lundi 23 mai 2016

Tout choix de contraception est respectable. Y compris celui de ne pas en avoir - par Marc Zaffran/Martin WInckler

J'ai lu ces jours-ci un article (sur le blog Les filles électriques) dans lequel Lucile expliquait qu'elle avait décidé de ne pas utiliser de contraception.

J'imagine que ce blog va faire hurler certains médecins, qui n'hésiteront pas à qualifier l'attitude de cette femme d' "obscurantiste" et de "rétrograde". Dans leur esprit, en 2016, une femme qui décide de ne pas utiliser de contraception et de courir le risque d'une grossesse est probablement une folle ou une écervelée.

D'autres médecins et/ou militant.e.s, vont peut-être déclarer qu'utiliser une contraception est une "liberté chèrement gagnée" et que toutes les femmes devraient en profiter.

Je pense que les premiers sont paternalistes et obtus, et que les second.e.s se trompent de combat. Car la liberté des femmes ne consiste pas à choisir une contraception, elle consiste pour chaque femme à décider ce qu'elle veut faire de sa vie, chaque jour. Et ça peut consister à ne pas utiliser de contraception. Même si elle n'a aucune intention ou désir d'être enceinte.

Il n'y a pas, à l'heure actuelle, de raison médicale ou morale à opposer aux femmes qui ne veulent pas utiliser pilule, DIU, implant ou préservatifs et capes cervicales (les méthodes "médicalisées") et préfèrent d'autres méthodes qu'elles considèrent comme plus naturelles et moins invasives.

Il n'y a, à l'heure actuelle, aucune raison médicale ou morale d'interdire (ou de diaboliser) l'utilisation de la contraception du lendemain (Norlevo) plusieur fois par an à une femme qui voudrait n'utiliser que ça.

Il n'y a aucune raison médicale ou morale de refuser une stérilisation volontaire à une femme qui le demande, tout au plus devrait-on les prévenir que les regrets sont plus fréquents quand on le fait avant trente ans (1), qu'avant cet âge, une ligature de trompes est statistiquement moins efficace qu'un DIU, et que la méthode Essure, quoique très efficace, n'est pas dénuée de complications...
Mais une fois qu'on les a informées, si leur décision est prise, personne n'a le droit de la contester.

Il n'y a même aucune raison médicale - et certainement aucune raison morale ou légale - d'interdire à une femme de recourir à l'IVG à plusieurs reprises. Cela étant, ce "recours à l'IVG comme contraception" est un fantasme. Pour avoir travaillé pendant vingt-cinq ans dans un centre de planification, j'ai pu constater de mes yeux que très peu de femmes ont recours à cette extrémité, et que celles qui le font ont une vie plus que difficile, et cessent d'y avoir recours quand leur vie s'améliore.

Et je remercie le sort de m'avoir fait vivre et exercer la médecine à une époque où elles ont le droit de se faire avorter sans courir le risque de mourir ou de rester mutilées. Car ce sont toujours les plus pauvres qui paient le prix de l'illégalité. La légalisation de l'IVG n'était pas seulement une liberté auxquelles les femmes avaient droit, c'était une mesure d'équité envers les femmes les plus démunies et les plus vulnérables, celles qui ont le moins accès aux médecins, à l'information et à la contraception.

Tout ça pour affirmer clairement ceci : une femme qui décide de ne pas avoir de contraception et court le risque d'être enceinte - et assume d'avoir à décider ce qu'elle fera ensuite - est aussi respectable dans ses choix qu'une femme qui décide de ne pas courir ce risque.

Car l'enjeu réel du choix, c'est celui de la liberté de chacune et non des valeurs que l'on plaque sur ce choix. Quand il s'agit de choisir ce qu'on fait de sa propre vie, d'un point de vue moral tous les choix se valent (2). C'est du point de vue social ou psychologique qu'on leur attribue des différences. C'est parce qu'on projette ses valeurs sur les choix des autres.

