mercredi 8 novembre 2023

Le scandale des implants "Essure" - Témoignage après retrait du dispositif - par Caroline Morel

Les implants Essure, qui avaient été présentés comme une alternative pleine de promesses pour les femmes désirant une stérilisation tubaire, ont été commercialisés en 2002. Quinze ans plus tard, ils étaient retirés du marché à la suite de nombreux incidents et complications, pour certaines très graves - survenues aussi bien juste après leur insertion que dans les mois ou années suivantes. 

On considère à l'heure actuelle que 200 000 femmes ont reçu ces implants en France, et qu'ils ont été retirés chez 30 000 d'entre elles. Cette proportion, très importante, est sans précédent dans l'histoire des dispositifs médicaux. 

Beaucoup de ces femmes ont été longtemps ignorées et dénigrées avant d'être crues, car les médecins qu'elles consultaient ne voulaient pas admettre que leurs symptômes étaient attribuables au dispositif. On sait aujourd'hui que ça n'était pas "dans leur tête". 

Pour celles qui en sont encore porteuses, on ignore les effets à long terme des composants du dispositif (en particulier le nickel, métal très allergisant) sur leur santé

Le problème a été considéré comme sérieux par la FDA (agence de sécurité sanitaire) américaine, qui a poussé au retrait du dispositif en 2018, date à laquelle 16000 femmes aux Etats-Unis avaient porté plainte contre le fabriquant, Bayer.  

Aujourd'hui, la FDA continue à recueillir les observations venant des utilisatrices ou de leurs médecins. 

En France, l'ANSM (Agence sur la sécurité du médicament) lui consacre aussi une page de son site

Un groupe FaceBook rassemble un certain nombre des personnes concernées et un livre récent a été consacré à cette affaire par Delphine Bauer et Jacqueline Maurette. 

Une autre page facebook (La vie après les implants Essure) mérite aussi votre attention. 

Enfin, la page FB de l'association RESIST est ouverte à toutes. 

Ces jours-ci, Caroline Morel, qui vient d'être opérée pour qu'on lui retire ses implants, m'a envoyé son témoignage. 

MW 


Pour moi, tout a commencé en 2013. 

Je venais d'avoir 40 ans, j'avais déjà deux filles de 12 et 14 ans, j'étais mariée et ne désirais plus prendre de pilule. Je l'oubliais trop souvent. 

Une personne de ma famille, gynécologue, m'a alors parlé des "Essure" comme alternative révolutionnaire à la contraception hormonale. C'était remboursé par la sécurité sociale. 

J'ai rencontré une professeure à la clinique St Luc St Joseph de Lyon, enthousiaste, qui me les a posés après les 4 mois de délai réglementaire, par voie basse, sans anesthésie (un souvenir assez désagréable).

Comme mon mari m'a quittée à ce moment là, ma vie est rentrée dans une période de turbulences, de dépression, d'instabilité, j'ai perdu 10 kg en 3 mois, et je n'ai plus vraiment pensé aux essures, qui étaient bien placés à la radio de contrôle. 

C'est en 2017 que j'ai eu un épisode de douleurs inexpliquées dans le pelvis côté droit. Après de nombreux examens, on n'a pas trouvé autre chose qu'un fibrome assez gros. Un radiologue s'est posé la question des essures sans plus. 

À partir de 2018, j'ai enchaîné avec des problèmes de santé qui me semblaient '' la vie comme elle va'', une 2ème hernie cervicale, des maux de dos, un burn out, et la périmenopause. 

C' est l'année dernière, fin octobre 2022 que je tombe sur un article du Monde en rapport avec les Essure, à propos d'un rapport de l'agence de santé mis de côté. De fil en aiguille, je vais sur le lien de l'association RESIST qui milite pour faire reconnaître les dégâts causés par les implants. Je lis cela d'un oeil distrait. 

Je savais que certaines femmes implantées se plaignaient de nombreux effets indésirables mais je me pensais non concernée. Puis, en lisant attentivement la liste des symptômes non exhaustifs je commence à me dire que j'en ai au moins 25 sur 40, ça fait beaucoup.

Après une semaine de réflexion et de pas mal d'angoisse, je contacte ma généraliste pour lui demander de faire les premiers examens de contrôle. Elle ne connaît pas du tout la problématique mais écoute attentivement et prescrit une échographie, des analyses. 

Moi je repasse en revue, tous mes problèmes de dos, de sommeil, mes yeux secs, mes dents cassées, mes coups de fatigue inexpliqués... Je sais que je suis en début de ménopause aussi et qu'il y a certains problèmes que je ne suis pas en mesure d'attribuer. 

Bref c'est en adhérant à l'association RESIST que je suis mieux informée, je prends connaissance de nombreux témoignages d'autres femmes. Je réalise le temps perdu pour mon corps. 

Après un malencontreux rendez-vous d'échographie (très froid et hostile, j'ai écrit au conseil de l'ordre du département de l'Ain et obtenu des excuses) j'ai pu rencontrer le très remarquable professeur Chêne de l'hôpital Femme Mère Enfant de Lyon qui a immédiatement abondé dans la direction de l'explantation. 

C'est à dire une laparoscopie pour retirer utérus trompes et col. Il conduit une étude de longue haleine sur la problématique Essure et rencontre lui-même de la résistance chez ses confrères. Après le rv pré opératoire de juin, accompagné d'un scanner, j'ai donc été opérée le 26 octobre 2023.

Je m'apprête à continuer à informer autour de moi, car sur les 200 000 femmes implantées, seules 30 000 ont été explantées. La technique ne va pas de soi, il y a eu des tâtonnements au dépens de nombreuses dames. Tous les médecins ne sont pas au courant, ou réceptifs. 

Beaucoup sont carrément sceptiques sur les troubles causés par les Essure (essentiellement à cause des intoxications aux métaux lourds). 

Ce qu'il ressortait à J+2 c'est déjà moins de douleurs articulaires bizarres le matin, et les yeux moins secs. Il était encore trop tôt pour les autres problèmes comme la fatigue chronique. Juste après l'intervention, c'est là qu'on réalise le scandale : avoir été obligée de subir une opération assez lourde pour simplement retirer des implants.

À J +12, je vais plutôt bien, les vertiges ont disparu et les cicatrices ne tirent que quand je suis allée marcher une heure. J'ai diminué les antidouleurs depuis 2 jours. 

Pour l'état général, c'est peut-être un peu tôt pour poser un bilan, mais j'observe une meilleure forme au réveil, beaucoup moins de douleurs articulaires (c'était chevilles genoux dos). Je reste prudente, mais cela semble se confirmer.

Caroline Morel 



jeudi 26 octobre 2023

Comment, pendant soixante ans, l'industrie et les médecins ont traité les femmes françaises par le mépris (A propos de "Pilules roses" de Juliette Ferry-Danini)

 

J'ai commencé à exercer la médecine au tout début des années 80, quand j'ai fait des remplacements de généralistes dans la Sarthe, le département où je terminais mes études. 

