élémentaire que la gravitation universelle ou le fait que l’eau de pluie n’a aucune « mémoire » de ce qu’on déverse dans nos égouts), beaucoup d'homéopathes français (mais, curieusement, pas tous) opposent un déni forcené. 

Ce n’est pas une preuve d’intelligence. Ni d’ouverture. Ni d’intégrité intellectuelle.

Alors, libre à chacun.e de croire ce qu’il ou elle veut.

Mais la liberté et les choix d’un individu qui s’achète de l’Oscillococcinum ne concernent que lui. Les pratiques des médecins, en revanche, ne peuvent pas être guidées par le déni des connaissances scientifiques. Et c’est parce que ces connaissances évoluent qu’on peut aujourd’hui rejeter des « traitements » comme la saignée, utilisée en toute « bonne foi » pendant deux mille ans, et qui a tué beaucoup plus qu’elle n’a guéri.

La connaissance scientifique passe par la critique de tous les discours industriels

La revue Prescrire (qui est loin d’être parfaite, mais qui est la plus ancienne revue en France qui soulève systématiquement et librement les questions gênantes dans le domaine de la santé) a consacré d’innombrables articles à d’autres « médecines alternatives » (37 articles sur l’acupuncture ; 8 articles sur les huiles essentielles et leurs dangers ; etc.) mais elle passe le plus clair de son temps à critiquer les médicaments ou les thérapeutiques promues par les industriels du médicament.

C’est que là aussi, il y a des biais cognitifs. Et ils sont très efficaces. Le simple fait d’offrir à un étudiant en médecine un stylo portant le logo d’un labo « sensibilise » favorablement cet étudiant à la prescription des médicaments du labo. En cela, les industriels ne font qu’appliquer les connaissances actuelles sur le cerveau. Ils les connaissent bien mieux que nous : leur chiffre d’affaire en dépend.

Un nombre croissant de médecins ne veut plus se faire rouler dans la farine. Par AUCUN industriel.

En mars 2018, un groupe de médecins a décidé de mettre les pieds dans le plat : il a publié un manifeste dénonçant les  #FakeMed, les médecines « alternatives » dont les effets ne sont pas démontrés. Pourquoi ? Parce que ces praticienne.s ont à cœur de pratiquer une médecine fondée sur les preuves scientifiques et la confiance réciproque avec les patient.e.s.

De même qu'ils rejettent les discours industriels visant à leur faire prescrire des médicaments inutiles contre le cholestérol ou l'ostéoporose, ces médecins ont à cœur de dénoncer l' escroquerie consistant à faire prescrire des granules de sucre à des patient.e.s qui pour certains pourraient se passer de médicament ; et qui, pour d'autres, devraient bénéficier de traitements avérés.  

Parce que l’enjeu est là : si vous voulez prendre du Perlimpinpin 12 CH, libre à vous. Mais pourquoi des granules  n’ayant pas plus d’effet qu’un placebo seraient-ils financés par les deniers publics alors que d'autres substances, considérées comme inefficaces, sont déremboursées ? (Je pense en particulier aux médicaments censés « soigner » les patient.e.s souffrant de maladie d’Alzheimer mais aussi à de très nombreux produits, déremboursés chaque année).


La relation de soin doit être fondée sur la confiance réciproque et sur la vérité

La confiance réciproque, dans la relation de soin, impose qu’un.e soignant.e ne mente pas à la personne soignée. Or, suggérer qu’un remède homéopathique est un médicament comme un autre, et que son activité est démontrée, c'est un mensonge. Et ce n’est plus acceptable : l'éthique du soin telle qu'on l'entend aujourd'hui l'interdit  ; et il n'est même pas justifié de mentir pour soulager : ce qu’on sait du fonctionnement du cerveau, aujourd’hui, nous montre qu'on peut parfaitement soulager sans mentir.

Notez que je n’ai pas écrit « un remède homéopathique est toujours inactif ». Ce serait un mensonge également, car tout le monde (homéopathes et biomédecins) le sait : tout remède produit un effet placebo.

Et l’effet placebo, ce n’est pas rien. C’est même un ensemble d’effets extraordinairemement complexe et puissant, dont les méthodes récentes d’exploration du cerveau ne cessent de montrer l’importance.


Malheureusement, l’effet placebo fait l'objet d’un mépris extrêmement répandu dans la société française. Si ça « se passe dans la tête » (traduire « si c'est de l'ordre des émotions ») ça n’a pas de valeur. Or, les connaissances scientifiques, elles encore, nous montrent que c’est tout le contraire. Toutes nos pensées "rationnelles" sont d'abord des émotions. Tout ce qui se passe dans le cerveau agit sur le corps. Et tout ce qui se passe dans le corps agit sur le cerveau. 

Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d’utiliser un médicament pour qu'un patient aille mieux  : l’extraordinaire livre de Fabrizio Benedetti, The Patient’s Brain (« Le cerveau du patient ») décrit des expériences qui montrent que les seules paroles ou attitudes des soignant.e.accentuent ou diminuent les effets de la morphine sur la douleur ! Et une substance inerte administrée par un médecin bienveillant soulage mieux qu’un antalgique administré de manière insensible, froide ou hostile ! 



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"Le cerveau du patient" - de Fabrizio Benedetti. 

(NB : ne vous arrêtez pas au titre du livre de Benedetti, il parle aussi en détail du cerveau du médecin ; c’est passionnant - et effrayant. Il date de 2011. Pourquoi n'est-il toujours pas traduit en France ? Le Seuil, Odile Jacob, Payot, est-ce que ça vous intéresserait ? Je suis volontaire pour le traduire. )  



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Pour un soignant qui se fonde sur les connaissances scientifiques (j'en fais partie, je crois), il n’est donc pas question de nier les effets bénéfiques de la relation de soin entre un médecin pratiquant l’homéopathie et les patient.e.s qu’il ou elle reçoit. Car beaucoup de souffrances quotidiennes sont soulagées grâce à de l’écoute, du soutien, des encouragements, des réassurances. Choses que TOUT médecin bienveillant peut offrir.

Voilà qui devrait conforter les homéopathes dans leur pratique, mais non ! Le placebo, pour eux, c'est le mal, c'est la négation de la valeur "scientifique" de leurs granules. 