Comme beaucoup, j'ai tendance à penser qu'une sexualité libérée de l'éventualité d'une grossesse non désirée est préférable à une sexualité qui comporte ce risque. Mais c'est mon opinion, ma perception des choses. J'ai admis depuis longtemps que ça n'est pas celle de tout le monde, même si c'est une des plus répandues. Et je ne dirai jamais que mon opinion vaut mieux que celle des femmes qui en ont une autre. Cela reste une perception subjective, dans mon cas comme pour quiconque.

On peut, comme c'est mon cas, avoir eu des enfants et militer pour la liberté de se faire stériliser quand on n'en veut pas.

On peut, comme c'est mon cas, défendre l'accès libre à toutes les formes de contraception - et à une information loyale - et militer pour la liberté de ne pas en utiliser.

Car chaque fois que nous prenons une décision, nous le faisons en sachant qu'elle comporte des risques. Avoir des relations sexuelles, prendre la pilule, décider d'être enceinte et d'avoir un enfant, tout ça comporte des risques : la vie, c'est risqué. Et les conséquences, il faudra les assumer.

De sorte que personne n'a le droit de porter de jugement sur les risques que nous décidons, chacun.e, de courir.

Surtout pas les médecins.

Marc Zaffran/Martin Winckler








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(1) Ce sont des enquêtes de grande ampleur qui le disent, pas moi. Ces mêmes enquêtes montrent aussi, dans les pays où la stérilisation volontaire est légale depuis les années soixante que, parmi la faible proportion de personnes qui regrettent, une proportion plus faible encore recourt à une chirurgie de réparation... Un regret n'est pas la même chose qu'un désir.

(2) D'un point de vue moral, on peut même défendre qu'avoir des enfants est plus discutable que ne pas en avoir. Après tout, les enfants que nous mettons au monde - et que nous exposons à ses cruautés - ne nous ont rien demandé...

samedi 14 mai 2016

La discrimination par un médecin est passible de la correctionnelle - par Marc Zaffran/Martin Winckler

Une internaute m'écrit via Twitter :

ma gyneco vient de refuser de me poser DIU cuivre car je "tue" une vie chaque mois 😔 A t-elle le droit ?


La réponse est Non. Un médecin n'a pas le droit de refuser une contraception pour un motif non scientifique. C'est une faute professionnelle, et le code de déontologie (qui fait partie du Code de la Santé publique, et fait figure de réglementation légale) est très clair à ce sujet (les italiques sont miens).

Article 8 (article R.4127-8 du CSP) Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles.

Dans l'état actuel des connaissances scientifiques, un médecin ne peut pas affirmer qu'un DIU tue "une vie". Il inactive des spermatozoïdes par le cuivre ou les hormones qu'il diffuse. Point final. (La meilleure preuve qu'un DIU n'est pas abortif, c'est qu'il y a des grossesses sur DIU ; elles sont beaucoup plus rares que sous pilule, mais il y en a.)  (1) 

Mais de toute manière la question n'est pas là. L'article 7 du code précise : 

Article 7 (article R.4127-7 du CSP) Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard.Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. 

Autrement dit : Quand une femme demande une contraception, le médecin n'a pas à lui opposer son opinion personnelle, morale ou idéologique sur ses choix de vie. L'objection de conscience invoquée par certains médecins (et parfois certains pharmaciens au sujet de la contraception d'urgence) ne concerne que l'IVG, pas les méthodes de contraception. 

Le problème c'est qu'en France, beaucoup trop de médecins semblent penser que le Code de Déontologie ne s'applique pas à eux. Il est vrai que la phrase : "le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance" est plus qu'ambiguë. Certains s'appuient sur elle pour faire ce qu'ils veulent, un peu comme certains Etats Américains s'appuient sur le 2e amendement de la Constitution pour autoriser la vente libre des armes à tout un chacun. Et on sait ce que ça donne. 

