mercredi 24 mars 2021

Pourquoi je me suis fait vacciner contre la Covid 19- par Marc Zaffran/Martin Winckler

En des temps où les inquiétudes vis-à-vis des vaccins (et pas seulement) vont bon train, et où les gouvernements ont parfois (suivez mon regard) des discours au moins incohérents, au pire totalitaires, je me permets de dire ici pourquoi, en tant que citoyen, je me fais vacciner - et en particulier, tout récemment, contre la Covid-19. 

Important (1) : si vous faites partie des personnes qui contestent la réalité de la pandémie de Covid-19, je ne discuterai pas votre opinion et cet article n'est pas fait pour vous.

Important (2) : Je vis à Montréal (Québec) et j'ai bénéficié de l'organisation communautaire de santé. Je suis allé me faire vacciner dans un centre municipal près de chez moi, à la date indiquée par le site ClicSanté quand je me suis inscrit. 

Lire ici la description de mon parcours de vaccination 

Ensuite, une précision  : je suis médecin de formation et, même si je n'exerce plus depuis fin 2008, je continue à baigner dans les informations médicales et sanitaires. Mes choix sont issus à la fois de ma formation, de mes lectures et de mon expérience, qui est celle d'un citoyen, d'un soignant, mais aussi d'un parent. 

Ensuite, une déclaration de conflits d'intérêts : je n'en ai aucun dans le domaine considéré. (J'en ai sûrement dans d'autres domaines...) 

Je ne suis pas rémunéré/financé/sponsorisé par un fabriquant de vaccins et j'ai la réputation (depuis mon passage sur France Inter, en 2002-2003) d'être critique avec les industriels du médicament. Cette attitude critique remontait à ma collaboration à la Revue Prescrire, entre 1983 et 1989, elle ne date donc pas d'hier. On pourra d'ailleurs lire sur cette page ce que cette revue, très pointilleuse, pense de différents vaccins. 

Se faire vacciner ou non 

Se faire vacciner ou faire vacciner ses enfants quand on est parents est une décision importante, qui soulève toutes les questions de l'autonomie en santé. Il s'agit d'une part d'opter ou non pour une méthode à visée préventive (on peut rejeter la méthode dans son ensemble) et, d'autre part, d'opter pour un ou plusieurs vaccins. 

Cette décision devrait presque toujours faire l'objet d'une information, d'un échange de point de vue, de la prise en compte des craintes des personnes concernées par les professionnelles, et (à mon avis) ne jamais se solder par une décision autoritaire desdits professionnelles, ni être commentée par des jugements de valeur. Le soin est incompatible avec les rapports de force et avec le mépris. 

Je suis une personne comme les autres, avant d'être médecin je n'étais pas médecin, et mes décisions personnelles sont fondées sur ce que j'ai observé ou vécu au cours de ces différentes périodes : mon enfance/adolescence, mes études, mon exercice médical (1983-2008), et les quinze années écoulées. 

Ce que j'ai vécu dans mon enfance n'est pas neutre : mon père était médecin. Il avait grandi à une époque où les vaccins n'existaient pas, et il nous a vaccinés, mes frère et soeur et moi-même, mais aussi ma mère et tous les membres de la famille qui le demandaient, sans aucune hésitation. Je ne l'ai jamais entendu contraindre personne à se faire vacciner. Dans son esprit, la vaccination était un bienfait pour l'humanité et quand on s'intéresse à l'histoire des maladies (en commençant par la variolisation, pratiquée depuis le 18e siècle, bien avant qu'on sache ce qu'était un virus) il est difficile de prétendre le contraire. (Encore une fois, je parle ici de la méthode, ce qui ne veut pas dire que je mets tous les vaccins dans le même panier, j'y reviens plus loin). 

Avant qu'un vaccin existe, j'ai souffert de la rougeole et de la coqueluche. Grâce à la vaccination, j'ai échappé à la polio, à la diphtérie et au tétanos. (Enfin, jusqu'ici. Je pense qu'il faudrait que j'aille me faire faire un rappel...) 

