dimanche 6 août 2023

Pourquoi tant de médecins sont-ils opposés à l'aide médicale à mourir ? - Martin Winckler/Dr Marc Zaffran




Je ne sais si une loi sur l'aide médicale à mourir sera votée "avant la fin de l'année", comme le laissent entendre certains politiciens, mais je suis très dubitatif (et inquiet) sur la manière dont cette loi sera appliquée.   

En effet, plus de vingt ans après la promulgation d'une loi qui les y autorise sans autre condition que celle d'avoir 18 ans et 4 mois de délai de réflexion, des femmes et des hommes ont les pires difficultés du monde à obtenir une ligature de trompes ou une vasectomie -- tout simplement parce que les médecins qui pourraient les pratiquer la leur refusent. 

Si jamais une loi légifère l'aide médicale à mourir, je me demande d'abord qui, parmi les professionnelles de santé, se portera volontaire pour aider des personnes à finir leur vie sans souffrance au jour et à l'heure de leur choix. Ensuite, je m'inquiète en sachant que beaucoup de médecins réactionnaires dresseront devant les unes et les autres tous les obstacles possibles. 

Car en France, quand il s'agit pour une personne de décider de ce qu'elle fait de sa vie, beaucoup de médecins agissent comme s'ils étaient les garants de l'ordre social le plus paternaliste, le plus autoritaire, le plus brutal. 

Dans Les Brutes en blanc - La maltraitance médicale en France (Flammarion, 2016 ; Points Seuil, 2017)je décrivais par le menu toutes les formes de maltraitance pratiquées par un trop grand nombre de médecins français. Je parlais aussi de la question de l'aide médicale à mourir (suicide assisté/euthanasie). 

Voici le passage qui aborde le sujet. Sept ans plus tard, je ne suis pas sûr que les choses aient encore beaucoup changé - si ce n'est qu'on en parle beaucoup, beaucoup. Et, pour le moment, sans rien faire. 


Sur le même sujet et sur ce blog, on peut aussi lire : 

-- "Sédation terminale et suicide assisté"  ; 

-- "Liberté, justice et vocation médicale - réflexions sur la question de l'euthanasie" et 

-- "L'assistance médicale à mourir EST un soin." 


***

Extrait des Brutes en blanc, pages 226-231 de l'édition "Points" 

Dans mon roman En souvenir d’André (POL, 2011, Folio 2012), je raconte l’histoire imaginaire d’Emmanuel Zacks, spécialiste de la douleur, puis des soins palliatifs, qui en vient à aider des patients – tous d’anciens soignants – désireux de mourir. Il s’agit d’un roman, et j’avais bien conscience en l’écrivant d’aborder un sujet éminemment transgressif, mais comme toujours, la réalité m’a rattrapé. Quelques mois après sa publication, un éditeur me demandait de préfacer La mort choisie, livre que François Damas, médecin en Belgique, a consacré à dix années de pratique légale de l’aide médicale à mourir dans son pays.

Quand on lit ce petit ouvrage modeste, précis, limpide, plein d’humanité et de bon sens, on se rend compte à quel point le corps médical français dans ses instances les plus tonitruantes (de l’Ordre national aux mandarins médiatiques) tient un discours intolérant et hypocrite en invoquant « la protection des malades », « le serment d’Hippocrate » et « le risque de pente glissante ».

En 2014, alors que le parlement du Québec vient de voter une loi favorable à l’assistance médicale à mourir dans le cadre des soins palliatifs, et qu’euthanasie et/ou suicide assisté sont légaux dans plusieurs états d’Europe (Pays-Bas, Belgique, Suisse) et d’Amérique (OregonVermontWashingtonNew MexicoMontana), les attentes des citoyens français en matière de législation de la fin de vie continuent à faire l’objet d’un rejet violent de la part d’une grande partie du corps médical.

En 2012 le président de la République nouvellement élu avait chargé le Comité consultatif national d’éthique de se pencher sur les difficiles questions de la fin de vie. [1]  Ce n’était pas la première fois que le Comité se penchait sur la question : un rapport rendu en 2000 soulignait déjà que des actes d’euthanasie – plus précisément de mort donnée à un patient par un médecin – étaient couramment pratiqués, dans la plus grande hypocrisie et dans une clandestinité qui ne pouvait que desservir l’intérêt des patients.

Il rappelait que le suicide n’était pas un délit, mais n’en concluait pas pour autant que (par exemple) l’assistance au suicide pourrait être accordée aux personnes qui ne désirent pas mettre fin à leurs jours de manière violente - ce qui est inévitable quand on n’a pas accès aux médicaments dont les médecins disposent. En 2013, un sondage national indiquait que plus de 90% des Français étaient favorables à une législation de l’euthanasie, similaire à celles de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas. Quelques mois plus tôt, le CCNE avait renouvelé son opposition à l’euthanasie et au suicide assisté, et proposé plutôt « un débat national »… après avoir déjà organisé huit débats publics dans huit grandes villes de France.

Les médecins hollandais, belges, luxembourgeois, suisses, américains et canadiens[2] qui, d’ores et déjà, aident des malades conscients et déterminés à mettre paisiblement fin à leurs jours ne sont pas moins respectueux de l’éthique que les patriciens boursouflés qui s’expriment sur les chaînes françaises. Ils sont, tout simplement, plus soucieux de répondre aux demandes individuelles de ces patients (par ailleurs peu nombreux), que de défendre leurs privilèges et leurs prérogatives ou d’imposer leurs valeurs morales.

En France, l’hypocrisie est de rigueur, car, dans tout le pays, des médecins mettent fin à la vie de personnes âgées, de nouveau-nés prématurés, des cancéreux au stade terminal, des patients atteints de maladies dégénératives congénitales ou progressives.

Le problème de ces euthanasies (car il n’y a pas que des aides à mourir), c’est qu’elles sont décidées et accomplies dans la clandestinité. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : certaines de ces fins de vie ont lieu, comme cela devrait toujours être le cas, à la demande explicite et répétée de patients lucides et soutenus par leur famille. D’autres, en revanche, sont pratiquées selon le bon vouloir des médecins. J’ai assisté de mes yeux à deux de ces décisions arbitraires dans des services où j’étais étudiant. À l’époque, j’étais trop jeune, trop ignorant, trop innocent ou trop influençable pour comprendre ce qu’elles avaient de monstrueux ; dans les deux cas, le médecin avait chargé quelqu’un d’autre d’administrer à un patient dans le coma, sans qu’il ait rien demandé et sans consultation de la famille, ce qu’on appelait alors pudiquement un « cocktail lytique » — un mélange létal de médicaments. Dans l’un de ces services, comme me l’avait confié l’une des infirmières, il s’agissait d’une pratique courante.

Quant aux actes pratiqués sur les grands prématurés, ils ont été décrits par le pédiatre et réanimateur Denis Oriot en 2005 dans sa thèse de doctorat, intitulée : « Débats sur la fin de vie en réanimation néonatale - Problèmes, représentations et enjeux »[3]  Il y révélait la pratique courante dite d’ « euthanasies néonatales » dénommées par les professionnels « arrêts de vie ». Ces décisions d’ « arrêt de vie » semblent répondre au fait qu’une très grande proportion (20 %) des grands prématurés (nés à moins de 28 semaines) présentent des lésions neurologiques susceptibles de leur laisser des séquelles profondes. Distinct de l’arrêt de réanimation des prématurés gravement atteints, l’« arrêt de vie » consiste à effectuer des « injections médicamenteuses avec l’intention de donner la mort au patient ». (Je cite toujours la thèse de D. Oriot.)

