2001. Service de pédiatrie. Premier semestre d’internat. Quelques semaines en néonatalogie, aux urgences puis chez les nourrissons. Une maxime entendue maintes fois : « Quand tu hésites, regarde les yeux de la mère : elles savent. » Les années suivantes montreront qu’elle fonctionne aussi avec « le père », « les mères », « les pères ». J’ai beaucoup appris, là-bas. Que de fois ai-je savouré les voix de ces vieux sages qui savaient être comme jamais je ne serai…
2024. Service Ados, autre région. La robe remplace la blouse ; oto et stéthoscope sont restés au cabinet. Cette fois, c’est moi, « la mère ». Personne ne me regarde. Nous entendons « Ce n’est pas à la carte. » et « Il n’y aura pas de passe-droit. » Nous ne comprenons rien, au mépris ambiant. Où sont les parents ? Evacués loin, pas le droit d’approcher. La violence de cette mise à distance est dure à supporter. Les soignants réclament l’alliance, mais quel en est le sens ? Un contrat imposé, sans aucune discussion, peine à nous faire adhérer. L’arrogance des médecins nous fait perdre toute confiance. En eux comme en nous. A nos demandes d’aide, de documentation, « Vous chercherez », nous répond-on. Nous trouvons alors thèses, articles et recommandations qui, tous, condamnent cette séparation. Notre ado épuisée est bien jeune pour être ainsi traitée. Pour entendre les horreurs qu’elle a pu, avec courage, relater : « Vingt-deux kilos perdus, mais qu’est-ce que tu cherchais ? ». La pédopsychiatre suit le protocole... Hors référentiel, pour nous parents, seuls choqués. Nous écrivons notre inquiétude à cette « soignante ». La réponse nous glace encore : aucune remise en question, et bien sûr pas d’excuse. Nous sommes devenus coupables : d’avoir cru notre enfant et manifesté notre étonnement. « Ici, nous allons te mettre en colère, te pousser hors de tes retranchements, faire ressortir ta personnalité ! » O-kay… Est-ce possible en douceur ? Psycho chocs et éloignement de la mère datent du siècle dernier ! Parents réduits au silence, au désespoir et à l’isolement, face à une équipe soudée mais incapable de se justifier.
Des médecins du service suggèrent de nous renseigner dans les départements voisins. Nous suivons l’idée et rencontrons cet ailleurs. Des personnes formidables nous reçoivent, entendent et renseignent sur les structures existantes, prochainement adaptées à notre ado qui progresse. Pendant une matinée, l’espoir reprend. Après les semaines vécues, ça nous fait bizarre : nous pensions, vraiment, être nuls et maltraitants.
Certains pédiatres, sourds et aveugles, malmènent des enfants. Ignorant qu’il est pourtant si simple d’écouter, et lire en les yeux des parents.
26 mars – 1er avril 2024
Hélène Dulac
(A suivre)