En 1983, je me suis joint à la rédaction de La Revue Prescrire, et j'y ai fait un apprentissage de la pharmacologie et de la prescription qu'on ne m'avait jamais délivré à la fac de médecine.

J'ai en particulier appris, avec stupéfaction, que sur les dizaines de milliers de "spécialités" (médicaments vendus sous un nom de marque -- il n'y avait pas de génériques à l'époque), l'immense majorité étaient sans aucune efficacité démontrée. 

Les médecins français prescrivaient alors à tour de bras des "dépuratifs hépatiques", des "toniques veineux", des "stimulants", des "neurotoniques" et autres huiles de serpent qui cachaient bien leur jeu. 

Le Spasfon faisait partie de ces médicaments. A l'époque, il était courant - pour ne pas dire "automatique" - de prescrire du Spasfon à toutes les personnes qui avaient mal au ventre pour des raisons indéterminées (des troubles digestifs, un côlon "paresseux" ou "irritable", une colique néphrétique) et aux femmes qui avaient des règles douloureuses.

J'en avais sûrement prescrit, moi aussi, avant de lire dans les colonnes de la revue que c'était un médicament inefficace. 

Comment se faisait-il que je ne l'avais pas appris en cours de pharmacologie ? Eh bien, tout simplement parce que les médicaments commercialisés avant les années 70-80 (c'est à dire avant qu'on commence à rechercher de manière objective les modes d'action et par conséquent les preuves d'efficacité de toutes les molécules disponibles) ne faisaient pas l'objet d'un examen sérieux. 

D'autant moins, bien entendu, qu'ils étaient sous licence française. 

Soucieux de "préserver" l'industrie pharmaceutique hexagonale, les gouvernements successifs évitaient soigneusement de mettre leur nez dans les fleurons du "génie" tricolore. 

Mais l'absence d'information sur l'efficacité d'un médicament est déjà, en soi, une information. Si vous ne pouvez pas apporter la preuve qu'une molécule produit l'effet qu'on lui attribue, on ne peut pas vous croire sur parole. 

Et il n'est pas de bonne politique de santé de dire "De toute manière ça ne fait pas de mal", car un accident, même rare, peut toujours se produire. 

Très vite, j'ai appris à ne plus prescrire de Spasfon. 

Et cela parce que j'avais bien vu que les principales utilisatrices étaient les femmes souffrant de leurs règles (ou de douleurs abdominales mal identifiées, qui pouvaient très bien être liées à une endométriose, par exemple). 

Or, on le savait déjà à l'époque, les molécules qui calment le plus efficacement les douleurs des règles (du moins, quand elles ne sont pas dues à une endométriose étendue et qu'elles ne sont pas devenues chroniques) sont les anti-inflammatoires non stéroïdiens - autrement dit : l'ibuprofène, le flurbiprofène et bien d'autres. 

Comment agissent-ils ? En diminuant les contractions utérines, qui sont les principales responsables des douleurs des règles. 

L'aspirine est elle aussi efficace sur les douleurs menstruelles ou utérines, mais son usage s'est restreint (à juste titre) parce qu'elle est agressive pour l'estomac mais aussi parce qu'elle est réputée "faire saigner" (ce qui n'est pas exact : les règles ne sont pas un saignement de l'utérus, c'est l'élimination d'un tissu qui contient du sang ; l'aspirine ne modifie pas les règles).  

Le Spasfon (de son nom chimique "phloroglucinol") n'a jamais montré qu'il calmait ces douleurs.Et pourtant, il est encore cité (sous tous ses noms de spécialités) dans la monographie en ligne du dictionnaire VIDAL, publication financée... par l'industrie. 


Il faut dire qu'il a longtemps été le médicament phare d'un laboratoire bien français, Lafon, qui a commercialisé également des produits d'utilité douteuse comme le Fonzylane ou l'Olmifon. Lafon a plus tard été racheté par une société américaine, Cephalon... qui n'a jamais commercialisé le Spasfon aux Etats-Unis... Aujourd'hui, c'est la société TEVA (qui a racheté Cephalon) qui commercialise le Spasfon.  

L'inefficacité de ce médicament, tous les médecins sérieux la connaissent. Je la mentionne depuis vingt ans dans mes livres (Tout ce que vous vouliez savoir sur les règles et Contraceptions mode d'emploi, en particulier) et sur mon site internet

La Haute Autorité de santé le déclarait clairement dans un rapport de 2008. Ledit rapport précisait que cet "antispasmodique" n'avait pas non plus d'intérêt pour les douleurs biliaires ou urinaires (en cas de colique hépatique ou néphrétique). 

En 2010, La Revue Prescrire, qui fait référence en matière de médicament, a signalé des réactions allergiques graves au phloroglucinol (nom générique du Spasfon) et concluait : "En somme, le phloroglucinol n'est pas un placebo. Il ne fait pas de bien et il fait parfois du mal." 

Plus récemment, en 2019, un article humoristique paru dans une revue de gynécologie américaine mais rédigé par des praticien.ne.s de l'hôpital Purpan de Toulouse déclarait qu' "enfin, on avait trouvé une utilisation au phloroglucinol" : il semble être utile pour faire disparaître les taches de polyvidone iodée (un antiseptique qui teint les tissus en rouge)... 

Et pourtant, malgré tous ces avertissements, beaucoup de praticien.ne.s français.e.s continuent à prescrire du Spasfon. 

Pourquoi ? 

C'est le sujet de l'excellent livre de Juliette Ferry-Danini, Pilules roses - De l'ignorance en médecine. 

L'ignorance dont elle parle, c'est celle dans laquelle on maintient les femmes. Son livre retrace très précisément l'histoire du phloroglucinol, mais il met aussi en évidence que si ce médicament inefficace (et parfois dangereux) reste si populaire en France et dans une poignée de pays dans le monde (Algérie, Maroc, Tunisie, Belgique, Luxembourg en particulier) c'est probablement en raison de sa prescription aux femmes.  

Pilules roses est un livre remarquable : 

-- il décrit la manière dont on devrait prouver l'efficacité d'un médicament, d'une manière claire et précise, accessible au plus grand nombre ; 

-- il raconte comment le phloroglucinol a été "expérimenté" de manière extrêmement problématique sur des malades chez qui l'on provoquait les douleurs qu'on entendait "soulager" par le phloroglucinol !!! 

-- il explique que très tôt, ce sont les femmes qui sont considérées comme la population la plus susceptible d'être "traitée" par la molécule : pour les migraines (qui frappent en majorité des femmes), et pour les "crises de foie", en particulier ; 

-- il décrit comment, par un tour de passe-passe très fréquent dans le monde pharmaceutique français des années 60, des "experts" ont glissé tout naturellement des "spasmes digestifs" aux "douleurs menstruelles", mais aussi de la forme injectable (utilisée pour les coliques hépatiques et urinaires) aux formes comprimé et... suppositoire (une spécialité française, elle aussi). 