Cette pratique est reconnue par 47 % des néonatologistes aux Pays-Bas (où l’euthanasie est par ailleurs légalisée), et par... 73 % des praticiens de même spécialité en France (où elle ne l’est pas). Dans la plupart des cas, les décisions ne sont pas prises de manière collégiale. Et quand les « pionniers » de cette « méthode » ont été interrogés, ils ont tous répondu que les parents n’avaient aucune place dans cette décision. La plupart du temps, ils ne savaient même pas qu’elle avait été prise.

 

*

Ce que veulent protéger beaucoup de médecins français opposés à une légalisation de l’aide à mourir, ce ne sont pas les patients – qui font trop souvent l’objet de décisions arbitraires –, mais leur liberté de décider de leur fin hors du contrôle médical !

Car pour légaliser l’aide à mourir il faudrait aussi préciser ce qui sera illégal. Et cela impose que tout geste d’aide à mourir soit documenté, répertorié et annoncé. Cela impose, et c’est indispensable, que les soins palliatifs soient véritablement accessibles à tous, sur tout le territoire. Car, comme l’ont depuis longtemps compris les Britanniques, « une personne qui ne souffre ni moralement ni physiquement demande rarement à mourir. » Et cela ouvrirait la porte à un débat public, comme l’ont fait les Hollandais, sur toutes les circonstances dans lesquelles une aide à mourir est envisageable. Bref, ce serait donner à la population française l’occasion de s’exprimer sur un sujet délicat et tabou  - surtout pour les médecins, dirait-on —, dans un pays encore très imprégné de catholicisme.  Un pays où les Présidents de notre République laïque se rendent ès qualités à la Messe de Minuit.

Mais (...) beaucoup de médecins français ne veulent pas de débats citoyens autour de leurs pratiques les plus indéfendables…

En attendant, en France, en 2016, faute de ressources et de personnel de soins palliatifs suffisants, des patients qui souffrent ne sont pas soulagés ; faute de législation cohérente, des patients qui n’ont rien demandé sont soumis à des gestes intraçables ; tandis que d’autres qui demandent à mettre fin à leur vie n’en finissent pas de mourir.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.



[1] Commission de réflexion sur la fin de vie en France – Rapport du 18 décembre 2012. http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport-de-la-commission-de-reflexion-sur-la-fin-de-vie-en-France.pdf - consulté le 14 août 2014.

[2] Depuis la décriminalisation de l’aide médicale à mourir par la Cour Suprême du Canada en février 2015, des euthanasies ont déjà été pratiquées au Québec (où la loi 52 sur la fin de vie avait été votée en 2014 à l’unanimité par tous les partis) et en Ontario, qui n’a pas encore de loi. D’autres provinces ne devraient pas tarder à suivre.

[3] Université Paris V - René Descartes. Directeur : Patrice Pinell. Le philosophe Emmanuel Hirsch faisait partie du jury.


lundi 26 juin 2023

Vaccination contre les HPV - En 2023, que faire ?

Un collègue généraliste m'écrit  : 


J'ai lu ta préface dans "La piqûre de trop". 

Quelle est l’actualité de la vaccination contre les HPV ? 

Que dire à nos patients-tes ?


Voici ce que je lui ai répondu. 

*

Les arguments scientifiques (je veux dire : connus grâce aux chercheurs indépendants, en dehors de la propagande des industriels) 

1° Les bénéfices de la vaccination contre les HPV en termes de nombre de morts par cancer ne sont pas connus exactement. On sait que ça prévient des infections, mais est-ce que ça fait diminuer le nombre de morts par cancer ? On  n'en sait rien. Il faudra encore plusieurs décennies pour le savoir.

Ici aussi j'insiste sur le terme "morts par cancer", qui n'est pas synonyme d' "infections par les HPV". 

S'il y avait autant de cancers que d'infections par le HPV, la vaccination serait indiscutable. Mais ce n'est pas le cas : l'immense majorité des infections par HPV (plus de 90%) guérissent sans séquelles et ne provoquent pas de cancer. Ce qui veut dire que quand on vaccine, on prévient surtout des infections bénignes... 

Certains chercheurs avancent par conséquent que, comme un certain nombre d'infections par les HPV guérissent seules, les effets "bénéfiques" du vaccin sont probablement surestimés.

2° La tendance à la baisse de la fréquence des cancers est directement corrélée au niveau socio-économique du pays considéré : plus le pays est riche et plus le dépistage y est développé, plus la baisse est nette et constante. Comme vaccination et dépistage sont indissociables (aucun pays ne se contente de vacciner sans dépister), impossible de dire si la vaccination est le facteur déterminant de cette baisse ou un de ses facteurs. 

3° Les accidents vaccinaux sont peu nombreux (ça, on le sait). 

Mais est-ce que ça justifie de vacciner systématiquement "parce que ça ne peut pas faire de mal" ? Non. 

Ici, j'insiste sur le mot systématiquement. 
Dans mon esprit cela signifie qu'une vaccination obligatoire de tous les enfants, imposée par les pouvoirs publics, n'est pas justifiée, alors qu'elle l'est pour la polio, la diphtérie, le tétanos, et les autres maladies transmissibles qui représentent un danger immédiat ou quasi-certain. 

Une infection par le poliovirus, impossible à prévenir par d'autres méthodes que la vaccination, est mortelle ou invalidante dans de très nombreux cas. 

Une infection par les HPV n'est jamais un danger immédiat. Même quand on a été vaccinée, le dépistage est la seule manière d'identifier un cancer du col à son début pour le traiter

4° L'intérêt de la vaccination des garçons contre les HPV est très hypothétique étant donné le faible nombre (et la fréquence rare) de cancers qui les concernent. (Voir questions et réponses après l'article.) 

5° L'argument de la "prévention du cancer du col des femmes par la vaccination des garçons" n'a jamais été démontré. 

C'est un argument culpabilisant, non un argument de santé publique. 

Les HPV peuvent être transmis entre filles avant l'âge des rapports sexuels (et avant d'avoir été vaccinées...) ; par ailleurs, on n'a pas encore démontré (et c'est pas demain la veille) qu'un garçon vacciné ne pourra jamais transmettre un HPV. 
En effet, vous savez, depuis la COVID, qu'on peut parfaitement contracter un virus après avoir été vacciné... et le transmettre sans avoir de symptômes. 

6° Enfin, la vaccination contre les HPV a un coût collectif qui n'est pas négligeable, et ce coût pourrait être affecté à d'autres nécessités de santé (en particulier celui de permettre l'accès au dépistage pour les femmes qui ne consultent jamais, le plus souvent pour des raisons socio-économiques : femmes migrantes, femmes immigrantes, femmes sans ressources, etc...). 


A titre informatif, il n'est pas inutile de consulter le panorama officiel des cancers en France entre 2010 et 2018

Qu'est-ce qu'on y apprend ? 
a) Le cancer du col n'est pas du tout aussi fréquent ni grave qu'on veut vous le faire croire :  
- cancer du col : 2900 cas en 2018, et 1100 décès
- cancer de l'ovaire 5 200 cas en 2018 et 3500 décès 
- cancer du sein58 000 cas en 2018, et 12000 décès 

b) Le cancer du col et les cancers ORL (dus aux papillomavirus) chez l'homme ne sont même pas répertoriés parmi les principales causes de décès par cancer !!! 
 

Mais il n'y a pas de "vaccin contre le cancer" du sein, du côlon, du poumon, qui sont beaucoup plus fréquents... 