Quelques souvenirs : 

Je me souviens d'un de mes camarades de classe qui avait avait contracté la poliomyélite à une époque où tout le monde n'avait pas été encore vacciné en France (probablement entre 1955 et 1965). L'un de ses bras était paralysé, et sa main toujours bloquée dans la poche de sa blouse ou de sa veste, pour que son bras ne ballotte pas. 

Je me souviens aussi d'avoir reçu, quand j'étais étudiant hospitalier/externe en pédiatrie au centre hospitalier du Mans, un garçon de huit ans qui faisait une encéphalite rougeoleuse, c'est à dire une infection grave du système nerveux provoquée par le virus de la rougeole. Il a gardé des séquelles graves : paralysies, épilepsie, handicap psychomoteur profond. Sa famille ne l'avait jamais vacciné. 

Je me souviens d'avoir vu plusieurs personnes mourir de tétanos en réanimation, après un avortement clandestin ou après s'être écorchées à une épine de rose dans leur jardin. 

Je me souviens avoir soigné une fratrie de trois enfants de moins de dix ans d'une coqueluche carabinée (les parents étaient opposés au fait de les faire vacciner). Les trois enfants ont beaucoup dérouillé (c'est une saloperie, la coqueluche) mais les parents aussi. Je n'ai pas porté de jugement de valeur, j'ai soigné les enfants, un point c'est tout. Quelques semaines après, la mère est revenue me voir pour discuter des vaccins à leur faire, l'un après l'autre. Et on en a parlé posément. Et elle a pris sa décision posément. 

D'un autre côté, en tant que médecin qui vaccinait couramment adultes et enfants, j'ai pu observer des effets indésirables de la vaccination : douleur et rougeur au point d'injection (très fréquent), fièvre et courbatures (également) et parfois fièvre très élevée (en particulier chez deux de mes propres enfants). 

Je n'ai pas, au cours de ma carrière, eu à constater d'effets secondaires graves d'un vaccin. Ca ne veut pas dire qu'ils n'existent pas, mais qu'ils sont suffisamment rares pour que je n'en ai pas vus (alors que, je le répète, des effets bénins, j'en ai vu souvent). 

Chaque vaccin mérite réflexion 

En tant que médecin, j'ai été interrogé par de nombreuses personnes sur la sécurité, l'efficacité et la légitimité des vaccins. Et je leur ai toujours répondu ceci : chaque vaccin concerne une maladie particulière. En principe, vous êtes en droit de peser le pour et le contre de l'intérêt de chaque vaccin face à la probabilité de contracter la maladie concernée. 

C'est assez simple à concevoir : quand on ne vit ou ne voyage pas dans un pays où la fièvre jaune est endémique, il n'est pas légitime de se faire vacciner contre elle. 

Quand, à l'opposé, une maladie existe partout, et si cette maladie n'a pas de traitement curatif il est légitime de s'en protéger (diphtérie, tétanos, polio). 

A noter que lorsqu'une maladie a été éradiquée du globe (c'est le cas de la variole au milieu des années soixante-dix, ce sera bientôt nous l'espérons tous le cas de la polio), il devient moins bénéfique de vacciner que de ne pas le faire : les effets indésirables deviennent inévitablement plus nombreux que les cas de maladie et, bien entendu, les effets graves du vaccin sont alors plus nombreux que ceux de l'infection. Et, de fait, la vaccination contre la variole a été supprimée sur toute la planète. Celle contre la polio pourrait bien l'être d'ici quelques années. 

Est-il, pour autant, obligatoire de se faire administrer (ou de faire administrer à ses enfants) tous les vaccins qui existent ? 

Il me semble, raisonnablement, que non. Si j'étais encore médecin de famille aujourd'hui, je défendrais la liberté, pour les parents, de peser le pour et le contre de chaque vaccin, en leur donnant les informations nécessaires, sans leur imposer quoi que ce soit. On peut à la rigueur imposer la vaccination contre une maladie transmissible (quand je me vaccine, je protège aussi les autres et je me protège des personnes qui pourraient me contaminer) mais on ne devrait pas imposer la vaccination contre une maladie qui n'est pas transmissible (provoquée par une bactérie non transmissible à l'entourage, par exemple, comme le pneumocoque). 

La France est notoirement autoritaire en ce domaine, alors que rien ne prouve que ce soit nécessaire : en Grande-Bretagne, aucune vaccination n'est obligatoire, on informe la population, et la couverture vaccinale (la proportion de personnes vaccinées) est similaire à celle de la population française. 