Du coup, je m’interroge sur la confiance que les médecins homéopathes se portent à eux-mêmes. S’ils admettaient que le bien (indiscutable) qu’ils font à un certain nombre de patient.e.s repose essentiellement sur leur attitude, sur leur comportement, sur leurs qualités relationnelles, ils n’auraient plus besoin de leurs tubes de granules !

Et cependant, au lieu de se montrer véritablement attachés à la science - qui reconnaît leur valeur de thérapeutes - ils préfèrent s’agripper à leurs granules comme les médecins de Molière s’accrochaient à leurs clystères et à la saignée. Comme s'ils en étaient indissociables. 

Je me souviens d'un homéopathe qui s'écriait : "Mais vous laissez entendre que nous ne faisons que de la psychothérapie de soutien !!!" 

Mais c'est très bien, la psychothérapie de soutien ! Tous les médecins bienveillants en font, de la psychothérapie de soutien ! Même aux patients souffrant de maladie grave ! Soigner, c'est aussi soutenir moralement. Mais pas A LA PLACE du traitement de la maladie !!! Alors je ne vois pas en quoi faire de la psychothérapie de soutien serait une déchéance ! Ca ferait des homéopathes des psychothérapeutes. Et pourquoi pas ? Encore faudrait-il qu'ils l'assument !

De toute manière, ce ne sont pas leurs qualités de thérapeutes que les  #FakeMed mettent en question

Ce qui est en question, c’est la liberté et l'honnêteté d’appeler les choses par leur nom. L’homéopathie n’est pas une discipline biomédicale. Certain.e.s homéopathes le reconnaissent. D’autres s’accrochent à leurs certitudes, à leur foi. Et, pour cette raison, abdiquent toute crédibilité en tant que soignants guidés par la science.

Ils déclarent : « Montrez-moi que ça ne marche pas. » Mais c’est aux promoteurs d’une théorie de montrer qu’elle est vraie, pas à ses opposants. (Ou alors, on pourrait enseigner l'astrologie en fac de sciences.) 

Et contrairement à ce que prétendent les homéopathes, les soignants guidés par la science sont prêts à tout tester : on teste même les effets de la prière sur l’amélioration du bien-être des malades chroniques. (Tapez « prayer and healing » dans ce moteur de recherche d'articles médicaux et vous verrez combien d’articles "sortent".)

Le cerveau, ennemi numéro un de la pensée rationnelle

Quel point commun entre l’homéopathie, l’acupuncture, les huiles essentielles, la prière, la relation de soin et la morphine ?
Le cerveau humain ! Un organe dont nous commençons seulement à appréhender la sophistication.

Seulement voilà. Le cerveau n’est pas un organe infaillible. De même que tous les individus ne voient pas les couleurs et n’entendent pas les sons de la même manière, chacun.e de nous perçoit la réalité qui l’entoure à sa manière. Avec ce qu’on appelle des « biais cognitifs ».

Nos biais cognitifs (et perceptifs), permettent au prestidigitateur de sortir un lapin d’un chapeau sans qu’on voie le truc ; au vendeur de voiture de nous vendre un véhicule dont nous n’avons pas besoin en nous faisant croire que c’est une bonne affaire ; à l’assureur de nous faire souscrire une police contre la chute d’un astéroïde ; au fabriquant de cosmétiques et d’appareil à musculation de nous convaincre que leurs méthodes vont nous rajeunir la peau et nous raffermir les muscles. Et nous faire vivre plus vieux. Quand on le prend comme il faut, notre cerveau est notre pire ennemi. 

Et c’est de bonne guerre : ce sont des marchands. Pour nous vendre leur salade, il faut qu’ils nous embrouillent l’écoute.

La relation de soin, elle, ne peut pas être une embrouille. Car les soignants sont tenus, pour des raisons éthiques, de nous aider à opérer des choix de santé, de vie ou de mort. Et pour faire ces choix, nous avons besoin d’avoir les yeux ouverts. 

Au lieu du débat, les attaques personnelles

Le manifeste #FakeMed s’attaque à des pratiques, non à des personnes. Il dénonce une escroquerie industrielle et commerciale et appelle à les pouvoirs publics et les universités à assumer leur scientificité à l’égard des pratiques non scientifiques. Il ne fait rien d’autre qu’appeler à la cohérence et à la clarté : on n’enseigne pas l’astrologie dans les programmes d’astrophysique et la sécu ne la rembourse pas. Il n’y a aucune raison d’enseigner l’homéopathie dans une faculté de médecine, ni de la rembourser. (Quitte à rembourser des pratiques relationnelles au motif qu’elles « font du bien », il faudrait d’abord commencer à rembourser les psychothérapies, qui en font à beaucoup plus de personnes souffrantes que l’homéopathie ou le tirage de cartes.)

Mais un certain nombre d’homéopathes ne l’entendent pas de cette oreille. Depuis quelques semaines, les 124 signataires du manifeste #FakeMed font l’objet de plaintes du Syndicat des médecins homéopathes devant les conseils de l’Ordre de leurs départements. Le motif de ces plaintes ? Le manquement à la confraternité. Le dénigrement de confrères.

Vous avez bien lu. Les homéopathes (en corps constitué) attaquent nommément et individuellement des médecins qui se sont librement exprimés, en disant « M’sieur ! M’sieur ! Ils sont méchants ! Ils nous traitent !  ».

C’est comme si l’Eglise Catholique portait plainte devant le Conseil des Universités contre les historiens qui ont démontré que les évangiles ont été rédigés bien après la vie supposée de Jésus et de ses apôtres !

Le ridicule ne tue pas, il ne tuera pas les homéopathes obtus. Il fera peut-être réfléchir les autres, on peut le souhaiter.
Car ces plaintes n’ont aucune validité réglementaire ou légale : le manifeste n’accuse personne en particulier – donc, pas de diffamation ni de manquement à la confraternité. (D’ailleurs, le Syndicat des acupuncteurs n’a pas porté plainte. Bizarre, non ?)
Le manifeste  #FakeMed  s’appuie sur l’état de la science et de la déontologie – donc, pas de manquement de ce côté-là ; il ne diabolise pas les patient.e.s qui recourent à l’homéopathie – rien à dire sur ce point non plus.