On est donc devant cette situation intéressante : le cancer du col est un des cancers les moins fréquents et les moins mortels pour les femmes et il peut être facilement dépisté tôt et traité (et le taux de guérison est élevé) 

MAIS 

il est aussi celui qui fait l'objet de la campagne de prévention la plus lourde et de la promotion d'un "vaccin préventif" des plus profitables pour l'industrie, sans bénéfice démontré pour la population dans son ensemble.
 


Alors, quand on me pose la question, je réponds :  

1° Si vous décidez de vacciner vos filles, ne vous culpabilisez pas : vous ne leur faites pas courir de danger, mais sachez que la "sécurité" que vous leur apportez face au cancer du col est inconnue et impossible à mesurer à l'heure actuelle. Or, c'est ce (faux) sentiment de sécurité et de protection qu'on vous vend, en vous incitant à vacciner vos filles (et vos garçons). 


2° si vous ne les faites pas vacciner, ne vous culpabilisez pas non plus : vous n'êtes pas TENUES, médicalement parlant, de leur imposer une vaccination de plus, pour une maladie qui peut être dépistée puis traitée sans vaccination (grâce au frottis à partir de 25 ans et au diagnostic des HPV à trente ans, très fiable) ; 

3° en même temps que vous pouvez leur faciliter l'information sur la contraception à partir du moment où elles commencent à avoir une activité sexuelle, suggérez-leur de lire tout ce qu'elles peuvent sur le sujet du cancer du col ; le rôle de votre médecin ou de votre sage-femme est aussi de vous (de leur) donner accès à toutes les infos disponibles ; 

4° envisagez de laisser vos filles choisir elles-mêmes de se faire vacciner, ou non contre les HPV. Après tout, vous n'allez pas décider pour elle de leurs grossesses futures. Ce que vous voulez, c'est qu'elles prennent leurs décisions elles-mêmes, dans leur propre intérêt. N'est-ce pas ? 


Lorsqu'elles seront assez âgées pour décider d'avoir des relations sexuelles et (par exemple) de garder ou non une grossesse, elles seront aussi assez âgées pour décider de se vacciner (et elles ont le temps de le faire). 

D'un point de vue médical (et parental), ne pas se comporter en directeur de conscience, et donner aux personnes qui nous font confiance les outils pour choisir de manière autonome, c'est l'attitude la plus éthique. Et, à long terme, la plus "protectrice". 

Pourquoi ? Parce que la peur, la menace ou la contrainte ne permettent jamais de prendre des décisions bénéfiques pour notre santé. 
 
Martin Winckler/Dr Marc Zaffran

lundi 8 mai 2023

Si quelqu'un parle comme une brute... - une fiction vécue d'Iris Maria Néphéli




Lorsque tu entres dans le cabinet, tu es surprise par son apparence. Il y a là quatre box avec secrétaires; et, à l’entrée, trois autres secrétaires avec casque pour répondre aux appels et diriger les clientes- pardon: les patientes. Tout y est rutilent, mais rutilent épuré et design. Ici, on fait dans la gynéco de luxe, Mesdames. Les portes vitrées de la clinique privée s’ouvrent sans bruit sur une moquette gris pâle, agrémentée d’un tapis du plus beau carmin. 

On est tout d’abord orientée par une des secrétaires de l’entrée qui vérifient que l’on a bien RDV, pas question de passer en urgence poser une question. Pour venir ici, on a pris son temps, on a compulsé, interrogé les amies, et, finalement, on a mis la main sur le tout dernier cris en terme de traitement de l’endométriose et de la fertilité. 

On va aller chez le Dr X (appelons-le Mattuvue, rien n’est trop clinquant pour Monsieur, ni pour Mesdames). Mattuvue a trois collègues, Lembrumé, Spéditiph, et Titjeun, mais ça tu ne le sais pas encore, tu les découvriras ensuite. À présent, tu es dans un de ces box dont les ventaux ouverts aux quatre vents, s’ils ne protègent aucune intimité, ont au moins en commun avec une étroite pièce fermée de provoquer une agréable sensation d’étouffement, probablement de claustrophobie pour quelqu’une qui y serait sujette. Il n’y a pas de doute, le lieu a été pensé par un designer tout aussi branché que Mattuvue, ayant un sens de l’ergonomie et du bien-être particulièrement sous-développé. 

En face de toi, une secrétaire pianote en chantonnant les informations que tu lui délivres : Oh! Vous habitez N? Mais quel beau paysage! (et quel désert médical, aggiunge Vocina qui te fait remarquer qu’il serait peut-être temps de rechercher un logement qui ne se trouve à 40 km de tout hôpital digne de ce nom). Tu remarques que tu es déjà en train de monologuer en italien, ce qui n’est pas très bon signe. Il t’a suffi de pénétrer dans ce temple de l’utéra dolorosa pour te raidir au moindre détail. 

Tu essaies de te raisonner en te disant que pour le moins, tu as esquivé le Dr Belhatres qu’une amie voulait t’envoyer consulter. Avant de franchir joyeusement les Alpes avec le corps entièrement contusionné, tu avais visionné une conférence de Belhatres. Belhatres s’écoute parler, bon, c’est un fait: à un certain niveau d’études, bien des hommes ont ce travers. Belhatres a des traits réguliers, agrémentés d’une mâchoire carrée se prolongeant sur un sourire bollywoodien. Il est plutôt bel homme, quoique de ceux que tu fuirais, et il connait ses qualités. Tu lui découvres une capacité à deviner les mouvements de caméra pour sourire innocemment dans la bonne direction qui aurait fait pâlir d’envie feue Odette Joyeux. Il a une jolie coupe longue et romantique, laquelle adoucit agréablement sa mâchoire cubiste et couvre d’un voile de mystère un regard que l’on eût pu penser vide. 

À chaque élément de démonstration, la starlette du bistori fait valser sa mèche de droite, puis de gauche, souriant de même, à droite, puis à gauche, toujours impeccablement posté face caméra. Il n’y a pas à dire, le type est doué, très. Tu te demandes tout de même si cet extrême souci de sa propre mise ne présente pas un léger risque lors d’opérations généralement filmées pour la science (et l’ego de Belhatres). Lorsque Belhatres entame un couplet féministe avec autant de naturel qu’un kolkhozien potemkine sur la route d’un camarade occidental, tu commences à avoir des fourmis dans les pieds. Mais lorsqu’il conclue que lui seul sait entendre la souffrance des femmes endométriosiques et éradiquer une maladie que ses affreux sexistes de confrères prétendent incurable, tu stoppes net la vidéo. 

Une chose est certaine, tu ne laisseras aucun homme te "sauver". Qu’il aille donc répéter ses éléments de langage à qui voudra de son sourire et ses manières! Au mot près, des lèvres de Mattuvue, tu entendras les mêmes phrases, prononcées avec un peu moins de conviction toutefois. La commedia, tout comme la médecine, est un art qui demande apprentissage et pratique. Il te parlera donc de consentement médical avant de te speculumer avec le doigté d’une armée de croisés face à Constantinople. « Pas crier, pas pleurer» dit Vocina, il serait capable de te faire la morale. 

En effet, ses grandes déclarations sur la volonté de la patiente et l’omerta dont souffre la maladie n’ont pas tenu cinq minutes. Plein de mansuétude vis-à-vis de la pauvre petite qui le consulte, il a vite changé de masque en découvrant sur la fiche transmise par la secrétaire ton grand âge: Quarante ans et vous ne me consultez qu’à présent (Pauvre crétine, sous-titre Vocina)! Quarante ans et vous espérez avoir un enfant (Vieux débris)! Il en a vingt de plus que toi et, contrairement à ton visage, le sien l’indique parfaitement, mais il te toise à présent. Il évalue la bête. 