Tout ça, en étendant peu à peu l'AMM (le document officiel qui précise les conditions d'utilisation d'un médicament) d'une molécule ancienne qui... ne servait à rien mais dont le laboratoire possédait la formule et le brevet. Le tout dans la plus parfaite indifférence des autorités sanitaires. 

A partir de ce rappel historique et scientifique rigoureux, Juliette Ferry-Danini démontre que le Spasfon illustre l'histoire du sexisme dans le monde médical - et la pensée - françaises, à travers la description du "concept" de  spasme (lui-même lié au "concept" d'hystérie), des publicités d'époque, des dessins humoristiques publiés dans la presse médicale...

Pilules roses est un livre important à mes yeux, pour trois raisons au moins. 

 D'abord parce que c'est un récit historique et scientifique. 

Ensuite parce que c'est une réflexion philosophique et critique d'une grande clarté, accessible au plus grand nombre - qui aborde aussi la question de l'effet placebo, de ce qu'on attend de lui et de la manière dont on l'emploie, à tort ou à raison. 

Enfin parce que c'est un livre par lequel une femme questionne la manière dont le monde médical et pharmaceutique français pratiquent l'enfumage (le gaslighting) des femmes -- comment, littéralement, on traite les douleurs des femmes par le mépris. 

Ce n'est pas seulement un livre militant, c'est un petit traité de libération personnelle et, par extension, collective. 


Martin Winckler 





mercredi 25 octobre 2023

La Charte des personnes soignées (On peut rêver...)

LA CHARTE

 

1° Je suis patient·e et je suis ton égal·e. Je te choisis pour me soigner.


2° Pour me soigner au mieux, physiquement, moralement et émotionnellement, tu mettras en œuvre ton savoir, ton savoir-faire, ton intelligence et ton humanité en prenant garde, en tout temps, à ne pas me nuire.


3° Tu respecteras ma personne dans toutes ses dimensions, quels que soient mon âge, mon genre, mes origines, ma situation sociale ou juridique, ma culture, mes valeurs, mes croyances, mes pratiques, mes préférences.


4° Tu seras confident·e et témoin de mes plaintes, mes craintes et mes espoirs sans jamais les disqualifier, les minimiser, les travestir, ou les divulguer sans mon accord. Tu ne les utiliseras pas à ton profit. Tu ne les retourneras pas contre moi. Tu ne me soumettras pas à des interrogatoires inquisiteurs ; tu ne me bâillonneras pas.


5° Tu partageras avec moi, sans réserve et sans brutalité, toutes les informations dont j’ai besoin pour comprendre ce qui m’arrive, pour faire face à ce qui pourrait m’arriver. Tu répondras patiemment, précisément, clairement, sincèrement et sans restriction à toutes mes questions. Tu ne me laisseras pas dans le silence, tu ne me maintiendras pas dans l’ignorance, tu ne me mentiras pas. Tu ne me tromperas ni sur tes compétences ni sur tes limites.


6° Tu me soutiendras dans mes décisions. Tu n'entraveras jamais ma liberté par la menace, le chantage, le mépris, la manipulation, le reproche, la culpabilisation, la honte, la séduction. Tu n’abuseras ni de moi ni de mes proches.


7° Tu te tiendras à mes côtés et tu m’assisteras face à la maladie et à toutes les personnes qui pourraient profiter de mon état. Tu seras pour moi avocat·e, interprète et porte-parole. Tu t’exprimeras en mon nom si je t’en fais la demande, mais tu ne parleras jamais à ma place.


8° Tu respecteras et feras respecter les lois qui me protègent, tu lutteras avec moi contre les injustices qui compromettent mon libre accès aux soins. Tu te tiendras à jour des connaissances scientifiques et des savoir-faire libérateurs ; tu dénonceras tous les obscurantismes ; tu me protégeras des marchands.


9° Tu traiteras avec le même respect toutes les personnes qui me soignent, et tu travailleras de concert avec elles, quels que soient leur statut, leur formation, leur mode d’exercice. Tu défendras solidairement tes conditions de travail et celles des autres soignant·e·s.


10° Tu veilleras à ta propre santé. Tu prendras le repos auquel tu as droit. Tu protégeras ta liberté de penser. Tu refuseras de te vendre.



L'Ecole des soignantes, P.O.L, 2019


mercredi 11 octobre 2023

Petit afflictionnaire médical - par Martin Winckler

 


J'ai "commis" ce petit texte (en hommage au Dictionnaire des idées reçues de Flaubert) il y a bientôt... vingt-cinq ans. Je ne suis pas sûr qu'il soit complètement démodé aujourd'hui. Je vous laisse juges. MW 
 




Acte médical : saynète de longueur variable jouée par au moins deux personnes, dont une au moins est médecin.

Antibiotiques : médicaments destinés à faire baisser la fièvre. Toujours source de fatigue, ils ne doivent jamais être absorbés avec du lait (ça le fait tourner). Cause d'allergie très fréquente.

Appendicite : maladie infantile bénigne dont le diagnostic est invariablement fait par les mères. Devient grave lorsqu'elle survient chez un adulte (on parle alors de “péritonite-septicémique-sur-appendice-perforé-gangréneux-atypique ”).

Auscultation :
1. (désuet) : technique consistant à écouter les bruits internes du corps au moyen de l'oreille (auscultation immédiate) ou d'un stéthoscope (auscultation médiate) posés sur le corps du patient.
2. (moderne) : examen du patient par le médecin. Ex : “ J'avais peur d'avoir un cancer du testicule mais il m'a bien ausculté et en fait c'est une mycose des parties. ” (Voir Consulter)

Blouse blanche : signe distinctif des soignants, la blouse blanche est un vêtement à la signification aussi polymorphe qu'un unifonne militaire. Curieusement, c'est moins la forme de la blouse blanche qui compte que ce qu'elle porte ou renferme. Ainsi, sous leur blouse blanche, les aides-soignantes sont en sous-vêtement (surtout l'été), les infirmières en jupe, les chefs de service en nœud papillon, les internes en “ pyjama opératoire ”, les kinésithérapeutes en bras de chemise, les réanimateurs en sueur. Et s'il arrive que les hommes en blanc aient le blues, c'est en revanche toujours le patient qui se fait blouser.

Cholestérol : équivalent moderne des divinités antiques. Lorsqu'il monte, on fait des sacrifices (plus de beurre, plus de viande, plus de sucre) ; lorsqu'il diminue, on se fait plaisir (plus de médicament).

Consultation : visite amicale que le patient rend 'a son médecin. Par extension : moment de la journée au cours duquel le médecin voit des gens qu'il ne connaît pas débarquer sans prévenir entre deux rendez-vous.

Consulter: ce terme s'applique indifféremment au patient ou au médecin, selon que :
1. Le premier pose au second un problème complexe, ou que;
2. Le second examine le premier (voir Ausculter) et;
3. Jette un coup d'œil dans l'annuaire pour y trouver les coordonnées d'un spécialiste (que l'on nomme alors un “ consultant ”).

Décès : rupture irréparable entre un malade et son médecin. Contrairement à une idée reçue, le décès n'est pas, aux yeux du médecin, une fin en soi. Ce n'est qu'une étape - souvent inévitable - de la relation médecin-malade, qu'il convient de retarder le plus possible, afin d'en jouir pleinement.