Bref, ces plaintes sont purement gratuites. Mais en attendant, elles pourrissent la vie de professionnel.le.s de terrain qui ont autre chose à foutre que de perdre une journée de travail et de soins pour aller répondre… de leur droit le plus élémentaire à s'exprimer librement.

En agissant ainsi, le syndicat des homéopathes montre qu’il n’a rien à opposer à la critique de ses pratiques. 
S’il n’a pas de preuves à présenter de l’efficacité pharmacologique de l’homéopathie, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de travaux (je vous renvoie à Prescrire) ou parce qu’on empêche les travaux de se faire, c’est parce que les travaux montrent tous la même chose : de l’effet placebo

Rien de moins, mais rien de plus. Or, le Syndicat des homéopathes ne veut pas parler de l’effet placebo. Ce serait déchoir. C'est en tout cas un nouveau déni de la science. 

Il montre donc à quel point il n’a rien à faire du bien être des patient.e.s qu’il prétend défendre, puisque la vérité scientifique lui importe peu. Il oublie simplement que les obligations de vérité envers les patientes l’emportent sur la « confraternité ». 

L’objectif du syndicat des homéopathes est avant tout de se poser en groupement d’aristocrates froissés. Avec hauteur, morgue et mépris pour les personnes qu'il prétend défendre. 

Car lorsque les médecins du manifeste  #FakeMed convoqués au conseil de l’ordre devront prendre leur journée pour aller se défendre d’avoir parlé librement, ce sont d’abord et avant tout les patientes de ces médecins qui en pâtiront. 
Comment ne pas y voir le plus grand mépris à l'égard de ces patient.e.s - là ? 

Le cerveau est un organe mystérieux. Celui d'un médecin n'est pas moins biaisé que celui de quiconque. Certains font l'effort de lutter contre leurs biais cognitifs. D'autres, non. 

Je ne sais pas ce qui se passe dans le cerveau des membres du syndicat des homéopathes (et je suppose qu'ils en ont un...) ; mais en traînant devant les Ordres départementaux des médecins soucieux d'intégrité scientifique , ledit syndicat montre qu'il ne veut pas débattre ; il veut seulement en découdre. 

Et, en pourrissant la vie de médecins qui se sont exprimés librement, il démontre que sa pensée et ses pratiques peuvent être absolument nocives. 

Si tel était le résultat recherché, c’est parfaitement réussi.



Marc Zaffran/Martin Winckler



"Je conchie la confraternité ! Mes obligations éthiques vont d’abord aux patientes, ensuite aux autres médecins."
(Franz Karma dans Le Choeur des femmes.)

Si vous désirez soutenir les médecins attaqués pour "manque de confraternité" par le Syndicat des homéopathes" signez la pétition en ligne. 


jeudi 5 juillet 2018

Est-ce que les examens gynécologiques sont « forcément » douloureux ? - par Marc Zaffran/Martin Winckler



Un soir de l’été 2001, sur France 2, j’ai entendu M. Cymès déclarer
« Hors de la pilule, il n’est point de bonne contraception ».
J’étais en train de mettre la dernière main à Contraceptions mode d’emploi, près de 500 pages qui disaient le contraire. Ça m’a un tantinet agacé. Mais M. Cymès n’était pas spécialiste de la contraception. Il ne venait pas de lire un paquet de références scientifiques sur le sujet. Il n’avait pas lu mon livre non plus. Il n’était donc pas surprenant qu’il profère des contre-vérités en ce domaine. (Les deux gynécologues assis à la même table n’ont pas relevé, ce qui est en revanche regrettable, mais c’est un autre débat.)

Cette semaine, en 2018, c’est à dire dix-sept ans plus tard, j’apprends que Madame la Dre Paganelli, gynécologue et secrétaire du Syngof (Syndicat national des gynécologues et obstétriciens français) a - parmi beaucoup d’autres bêtises que le Bétisier officiel de l’obstétrique a parfaitement soulignées -, déclaré dans un entretien :

« On nous reproche beaucoup la douleur des actes gynécologiques, mais on n'a pas de solution par rapport à ça, on n'a pas d'autres techniques. Cela reste douloureux et invasif. Sinon, on arrête de soigner. »

Or, il se trouve que, avec mon collègue, ami et co-auteur Alain Gahagnon, algologue au Mans, je suis en train de mettre la dernière main à un livre consacré à la douleur, sa prévention et son traitement. (Tu comprendras ta douleur – à paraître fin 2018 chez Fayard.)
La phrase de Mme Paganelli m’a donc beaucoup agacé.

Car contrairement à M. Cymès,  Mme la Dre Paganelli, gynécologue et secrétaire du Syngof, devrait savoir de quoi elle parle : il s’agit de sa propre spécialité.

Sa déclaration est doublement malheureuse. D’abord parce que même si aucun geste médical n’est agréable,  « D’abord ne pas nuire » est l’une des premières règles auxquelles une médecin doit se plier ; en s’assurant, d’abord de provoquer le moins de désagrément possible (douleur, en particulier) lors de TOUT geste pratiqué.

N'ayant pas reçu de super-pouvoirs, les médecins n’ont pas d’obligation de résultat (on ne peut pas s'attendre à les voir toujours tout guérir et de sauver tout le monde), illes ont une obligation de moyens : illes doivent toujours mettre en œuvre les méthodes disponibles pour accomplir leur mission de soin. En fait, illes peuvent commencer à soigner avant même de faire le moindre geste... En ayant du respect pour les personnes qui ont besoin de soin. 
On sait que la réalité n’est pas nécessairement conforme à nos désirs. Est-il pour autant légitime, comme Mme la Dre Paganelli, de déclarer que les examens gynécologiques sont forcément douloureux et invasifs ?
Non. Et voici pourquoi.

La prévention de la douleur

Chez une personne en bonne santé, le principal facteur accentuant la perception de la douleur est bien connu : c’est la peur. La peur d’avoir mal augmente la douleur, de même que l’absence de peur la réduit.   
La prévention de la douleur (dans n’importe quelle situation) commence par des actes simples, mais extrêmement efficaces, qui ont tous pour objet de rassurer la personne à qui on va faire le geste (potentiellement) désagréable.