Est-elle une bonne candidate pour gonfler ses statistiques, ou les fera-t-elle baisser? Ne vaut-il pas mieux la refiler à Titjeun, qu’il emploie précisément pour se défaire de cas encombrants, voire à Lembrumé qui semble bien s’en tirer avec cette génération de bonnes femmes qui prétend connaître son corps et avoir mot à dire. Depuis Metoo, c’est l’enfer. Elles lisent, se refilent des adresses, exigent de la politesse... Généralement, il les calme avec un peu de cirage en guise d’introduction et deux ou trois citations bien choisies, mais il sent bien qu’avec certaines, cela ne suffit pas. 

Celle-ci par exemple, avec ses grands yeux cernés d’enfant de quarante berges, elle n’a l’air de rien, mais elle est arrivée avec un carnet déjà empli de notes, et elle continue de griffonner. Il jurerait qu’elle le toise, c’est un peu fort, enfin, il connaît son métier! À quarante balais, on est déjà mère au foyer ou cadre accomplie, et si ce n’est fait, on a au moins l’humilité de la fermer. Du respect, du respect, faudrait voir à pas exiger hors de son dû, du respect… Mattuvue a bien raison, non seulement je l’évalue, mais en sus, j’avais commencé avant même qu’il ne m’aie remarquée. 

J’étais dans la salle d’attente, après le passage dans le box qui lui permet de gagner 5 précieuses minutes de temps de consultation, et j’attendais. J’ai vu passer un premier homme, l’air un peu ailleurs, visage amène, un grand type avec cette voûte de ceux qui semblent s’en excuser, tout auréolée d’un édredon de cheveux gris et bouclés. Tout chez lui, ses gestes, sa voix, la façon de s’adresser aux secrétaires semblait comme flouté. De sa personne, se dégageait une grande douceur, et à ma surprise, du tact. Immédiatement, j’ai pensé: Pourvu que mon RDV soit avec lui. L’instant d’après, un autre est entré. Claquant la porte pour plus d’efficacité, il a traversé la pièce en trois grandes enjambées. Il a des cheveux mi-longs qu’il porte gominés sur l’arrière. 

De ses vêtements ressortent une boucle de ceinture proéminente et des chaussures pointues et ferrées. J’aimerais dire à son accent qu’il a tout du gardian, mais il a surtout la démarche d’un cow-boy, jambes arquées afin de laisser leur juste place à des parties intimes qui sont la première chose qu’il présente au monde en entrant dans une pièce. Certaines personnes, Lembrumé en est, présentent tout d’abord leur tête; elle précède le reste du corps de quelques centimètres. D’autres, leurs épaules;  d’autres encore, telle Titjeun, visiblement enceinte, leurs pieds. Il est des humanidés qui présentent tout d’abord leur membre - j’allais dire leur sexualité, mais il y a de cela. 

Mattuvue marche comme un mec, un vrai, et cause comme un gars, vrai de vrai, qui se permet d’éructer sur les secrétaires ayant pris, sacrilège, dix minutes de pause pour manger. On n’est pas là pour trainasser! s’exclame-t-il avec un accent qui est le mien si je cesse de me surveiller. Garder son accent serait à mon sens l’expression d’une particularité bienvenue dans l’uniforme grisaille à broyer de l’université française. Un instant, cette particularité me distrait et m’empêche de penser Pourvu que ce ne soit lui... En le voyant à nouveau débouler comme un autre s’assiérait dans le métro, tu en restes à ta première impression. Il a gardé son accent, fort bien, il est peut-être simplement peu doué pour la plasticité labio-nasale. Une chose est certaine: il marche comme une brute et s’adresse aux sous-fifres comme un petit chef. Tu découvriras vite qu’il te parle comme à une oiselle et t’ausculte comme la brute qu’il démontrait. 

En sortant, tu règles la consultation, un prix cinq étoiles pour une consultation qui pourrait servir de parfait contre-exemple du rapport médecin-patiente, si toutefois l’Université s’en souciait. Inutile de protester auprès de la secrétaire pour la modique somme de la moitié d’un mois de salaire, tu veux juste rentrer. Chez toi. Et te doucher. Hurler. En paix. Une fois rentrée, tu réfléchis. Passer par-dessus tes a priori et consulter Mattuvue qui a si bonne presse, ou, enfin, t’écouter? 

La dernière fois que tu t’es posée cette question, il s’agissait d’aller ou non rédiger un article avec un historien ami de ton compagnon d’alors. Le type avait une gueule de brute, des manières de brute, et, si il dénonçait le sexisme dans ses travaux, il le faisait en posant ostensiblement ses parties sur la table, dans un geste de mâle et martiale affirmation. Tu avais décidé de passer outre tes préjugés, après tout c’était un camarade. Tu t’étais retrouvée séquestrée, violée et torturée. Durant plus de dix heures d’horreur. 

Dorénavant, principe de base: si quelqu’un parle comme une brute, agit comme une brute et a tout d’une brute, c’est une brute, point. Le corps ne ment pas, aurait dit ton vieux prof de mime. Penser à lui te fait sourire, tu revois les collines, l’ample salle passée à la chaux, les tablées avec les autres stagiaires, un temps léger et heureux, tes dix-sept ans, une certaine insouciance, et la lumière de Toscane. Un jour, se déplacer ne sera plus une souffrance, je ne compterai pas les pas, et j’irai à nouveau là-bas. Le saluer, juste ça…  

IMN

mercredi 1 mars 2023

La santé des femmes est trop importante pour être confiée aux seules spécialistes - par Marc Zaffran/Martin Winckler



(Illustration ci-dessus : couverture du Guide pour la santé des femmes de la ville de Lyon


NB : Je rappelle que j'emploie ici le féminin générique pour désigner les professions majoritairement féminines. 


Dans son édition du 28 février 2023, Libération publiait une tribune de Judith Aquien intitulée : "En France, l'accès à l'IVG reste à améliorer"

L'autrice, saluant l'entrée de la liberté - sinon du droit - à l'IVG dans la Constitution, y fait justement remarquer que la constitutionnalisation ne servira pas à grand-chose si, concrètement, les femmes ne peuvent accéder à la procédure. 

Elle souligne, à juste titre : 

- l'obligation inique d'avoir à recourir à des jours de congés pour se rendre à plusieurs reprises en centre de planification ; 

- le refus fréquent et scandaleux que se voient opposer les femmes qui demandent un arrêt de travail après une IVG -- comme si une aspiration ou une expulsion médicamenteuse étaient des parties de plaisir ; 

- la persistance d'une "clause de conscience" absurde qui, de fait, permet à certains gynécologues d'imposer aux femmes leurs propres valeurs et de leur empêcher d'accéder à un soin élémentaire. 

Je ne peux que souscrire à l'ensemble de ses remarques et inquiétudes. 

Concernant l'une d'elles, cependant - la "désertification gynécologique" je me permettrai de différer. 

Ce n'est pas l'absence de gynécologues dans treize départements français qui pose problème. C'est le manque de soignantes compétentes en santé des femmes. 

La santé des femmes n'a pas besoin de "plus de gynécologues". L'idée selon laquelle les spécialistes seraient les premières (et principales) pourvoyeuses (et défenseures) des soins de santé féminine est inexacte.

Historiquement, un grand nombre de gynécologues ont toujours été furieusement hostiles à la liberté et à l'autonomie des femmes : iels se sont opposés à l'IVG en 1975 et au prolongement de ses délais ; à la délivrance de la "pilule du lendemain" par les infirmières scolaires ; à la prescription de la contraception et à la pratique des IVG par les généralistes et les sages-femmes ; à la pratique des accouchements à domicile ou en maison de naissance ; à la stérilisation volontaire, légale depuis 2001, demandée par les femmes de tous âges qui ne veulent pas, ou plus, être encentes. 