Diagnostic (1) : processus mental complexe à l'issue duquel
(a) le médecin nomme la maladie ou
(b) le malade meurt sans qu'on ait compris pourquoi. (Les deux propositions ne sont pas incompatibles.)
Ce cheminement intellectuel est la résultante et la conjonction de savoirs, d'intuitions, de tâtonnements et parfois d'illuminations prodigieuses, et peut être comparé à la résolution d'un problème de maux croisés dont les symptômes sont les définitions horizontales et les signes, les définitions verticales. Les outils diagnostiques du médecin sont au nombre de trois : la prise de sang, le recours au spécialiste et l'hospitalisation.

Diagnostic (2) : (par extension) capacité qu'a un médecin de résoudre plus ou moins souvent des maux croisés, c'est-à-dire de donner une explication à tout, y compris à un décès inexplicable (Ex. : “ Il a un bon diagnostic ”).

Diagnostic complexe : il s'applique aux maladies rares ou mal connues (autrement dit les plus intéressantes) et met en jeu de nombreux moyens qui, selon la rareté de la maladie en cause, permettent au médecin :
1. de préparer la publication d'un article dans des périodiques spécialisés ;
2. d'énumérer les caractéristiques lui permettant de repérer, identifier, dépister ou débusquer (à des fins éthiques) les patients souffrant de la même maladie-entité ;
3. de proposer des voies de recherche et de vivisection humaine en vue d'expérimenter de nouveaux traitements, douloureux mais prometteurs ;
4. de faire progresser, sinon le savoir scientifique, du moins sa propre réputation.

Douleur : méthode de communication audiovisuelle utilisée depuis la nuit des temps par les patients (qui sont fort nombreux) pour attirer sur leur personne l'attention des médecins (qui le sont beaucoup moins).
Il a fallu plusieurs milliers d'années pour que les médecins comprennent que la douleur était un symptôme très fréquent, commun à de très nombreuses maladies. Entre 1880 et 1995, l'attitude raisonnable consistait à “ respecter la douleur ”, c'est-àdire à la laisser s'exprimer librement, de manière à “ ne pas masquer les symptômes ”. (Autrement, comment savoir si le malade souffre?)
Depuis le milieu des années 90, la douleur est considérée comme un symptôme intolérable dans une société civilisée. Par conséquent, l'attitude actuelle consiste plutôt à la traiter par le mépris.

Euthanasie :
1. Sujet tabou (dans les hôpitaux).
2. Sujet brûlant (dans les médias).
3. Méthode permettant d'amputer une famille d'un de ses membres sans risquer les poursuites, et en lui permettant de programmer l'inhumation ou l'incinération à date ferme.
4. Dernier recours quand un patient hospitalisé, malgré les (bons ou mauvais) soins que le(s) médecin(s) dispense(nt), n'en finit pas d'occuper un lit et de (faire) chier.

Examen clinique : rituel mystique (à ne pas confondre avec l'auscultation) au cours duquel le médecin examine un patient. La clé de voûte de l'examen clinique est la prise de la tension.

Famille : milieu pathogène universel, résistant aux antibiotiques, aux vaccinations et à toutes les méthodes thérapeutiques inventées depuis six mille ans. (Voir Médecin de famille)

Fièvre : symptôme qui justifie :
1. d'envelopper les bébés dans trois pulls et deux couvertures (pour éviter qu'ils n'attrapent froid) ;
2. d'appeler le médecin la nuit (pour être sûr qu'on le trouvera chez lui) ;
3. de prescrire des antibiotiques (pour prévenir une complication) 
4. de prescrire un arrêt de travail à la mère (pour s'assurer que le bébé ne fait pas d'allergie aux antibiotiques).

"Histoires de chasse" :
1. (désuet) histoires salaces, grivoises, extraordinaires ou invraisemblables que racontent les médecins à leurs confrères pour leur montrer qu'ils ont de plus beaux (de plus belles) malades qu'eux.
2. (moderne) conversations de salle d'attente au cours desquelles les patients et malades se racontent les erreurs diagnostiques de leur(s) ancien(s) médecin(s).

Homéopathie : méthode consistant à incorporer, dans des sucrettes facilement assimilables par les enfants de tous âges, des quantités indécelables de produits variés, afin de soigner d'innombrables affections de nature indéfinissable. Le médicament homéopathique se définit par son mode de fabrication et non par ses effets sur les symptômes. Il est donc parfaitement possible (et sans doute judicieux) de traiter les “ bouées de sauvetage ” par des granules de “ pneu 5CH ”. En tout cas, si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal.
Par ailleurs, l'homéopathie se distingue de l'allopathie par un concept fondamental : le “ principe de similitude ”. Celui-ci consiste à administrer au patient une substance toxique provoquant les mêmes symptômes que la maladie (mais en plus marqué), afin de lui prouver que le remède est souvent pire que le mal. On parle alors de “ valorisation du symptôme ” (Ex. “ Avec la chiasse que m'ont collée les granules juste avant de partir, pas étonnant que je n'aie rien chopé en Thaïlande ! ”)

Infirmière :
1. personne chargée d'effectuer les piqûres, prises de sang et/ou lavements que le médecin ordonne (à l'hôpital) ou que le patient exige (en ville).
2. maîtresse du chef de clinique (à l'hôpital) ; bonne-à-tout-faire du généraliste (en ville).
3. tortionnaire sadique (à l'hôpital) -, confidente impuissante (en ville).
4. professionnelle mésestimée (dans les médias).

Interrogatoire : conversation à bâtons rompus entre le médecin et le malade, parfois en présence d'autres intervenants. Pour le médecin, l'interrogatoire sert à transformer le motif de consultation en symptôme intelligible (au moins), ou en maladie répertoriée (au mieux). Pour le patient, il a pour but de poser au médecin les questions auxquelles ses confrères ont jusqu'à présent refusé de répondre.

Kinésithérapeute : homme de main à l'hôpital ; homme à poigne en ville. Plus souvent considéré comme un masseur par les patients que comme un confrère par les médecins.

Malade : patient atteint d'une maladie (c'est le médecin qui le dit). Tous les patients ne sont pas malades mais, pour justifier sa fonction et ses émoluments, le médecin préfère qu'ils le soient. Et il a horreur qu'on lui souffle la solution des maux croisés avant qu'il n'ait vu la grille (voir Diagnostic 1).

Maladie : ensemble de phénomènes désagréables qui brutalisent le corps et l'esprit d'un patient, et dont la cause, le déroulement et la nature sont codifiés, décrits et répertoriés dans tous les bons traités médicaux. Une maladie est souvent une hydre à plusieurs têtes. Qu'elle frappe le corps (maladies physiques), la psyché (maladies psychiques), les deux (tout un tas de saloperies) ou ni l'un ni l'autre (maladies psychosomatiques), son origine est soit externe (rougeole, dysenterie, paludisme, pollution chimique, radioactivité, conflit familial), soit interne (ressentiment, culpabilité, frustration, cancer), soit mixte (c'est la vie ... ).