La prescription d'une contraception est un soin, même si elle s'adresse le plus souvent à des femmes en bonne santé ; c'est ce qu'on appelle un soin primaire, et une mesure de prévention, comme la vaccination des personnes de tous les âges ou la prescription de vitamine D. La "liberté" que certains médecins s'octroient d'accepter ou de refuser un soin est une entrave à la liberté des patientes qui la demandent, un abus de pouvoir et une infraction au code de déontologie. Mais refuser un DIU sous un prétexte idéologique signifie que le médecin pratique une discrimination. C'est donc un délit passible de la correctionnelle. 

Le Code de la santé publique pose comme principe à l’article L. 1110-3 qu’ « aucune personne ne peut faire l’objet de discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins ». 

Ce qu'en dit le Code pénal : 

Article 225-1 
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales » 

Le code prévoit des sanctions attachées à la reconnaissance d’une discrimination à l’article 225-2 :

« La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 Euros d'amende lorsqu'elle consiste : 1° A refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ; 2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ; 3° A refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; 4° A subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 5° A subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 6° A refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros d'amende ». 

(Si le médecin qui refuse - un DIU ou une échographie pour dater une grossesse avant IVG, par exemple - travaille dans un hôpital ou une clinique, il s'agit de lieux publics. On peut également porter plainte contre la dite institution, qui est responsable de ce que font ses salariés.)  

Par conséquent, devant un refus de soin, en toute bonne logique, le ou la patiente qui l'a subi devrait aller porter plainte au commissariat de police. Cette plainte (gratuite) sera transmise au procureur. Il n'est pas inutile également d'écrire au Conseil de l'Ordre pour l'informer de la plainte, ainsi qu'à la sécurité sociale (et, le cas échéant, au directeur de l'établissement où ce médecin pratique) et d'envoyer une copie de la lettre au médecin. Pour qu'il dorme moins bien, dans un premier temps. 
Il sera convoqué au commissariat pour donner sa version de l'affaire. 
Une plainte ne suffira peut-être pas, mais si plusieurs patient.e.s portent plainte, on commencera à s'intéresser à son cas.

Il faut parfois plusieurs années pour qu'un médecin voie ses comportements remis en cause. C'est probablement parce que la plupart des patients ne savent pas comment réagir, ne réagissent pas ou réagissent de manière inefficace (les plaintes devant l'Ordre des médecins sont rarement suivies d'effet). Il est temps que ça change. 

En attendant, j'invite tous les lecteurs et lectrices de cet article à lire les articles 1 à 55 du Code de Déontologie (Devoirs généraux des médecins et Devoirs envers les patients) ainsi que ce document de l'Institut Droit et Santé de l'Université Paris-Descartes consacré au refus de soin opposé au patient, en particulier à partir de la page 38.

Le jour où vous vous trouverez face à un. praticien.ne qui viole l'un ou  plusieurs de ces articles, vous pouvez déjà faire quelque chose de très simple : vous lever, sortir et partir sans payer. L'article 53 du Code de Déontologie précise en effet que des honoraires ne peuvent être demandés que pour un acte réellement effectué. 

Le refus de soin n'est pas un acte médical. Vous n'avez pas à le payer. Lorsqu'il s'agit d'une discrimination, en revanche, celui qui vous le refuse doit en assumer les conséquences. 

Dr Marc Zaffran/Martin Winckler

(1) Il n'est pas question de me croire sur parole, mais de consulter des documents scientifiques. En voici un datant de cette année disant clairement qu'un DIU au cuivre ou un DIU hormonal agissent sur les gamètes (spermatozoïdes, ovocytes) et non sur les embryons. Malheureusement, il est en anglais, et un trop grand nombre de gynécologues obstétriciens français ne lisent pas la presse anglophone. Trop rétrograde, sans doute.