De fait, beaucoup de spécialistes entravent donc la délivrance de ces soins élémentaires par bien d'autres moyens que la seule "clause de conscience". Et, comme le souligne Judith Aquien, les violences gynécologiques sont la conséquence directe d'un "monopole" aussi absurde qu'il est délétère et, dans les faits, complètement fantasmatique : car dans les faits, aujourd'hui, comme depuis toujours, la délivrance des soins primaires aux femmes est assurée majoritairement par les généralistes et, de manière croissante -- on ne peut que s'en féliciter -- par les sages-femmes. 

Et il suffit de regarder les chiffres pour en être convaincu : en 2022, il y avait 

- 84 000 généralistes en activité (source : Ordre des médecins) 

- 23 764 sages femmes (source : MACSF) dont 38% ont une activité libérale 

- 5 636 gynécologues obstétriciennes (source : DRESS)

- 2 113 gynécologues médicales (source : DRESS) 

(à noter que le diplôme de gynécologue médical(e), créé dans les années 50, a été supprimé en 1984 car il n'était pas reconnu en Europe ; toutes les gynécologues formées depuis sont également obstétriciennes)  

Les professionnelles qui répondent en plus grand nombre aux demandes de santé des femmes ne sont donc pas du tout les spécialistes ! 

De tous temps, ce sont les praticiennes de première ligne - généralistes libérales/de PMI et sages-femmes -  qui ont assuré cette fonction. Dans les centres d'IVG même, entre le vote de la loi Veil et 2010 - c'est à dire pendant près de 35 ans, ce sont majoritairement des généralistes qui ont procédé aux aspirations. 


Loin de moi l'idée de dire que "toutes les gynécologues sont hostiles aux femmes" et encore moins qu'iels sont inutiles ! Les spécialistes bienveillantes, dévouées et féministes ne manquent pas sur le terrain. Et certaines publient des ouvrages essentiels à la santé des personnes qui manquent le plus cruellement de soignantes. 




Mais ces spécialistes ne sont malheureusement pas majoritaires dans les instances professionnelles (syndicats et collèges). Lesquelles compromettent beaucoup l'amélioration de tous les soins de santé délivrés aux femmes pour une raison fondamentale :  

Il est contraire à l'éthique et à la santé publique que l'enseignement de la  physiologie féminine et la délivrance des soins de santé spécifiques, quotidiens, élémentaires destinés aux femmes soit monopolisés par les spécialistes. 

Les facultés de médecine devraient avoir pour objectif de former TOUTES les professionnelles médicales qui soignent des femmes, y compris les médecins généralistes et les sages-femmes :  

- à la physiologie du corps féminin et à ses variantes, qui devrait devenir la physiologie de référence pour toutes les professionnelles de santé

- au conseil, à la prescription et aux méthodes de toutes les méthodes contraceptives aux femmes de TOUS les âges ; 

- au traitement des troubles du cycle menstruel et au dépistage des affections invalidantes comme l'endométriose ; 

- au suivi de la grossesse et à la pratique des accouchements physiologiques dans toutes les circonstances et situations, conformément aux désirs de chaque femme ;  

- à l'accueil des femmes en demande d'IVG et à la pratique des méthodes d'interruption de grossesse ; 

- au dépistage et au traitement des IST ; 

- au dépistage préventif du cancer du col et au diagnostic précoce des cancers de l'ovaire et de l'endomètre ; 

- à la bonne information (non terroriste et non contraignante) en matière de dépistage de cancer du sein ; 

- à l'accueil et au suivi des personnes LGBTQIA+ et à la prévention des violences (mutilations, homophobie) dont elles sont victimes ; 

- à la prévention et à la lutte contre sexisme et misogynie, aussi bien au cours de la formation des soignantes que dans la délivrance des soins par les professionnelles en exercice ; 

- au dépistage des violences sexuelles et à l'accompagnement des femmes hors des situations dans lesquelles elles les subissent ; 

- à l'accueil et au suivi des femmes migrantes et/ou en situation précaire ; 

- au dépistage et au traitement des problèmes de santé sexuelle et reproductive spécifiques des femmes en situation de handicap ; 

- au diagnostic, au traitement et au suivi des troubles de la ménopause et du vieillissement... 

- à l'écoute, au partage et à la diffusion du témoignage des femmes, source inestimable d'enseignements sur leur santé et ce qui la compromet ou la favorise...  

Le tout, avec la collaboration active et la contribution de citoyennes et patientes partenaires concernées par ces diverses situations, qui doivent participer à l'élaboration et à la mise en place des enseignements !!! 

(La liste, bien sûr, n'est pas exhaustive...) 

Toutes ces activités devraient, de plus, être offertes dans des modules de formation permanente à l'intention des professionnelles actuellement en exercice. 

Il n'est jamais trop tard pour se former à la santé des femmes !!!  

Il est en effet proprement scandaleux qu'en 2023, la santé de plus de la moitié de la population soit menacée non seulement par la baisse de la démographie médicale, mais aussi par l'obstacle - volontaire ou non - que facultés et écoles professionnelles opposent aux besoins des femmes en réservant des enseignements cruciaux à une petite fraction de praticiennes. 

Ce monopole, archaïque et élitiste, est inique et contraire aux intérêts de santé publique. 

Je soutiens de tout mon coeur l'inclusion de l'IVG dans la Constitution. 

Mais j'appelle aussi, avec la même énergie, à ce que la santé des femmes devienne un objectif de santé publique -- constitutionnel lui aussi, pourquoi pas ? -- auquel toutes les professionnelles seraient associées, sans exclusion, sans monopole, pour et avec les premières personnes intéressées. 

La santé des femmes est trop importante pour être confiée aux seules spécialistes. 


Marc Zaffran/Martin WInckler 



samedi 18 février 2023

Quand les gynécologues français prendront-ils en considération les personnes souffrant de méningiomes induits par les progestatifs ? - Une lettre de l'AMAVEA au CNGOF

 L'AMAVEA (association des patientes souffrant de méningiomes dus aux progestatifs) a écrit au CNGOF en août dernier. Le Collège des Gynéco-Obstétriciens français n'a toujours pas répondu... 

Je reproduis ici leur lettre pour qu'elle diffuse largement. L'AMAVEA pose des questions légitimes, et elle aimerait bien recevoir des réponses. 

Encore faudrait-il que les médecins français aient du respect pour les personnes qui s'adressent à elles pour poser des questions délicates... 

A noter que l'ANSM (Agence Nationale de Sécurité des Médicaments), elle, prend la situation très au sérieux

MW. 

*************


5 chemin de Lamballard

 14760 BRETTEVILLE SUR ODON

CNGOF

Madame Joëlle Belaisch Allart

91 boulevard de Sébastopol

 75002 PARIS


Bretteville sur Odon, le 29 aout 2022,



Madame la Présidente, 


J’interviens en qualité de présidente de l’AMAVEA (Association Méningiomes dû à l’Acétate de cyprotérone, aide aux Victimes et prise en compte des Autres molécules). Un des buts de notre association, créée en janvier 2019 et agréée par le Ministère chargé de la Santé le 8 juillet 2020, est d’informer sur le risque de développer des méningiomes en lien avec la prise de médicaments progestatifs de synthèse. Ce risque est démontré à ce jour pour trois médicaments, l’acétate de cyprotérone (Androcur®), l’acétate de chlormadinone (Lutéran®) et l’acétate de nomégestrol (Lutényl®). La survenue d’un méningiome intracrânien est un effet secondaire grave et reconnu des médicaments progestatifs de synthèse et œstrogènes de synthèse.