Médecin : diplômé de la faculté ou sur le point de le devenir. Avant 1945, sa principale fonction était de faire des diagnostics. De 1945 à 1975, il s'est surtout appliqué à prescrire des antibiotiques et à prendre la tension. Depuis 1975, il hésite entre la lutte contre le cholestérol et la recherche de créneaux d'activité plus lucratifs (Voir Médecines douces).

Médecin de famille (anciennement "généraliste): espèce aujourd'hui en voie de disparition. La famille, entité qu'il était censé soigner, après avoir muté rapidement au cours des cinquante dernières années, a acquis une résistance accrue qui la rend parfois insensible à cette catégorie de soignants. Aujourd'hui, il n'est pas rare qu'une famille nécessite une polythérapie par médecin référent + spécialiste + psychiatre + homéopathe, ce qui stabilise au moins l'état général. Certains médecins de famille authentiques subsistent encore dans des régions reculées, mais il semble que l'exode rural et la généralisation des antennes paraboliques auront bientôt raison de ces dernières poches de sensibilité. (Voir aussi Famille)

Médecine(s) douce(s) : pratiques médicales fondées sur des principes radicalement opposés à ceux de la médecine classique (qualifiée de “ dure ”, sans doute parce qu'elle est increvable). Si cette dernière a pour fondements le respect du symptôme (Voir Douleur), la terreur et l'ignorance, ceux des médecines douces sont plutôt la valorisation du symptôme (Voir Homéopathie), l'angoisse et la crédulité.

Médicament
1. objet de profit.
2. instrument de pouvoir.
3. source d'allergies (Ex. “ Je suis allergique à tous les médicaments, mais surtout aux antibiotiques. ”)

"Mes malades" : terme par lequel un médecin exprime qu'un nombre considérable de patients ne peuvent pas souffrir sans lui.

"Mon médecin" : terme désuet. Aujourd'hui, il est remplacé par diverses expressions “ mon acupuncteur-iridologue ”, “ mon psychiatre d'adolescents ”, “ mon chirurgien plasticien ”, etc.

Motif de consultation : prétexte élégamment fourni par le patient pour permettre au médecin de se prostituer sans devoir racoler.

Morphine : drogue illicite, consommée exclusivement par ces toxicomanes irrécupérables que sont les malades en phase terminale. La morphine est la pire ennemie du médecin car, en faisant perdre au malade le sens de la douloureuse réalité, elle le rend moins dépendant du thérapeute.

Mouton à cinq pattes ” : terme imagé utilisé par les médecins pour qualifier un patient n'ayant pas eu la décence de mourir d'une maladie clairement identifiée.

Ordonnance : feuille de papier à en-tête du médecin sur laquelle ce dernier inscrit - le plus souvent, de manière illisible - le nom des médicaments qu'il a en tête depuis le passage du dernier visiteur médical, ou recopie ceux qu'il est parvenu à lire sur l'ordonnance périmée que lui a présentée le patient en entrant. De temps à autre, le médecin peut utiliser ces mêmes feuilles pour écrire à un confrère, attester de la bonne santé d'une mère de famille avant un stage de saut à l'élastique, ou demander au fisc un aménagement de ses versements obligatoires.

Patient : individu qui consulte un médecin. Le mot “ patient ” vient du latin pati, supporter. Le patient supporte l'attente, dans la salle du même nom, parce qu'il supporte mal de souffrir. On en déduira qu'un patient est le plus souvent (mais pas toujours) quelqu'un qui souffre. Du moins, c'est lui qui le dit. Le médecin, par conséquent, doit supporter - coûte que coûte ! - d'entendre le patient souffrir. (On appelle ça “ respecter le symptôme ”.)

Pharmacien : auxiliaire médical dont la principale compétence, acquise par l'expérience, est de savoir décrypter et traduire les ordonnances, et dont la principale fonction est de vendre du shampooing, du dentifrice et des crèmes amincissantes. En tubes.

Prescription : avec le diagnostic, qu'elle peut précéder, suivre ou remplacer complètement, c'est l'autre moment fort de l'Acte médical ; elle consiste à formaliser par l'écrit les pensées profondes du médecin, inintelligibles pour le patient. La prescription peut avoir un but diagnostique (prescription d'examens complémentaires), thérapeutique (prescription de plusieurs médicaments), administrative (prescription d'un certificat ou d'un arrêt de travail) ou conjuratoire (prescription d'une consultation spécialisée, d'une hospitalisation ou d'un internement en chambre capitonnée). La prescription est classiquement écrite à la main, et n'est alors lisible que par un pharmacien (lorsqu'il a beaucoup d'expérience et à condition qu'il s'agisse de médicaments qui existent).

Remboursement : système complexe de racket, de blanchiment et de recyclage de devises entre un producteur (le laboratoire pharmaceutique), un grossiste (le pharmacien), un dealer (le médecin) et un consommateur de drogues (l'assuré), sous la surveillance de deux organisations criminelles nationales (l’Etat et l'Industrie du médicament).

Sexualité :
1. sujet tabou (en consultation).
2. sujet de conversation (à l'antenne).
3. principal élément nutritif du milieu pathogène familial.

SIDA : en Occident, successeur historique de la peste, de la tuberculose et du cancer en tête du hit-parade (ou du Top 50) des maladies sacrées. A noter que cette distinction n'a rien à voir avec le nombre réel d'individus touchés. En Afrique, par exemple, paludisme, tuberculose et Sida sont si fréquents qu'on ne les considère pas comme des menaces, mais comme des traits de civilisation.

Signe : phénomène objectif que le médecin constate (froidement) sur le corps (encore chaud), dans le comportement ou dans le résultat des examens complémentaires d'un patient, qu'il soit malade ou pas. Un signe n'est pas forcément l'indice d'une maladie, mais peut souvent réveiller l'inquiétude du médecin et provoquer l'aggravation du bilan diagnostique. Pour les médecins, les signes les plus précis, les plus fiables et les plus riches d'enseignement sont, évidemment, observés à l'autopsie.

Spécialiste : Médecin qui ne fait pas de visites à domicile, et ne s'occupe que d'une partie de l'anatomie (les yeux OU les seins OU les hémorroïdes, mais pas les trois à la fois).

Symptôme : sensation désagréable perçue par le patient et parfois (mais pas toujours) observable par le médecin. A ne pas confondre avec le signe. Le symptôme le plus fréquemment ressenti par le patient est la douleur. De nombreux facteurs (physiologiques, psychiques et culturels) font qu'une douleur est décrite, rendue ou exprimée différemment par chaque patient. Certains pleurent et hurlent, d'autres grimacent discrètement sous leur oreiller. Le problème est complexe, du fait que la douleur - contrairement à d'autres caractéristiques physiologiques - n'est ni mesurable, ni comparable. Naturellement, lorsque les patients expriment ouvertement leur(s) douleur(s), les médecins ont tendance à penser qu'ils en font trop. Il est vrai que dans ce cas, il est beaucoup plus difficile de garder son calme, car les chambres sont mal isolées.