Comme l'a été la vaccination contre l'hépatite B, maladie grave qui peut tuer à court terme ou à long terme en provoquant l'apparition de cancers, la mise au point d'un vaccin anti-VIH (qui protègerait de l'infection provoquant le SIDA) serait certainement bien accueillie par une grande partie de la population mondiale, en particulier dans les pays émergents, où les deux maladies sont très répandues et s'aggravent mutuellement. 

Est-ce que tous les habitants des pays industrialisés se vaccineraient contre le VIH si c'était possible ? Probablement pas, car beaucoup ne se sentent pas menacés par cette maladie uniquement liée à l'activité sexuelle. Et aussi parce qu'aujourd'hui, on peut vivre en étant VIH-positif, grâce à la trithérapie antivirale mise au point ces dix dernières années. La possibilité de traiter une maladie (même sans la guérir) modifie l'intérêt/l'urgence/l'importance d'un vaccin. 

Mais il y a fort à parier que le fabriquant d'un tel vaccin inciterait certainement les parents à vacciner leurs enfants... (J'ai écrit ici ce que je pense de la vaccination contre le HPV, en particulier.) 

Les vaccins sont-ils un marché ? 

Oui. Comme tous les médicaments. On en a eu une illustration éclatante en 2009 lors de la pandémie de grippe A/H1N1, qui était présentée comme "la" pandémie du siècle (et ça fait bien rire aujourd'hui). On en a une autre démonstration en ce moment : une demi-douzaine de vaccins contre la Covid-19 sont en développement, quatre ou cinq sont déjà approuvés ou en voie de l'être. Il y a un marché mondial, littéralement, à prendre. 

Est-ce qu'une vaccination contre la Covid-19 est légitime ? 

Sans avoir besoin de citer des chiffres, il me semble que ça n'est pas discutable. Sauf, évidemment, si l'on conteste l'existence de la pandémie. 

Est-ce qu'une vaccination de TOUTE la population est légitime ? 

Dans la mesure où l'on n'a pas démontré qu'une partie de la population mondiale est déjà immunisée contre la Covid (et ne risque donc ni d'en souffrir, ni de contaminer les personnes non immunisées) il me semble que la réponse est oui. 

Si l'on fait partie d'une population à risque élevé, le vaccin nous protège. 

Si l'on fait partie d'une population à risque faible, le vaccin sert à nous protéger ET à protéger les plus vulnérables. C'est une démarche solidaire - comme pour la variole et la polio, par exemple ; et peut-être aussi dans une certaine mesure pour l'Hépatite B et, si le vaccin existait, le VIH.

Est-ce que tous les vaccins contre la Covid-19 se valent ? 

C'est difficile à dire, et la réponse est probablement non, mais en toute bonne logique ça n'a pas d'importance : d'abord parce que leur efficacité est suffisante pour prévenir la maladie, même si (et ça n'est jamais) une efficacité à 100%. Ensuite parce que, plus le nombre de personnes vaccinées sera grand, quel que soit le vaccin utilisé, moins la maladie circulera. Rappelons ainsi qu'un vaccin, même très efficace, ne l'est pas de la même manière pour toutes les personnes vaccinées. L'immunité contractée lors d'une maladie (la grippe, par exemple) est elle aussi variable d'une personne à une autre. Il n'est donc pas illogique de penser que si tous les vaccins contre la Covid-19 (qu'ils soient efficaces à 75 ou 95%) sont diffusés sur l'ensemble de la planète, la protection obtenue sera meilleure (et plus rapide) que si on essaie de vacciner toute la planète avec le vaccin "le plus efficace" (qu'on ne va probablement jamais identifier précisément...) 

Ce ne sera pas la première fois qu'on utilise plusieurs vaccins différents pour combattre une maladie planétaire : c'était déjà le cas de la polio. Et pour chaque maladie infantile, par exemple, il existe de nombreux vaccins selon le pays/le marché où il est diffusé... 

Est-ce que les risques de la vaccination l'emportent sur celui de contracter la Covid-19 ? 