Notre association a participé aux réunions du Comité Scientifique Spécialisé Temporaire par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament dès sa création en janvier 2019 concernant l’acétate de cyprotérone (Androcur®). Elle continue de participer réunions qui ont lieu actuellement concernant les autres médicaments susceptibles de provoquer des méningiomes. Notre association a participé à la réévaluation de ces traitements dans le cadre du suivi des bonnes pratiques sous l’égide de la Haute Autorité de Santé. 


Vous savez que ces traitements sont très couramment prescrits, notamment dans le cadre de l’endométriose, mais aussi à visée de contraception. Notre association reçoit quotidiennement des messages de patientes qui reçoivent des informations erronées de la part de certains gynécologues concernant les méningiomes et leur prise en charge.


Voici les informations erronées les plus souvent rapportées par les patientes :

  • « Le dépistage d’un méningiome ne sert à rien » est une information qui nécessite une explication argumentée car les règles de dépistages ont été édictées par les autorités compétentes et sont accessibles aux patientes qui, parfois, ne comprennent pas les décisions prises les concernant.


  • « Un méningiome n’est pas une maladie grave », « un méningiome est une tumeur bénigne », « votre méningiome est de petite taille » sont autant d’éléments d’information qui peuvent minimiser la gravité potentielle d’une situation clinique car un méningiome, même bénin (de grade 1) et de petite taille peut engendrer des déficits neurologiques et neurocognitifs définitifs, un méningiome peut être une tumeur atypique (de grade 2), voire une tumeur maligne (de grade 3). Il convient de laisser aux spécialistes des méningiomes de se prononcer sur ces points qui sont d’une importance capitale pour la patiente ; ces discours faussement rassurants n’aident en rien.

  • « Le méningiome va disparaître à l’arrêt du traitement X » est une assertion absolument fausse. Un méningiome peut effectivement décroitre après l’arrêt d’un médicament progestatif de synthèse, mais pas dans tous les cas, et de façon imprévisible et dans un délai long. Dans tous les cas, il ne disparait pas. Là encore, il convient de laisser aux spécialistes des méningiomes de se prononcer sur le cours évolutif du méningiome qui vient d’être diagnostiqué.


Il en résulte des défauts de prise en charge, dont les plus souvent rencontrés sont : 

  • L’absence d’adressage vers un spécialiste des méningiomes : les patientes sont le plus souvent adressées vers un neurologue et ne sont parfois adressées à aucun spécialiste du fait de la « petite taille » du méningiome. Il convient de rappeler que les spécialistes de la prise en charge des méningiomes sont les neurochirurgiens et qu’un avis est requis dans tous les cas. 

  • La gestion des médicaments progestatifs : les patientes comprennent tout à fait la complexité de devoir substituer le médicament incriminé par un autre, notamment lorsque leur traitement est prescrit dans le cadre de l’AMM pour une maladie invalidante. A ce titre, elles peuvent entendre qu’il faille prendre le temps de la concertation entre médecins car elles ont connaissances que certains hôpitaux ont organisés des réunions dédiées. Par contre, il n’est pas recevable d’entendre qu’il n’y a « aucune solution » en consultation.

  • La proposition du stérilet Mirena® : ce Stérilet, qui contient des hormones progestatives est en cours d’évaluation (étude épidémiologique d’EPI-PHARE) pour savoir s’il est à risque accru de méningiome. A ce titre, toutes les réserves et précautions doivent être prises par les gynécologues dans leur prescription et dans l’information des patientes. 


Il est préjudiciable pour les patientes de ne pas avoir, de la part de leurs gynécologues, des informations fiables et intelligible et une prise en charge adaptée aux connaissances actuelles. Les patientes peuvent comprendre sans difficultés que leur situation nécessite une réflexion médicale et un adressage vers un collègue spécialiste. Par contre, les discours erronés et faussement rassurants sont inacceptables et leur éventuelle efficacité est rendue caduque par l’abondance des informations disponibles sur internet. 


Notre association demande que les gynécologues dispensent une information factuelle et adaptée à la lumière des connaissances sur la question et demande du tact dans le discours prodigué aux patientes. Pour y arriver, peut-être faut-il rappeler le contexte : celui d’une tumeur induite par un médicament qui se développe dans la tête de la patiente assise en face du gynécologue. Il est aisé de comprendre que ce n’est pas « bénin » que de devoir peut-être se faire « ouvrir le crâne », être « trépanée », avec un risque de séquelles neurologiques (ce 

qui est malheureusement possible après ce type de chirurgie). Aussi « bénin » soit le méningiome, une telle annonce est toujours une véritable violence et chaque patiente encaisse comme elle peut. Ainsi, il ne faut pas ajouter la violence des mots ni la banalisation de la situation à ce qui est vécu comme un cataclysme par les patientes.


Le Collège que vous présidez participe à la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics et des agences gouvernementales dans les domaines de la Formation Initiale, de la Formation Continue et de l’organisation des soins, en lien avec les autres sociétés savantes et les syndicats de gynécologues et obstétriciens. Ainsi, votre Collège est dans la position idéale pour remédier à cette situation préjudiciable aux patientes, en mettant en œuvre tous les moyens nécessaires pour que l’information dispensée et la prise en charge soient de qualité, pour toutes les patientes et sur tout le territoire. Au passage, nous remercions les gynécologues qui ont su accompagner leurs patientes sans heurt. Pour ce faire, il semble judicieux que le Collège que vous présidez se mette en lien avec les sociétés savantes de neurochirurgie. Le comité scientifique de l’Association AMAVEA est à votre disposition pour vous y aider.


En attendant un retour de votre part et en restant à votre entière disposition pour avancer de concert, veuillez agréer, Madame la Présidente, l’expression de nos salutations respectueuses.


Madame Emmanuelle HUET-MIGNATON






Pour information, le comité scientifique de l’AMAVEA 

- Professeur Johan PALLUD, Neurochirurgien, Chef de service de neurochirurgie au GHU Paris psychiatrie & neurosciences, Université Paris Cité, Paris

- Professeur Romuald Seizeur, Neurochirurgien, Chef de service de neurochirurgie au CHU de Brest, Université de Bretagne occidentale, Brest

- Professeur Hugues Loiseau, Neurochirurgien au CHU de Bordeaux, Université de Bordeaux, Bordeaux

- Docteur Frederic DHERMAIN, Radiothérapeute, Responsable du Comité de Neuro-oncologie, à l’Institut Gustave Roussy, Villejuif






 

dimanche 8 janvier 2023

Je me souviens de soignantes bienveillantes - par Marc Zaffran/Martin Winckler


Je me souviens de la spécialiste ORL à qui j'ai amené mon petit garçon après qu'il s'était fourré un bitoniot en plastique au fond du nez. Je me souviens de son soupir de femme qui en a vu d'autres, de ses paroles bienveillantes et de son sourire de contentement, après avoir résolu le problème en deux secondes, en voyant mon soulagement. A aucun moment elle ne m'a fait penser que j'étais un mauvais père. Je me souviens qu'elle a dit : "La vie, c'est toujours plus compliqué quand on a des enfants." 

Je me souviens de mon père Ange Zaffran disant : "La douleur a raison contre le médecin. Tu dois toujours croire quelqu'un qui souffre. Sinon, tu ne peux pas faire ce métier." 

Je me souviens l'avoir entendu dire : "Tu n'as pas le droit de regarder de haut les personnes qui te font confiance. Et les autres non plus." 