Notion n° 1 : tout geste médical peut être désagréable parce que se mettre entre les mains d'un médecin, ça peut inquiéter. 

Le simple fait d’être touchée par une inconnue l’est déjà ; être touchée par une personne d’autorité, susceptible de vous faire mal ou de poser la main sur une zone intime de votre corps l’est encore plus. Les patientes ne le savent que trop bien. Les médecins le savent aussi. En principe.

Lever (au moins en partie) l’anxiété liée à cette perspective n’exige pas d’avoir une formation en neurobiologie. C’est à la portée de tout le monde : il suffit de décrire et d’expliquer le geste, en répondant à toutes les questions que cette explication déclenche, et de demander l’autorisation de le faire.
(Scoop : pour un médecin, demander l’autorisation à une personne de la toucher ou de faire le moindre geste sur son corps est AUSSI une obligation déontologique et légale.)
Evidemment, pour faire ça, il faut s’adresser à la personne en la regardant dans les yeux, sourire (sans moquerie), l’écouter, lui parler, la rassurer. En prenant son temps car la hâte est source de stress, et donc d’inquiétude.

Règle n°1 de la prévention de la douleur : aborder avec bienveillance, avertir, expliquer, rassurer, demander la permission. Prendre son temps.

- Et si la personne dit non ?
- Eh bien, on ne fait pas le geste. Comme ça, on est sûr qu’il ne sera pas douloureux.
- Mais comment je vais pouvoir faire mon métier si les gens ne veulent pas que je les touche ?
- Mmmh… Vous avez fait dix ans d’études et vous n’avez pas plus d’imagination et de ressources que ça ? Triste. Mais puisque vous semblez en avoir besoin, j’écrirai un autre article pour vous donner quelques pistes.

***

Notion n°2 : Les gestes pratiqués en consultation gynécologique sont plus désagréables que les autres gestes médicaux.

Là encore, pas besoin d’un diplôme d’études supérieures pour le savoir.
En plus des précautions et prévenances sus-mentionnées, une soignante peut diminuer ou limiter l’inconfort d’un examen des seins ou d’un examen gynécologique (lorsqu’ils sont faits, voir plus bas) en respectant la pudeur de la personne – c’est à dire, après avoir obtenu son consentement pour les faire, en n’exigeant pas qu’elle se déshabille entièrement, en ne se précipitant pas d’emblée sur les zones les plus intimes, en la touchant avec délicatesse et en limitant le contact au strict temps nécessaire. Ça s’apprend. Et le meilleur moyen de ne pas faire mal, c’est d’être attentif à ce que les femmes disent, à ce qu’exprime leur visage, à leur langage corporel. Ça s’apprend aussi.

Il va sans dire – mais ça va encore mieux en le disant – que les soignantes doivent s’abstenir de tout commentaire « qualitatif » sur l’anatomie des personnes qu’illes examinent. Illes peuvent dire : « Je ne vois rien d’anormal ou d’inquiétant ». Illes ne peuvent pas dire : « Vous avez de jolis seins » (par exemple).   
Car ces commentaires sont eux aussi source de malaise – donc, susceptibles de rendre douloureux les gestes pratiqués.


Règle n°2 : Respecter la pudeur de la personne examinée. Ne pas faire de commentaire déplacé ou inapproprié.

***

Notion n°3 – Les examens « systématiques » pratiqués par les gynécologues sont le plus souvent inutiles. En particulier quand c'est pour prescrire une pilule contraceptive.

Chez une femme qui ne se plaint de rien, l’examen des seins ne sert à rien.
Chez une femme qui ne se plaint de rien, l’examen gynécologique (« toucher vaginal ») n’a pas non plus d’intérêt. (Il n'en a pas non plus chez une femme enceinte qui va bien.) 

Pour que vous vous en convainquiez, je vous suggère simplement de réfléchir à ceci : les testicules sont aussi facilement accessibles que les seins ; la prostate est aussi facile à examiner que l’utérus, alors pourquoi ne fait-on pas d’examen annuel des testicules et de la prostate aux hommes avant 50 ans ?

(Pour l'absence de conditions à la prescription de pilule, je ne reviens pas là-dessus en détail, c’est décrit très précisément ici.

Quant au frottis de dépistage des anomalies du col de l’utérus, il est inutile de le faire avant l’âge de 25 ans.

Par conséquent, si vous avez moins de 25 ans, et si vous allez bien, vous n’êtes pas tenue d’aller voir un gynécologue chaque année pour « vérifier que tout va bien » : si vous allez bien, tout va bien. Un.e gynécologue ne constatera rien d’autre que ce que vous savez déjà vous-même. En fait, si vous n'avez besoin que d'une prescription de pilule, d'implant ou de DIU ("stérilet"), vous pouvez toujours vous passer de gynécologue : un généraliste, une sage-femme peuvent vous prescrire votre contraception. Si vous êtes l'heureuse utilisatrice d'un DIU posé entre les âges de 15 et 18 ans, et si vous vous portez comme un charme, vous pouvez même vous passer de revoir un.e professionnel.le de santé jusqu'à l'âge de 25 ans. (On peut porter les DIU marqués "5 ans" pendant au moins 7 ans, et ceux qui sont marqués "10 ans" pendant deux ans de plus. Chouette, non ?) 

Quand est-il utile qu’un médecin vous examine les seins visuellement et avec ses mains ?
Essentiellement, si vous-même avez constaté quelque chose qui vous inquiète sur ou à l’intérieur d’un de vos seins. En dehors de ces circonstances, c’est inutile et injustifié.

Quand est-il utile qu’un médecin examine visuellement la région vulvaire (grandes lèvres, petites lèvres, vulve) ?
Essentiellement, si vous avez constaté une anomalie (rougeur, gonflement, démangeaisons, écoulement) ou si vous avez mal. En dehors de ces circonstances, c’est inutile et injustifié.

