Dans une chronique consacrée à La vie c'est risquer, et publiée par le quotidien québécois Le Devoir, Louis Cornellier se demande si je vis "dans le même Québec" que lui. (Je vous invite à le lire.)
Ca m'a un tantinet agacé, alors je lui ai répondu.
Voici ma réponse.
MW
Monsieur,
Tout d’abord, merci d’avoir pris la peine de lire La vie c’est risquer et d’en avoir parlé dans votre chronique. Vous soulevez cependant un point épineux, auquel je me permets de répondre.
Dans ce livre, mon propos est avant tout destiné au public français. Et je n’y dis pas que « le système de santé québécois est parfait », mais que le système de santé français laisse beaucoup à désirer et que la France gagnerait à regarder ce qui se fait ailleurs — en particulier au Québec.
Certains de mes propos sur les politiques de santé s’appuient sur des chiffres et des travaux scientifiques — en particulier la question du dépistage du cancer du sein, et je vous invite à lire les recommandations publiques du groupe canadien sur les soins de santé préventif.
Mais plus généralement, quand je parle de délivrance comparée des soins, je me fonde sur une double expérience : j’ai été praticien, usager et parent d’usager·e·s de santé en France pendant plus de cinquante ans ; depuis quinze ans, je suis bénéficiaire et parent de bénéficiaire au Québec.
Au cours de ces quinze années, j’ai affaire au système de santé provincial en tant qu’individu dénué de statut particulier : je n’ai pas d’ami médecin « haut » (ou bien) placé et je n’ai recours qu’aux services publics, exclusivement.
Mon expérience n’est pas limitée à ma petite personne : ma conjointe (et mon ex-conjointe avant cela), quatre de mes enfants et moi-même avons (eu) recours au système de santé québécois pour des situations très variées : médecine de premier recours et consultations spécialisées, chirurgie générale et chirurgie spécialisée, consultations de santé mentale, traumatologie, situations d’urgence, campagnes de vaccination, prise en charge de situations aiguës, suivis de traitement chronique et j’en passe.
J’ai également été amené, personnellement, à participer à la formation des jeunes médeciennes et médecins dans plusieurs facultés (UdeM, McGill, U d’Ottawa), après avoir subi celle qu’on inflige en France.
Au cours des quinze années écoulées, j’ai ainsi pu constater entre autres que :
— les professionnel·le·s de santé québécois·e·s sont formé·e·s de manière plus rigoureuse, scientifiquement parlant, et de manière plus bienveillante que leurs collègues français ;
— la collégialité professionnelle en santé et le respect entre les différentes spécialités et champs d’exercice (des soins infirmiers à la physiothérapie en passant par la santé mentale) sont infiniment plus grands au Québec (et dans tout le Canada) qu’en France ;
— l’accès aux soins est certes souvent long au Québec, mais il n’est pas plus long qu’en France, et il donne lieu à des interactions infiniment plus bienveillantes et respectueuses ; le consentement, le respect des décisions des personnes et le soutien y sont également bien mieux développés ;
— l’accueil dans les services de santé et l’information donnée aux personnes au Québec sont incomparablement meilleures et plus inclusives qu’en France ;
— l’organisation des soins de masse et leur délivrance (je pense en particulier à la vaccination pendant la pandémie) est cent fois plus efficace ici ;
— enfin, la réflexion éthique autour du soin est cent fois mieux développée ici qu’à Paris. Et non, ce n’est pas « accessoire »...
Encore une fois, il n’est pas question pour moi de dire que le système de santé québecois est « parfait ». Je pense d’ailleurs que vous ne trouverez ce mot dans aucun de mes livres.
Mais j’ai 70 ans et je m’attends à avoir recours à des soins de manière de plus en plus fréquent. Et le fait est qu’en comparaison, je me sens infiniment plus en sécurité au Québec en tant que simple bénéficiaire que je ne l’ai été en France en tant que médecin praticien pourvu de privilèges exorbitants.
Tout système de santé peut être amélioré. Celui du Québec souffre en particulier d’un manque cruel de personnel, ce qui est le cas dans tous les pays développés, pour des raisons qui seraient trop longues à développer ici.
Mais ici, les personnes sont souvent (je l’ai vécu personnellement) bien accueillies, prises au sérieux, soulagées quand elles en ont besoin, écoutées avec bienveillance, informées sans paternalisme, respectées dans leurs décisions, leurs choix et leur identité. De ce fait, le système québécois fonctionne beaucoup mieux et fait beaucoup plus pour la population de la province que le système de santé inégalitaire, discriminant et excluant du pays que j’ai quitté, où toutes ces attitudes (je devrais dire : ces soins) élémentaires font cruellement défaut.
Je conçois parfaitement que ma perception ne soit pas celle de tout le monde. Elle n’a pas valeur de vérité. Mais elle mérite d’être entendue sans qu’on la qualifie d’« idéaliste ».
Le titre de votre chronique me semble donc, à cet égard, tout à fait inapproprié : la médecine narrative est un outil de formation médicale plus que respectable, enseigné au Québec, et qui ne mérite pas d’être employé, comme vous le faites, avec ironie ou dérision.
Certes, la médecine que je défends dans mes romans et mes essais est — et j’en suis conscient — un idéal à atteindre. Mais cet idéal, je m’en sens beaucoup plus proche — dans l’esprit et dans ma vie quotidienne — à Gatineau qu’à Paris.
Bien à vous,
Marc Zaffran/Martin Winckler