En l'état actuel des choses, il me semble que non (je dispose des mêmes informations que tout le monde). J'ai 66 ans, je m'approche donc de l'âge où c'est problématique (même si je n'ai pas de maladie chronique qui me rende particulièrement vulnérable) mais même si je n'en avais que 50 (ou 45) je me ferais vacciner, pour protéger les personnes âgées de mon entourage, et les patientes à qui j'aurais affaire en tant que soignante. 

Quand toutes les personnes vulnérables seront vaccinées, est-ce que les personnes qui ne se feront pas vacciner s(er)ont des inconscientes ou des criminelles ? 

Non, parce que ne pas se vacciner n'empêchera personne de le faire et parce que le risque qu'elles prendront ne concernera qu'elles. (Comme pour les personnes qui ne se vaccinent pas contre la grippe et qui ne sont pas au contact de personnes vulnérables, ou sont au contact de personnes vulnérables vaccinées.) 

En attendant, je suis d'avis que la solidarité de chacune vis-à-vis des personnes non vaccinées qui nous entourent nous impose de porter un masque, de se laver les mains, de garder ses distances et d'éviter les réunions en lieu clos. C'est ce que je fais, c'est ce que fait mon entourage. Et nous n'avons pas le sentiment que ça entrave notre liberté. (Il faut préciser aussi que je vis dans un pays où la liberté n'est pas décrétée par l'Etat...) 

Est-ce que les discours gouvernementaux sur les vaccins sont fiables ? 

Là encore, je ne pense pas que ce soit important. Il y a suffisamment de sources d'informations scientifiques (revues médicales indépendantes, organismes internationaux comme l'OMS, ONG) pour se faire une idée raisonnable. Les gouvernements eux-mêmes n'ont d'importance pour votre décision que dans la mesure où ils contrôlent l'accès au vaccin (ce qui n'est pas rien). Mais pas pour votre réflexion en elle-même. 

Voilà, je vous ai dit pourquoi, à titre personnel, je me suis fait vacciner contre la Covid-19. J'espère que ces réflexions vous aideront à prendre une décision sereine. 

Quelle que soit cette décision, bon vent à vous. 

Martin Winckler/Marc Zaffran 








  

dimanche 14 mars 2021

L'assistance médicale à mourir EST un soin



Un jour, sur un blog médical,  j'ai lu ceci :

Tuer est-il soigner ?  
(…) Quelques professionnels des soins palliatifs se sont exprimés sans ambiguité : provoquer la mort n’est pas soigner un être vivant. 
L’euthanasie, aussi compassionnelle puisse-t-elle sembler pour certaines sensibilités qui méritent d’être respectées, n’est pas, et ne peut pas être, un acte médical. 

"Tuer est-il soigner ?" 
Posée ainsi (et malgré la formulation étrange), la question n'appelle qu'une seule réponse.
Ce qui montre bien qu'elle est formulée de manière un peu trop simple (voire simpliste), et sous-entend que l’aide médicale à mourir ou le suicide assisté seraient, purement et simplement, un meurtre, et ne sont par conséquent ni des soins, ni des actes médicaux « dignes de ce nom ». Ce faisant, l'auteur de la question affirme (il ne suggère même plus) que suicide assisté et aide médicale à mourir ne seraient en aucun cas compatibles avec la définition (les valeurs ?) « essentielle » de ce qu’est un acte médical, de ce qu’est la médecine. (Valeurs qu'il connaît parfaitement, et qui sont bien entendu les siennes.) 

N'est-ce pas un peu court ? 

***

Qu’est-ce qu’un acte médical ?

 Un acte médical peut être beaucoup de choses différentes. Les examens comme l’échographie ou la radiographie, qui sont pratiquées et/ou interprétés par des médecins, sont des actes médicaux. Le fait de prendre un scalpel pour ouvrir un abdomen à la recherche d’une tumeur et celui de refermer l’incision sans retirer la tumeur parce qu’elle est trop volumineuse ou invasive sont également des actes médicaux : ils n’ont pas de valeur thérapeutique (ils ne traitent pas) mais ils sont pratiqués par des docteurs en médecine spécialisés en chirurgie, ce sont donc des actes médicaux.