Je me souviens de sa remplaçante, Geneviève Poulain, de qui les patientes disaient : "C'est la nièce de votre papa ? Non ? Ah ben, je croyais, parce qu'elle est aussi gentille et douce que lui !" 

Je me souviens de Marie-Jo Legivre, l'aide-soignante qui m'a pris sous son aile quand je me suis mis à travailler comme agent de service, l'été, à l'hôpital de Pithiviers. 

Je me souviens de "Tonton", le sexagénaire qui assurait l'entretien de l'amphithéâtre de première année, et qui tenait la cafétéria
de la fac avec sa femme. L'une et l'autre avaient toujours de l'aspirine et des mouchoirs pour qui en avait besoin. Et des bonnes paroles, aussi, en abondance. 

Je me souviens de la prof d'hématologie qui traitait ses étudiantes et ses collaboratrices comme des soeurs.  

Je me souviens d'Yves Lanson, le chef de clinique qui, en 1977, invitait ses externes, à tour de rôle, à assister à ses consultations en nous précisant qu'il fallait que le ou la patiente soit d'accord. 

Je me souviens du professeur de réanimation, à Tours, qui m'avait reçu avec deux camarades, et nous avait expliqué, sur un ton très grave, que beaucoup de jeunes femmes admises dans son service avaient subi un avortement clandestin. Et qu'il trouvait l'interdiction d'avorter cruelle, inutile et inhumaine.
Je me souviens l'avoir entendu dire à un interne : "Tu n'es pas un mécano qui doit réparer une voiture. Un corps humain n'a pas de boulons."

J'avais tiré au sort le service de long séjour, mais un de mes camarades avait tiré le service de réa, et il me proposait d'échanger pour "être tranquille pendant qu'il préparait l'internat".  Je me souviens être allé demander au prof de réa si j'apprendrais plus dans son service (très renommé) ou au service de long séjour ? Il m'avait répondu : "Ici, vous verrez surtout des situations d'urgence, parfois catastrophiques. En long séjour, vous verrez surtout des personnes avec une longue histoire." J'ai choisi le long séjour. 

Je me souviens de la femme à demi-paralysée, coincée sur un lit derrière une porte et qui, en me voyant désemparé devant les trois autres femmes, agitées et confuses, qui partageaient la même chambre, m'a dit : "Vous êtes le nouvel externe ? Je parie que l'interne vous a envoyé interroger mes voisines... Il a fait ça pour vous bizuter. Il fait ça avec tous les petits nouveaux. (Elle a tapoté le bord de son lit de sa main valide.) Venez vous asseoir, on va le couillonner. Je vais vous raconter l'histoire de mes copines de chambre... " 

Je me souviens de ce vieil homme qui refusait qu'on l'aide à manger, et qui a accepté seulement après que j'ai passé une demi-heure assis près de lui, à lui lire les lettres de sa famille qu'il ne pouvait pas lire. Et je me souviens de son regard qui me remerciait, et du mouvement de menton qu'il a fait pour me dire qu'il avait faim. 

Je me souviens de Danièle Perrier, qui était orthophoniste au CHU et venait aussi au service de long séjour, et de la manière dont elle m'a accueilli dans le service alors que je n'étais qu'un étudiant en quatrième année, en me proposant de répondre à toutes mes questions. Je lui en ai posé beaucoup. Et je lui en ai posé pendant longtemps, car, quarante-cinq ans plus tard, nous sommes toujours amis. 
Dans son bureau du service, un jour que je m'y étais installé pour écrire (elle me l'avait proposé) j'ai trouvé une feuille portant les mots "Fermez les yeux" et, de l'autre côté "Donnez moi la main". 

Je me souviens du professeur de pédiatrie qui, un jour que deux de mes camarades et moi étions en train de rire dans une salle de nouveaux-nés, est venu nous dire doucement : "Là-bas, il y a une femme à qui on est en train d'annoncer que son bébé a un problème grave. Si vous avez des histoires drôles à partager, faites-le ailleurs, par respect pour les parents." 

Je me souviens de la femme qui m'a demandé comment on pouvait faire une tuberculose des ovaires et des trompes, alors que la tuberculose était une maladie pulmonaire, et à qui j'ai proposé d'aller regarder la réponse avec moi dans les livres de médecine, à la bibliothèque de la faculté. Et qui a accepté. 
Elle a été une des premières à m'enseigner qu'on peut faire beaucoup en donnant accès au savoir. 

Je me souviens du professeur de maladies infectieuses qui disait : "Si vous ne comprenez pas ce qu'un patient vous raconte, c'est parce que vous vous trompez.

Je me souviens de Jean-Pierre Basileu, qui venait de Guadeloupe et y est retourné soigner (il est devenu médecin généraliste). On faisait nos études ensemble mais on ne se connaissait pas encore bien quand un jour, il m'a trouvé errant devant son immeuble, sanglant et les vêtements déchirés. Je m'étais cassé la figure en mobylette sur la route mouillée en gravissant la colline pour rendre visite à un copain...  Jean-Pierre m'a fait entrer chez lui, il m'a fait prendre une douche, il m'a prêté des vêtements (on faisait à peu près la même taille) et, pour me réconforter, il m'a fait boire une liqueur de banane dont je rêve encore. Il ne m'a pas laissé redescendre la chez moi en mobylette, mais m'a raccompagné en bus. 

Je me souviens de la femme qui m'a dit, la veille de son intervention : "J'ai pas envie de me faire opérer. Cette tumeur du rein, ça me fait peur. Mais j'ai pas envie de me faire opérer. Vous comprenez ?" 

Je me souviens de Robert Vargues, le bactériologiste,  qui disait : "Vous devez supprimer deux mots de votre vocabulaire : devoir et pouvoir".  

Je me souviens de mon père, quand je lui ai dit que je n'étais pas sûr de devenir un bon médecin, me répondant : "C'est parce que tu n'es pas sûr que tu feras tout pour l'être."

Je me souviens de la laborantine qui m'a dit : "Le soin que tu prends pour préparer une lame de microscope, j'espère que tu le prendras aussi pour soigner des personnes." 

Je me souviens du néphrologue qui disait : "La médecine, c'est un métier où trop de gens sont défensifs au lieu d'être attentifs et attentionnés." 

Je me souviens du camarade de promotion qui, un jour, dans l'ascenseur, me confia être tombé amoureux d'une infirmière de dix ans son aînée. Et, comme je gardais le silence et posais ma main sur son bras parce que je voyais qu'il souffrait, il m'a soufflé : "Je n'osais pas en parler. Je te l'ai dit parce que je pensais que tu ne te moquerais pas de moi. Merci de m'avoir donné raison."
Il a été l'un des premiers à m'enseigner qu'on peut faire beaucoup en ne faisant rien qu'écouter. 

Je me souviens d'un vieux pédiatre de l'hôpital du Mans. Une femme était inquiète parce que sa petite-fille ne mangeait que ce qu'elle prenait dans le frigo. Il lui a demandé : "Est-ce que vous avez des poules ?" La femme a répondu : "Oui..." Et lui, doucement : "Est-ce que vous avez déjà vu des poules mourir de faim sur un tas de grain ?" La femme a réfléchi, et puis elle a souri et hoché la tête. 

Je me souviens de Toumani, l'interne en pédiatrie, et de sa manière infiniment attentive et délicate d'examiner les bébés. Il était grand et grave et venait du Mali. Il y est retourné soigner. 