Voici également, par curiosité, ce qu'une journaliste (et théologienne) du National Catholic Reporter, magazine confessionnel américain, en disait en 2012. (En quelques mots : "Non, les DIU et les pilules du lendemain ne sont pas abortives. Et les refuser aux femmes est injuste et délétère.") 


dimanche 8 mai 2016

"Les blouses blanches qui ne voient qu'un utérus sur pattes" - par Anna

Ce texte est le contenu - légèrement édité - d'un courriel qui m'a été envoyé par "Anna". Après l'avoir lu, j'ai demandé à son auteure l'autorisation de le reproduire ici. Il me semble très significatif des relations difficiles que rencontrent aujourd'hui les femmes auprès des médecins en général, et des gynécologues en particulier, quand elles ont envie de dialoguer, de s'informer, et d'avoir une attitude responsable. 
MW  


*

Je viens de lire un article aujourd'hui, qui citait un rhumatologue argentin en ces termes: "Le soin constitue une démarche infiniment plus complexe et subtile que la seule mise en oeuvre d’un protocole ou l’administration d’un geste ou d’une substance et comporte – et devrait normalement intégrer – des dimensions culturelles, sociales, relationnelles et psychologiques".

Ces lignes m'ont refait penser à une situation dans laquelle je me trouve et à votre livre, Le Choeur des femmes, que j'ai lu il y a quelques années.

Inquiétant "seulement si ça dure plus de dix jours"

En novembre dernier j'ai eu des saignements anormaux (je suis sous pilule que je prends en continu et n'ai donc jamais de règles, depuis des années) accompagnés de douleurs vraiment, vraiment aigües. Je prends rarement rendez-vous chez le médecin, mon rendez-vous annuel chez ma gynécologue approchait... Je me suis contentée d'appeler son cabinet et l'ai un peu avancé.

Elle m'a dit que seuls des saignements durant plus de dix jours ou des douleurs "vraiment particulièrement anormales" devaient m'inquiéter. Bon, j'ai pris ça pour moi, même si je trouvais mes douleurs anormales.

Le contrôle s'est fait de manière normale (je consulte souvent votre site, www.martinwinckler.com, je sais que vous indiquez qu'un frottis n'est nécessaire que tous les trois ans pour les jeunes femmes (je viens d'avoir 28 ans) mais bon... Pour obtenir la pilule en Suisse, il est obligatoire de consulter chaque année et ma gynéco fait un frottis d'office (en gros elle fait un peu tout l'inverse de ce que vous préconisez, exigeant de ses patientes qu'elles se mettent totalement nues, pas super à l'écoute, et avec une consultation qui dure en général 5 minutes, entre le moment où je sonne à la porte d'entrée et celui où je me retrouve devant la porte de l'ascenseur).

Suite à ce contrôle, elle m'a dit qu'a priori, tout allait bien "au-revoir-à-l'année-prochaine". Une semaine après, je rentre chez moi et trouve une lettre m'indiquant qu'on ma décelé une "petite infection du col de l'utérus". En lien, deux pages imprimées d'un site internet avec des questions-réponses sur le HPV. Déjà, là, j'ai eu un certain choc. Je ne savais pas quoi faire de cette lettre, j'ai tout de suite appelé mon ami, qui n'était pas avec moi ce soir-là. Bref, j'ai senti mes entrailles se serrer et un sentiment de malaise global qui ne s'est jamais évanoui depuis. 

J'ai bien sûr lu qu'une énorme partie de la population était porteuse de HPV, que tous les papillomavirus ne sont pas oncogènes, que la plupart du temps le virus disparaît de lui-même, que les pharmas sont bien contentes de l'inquiétude que la menace de ce virus peut générer pour pouvoir vendre d'autant plus facilement leur Gardasil (qui ne m'a pas été proposé, car il s'est généralisé au moment où il était déjà trop tard pour moi, selon ma généraliste)...