Quand est-il utile qu’un médecin vous fasse un examen gynécologique (« toucher vaginal ») ?
Essentiellement, si vous ressentez des symptômes (douleur, brûlures, gêne, démangeaisons pesanteur du bas-ventre, crampes, saignements, écoulements inhabituels, fièvre) évoquant une affection du vagin, de l’utérus, des trompes, des ovaires, et qui surviennent spontanément ou pendant des rapports sexuels avec pénétration. En dehors de ces circonstances, c’est inutile et injustifié.
A noter que l’échographie permet de recueillir des informations plus précises que le « toucher vaginal », dont la précision varie beaucoup avec la personne qui le pratique, et qui contrairement à l’échographie, ne permet ni photos ni mesures.  

Quand est-il utile de vous faire un examen au spéculum ?
L’examen au spéculum sert essentiellement à examiner l’intérieur du vagin et à accéder au col de l’utérus.
Il est utile, en gros, dans trois circonstances :
- vous avez des symptômes situés dans le vagin (douleurs, démangeaisons, brûlures)
-  vous allez vous faire faire un frottis de dépistage ou poser un DIU (« stérilet »)  
- le médecin doit pratiquer un geste précis sur le col de l’utérus (recueillir des secrétions avec un long coton-tige pour analyse ; faire une biopsie ou un traitement sur le col ; procéder à une IVG).

En dehors de ça, il n’y a aucune raison de vous faire un examen au spéculum ; pas même « pour s’assurer que tout va bien ».

Tous ces examens sont désagréables. Pour autant, comme on l’a dit plus haut, un médecin doit tout faire pour qu’ils ne soient pas douloureux. En commençant par ne pas les faire quand ce n'est pas justifié. 

Règle n°3 : Un geste inutile n’est jamais douloureux quand on ne le fait pas.

***
Notion n°4 : Un médecin doit tout faire que les gestes potentiellement douloureux ne le soient pas.

D’abord, ille doit vous prévenir avant chaque geste.
Ensuite, s’ille est amené.e à utiliser des instruments, ille doit vous les montrer et, si possible vous laisser les examiner (il y en a sûrement qui ne servent qu’à ça dans le tiroir de son bureau).
Enfin, ille doit se donner les moyens de faire ces gestes sans douleur.

L’examen des seins doit être indolore
L’examen visuel des seins (la peau, la forme, la symétrie) se fait en position debout ou assise, le médecin vous demande de lever les bras, et regarde de face et de profil. S’il n’y a pas d’anomalie franche (que vous aurez déjà constatée), ça ne doit pas durer plus de quelques secondes, et ça ne doit susciter aucun commentaire. Un examen visuel des seins, ça n’est pas pour le médecin une occasion de se rincer l’œil. Si vous avez le sentiment qu’ille le fait pour ça, il y a un problème.

Pratiqué correctement, l’examen des seins est indolore. (Même s’il peut rester gênant.) En l’absence d’anomalie (un gonflement, une inflammation), si l’examen est douloureux c’est parce que le médecin appuie comme une brute ou serre le sein entre ses doigts – ce qui est non seulement inacceptable, mais inadéquat : un sein doit toujours être examiné du bout des doigts de la main posée à plat, de préférence quand la personne est allongée sur le dos. Si les doigts ou la main « pincent » le sein, on sent forcément des « boules » (Faites l’expérience sur vous-même, vous verrez) et ça fait mal !

L’examen de la région vulvaire doit être indolore
C'est un examen presque toujours gênant, en raison même de la position dans laquelle il se fait. Ça peut aider d’être installée en position semi-assise (et non allongée sur le dos) et de pouvoir choisir d’avoir un drap tendu sur les cuisses (et vous ne verrez pas la tête du médecin quand ille se baissera pour vous examiner) ou au contraire de ne pas en vouloir, afin de voir ce qui se passe. Le médecin peut être amené.e à rechercher une zone douloureuse avec le bout de son doigt ganté ou avec un coton-tige. Ille ne doit pas avoir d’instruments métalliques inquiétants entre les mains. Et, encore une fois, s’ille vous touche, ille doit vous prévenir.

L’examen gynécologique et l’examen au spéculum peuvent se faire en position latérale (dite « à l’anglaise »). La pose de DIU (« stérilet ») également. C’est moins confortable pour le médecin, mais si c’est ce que la femme préfère, c’est mieux !
Evidemment, pour ça, il faut que la table soit assez large pour que la femme puisse s’allonger confortablement sur le côté, les cuisses repliées (en chien de fusil), ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas dans toutes les salles d’examen médicales…

- Mais y a des femmes qui ne voudront pas !
- Certes, mais il y en a qui veulent déjà, et d’autres qui voudront essayer. Si on leur propose les deux positions, elles pourront toutes choisir.
- Mais y a des médecins qui sauront pas le faire !
- Quelqu’un qui a  fait plus de dix ans d’études ne peut pas apprendre à examiner en tournant la tête à 90° ?!!! J’ai de la peine à le croire.

L’examen gynécologique doit être indolore
Si vous vous plaignez d’une douleur de la vulve et du vagin, et si le médecin ne voit rien à l’examen visuel, ille peut être amené.e à palper l’entrée du vagin en introduisant le bout de l’index. Cela doit toujours être fait de manière précautionneuse et délicate, en appliquant du lubrifiant (de l’eau ou un liquide antiseptique non irritant, par exemple) sur le gant d'examen. Ça sera désagréable mais (à moins qu’il n’y ait une anomalie), ce sera indolore.
Il arrive que le contact déclenche une brûlure ou une douleur s’il y a une inflammation de la vulve, ou provoque une contracture réflexe douloureuse des muscles qui entourent l’entrée du vagin.
Si le contact déclenche une douleur, le médecin doit cesser son geste immédiatement.

Lorsque le « toucher vaginal » est destiné à explorer l’utérus et les ovaires, le médecin introduit l’index et le majeur (mais il peut aussi choisir de n’introduire que l’index) et pose l’autre main sur le bas-ventre de la femme. L’examen consiste à maintenir l’utérus et les ovaires (grâce à la main posée délicatement sur l’abdomen) pour que le majeur et l’index introduit dans le vagin les « touche » à bout de doigt.

Avant l’échographie, le toucher vaginal servait essentiellement
- à évoquer une grossesse (de par la taille de l'utérus) ou à un accouchement imminent (de par la dilatation du col) ;
- à évoquer une tumeur de l’utérus (fibrome) ou d’un ovaire ;
- à évoquer une infection (le toucher vaginal déclenche une douleur) ou une grossesse extra-utérine (grosseur + douleur sur une trompe).
Tout ça peut être diagnostiqué aujourd’hui grâce à l’échographie et à divers examens sanguins.