Tension (prise de la) : reflet objectif de la relation médecin-patient (Ex. : “ Il ne m'a même pas pris la tension ! ”) mais d'appréciation variable selon l'observateur :
1. pour le médecin, la tension “ normale ” est supérieure à 15,5 - chiffre au-delà duquel le patient occasionnel devient un “ malade sous traitement continu” - ou inférieure à 8 - chiffre au-dessous duquel une hospitalisation s'impose. Entre ces deux valeurs, on dit que le patient “ n'a pas de tension ”.
2. pour le patient, la tension est “ normale ” si, et seulement si, les chiffres obtenus sont strictement identiques à ceux de la mesure précédente, fût-ce trois ans plus tard. (Ex. : “ Comment ça, douze-huit ? 12année dernière j'avais treizeneuf. C'est pas normal ! ”)

Traitement :
1. honoraires que versent à leur médecin les patients amenés à le consulter régulièrement : tous les cinq ans pour le rappel de tétanos ; tous les ans pour la licence, le vaccin ou le frottis ; tous les six mois pour les allergies ; tous les trois mois pour la pilule ; tous les deux mois pour l'hypertension on ne sait jamais des fois que ça remonterait ; tous les mois pour les nourrissons ; tous les quinze jours pour les grossesses “ normales ” (les autres, il faut les hospitaliser) ; tous les dix jours pour les consultations de soutien des alcooliques ; tous les huit jours pour les ulcères de jambe ; toutes les semaines pour la morphine ; tous les trois jours pour les fièvres qui ne tombent pas *, tous les deux jours pour les emmerdeurs ; deux fois par jour pour les mourants.
2. attitude de la plupart des médecins à l'égard de leurs ex-patients (Ex. : “ Moi, je ne supportais plus la manière dont il nous traite ”.)
3. méthodes médicamenteuses ou chirurgicales qu'utilisent parfois les médecins pour mettre fin aux souffrances de leurs patients.
(Voir aussi : Antibiotiques. Douleur. Euthanasie. Morphine.)

Visite (désuet) :
1. déplacement imposé au médecin par un patient alité (visite urgente), en panne de voiture (visite de confort), ou très généreux (visite de politesse).
2. dans certaines circonstance, équivalent d'“ examen gynécologique ” (Ex. : “ Le docteur m'a bien visitée mais il n'a pas trouvé pourquoi mon fibrome me fait mal quand Jules fait ses affaires.”)

Visiteur médical (abrév. : “ VM ”) : personne qui campe valeureusement dans les salles d'attente afin d'illuminer la consultation du médecin et de lui laisser de quoi soigner gratuitement sa mère, sa femme et ses enfants. Il est rare que le VM soit un patient, mais il n'est pas exceptionnel qu'il soit complètement malade. Il en existe deux catégories : le VM (genre masculin) porte en général un costume trois-pièces, un attaché-case et un sourire torve. La VM (genre féminin) est reconnaissable à son cartable, son tailleur ajusté, ses escarpins et à la chaîne dorée (aux armes de l'employeur) qu'elle porte à la cheville. La caractéristique commune aux deux genres est une franche hypocrisie (“ Comment ? Vous ne connaissez pas encore mon produit ? ”) et une certaine tendance à prendre les médecins pour des imbéciles (ils n'ont tort qu'une fois sur dix, environ).

dimanche 6 août 2023

Pourquoi tant de médecins sont-ils opposés à l'aide médicale à mourir ? - Martin Winckler/Dr Marc Zaffran




Je ne sais si une loi sur l'aide médicale à mourir sera votée "avant la fin de l'année", comme le laissent entendre certains politiciens, mais je suis très dubitatif (et inquiet) sur la manière dont cette loi sera appliquée.   

En effet, plus de vingt ans après la promulgation d'une loi qui les y autorise sans autre condition que celle d'avoir 18 ans et 4 mois de délai de réflexion, des femmes et des hommes ont les pires difficultés du monde à obtenir une ligature de trompes ou une vasectomie -- tout simplement parce que les médecins qui pourraient les pratiquer la leur refusent. 

Si jamais une loi légifère l'aide médicale à mourir, je me demande d'abord qui, parmi les professionnelles de santé, se portera volontaire pour aider des personnes à finir leur vie sans souffrance au jour et à l'heure de leur choix. Ensuite, je m'inquiète en sachant que beaucoup de médecins réactionnaires dresseront devant les unes et les autres tous les obstacles possibles. 

Car en France, quand il s'agit pour une personne de décider de ce qu'elle fait de sa vie, beaucoup de médecins agissent comme s'ils étaient les garants de l'ordre social le plus paternaliste, le plus autoritaire, le plus brutal. 

Dans Les Brutes en blanc - La maltraitance médicale en France (Flammarion, 2016 ; Points Seuil, 2017)je décrivais par le menu toutes les formes de maltraitance pratiquées par un trop grand nombre de médecins français. Je parlais aussi de la question de l'aide médicale à mourir (suicide assisté/euthanasie). 

Voici le passage qui aborde le sujet. Sept ans plus tard, je ne suis pas sûr que les choses aient encore beaucoup changé - si ce n'est qu'on en parle beaucoup, beaucoup. Et, pour le moment, sans rien faire. 


Sur le même sujet et sur ce blog, on peut aussi lire : 

-- "Sédation terminale et suicide assisté"  ; 

-- "Liberté, justice et vocation médicale - réflexions sur la question de l'euthanasie" et 

-- "L'assistance médicale à mourir EST un soin." 


***

Extrait des Brutes en blanc, pages 226-231 de l'édition "Points" 

Dans mon roman En souvenir d’André (POL, 2011, Folio 2012), je raconte l’histoire imaginaire d’Emmanuel Zacks, spécialiste de la douleur, puis des soins palliatifs, qui en vient à aider des patients – tous d’anciens soignants – désireux de mourir. Il s’agit d’un roman, et j’avais bien conscience en l’écrivant d’aborder un sujet éminemment transgressif, mais comme toujours, la réalité m’a rattrapé. Quelques mois après sa publication, un éditeur me demandait de préfacer La mort choisie, livre que François Damas, médecin en Belgique, a consacré à dix années de pratique légale de l’aide médicale à mourir dans son pays.

Quand on lit ce petit ouvrage modeste, précis, limpide, plein d’humanité et de bon sens, on se rend compte à quel point le corps médical français dans ses instances les plus tonitruantes (de l’Ordre national aux mandarins médiatiques) tient un discours intolérant et hypocrite en invoquant « la protection des malades », « le serment d’Hippocrate » et « le risque de pente glissante ».

En 2014, alors que le parlement du Québec vient de voter une loi favorable à l’assistance médicale à mourir dans le cadre des soins palliatifs, et qu’euthanasie et/ou suicide assisté sont légaux dans plusieurs états d’Europe (Pays-Bas, Belgique, Suisse) et d’Amérique (OregonVermontWashingtonNew MexicoMontana), les attentes des citoyens français en matière de législation de la fin de vie continuent à faire l’objet d’un rejet violent de la part d’une grande partie du corps médical.