Mélange de banalisation et de messages préoccupants

Mais j'affrontais un mélange d'info qui banalisaient l'affection et la rendaient préoccupante à la fois. Et je ne parvenais pas à définir l'attitude à adopter rationnellement face à ça. Mon feeling, lui, était assez sûr: cette histoire, je la sentais mal. J'avais la tête bourrée de questions, et beaucoup tournent toujours.

Dans tout ça, j'ai eu une chance: mon ami s'est montré extrêmement présent et à l'écoute, sans dramatiser les choses mais en prenant mes signaux au sérieux. Ce que j'aurais attendu, en partie, du corps médical.

Le problème, je crois, c'est que tous les médecins que j'ai vu depuis se foutent totalement de ma personne (je n'ai pas d'autre expression...). Ma gynéco voulait me donner un rendez-vous un mois après m'avoir envoyé la lettre. J'ai dû insister pour dire que je voulais la voir le plus vite possible. Sa secrétaire se voulait rassurante: "Mais vous savez, c'est rien, on en voit tous les jours, des cas comme vous, faites comme si de rien n'était". Je n'avais pas spécialement envie de faire "comme si de rien n'était", je voulais savoir ce que j'avais et ce que je devais faire. 

J'ai fini par obtenir un rendez-vous qui ne m'a rien apporté. Il s'agissait pour ma gynécologue de me dire de prendre rendez-vous avec un autre collègue pour une colposcopie. "Il peut vous faire une séance de laser dans la foulée, c'est l'avantage avec lui. Il faut juste que vous ameniez un acompte". Bon, ok... J'essaie de savoir si je suis donc contagieuse. "Oui". Et donc ce que je dois changer dans mes habitudes. "Rien, faites comme avant". 

Elle ne me demande pas si j'ai plusieurs partenaires, si mon compagnon a éventuellement d'autres relations, ni rien sur aucune de mes habitudes sexuelles. J'aurais été échangiste, on m'aurait donné un blanc-seing pour aller batifoler avec qui je l'entends... Pour une personne atteinte d'une maladie sexuellement transmissible, le message était perturbant.

La transmission? "C'est très mystérieux"

J'ai tenté d'en savoir plus sur la transmission, sur la date à laquelle aurait pu remonter mon infection, savoir si je devais prévenir mes ex.... "Oh, vous savez, c'est très mystérieux, la façon dont ça se transmet. Et ça ne veut pas dire que votre compagnon est infidèle, ça ne sert à rien de remonter dans votre historique". Comme si je cherchais un coupable, sauf que je cherchais à savoir si et qui j'avais pu infecter, car en général, lorsqu'on est sorti avec une personne durant un certain temps, c'est qu'on tient à elle et je ne voulais pas faire courir de risque à quiconque.... 

J'ai tenté un minuscule "Et les relations bucco-génitales?" et j'ai eu l'impression d'ennuyer. Mais la même réponse: "maintenant, vous l'avez, votre partenaire est éventuellement déjà infecté et porteur sain, donc ne vous posez pas de question". Je sors de cet entretien avec ces questions concernant des précautions à prendre, des attitudes ou pratiques à éviter... Et en face, rien. "Continuez tout comme avant"

Je prends rendez-vous avec le spécialiste. Sa secrétaire était surprise d'entendre que je prenais un rendez-vous pour une colposcopie ET un laser. "Ca se fait en deux fois, normalement, il faut d'abord qu'il vous observe". Bon, ok.... (bis). En attendant le rendez-vous, j'ouvre l'enveloppe que m'a remise ma gynéco à l'intention de son collègue. Ca y parle d'ASC-US, d'atypies cytonucléaires de signification indéterminée et de HPV haut risque, mais autre que 16 ou 18. Je tente de garder la tête froide, j'essaie d'expliquer ce que je peux à mon compagnon, bien obligée de lui dire qu'au fond, je ne suis sûre de rien.