Autant dire qu’en dehors des situations où il n’y a ni pharmacie (pour les tests de grossesse) ni échographe ni laboratoire ni hôpital (pour le reste) à moins de cinquante kilomètres, et si vous n'appelez pas le médecin en urgence, de nuit, alors que les routes sont coupées par la neige ou une inondation, un "toucher vaginal" n’a pas d’utilité.

- Certains médecins font mal, d’autre non. A quoi ça tient ?
- Essentiellement, à la manière dont illes procèdent. Et au fait qu’illes appuient comme des brutes sur des zones sensibles. 

Un examen gynécologique ne doit pas durer plus de 60 secondes. Oui, vous avez bien lu : une minute. (Et c'est long, une minute  !!!) Il n’en faut pas plus ; s’il dure plus longtemps, c’est excessif. Et quand le médecin ne sent aucune anomalie, ça doit durer encore moins longtemps.

Mais comme vous l’avez déjà compris le meilleur moyen pour qu’un examen gynécologique soit indolore, c’est de ne pas le faire !

L’examen au spéculum doit être indolore




Et c’est toujours possible, à condition :
- d’utiliser un spéculum qui ne soit pas trop grand ; un médecin qui examine souvent les femmes de tous les âges doit avoir des spéculums de trois ou quatre tailles différentes ; s’il est nécessaire, par exemple, d’examiner le vagin d’une femme qui a mal en raison d’une vaginite ou d’une inflammation  il peut parfaitement utiliser un tout petit spéculum pour pratiquer prélèvements ou frottis ;
- de réchauffer les spéculums métalliques ; pas besoin d’appareillage complexe pour ça, il suffit que le médecin tienne le spéculum dans sa main gantée une vingtaine de secondes et le métal ne sera plus froid ;
- d’utiliser des spéculums en plastique (jetables) de bonne qualité ; quand ils sont de mauvaise qualité, le plastique peut s’ébrécher pendant le transport…
- de toujours enduire le spéculum d’un lubrifiant (qui peut être encore une fois un antiseptique non irritant ou tout simplement de l’eau stérile) ;
- de le faire pivoter de 90° avant de l’introduire délicatement (la vulve a une forme verticale, et non horizontale) ; de le pousser doucement dans l’axe naturel du vagin (à 45° vers le bas, et non à l’horizontale), de le refaire pivoter délicatement de 90° dans l’autre sens avant d’écarter ses branches tout aussi délicatement ;
-  de le laisser se refermer au moment de le retirer, toujours délicatement !

La femme peut insérer le spéculum elle-même !

Une internaute m’a écrit tout récemment : 

L’avant-dernière fois que j’ai eu un examen au spéculum, la médecin a commencé à l’insérer avec un angle si mauvais que j’ai sursauté et le lui ai enlevé des mains pour le mettre moi-même. Aucune douleur (évidemment), contrairement à ... toutes les fois précédentes dans l’histoire de ma vie de femme ! Elle a sursauté aussi et n’a pas osé trouver à redire, mon geste était trop spontané et assuré. Lors de l’examen suivant, c’était un médecin différent et j’y ai pensé, mais n’ai pas osé dire que je préférais l’insérer moi-même. J’ai regretté quand lui aussi m’a blessée, comme tous les autres avant. Depuis, je me suis juré que j’exigerais toujours l’insérer moi-même. Il est absurde de constater que cela demande une force de caractère et une préparation mentale. D’autant plus que je me suis rendu compte, en me parlant intérieurement, que je formulais des phrases comme « Si ça ne vous dérange pas, je préférerais... » Ma question : y a-t-il une contre-indication médicale à ce qu’une femme mette en place un spéculum elle-même ? Et si non, pourquoi diantre l’offrir n’est-il pas la norme? C’est tellement simple et efficace...

Non, il n’y a aucune contre-indication à le faire. Il n’y a aucun inconvénient à ce qu’une femme place elle-même un anneau contraceptif, un diaphragme, une cape cervicale, un tampon ou des « boules de geisha ». Il n’y a aucune contre-indication à ce qu’elle retire elle-même son stérilet en tirant sur le fil.
Il n’est donc pas scandaleux (et il n’y a aucune contre-indication à ce) qu’elle pose elle-même le spéculum. On peut le lui suggérer au moment de l’entretien où l’examen est proposé et accepté, et si elle désire le faire, l’inviter à se savonner les mains juste avant de monter sur la table. Bien entendu, elle peut le retirer elle-même également.

- Maaaaiiiis !!!! Ya des femmes qui ne voudront jamais !
- Certes, mais c’est pas une raison pour ne le proposer à aucune. La liberté, ça consiste à avoir le choix.

La femme ne doit pas être contrainte à poireauter, le médecin doit donc être organisé.
Une personne inquiète et allongée longtemps dans une position pénible aura mal. Un médecin désorganisé fera mal. Le stress (des deux) et la hâte (du médecin) feront mal. Tout ce qui prolonge l’examen au spéculum est susceptible d’augmenter la gêne ou de provoquer une douleur (au niveau de la vulve, en particulier). Ce qui veut dire que le médecin doit avoir tout préparé (lampe et tabouret ; antiseptique, gants, compresses et instruments posés sur une table roulante près de lui) avant de demander à la personne de s’installer sur la table (pour qu’elle n’y poirote (1) pas dans une position inconfortable) et seulement après cela, lui proposer de s’allonger et insérer le spéculum.

L’insertion d’un DIU peut être indolore
Les deux premières mesures de prévention de la douleur sont simples : l’explication précise du geste et la prise d’ibuprofène.

D’abord, si vous optez pour un DIU, il est légitime de demander au médecin ou à la sage-femme de vous montrer un DIU en taille réelle ; il mesure moins de 4 cm. La boîte d’un DIU, elle, mesure 30 cm de long ! La différence tient au fait fait que le DIU est enveloppé dans son tube d’insertion, lequel mesure environ 20 cm de long.