Je me souviens de William, l'interne en chirurgie, et de sa manière infiniment délicate et attentive de réconforter une petite fille qui s'était coupé le bout du doigt. Il était souriant et athlétique et venait du Bénin.  Il y est retourné soigner. 

Je me souviens du vieux praticien hospitalier qui, voyant que j'attendais le résultat d'une radio pour traiter une personne souffrant d'une pneumonie, m'a dit : "C'est le traitement du patient qui est important. Pas le résultat de la radio."  

Je me souviens de Christian Grosse, le généraliste que j'ai le plus souvent remplacé à la fin de mes études, avant de m'installer à mon tour. Il passait une demi-journée, au début de mon remplacement, à me parler des personnes que j'allais voir, et il passait une autre demi-journée, à son retour, à m'écouter lui parler de celles que j'avais vues. 

Je me souviens de la femme qui était venu me demander (j'étais infirmier remplaçant) des nouvelles d'un parent hospitalisé. Je lui avais répondu du mieux que je pouvais. Un patient avait passé la porte en posant une question inquiète et je lui avais pris la main pour le rassurer. Après qu'il était parti, la femme m'avait dit : "J'espère que vous serez toujours comme ça." 

Je me souviens de Wissam Issa, l'interne en orthopédie, et de sa manière précise, précautionneuse et indolore de déplacer une personne qui venait de se casser la jambe. Il venait du Liban.  Il y est retourné soigner. 

Je me souviens de Jacky Collet le gynécologue, de sa gentillesse désarmante et rassurante, qui aurait tout fait pour les femmes, mais n'avait pas le coeur de faire des IVG, et qui me les confiait en disant : "Je sais que tu t'occuperas bien d'elles" alors que j'avais toujours peur de leur faire mal. 

Je me souviens des femmes qui m'ont dit : "Je vous fais confiance." (Je pense en particulier à la "patiente alpha", qui a pris une décision importante pour sa vie, alors qu'elle n'avait que vingt ans, parce qu'elle me faisait confiance.) 

Je me souviens bien d'Oliver Sacks et de ce qu'il racontait dans ses livres. 

Je me souviens des infirmières qui, lorsque j'étais perdu et dépassé par mes responsabilités d'interne, me conseillaient une marche à suivre au début de mes stages. Et qui, quand j'allais leur demander conseil à la fin de mes stages, me disaient : "Oh, je suis sûre que tu as bien fait." 

Je me souviens des mères qui savaient que leur enfant n'allait pas bien. Et qui avaient raison. Elles m'ont appris beaucoup sur mon métier de médecin et mon rôle de parente. 

Je me souviens de Mark Greene quand il dit à John Carter : "See one, Do one, Teach one."  (Tu regardes un geste de soin, tu le fais, tu l'enseignes à quelqu'un d'autre.) Et je me souviens de Benton quand il demande à Carter : "Tu es sûr de vouloir devenir chirurgien ? Tu passes du temps auprès des patients... Tu n'as pas la mentalité d'un chirurgien." 

Je me souviens de la sage-femme qui, lorsqu'elle procédait à un examen gynécologique, demandait toujours l'autorisation de la femme, se plaçait toujours sur le côté, jamais entre ses jambes et la prévenait de ce qu'elle allait faire. Elle est la première que j'ai vu proposer à des femmes d'insérer un spéculum elles-mêmes. Et pendant longtemps, elle a été la seule dans le service. 

Je me souviens des personnes âgées qui, au début de mon exercice, me rassuraient en disant : "Vous allez bien me soigner. J'en suis sûre." Et qui m'encourageaient à leur prescrire les médicaments que, de toute manière, ils ne prenaient pas.  

Je me souviens des personnes qui, après m'avoir entendu tenir des propos inqualifiables ou vu agir de manière inacceptable, ont accepté mes excuses. Et je leur en suis éternellement reconnaissant. 

Je me souviens de Guy Frydman, qui m'a proposé de venir passer une journée dans sa pharmacie de banlieue pour que je voie comment il travaillait et que j'entende les patientes d'une autre oreille.
Je me souviens qu'il avait installé un petit bureau fermé pour accueillir les personnes qui avaient besoin de parler.
Je me souviens de la femme qui m'a parlé longuement ce jour-là en pensant que j'étais un pharmacien en stage. 

Je me souviens de Pierre Bernachon, l'animateur de notre groupe Balint qui répétait volontiers cette phrase d'un de ses propres formateurs : "Quand on pose des questions, on n'obtient que des réponses". 

Je me souviens de la cardiologue qui pratiquait des IVG alors qu'elle était enceinte de huit mois et qui disait en souriant : "La vie des femmes, c'est imprévisible et surprenant." 

Je me souviens de John Guillebaud, que je n'ai jamais rencontré, dont les livres sur la contraception sont si précis, si éclairants, si réconfortants, si utiles que j'ai eu très envie d'en écrire un moi aussi. 

Je me souviens d'Alain Gahagnon, qui m'a tant appris sur la douleur alors que je n'y comprenais rien. Et de Vianney Perrin, qui m'a fait découvrir que l'hypnose était une arme puissante contre la douleur.  

Je me souviens de Norbert Bensaïd, dont le livre La Consultation m'a convaincu que ma voie était dans la médecine générale. 

Je me souviens du pharmacien de mon canton qui allait porter les médicaments à domicile aux personnes âgées et faisait la conversation aux plus isolées. 

Je me souviens des personnes qui m'appelaient très tôt le matin pour leur mari ou leur femme très malade et qui, après que je l'avais vue, même si je n'avais pas pu faire grand-chose, me proposaient une tasse de café.  

Je me souviens d'Yvonne Lagneau, la surveillante du service d'IVG, qui me parlait des femmes en disant : "On ne sait jamais ce qu'elles ont vécu."
C'est en pensant à cette remarque qu'un jour, je me suis allongé sur la table d'examen gynécologique, pour essayer de comprendre ce que cette position signifiait pour les femmes. 

Je me souviens qu'un jour Yvonne m'a dit : "Tu sais, Marc, c'est pas au moment où la femme est allongée sur la table juste avant son IVG qu'il faut lui poser des questions sur sa contraception. C'est juste pas son souci à ce moment-là." 
Je me souviens aussi de la manière qu'elle avait de tenir la main des femmes et de leur caresser les cheveux pendant que la machine à aspiration grondait. 

Je me souviens qu'elle m'a poussé à toujours aller voir les femmes après leur IVG, une fois qu'elles avaient déjeuné et se reposaient, pour leur demander si elles avaient encore (ou de nouveau) mal, leur proposer quelque chose pour les soulager et une contraception, la même qu'avant ou une autre, et demander si elles avaient des questions à poser.
Je n'osais pas le faire : je pensais qu'elle me trouveraient intrusif.
J'ai découvert qu'elles n'attendaient que ça. 

Je me souviens de cette femme qui, lorsque je lui ai dit : "A présent, je vais vous examiner", m'a répondu très doucement : "J'aimerais mieux pas..." Et de son visage quand j'ai dit : "Comme vous voulez."
Après elle, j'ai toujours demandé aux personnes si elles étaient d'accord pour que je les examine. 

Je me souviens de mon fils (le même qu'au début de ce texte) me disant qu'il n'était pas sûr d'être un bon père pour une fille, car il s'était préparé à l'être pour un garçon. Et je me souviens avoir pensé : "C'est parce que tu n'es pas sûr que tu le seras." 

Je ne me souviens pas de toutes les soignantes bienveillantes, professionnelles et personnes soignées, qui m'ont servi de modèle, mais je sais qu'il y en a eu beaucoup, et qu'elles m'ont guidé. Et qu'elles me guident encore. 

Marc Zaffran/Martin Winckler