Le nouveau gynéco me reçoit mi-décembre. Entre les deux, ma libido s'est quelque peu effondrée, je suis perturbée par le fait de porter un virus dont la première gynéco m'a dit qu'il se transmettait lors des rapports, mais que "c'est assez mystérieux" et que le préservatif ne protège que partiellement face à ça. Je me sentais... porteuse d'un truc un peu sale et qui se refile et qui peut potentiellement causer le cancer. C'est schématique, mais c'est ce que je ressentais.

"On peut se demander si ça vaut la peine"

A l'examen, à peine le spéculum posé, il me dit "y a une mycose, là". Ah bon... Moi je n'avais rien senti. Je lui demande si une mycose a pu se développer en un mois, entre mon rendez-vous gynécologique et ce jour. "Oh, elle est là depuis longtemps, surtout si vous n'avez pas vraiment ressenti de symptôme". Je lui demande s'il est normal que rien n'aie été détecté au précédent rendez-vous. Pas de réponse. Il fait la colposcopie. Me dit de me rhabiller. Je passe dans son bureau. Il m'indique un "score" de 8. M'explique en vitesse l'échelle qui va jusqu'à 24. 

Je comprends que mon cas se développe depuis un certain temps, "aidé par la mycose", et ne partira pas tout seul et qu'il y a des lésions précancéreuses mais que le laser devrait régler tout ça. Je repartirai avec une prescription pour ma mycose, rendez-vous 4 mois plus tard, en mars, pour voir si elle est partie et alors on me fera du laser. Entre-deux, j'ai pour instruction de me badigeonner de Bétadine après chaque passage aux toilettes, douche ou rapport sexuel. Je me balade toujours avec ma petite bouteille, ça me fait un peu rire, mais c'est relativement contraignant, je dois dire.

Personne ne m'a demandé quel genre de vie sexuelle j'avais, à aucun moment. C'est moi qui ai dû venir en expliquant que j'avais eu plusieurs partenaires courant 2014-2015, et que je m'inquiétais des conséquences pour ces personnes. Face à ces questions, le second gynécologue a eu une réaction: "Bon, on peut se demander si ça vaut la peine de traiter au laser si c'est pour aller à droite et à gauche. Parce que plus il y a de partenaires, plus on s'expose." Le ton m'a un peu bloquée. J'aurais très bien compris s'il m'avait dit une tournure du genre "Si vous souhaitez que le traitement soit efficace, il faudra limiter le nombre de partenaires" par exemple. Mais ce "Si c'est pour aller à droite et à gauche", sans s'adresser vraiment directement à moi... Je l'ai un peu pris comme un jugement de valeur par ce type en blouse blanche qui venait de me trifouiller le col.

Je ne savais pas si je devais en vouloir à ma gynéco d'être passée à côté de la mycose ou si ce sont des choses qui arrivent. Ce que voulait dire "elle est là depuis longtemps". Un mois? Un an? Plus? Et ce papillomavirus? Depuis quand est-il planqué là? Depuis mes premiers rapports? Vais-je rester infectée (même si je ne suis plus contagieuse) toute ma vie? Vais-je devoir à l'avenir envisager d'expliquer à d'éventuels nouveaux partenaires avant l'acte "Tu sais, j'ai un HPV qui peut refiler le cancer, mais à mon dernier frottis tout était normal"? Bon, j'ai la chance de ne pas devoir insister sur cette question car je vis avec un homme formidable, et je compte rester avec lui longtemps. Mais bon, à 28 ans, on se dit qu'on a un peu la vie devant soi. Et ces réflexions sur l'avenir des relations, ça compte aussi...

Deux partenaires, un seul traitement

Une fois rentrée, j'ai parlé de tout ça avec mon compagnon et un proche, professionnel de la santé sexuelle. Tous les deux ont ouvert de grands yeux en entendant que j'étais revenue avec un traitement pour ma mycose seulement. Ils m'ont expliqué que, dans leur souvenir, on traite systématiquement les deux partenaires, sous peine de se refiler mutuellement la mycose, qui aura été traitée chez l'un mais pas chez l'autre. On est allé se renseigner en pharmacie, où il nous a été expliqué que "si le médecin a dit que c'était comme ça qu'il fallait traiter, alors il n'y avait rien de plus à faire".