Comme vous le verrez, un DIU est un tout petit objet en plastique souple, qu’on ne sent pratiquement pas quand on le tient dans son poing serré – a fortiori à l’intérieur de l’utérus.
Vous pouvez aussi lui demander de vous décrire exactement la manière dont il sera inséré (au moyen de planches anatomiques ou d’un croquis, ou d’une vidéo).

Avant la pose, il est recommandé de prendre un anti-inflammatoire (ibuprofène ou autre), pour éviter les contractions de l’utérus, qui peuvent être douloureuses si elles sont brutales et intenses. Le Spasfon° n’est pas aussi efficace (il a surtout un effet placebo).

Il n’est pas recommandé, en revanche, de prendre du misoprostol (Cytotec°). 
Certain.e.s praticien.ne.s prescrivent un comprimé de misoprostol, médicament de l’ulcère gastrique (également utilisé dans le cadre de l'IVG médicamenteuse sous le nom de Gymiso°) pour « dilater le col » et « faciliter l’insertion du DIU ». Or, la prise de misoprostol avant insertion d’un DIU n’est pas seulement inutile, mais fortement déconseillée : le misoprostol provoque de vives contractions de l’utérus ; le risque d’avoir mal avant, pendant et après la pose de DIU est donc élevé, avec , qui plus est, celui d’expulser le DIU dans les heures qui suivent la pose !

A quel moment du cycle faut-il poser un DIU pour que ça soit indolore ? Beaucoup de gynécos disent « au moment des règles ».

C’est faux ; et je défie quiconque d’obtenir un rendez-vous chez un médecin pile au moment de ses règles. Donc en plus d’être faux, dire ça, c'est un peu bête.
Un DIU au cuivre peut être inséré à n’importe quel moment jusqu'au 19e jour du cycle. C’est même le principe de l’utilisation du DIU au cuivre comme contraception d’urgence. (S'il est posé après le 19e jour, le risque existe de le poser alors qu'une grossesse a déjà commencé.)
Un DIU hormonal peut être inséré sans souci pendant les 10 premiers jours du cycle. (S'il n’est pas possible de se le faire poser dans ces délais, il est recommandé d'utiliser une autre méthode – pilule ou préservatifs – jusqu'au moment de la pose.)


Le col de l'utérus n’est pas « plus ouvert » pendant les règles qu’il ne l’est en dehors des règles. Il ne s’ouvre (largement) que pendant un accouchement. Les femmes ayant déjà accouché par voie basse ont un col en permanence un col plus « ouvert » (relativement) que les femmes dont ce n’est pas le cas. Mais ça n’empêchera pas une femme de 15 à 45 ans n’ayant jamais été enceinte de se faire poser un DIU sans douleur le jour où ça lui chante…

Comment faire pour que la pose de DIU soit indolore ?
L’insertion d’un DIU peut déclencher des douleurs à trois moments : à la pose du spéculum (voir plus haut) ; lorsque (et si) le médecin ou la sage-femme utilise une pince de Pozzi (pince qui se termine par deux crochets - ci dessous) pour maintenir le col en place ; lors de l’insertion du DIU à proprement parler. 




Cependant, en prenant quelques précautions, la pose d’un DIU peut être quasi indolore.

Le premier temps de la pose de DIU peut être indolore si on utilise une technique de pose de spéculum délicate. (Voir plus haut)

Le deuxième temps de la pose de DIU peut être indolore si on n’utilise pas de pince de Pozzi, ce qui est possible dans neuf cas sur dix, voire plus souvent encore. Malheureusement, beaucoup de praticiennes semblent incapables de s’en passer. Quand on est obligé de le faire (parce que le col n’est pas dans l’axe, par exemple), l’utilisation d’une Pozzi peut être relativement indolore si :
- on fait tousser la femme au moment où la pose la pozzi sur le col ;
- on ne la serre pas comme un malade (la pince est crantée ; le plus souvent, un seul cran suffit) ;
- si la femme concernée a déjà souffert de la pose d’une Pozzi, on peut lui faire une anesthésie locale du col.

Le troisième temps de la pose peut être indolore si l’on adopte une technique d’insertion indolore.

Le DIU est le plus souvent en forme de « T » et mesure environ 35 mm de long. Avant la pose, ses branches horizontales sont repliées le long de la branche verticale à l’intérieur d’un tube d’insertion du diamètre d’une paille en plastique. Après avoir posé le bout du tube sur col, deux techniques sont possibles : pousser le tube jusqu’au fond de l’utérus avant d’y faire glisser le DIU, ou bien faire glisser le DIU à l’intérieur de l’utérus sans pousser le tube d’insertion jusqu’au bout.
La première technique peut être douloureuse : en effet, le tube d’insertion est rigide et peut provoquer une contracture douloureuse du col (s’il est serré) ; et, comme la cavité utérine n’est pas rectiligne, mais coudée, le tube peut aussi perforer la paroi utérine s’il est introduit « en force ». (C’est malheureusement plus fréquent que beaucoup de gynécologues ne veulent le reconnaître.)
La deuxième technique, que l’on nomme « méthode d’insertion en floraison » (ou encore « méthode de Cristalli-Bonneau », ou « de la torpille ») n’est pas traumatisante : le tube d’insertion est introduit seulement à l’entrée du col et on pousse le DIU ensuite ; comme il est moins large que le tube d’insertion, et peut glisser à travers le col sans provoquer de contracture. Comme il est souple, une fois dans l’utérus, il ne risque pas de perforer la paroi.

La pose « en floraison » est indolore. Cette méthode a déjà été adoptée par de nombreux médecins et sages-femmes. Y’a pas de raison qu’elle ne le soit pas par tou.te.s. Votre gynéco peut la comprendre en deux minutes (à peine plus qu’il ne faut pour faire un toucher vaginal). En regardant cette vidéo par exemple.




« Indolore », ça ne veut pas dire « qu’on n’a rien senti ». Même quand l’insertion d’un DIU est faite avec précaution, il peut arriver qu’une femme sente au passage du DIU, une crampe ou une contraction qui ressemble à celles de ses règles. Le plus souvent, ça dure une fraction de seconde, et beaucoup de femmes disent que ça n’était pas (ou à peine) douloureux. Beaucoup de femmes ne sentent rien du tout. 