En 2012 le président de la République nouvellement élu avait chargé le Comité consultatif national d’éthique de se pencher sur les difficiles questions de la fin de vie. [1]  Ce n’était pas la première fois que le Comité se penchait sur la question : un rapport rendu en 2000 soulignait déjà que des actes d’euthanasie – plus précisément de mort donnée à un patient par un médecin – étaient couramment pratiqués, dans la plus grande hypocrisie et dans une clandestinité qui ne pouvait que desservir l’intérêt des patients.

Il rappelait que le suicide n’était pas un délit, mais n’en concluait pas pour autant que (par exemple) l’assistance au suicide pourrait être accordée aux personnes qui ne désirent pas mettre fin à leurs jours de manière violente - ce qui est inévitable quand on n’a pas accès aux médicaments dont les médecins disposent. En 2013, un sondage national indiquait que plus de 90% des Français étaient favorables à une législation de l’euthanasie, similaire à celles de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas. Quelques mois plus tôt, le CCNE avait renouvelé son opposition à l’euthanasie et au suicide assisté, et proposé plutôt « un débat national »… après avoir déjà organisé huit débats publics dans huit grandes villes de France.

Les médecins hollandais, belges, luxembourgeois, suisses, américains et canadiens[2] qui, d’ores et déjà, aident des malades conscients et déterminés à mettre paisiblement fin à leurs jours ne sont pas moins respectueux de l’éthique que les patriciens boursouflés qui s’expriment sur les chaînes françaises. Ils sont, tout simplement, plus soucieux de répondre aux demandes individuelles de ces patients (par ailleurs peu nombreux), que de défendre leurs privilèges et leurs prérogatives ou d’imposer leurs valeurs morales.

En France, l’hypocrisie est de rigueur, car, dans tout le pays, des médecins mettent fin à la vie de personnes âgées, de nouveau-nés prématurés, des cancéreux au stade terminal, des patients atteints de maladies dégénératives congénitales ou progressives.

Le problème de ces euthanasies (car il n’y a pas que des aides à mourir), c’est qu’elles sont décidées et accomplies dans la clandestinité. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : certaines de ces fins de vie ont lieu, comme cela devrait toujours être le cas, à la demande explicite et répétée de patients lucides et soutenus par leur famille. D’autres, en revanche, sont pratiquées selon le bon vouloir des médecins. J’ai assisté de mes yeux à deux de ces décisions arbitraires dans des services où j’étais étudiant. À l’époque, j’étais trop jeune, trop ignorant, trop innocent ou trop influençable pour comprendre ce qu’elles avaient de monstrueux ; dans les deux cas, le médecin avait chargé quelqu’un d’autre d’administrer à un patient dans le coma, sans qu’il ait rien demandé et sans consultation de la famille, ce qu’on appelait alors pudiquement un « cocktail lytique » — un mélange létal de médicaments. Dans l’un de ces services, comme me l’avait confié l’une des infirmières, il s’agissait d’une pratique courante.

Quant aux actes pratiqués sur les grands prématurés, ils ont été décrits par le pédiatre et réanimateur Denis Oriot en 2005 dans sa thèse de doctorat, intitulée : « Débats sur la fin de vie en réanimation néonatale - Problèmes, représentations et enjeux »[3]  Il y révélait la pratique courante dite d’ « euthanasies néonatales » dénommées par les professionnels « arrêts de vie ». Ces décisions d’ « arrêt de vie » semblent répondre au fait qu’une très grande proportion (20 %) des grands prématurés (nés à moins de 28 semaines) présentent des lésions neurologiques susceptibles de leur laisser des séquelles profondes. Distinct de l’arrêt de réanimation des prématurés gravement atteints, l’« arrêt de vie » consiste à effectuer des « injections médicamenteuses avec l’intention de donner la mort au patient ». (Je cite toujours la thèse de D. Oriot.)

Cette pratique est reconnue par 47 % des néonatologistes aux Pays-Bas (où l’euthanasie est par ailleurs légalisée), et par... 73 % des praticiens de même spécialité en France (où elle ne l’est pas). Dans la plupart des cas, les décisions ne sont pas prises de manière collégiale. Et quand les « pionniers » de cette « méthode » ont été interrogés, ils ont tous répondu que les parents n’avaient aucune place dans cette décision. La plupart du temps, ils ne savaient même pas qu’elle avait été prise.

 

*

Ce que veulent protéger beaucoup de médecins français opposés à une légalisation de l’aide à mourir, ce ne sont pas les patients – qui font trop souvent l’objet de décisions arbitraires –, mais leur liberté de décider de leur fin hors du contrôle médical !

Car pour légaliser l’aide à mourir il faudrait aussi préciser ce qui sera illégal. Et cela impose que tout geste d’aide à mourir soit documenté, répertorié et annoncé. Cela impose, et c’est indispensable, que les soins palliatifs soient véritablement accessibles à tous, sur tout le territoire. Car, comme l’ont depuis longtemps compris les Britanniques, « une personne qui ne souffre ni moralement ni physiquement demande rarement à mourir. » Et cela ouvrirait la porte à un débat public, comme l’ont fait les Hollandais, sur toutes les circonstances dans lesquelles une aide à mourir est envisageable. Bref, ce serait donner à la population française l’occasion de s’exprimer sur un sujet délicat et tabou  - surtout pour les médecins, dirait-on —, dans un pays encore très imprégné de catholicisme.  Un pays où les Présidents de notre République laïque se rendent ès qualités à la Messe de Minuit.

Mais (...) beaucoup de médecins français ne veulent pas de débats citoyens autour de leurs pratiques les plus indéfendables…

En attendant, en France, en 2016, faute de ressources et de personnel de soins palliatifs suffisants, des patients qui souffrent ne sont pas soulagés ; faute de législation cohérente, des patients qui n’ont rien demandé sont soumis à des gestes intraçables ; tandis que d’autres qui demandent à mettre fin à leur vie n’en finissent pas de mourir.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.



[1] Commission de réflexion sur la fin de vie en France – Rapport du 18 décembre 2012. http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport-de-la-commission-de-reflexion-sur-la-fin-de-vie-en-France.pdf - consulté le 14 août 2014.

[2] Depuis la décriminalisation de l’aide médicale à mourir par la Cour Suprême du Canada en février 2015, des euthanasies ont déjà été pratiquées au Québec (où la loi 52 sur la fin de vie avait été votée en 2014 à l’unanimité par tous les partis) et en Ontario, qui n’a pas encore de loi. D’autres provinces ne devraient pas tarder à suivre.

[3] Université Paris V - René Descartes. Directeur : Patrice Pinell. Le philosophe Emmanuel Hirsch faisait partie du jury.


lundi 26 juin 2023

Vaccination contre les HPV - En 2023, que faire ?

Un collègue généraliste m'écrit  : 


J'ai lu ta préface dans "La piqûre de trop". 