Les fêtes approchaient, on partait en vacances... On s'est mutuellement mis d'accord pour limiter les relations bucco-génitales (avec un HPV et une mycose, ça ne donne pas vraiment envie d'y mettre la langue, si j'ose dire...). A notre retour, j'ai tenté de voir ma généraliste pour lui dire que j'étais perdue, que je ne faisais pas confiance à mon ancienne gynéco, que je n'avais pas l'impression d'être entendue par le nouveau, que j'avais pas mal de questions. "Oh, vous savez, on meurt de plein de choses avant de mourir du col de l'utérus", finit-elle par lâcher, tout sourire. 

Ajoutant qu'elle ne peut pas faire grand chose pour moi: "Suivez les instructions des médecins, tout ira bien". A ma sortie, elle me lâche qu'en revanche, le jour où j'aurai "un projet de maternité", je ne dois pas hésiter: "la porte est ouverte". Sauf que je n'ai pas de projet de maternité, j'ai un HPV dont j'aimerais qu'on s'occupe, et sur le remplissage de mon utérus, qu'on me laisse en paix... Mais je crois que c'était sa façon à elle de se montrer rassurante.


Merci le planning...

Après tout ça, j'ai fini par appeler le planning familial où une adorable dame qui s'est excusée plusieurs fois de ne pas être médecin a répondu à bien plus de mes inquiétudes que tous les autres représentants du corps médical. A conseillé à mon compagnon, qui se sentait un peu laissé-pour-compte, de prendre rendez-vous pour une auscultation chez un spécialiste, à nous deux d'effectivement éviter les contacts avec la bouche tant que la mycose traînait, que mes colocataires ne risquaient pas d'attraper ce HPV mais qu'il m'était conseillé de séparer le linge... Des conseils pratiques, en somme. Sur la vie de tous les jours, sur ma vie sexuelle aussi... Qui était comme niée chez les praticiens, comme s'ils voulaient ne pas voir qu'on ne parlait pas que de mon col de l'utérus, mais aussi de moi, de mon partenaire, de mes ex...

Je vous écris car je suis énervée contre ces blouses blanches qui ne voient qu'un utérus sur pattes. Qui s'étonnent qu'on aille "chercher des informations sur internet", mais ne répondent pas à nos interrogations de patients. A qui il faut aller arracher des infos au lieu de recevoir des conseils... J'avais l'impression de devoir faire les démarches, et de ne pas être prise en charge. Comprenons-nous: j'ai fini par comprendre que je n'avais rien de particulièrement grave, quoique les termes utilisés (virus, IST, oncologique, laser, cellules précancéreuses...) soient assez flippants. Je trouve ce monde médical totalement inhumain et décharné

Je trouve irresponsable de dire aux gens atteints d'une maladie qui se transmet malgré le port du préservatif qu'ils peuvent "continuer comme avant". Je trouve qu'avant de préconiser la vaccination de toute la population pour trois souches du virus, on devrait faire dans la prévention. Je trouve difficile pour les partenaires masculins qu'ils soient mis de côté dans la prise en charge parce que "Chez eux, c'est moins grave, ils ne risquent pas le cancer et en plus c'est difficile à détecter", tout en se fichant du fait qu'ils peuvent être porteurs et le refiler plus loin. Il ne s'agit pas d'être parano et de prôner l'abstinence. Mais juste d'informer des risques et des devoirs de chacun...

Voilà, c'est une réflexion finalement relativement banale, mais j'avais je crois besoin de la partager avec quelqu'un. Même si vous ne lisez pas ce mail, finalement, vous m'aurez déjà aidée - sans même le savoir- en me permettant de mettre ce début d'histoire par écrit.

Je ne sais pas où tout ça me mènera. Mais une chose est sûre: je vais changer de gynécologue. 

Anna

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