L’échographie abdominale
L’examen des organes par les ultrasons est un progrès phénoménal : il ne remplace pas les rayons X de la radiographie et du scanner, mais il permet de voir d’autres choses, ne soumet pas le corps à des rayons nocifs, et son utilisation est indolore. Avant l’échographie, on ne pouvait pas identifier l’existence d’un « calcul » (caillou) dans la vésicule ou dans un rein sans procéder à des examens longs, pénibles et invasifs. Il en va de même pour l’examen des organes reproducteurs ou de leur contenu ; grâce à l’échographie, on peut désormais « voir » les ovaires, l’utérus, une grossesse dans une trompe ou suivre le développement d’un fœtus – et ceci, de manière rapide et simple, en consultation.
Il existe deux méthodes d’échographie gynécologique : l’une recourt à une sonde posée sur l’abdomen. L’autre à une sonde introduite dans le vagin. La première est indolore. La seconde ne l’est pas toujours – car la douleur peut être liée non seulement à la sonde elle-même, mais aussi à la personne qui s’en sert. Et puis, il n'est pas agréable de voir quelqu'un introduire nonchalamment ce machin dans son vagin puis se tourner vers un écran et commenter ce qu'il/elle voit de manière pas toujours respectueuse... 




Dans la vie d’une femme, les traumatismes vulvo-vaginaux sont parfois nombreux. Les douleurs à la pénétration – parfois à la pose d’un simple tampon hygiénique – sont des phénomènes fréquents dont souffrent beaucoup de femmes. L’utilisation d’une sonde endovaginale n’est donc pas un geste anodin, « de routine », à faire – et encore moins à imposer – sans discussion à toute femme à qui on propose une échographie.

Ici encore, il faut rappeler qu’une femme n’est jamais obligée d’accepter une échographie endovaginale. Les arguments selon lesquels « les images sont plus précises » ne sauraient suffire à transformer un examen en contrainte. N’importe quelle personne majeure peut refuser une prise de sang ou une radiographie. Une femme peut donc, de manière tout aussi légitime, refuser une échographie endovaginale. Les médecins ont certes une « obligation de moyen » - autrement dit, illes doivent mettre en œuvre tout ce qui est à leur disposition pour faire un diagnostic et traiter les personnes qui leur confient leurs soins, mais illes n’ont pas le droit de mettre ces moyens en œuvre contre la volonté des personnes.

Une femme peut parfaitement refuser une échographie endovaginale sans avoir à le justifier. La raison la plus fréquente est qu’elle en a déjà subi une, et qu'on lui a fait mal. Le médecin n’a pas lieu de douter de ce qu’elle dit, il doit donc éviter de reproduire la douleur en question – et il le peut, puisqu’il dispose de sondes abdominales qui permettent tout à fait de remplir les mêmes missions ; en effet, l’utérus (organes creux) et les ovaires (organes pleins) ne sont pas différents des autres organes abdominaux que sont la vésicule biliaire (organe creux) ou les reins (organes pleins)… que l’on n’examine pas avec une sonde endovaginale.

L’insertion d’un implant contraceptif
Elle ne nécessite ni examen gynécologique ni examen au spéculum, mais qui peut tout à fait être douloureuse quand il n’est pas bien fait.




L’implant est un réservoir d’hormones de la longueur d’une allumette, fin comme un fil de scoubidou, que le médecin glisse sous la peau du bras, en général au-dessus du coude, au moyen d’un dispositif spécial (ci-dessous). 





Une fois inséré, l’implant peut être repéré facilement (on le sent rouler sous les doigts). La procédure d’insertion n’est guère plus compliquée qu’un piercing, mais doit être systématiquement être précédée par l’application de crème anesthésique (Emla°), au moins une heure avant la consultation. Il en va de même quand l’utilisatrice désire qu’on lui retire l’implant. Ce retrait est facile mais nécessite que le médecin pratique une minuscule incision au bistouri sur la peau à l’endroit où est inséré l’implant. Il est donc nécessaire d’anesthésier la peau, au moyen de crème Emla une heure avant et parfois aussi, d’une injection de xylocaïne (anesthésique local) juste avant le retrait. Cela veut donc dire que le médecin doit avoir prescrit l’Emla° à l’avance (sur la même ordonnance que l’implant, par exemple, pour le jour de l’insertion).

Cette anesthésie locale est obligatoire et non facultative ou soumise au bon vouloir du médecin. Toute femme est en droit de les exiger. Et aucun médecin n’a le droit de la refuser. Même si ça lui fait « gagner du temps ».

Règle n°4 : Quand on est médecin, si on ne veut pas faire mal, souvent, on peut...

Conclusion :

Contrairement à ce que prétend Mme la Dre Paganelli, gynécologue et secrétaire du Syngof (non, j'ai vérifié, elle a pas été démise de ses fonctions depuis que vous avez commencé à lire cet article), la plupart des gestes de gynécologie courante peuvent être pratiqués sans douleur. Encore faut-il que, conformément à leur obligation déontologique, les praticien.ne.s concerné.e.s s’en donnent les moyens. 


Marc Zaffran/Martin Winckler
Médecin généraliste et secrétaire... de ce blog.  


Post-scriptum :
Je me suis cantonné à la gynécologie courante, mais les principes énoncés ici sont valables pour l’obstétrique. Pour ne pas faire mal, les règles sont toujours les mêmes : décrire les gestes et répondre aux questions des femmes (pendant les neuf mois qui précèdent l’accouchement, on a le temps) ; respecter leurs choix ; n’imposer aucun geste (par la contrainte, la peur ou le chantage) ; mettre en oeuvre toutes les méthodes de prévention de la douleur ; éviter les procédures inutiles et d’intérêt non démontré : les touchers vaginaux répétés, la position allongée sans bouger sous monitoring, la rupture des membranes, les forceps, l’épisiotomie, l’expression abdominale…


(1) oui, on peut écrire indifférement "poireauter" ou "poiroter"

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Erratum : dans une version précédente, j'avais écrit que Mme Paganelli était secrétaire du CNGOF (société savante), c'était une erreur, elle est secrétaire du SYNGOF (syndicat). Toutes mes excuses aux internautes, à Mme Paganelli et aux deux institutions.