Quelle est l’actualité de la vaccination contre les HPV ? 

Que dire à nos patients-tes ?


Voici ce que je lui ai répondu. 

*

Les arguments scientifiques (je veux dire : connus grâce aux chercheurs indépendants, en dehors de la propagande des industriels) 

1° Les bénéfices de la vaccination contre les HPV en termes de nombre de morts par cancer ne sont pas connus exactement. On sait que ça prévient des infections, mais est-ce que ça fait diminuer le nombre de morts par cancer ? On  n'en sait rien. Il faudra encore plusieurs décennies pour le savoir.

Ici aussi j'insiste sur le terme "morts par cancer", qui n'est pas synonyme d' "infections par les HPV". 

S'il y avait autant de cancers que d'infections par le HPV, la vaccination serait indiscutable. Mais ce n'est pas le cas : l'immense majorité des infections par HPV (plus de 90%) guérissent sans séquelles et ne provoquent pas de cancer. Ce qui veut dire que quand on vaccine, on prévient surtout des infections bénignes... 

Certains chercheurs avancent par conséquent que, comme un certain nombre d'infections par les HPV guérissent seules, les effets "bénéfiques" du vaccin sont probablement surestimés.

2° La tendance à la baisse de la fréquence des cancers est directement corrélée au niveau socio-économique du pays considéré : plus le pays est riche et plus le dépistage y est développé, plus la baisse est nette et constante. Comme vaccination et dépistage sont indissociables (aucun pays ne se contente de vacciner sans dépister), impossible de dire si la vaccination est le facteur déterminant de cette baisse ou un de ses facteurs. 

3° Les accidents vaccinaux sont peu nombreux (ça, on le sait). 

Mais est-ce que ça justifie de vacciner systématiquement "parce que ça ne peut pas faire de mal" ? Non. 

Ici, j'insiste sur le mot systématiquement. 
Dans mon esprit cela signifie qu'une vaccination obligatoire de tous les enfants, imposée par les pouvoirs publics, n'est pas justifiée, alors qu'elle l'est pour la polio, la diphtérie, le tétanos, et les autres maladies transmissibles qui représentent un danger immédiat ou quasi-certain. 

Une infection par le poliovirus, impossible à prévenir par d'autres méthodes que la vaccination, est mortelle ou invalidante dans de très nombreux cas. 

Une infection par les HPV n'est jamais un danger immédiat. Même quand on a été vaccinée, le dépistage est la seule manière d'identifier un cancer du col à son début pour le traiter

4° L'intérêt de la vaccination des garçons contre les HPV est très hypothétique étant donné le faible nombre (et la fréquence rare) de cancers qui les concernent. (Voir questions et réponses après l'article.) 

5° L'argument de la "prévention du cancer du col des femmes par la vaccination des garçons" n'a jamais été démontré. 

C'est un argument culpabilisant, non un argument de santé publique. 

Les HPV peuvent être transmis entre filles avant l'âge des rapports sexuels (et avant d'avoir été vaccinées...) ; par ailleurs, on n'a pas encore démontré (et c'est pas demain la veille) qu'un garçon vacciné ne pourra jamais transmettre un HPV. 
En effet, vous savez, depuis la COVID, qu'on peut parfaitement contracter un virus après avoir été vacciné... et le transmettre sans avoir de symptômes. 

6° Enfin, la vaccination contre les HPV a un coût collectif qui n'est pas négligeable, et ce coût pourrait être affecté à d'autres nécessités de santé (en particulier celui de permettre l'accès au dépistage pour les femmes qui ne consultent jamais, le plus souvent pour des raisons socio-économiques : femmes migrantes, femmes immigrantes, femmes sans ressources, etc...). 


A titre informatif, il n'est pas inutile de consulter le panorama officiel des cancers en France entre 2010 et 2018

Qu'est-ce qu'on y apprend ? 
a) Le cancer du col n'est pas du tout aussi fréquent ni grave qu'on veut vous le faire croire :  
- cancer du col : 2900 cas en 2018, et 1100 décès
- cancer de l'ovaire 5 200 cas en 2018 et 3500 décès 
- cancer du sein58 000 cas en 2018, et 12000 décès 

b) Le cancer du col et les cancers ORL (dus aux papillomavirus) chez l'homme ne sont même pas répertoriés parmi les principales causes de décès par cancer !!! 
 

Mais il n'y a pas de "vaccin contre le cancer" du sein, du côlon, du poumon, qui sont beaucoup plus fréquents... 

On est donc devant cette situation intéressante : le cancer du col est un des cancers les moins fréquents et les moins mortels pour les femmes et il peut être facilement dépisté tôt et traité (et le taux de guérison est élevé) 

MAIS 

il est aussi celui qui fait l'objet de la campagne de prévention la plus lourde et de la promotion d'un "vaccin préventif" des plus profitables pour l'industrie, sans bénéfice démontré pour la population dans son ensemble.
 


Alors, quand on me pose la question, je réponds :  

1° Si vous décidez de vacciner vos filles, ne vous culpabilisez pas : vous ne leur faites pas courir de danger, mais sachez que la "sécurité" que vous leur apportez face au cancer du col est inconnue et impossible à mesurer à l'heure actuelle. Or, c'est ce (faux) sentiment de sécurité et de protection qu'on vous vend, en vous incitant à vacciner vos filles (et vos garçons). 


2° si vous ne les faites pas vacciner, ne vous culpabilisez pas non plus : vous n'êtes pas TENUES, médicalement parlant, de leur imposer une vaccination de plus, pour une maladie qui peut être dépistée puis traitée sans vaccination (grâce au frottis à partir de 25 ans et au diagnostic des HPV à trente ans, très fiable) ; 

3° en même temps que vous pouvez leur faciliter l'information sur la contraception à partir du moment où elles commencent à avoir une activité sexuelle, suggérez-leur de lire tout ce qu'elles peuvent sur le sujet du cancer du col ; le rôle de votre médecin ou de votre sage-femme est aussi de vous (de leur) donner accès à toutes les infos disponibles ; 

4° envisagez de laisser vos filles choisir elles-mêmes de se faire vacciner, ou non contre les HPV. Après tout, vous n'allez pas décider pour elle de leurs grossesses futures. Ce que vous voulez, c'est qu'elles prennent leurs décisions elles-mêmes, dans leur propre intérêt. N'est-ce pas ? 


Lorsqu'elles seront assez âgées pour décider d'avoir des relations sexuelles et (par exemple) de garder ou non une grossesse, elles seront aussi assez âgées pour décider de se vacciner (et elles ont le temps de le faire). 

D'un point de vue médical (et parental), ne pas se comporter en directeur de conscience, et donner aux personnes qui nous font confiance les outils pour choisir de manière autonome, c'est l'attitude la plus éthique. Et, à long terme, la plus "protectrice". 

Pourquoi ? Parce que la peur, la menace ou la contrainte ne permettent jamais de prendre des décisions bénéfiques pour notre santé. 
 
Martin Winckler/Dr Marc Zaffran