La prescription d’une cure à La Bourboule, de séances de rééducation, d’un arrêt de travail ou d’un certificat de décès – ou de non-contagion – sont des actes médicaux. La prescription d’une contraception est un acte médical même quand ce n’est pas un médecin qui la donne, mais une sage-femme. L’examen au microscope d’un prélèvement biologique est un acte médical, même s’il se fait en l’absence de la personne à qui on a fait le prélèvement. Une consultation d’information sur les MST, même s’il n’y a aucun contact entre professionnelle de santé et patiente, est un acte médical. Et il est coté et rémunéré comme tel.

Autrement dit : les actes médicaux ne sont pas tous des actes de traitement ou de soin. Et les actes médicaux – c’est là que je veux en venir – ne sont pas définis par les médecins. En France et dans la plupart des pays industrialisés, ils sont définis comme tels par la loi et les règlements qui en découlent, pour répondre aux besoins de la collectivité. C’est d'ailleurs pour cela qu’un acte médical ne peut pas être fait par n’importe qui, mais par une professionnelle dûment agréée. La loi définit l'acte et qui est habilité à le faire. Dans l'intérêt de la population.  

Par conséquent, si l’euthanasie active et/ou l’aide médicale à mourir entrent dans la loi française, ce ne sera pas parce que les médecins l’auront décidé ou même accepté, mais parce que les législateurs l’auront voté. Dans l'intérêt de la population. Et en son nom. 

Est-ce que tous les actes médicaux effectués sur le corps d’une personne sont des soins ou des traitements ?

Comme indiqué dans le paragraphe précédent, la réponse est non. Mais on peut donner des exemples précis de gestes ou d’interventions qui ne sont ni exploratoires ni thérapeutiques mais font néanmoins partie des actes médicaux légalement pratiqués par des médecins dans de nombreux pays du monde à la demande des premier.e.s intéressé.e.s : l’insertion d’un implant contraceptif ou d’un DIU, les gestes de chirurgie esthétique (pose d’implants mammaires, par exemple), les interventions de réassignation (« changement de sexe »), la vasectomie, la ligature de trompes, l’IVG… 

Prenez l’IVG. 
Ce n’est pas un traitement : elle n’est pas destiné à « guérir » d'une maladie la femme qui la demande mais à lui permettre de ne pas poursuivre sa grossesse sans pour autant se mettre en danger. 

Comme l'aide médicale à mourir, c'est un acte moralement chargé, au sujet duquel les opinions s'affrontent au nom de valeurs éthiques, religieuses, sociales diverses.
Et certaines personnes considèrent l’interruption de grossesse comme un meurtre.

Est-ce que ça empêche les femmes d’y avoir recours et les médecins qui le désirent de la pratiquer ? Non. Parce que l’IVG est légale. Et parce que c’est un acte médical. Quoi qu’en disent ses opposant
es, médecins ou non. Ce qui est médical, dans l'IVG, c'est le fait de permettre à la femme qui y a recours d'avorter sans danger, sans courir le risque de mettre fin à ses jours où de rester mutilée. Toute proportion gardée, c'est un geste de même nature que le fait d'assister une femme au cours d'un accouchement, en évitant qu'un foetus ou que sa mère meurent d'une complication. Dans l'un et l'autre cas, c'est la femme qui demande l'aide des professionnelles de santé. C'est de son corps qu'il s'agit. C'est de ses choix qu'il est questions, de ses valeurs. Pas de celles des autres. 

Qui décide qu'un acte médical a lieu ?

La loi définit le caractère médical ou non d’un acte, mais ce n’est pas la loi qui décide si cet acte sera effectué. Quand l’acte est proposé ou suggéré par un médecin, son accomplissement nécessite le consentement de la personne.

D'après  la loi du 4 mars 2002 sur les droits des patientes, « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix » (Art. L. 1111-4.) et « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

La loi est claire. Lorsque les patientes ne peuvent exercer ces droits, ce n’est pas faute d’un cadre juridique clair, c’est faute de la coopération des personnes qui les soignent ou faute de lieux ou de ressources disponibles.

La loi du 4 mars 2002 
protège les patientes : pratiquer des gestes médicaux contre la volonté des personnes est illégal. (Et les médecins qui font ces gestes - qu’il s’agisse d’un examen gynécologique imposé ou d’une intervention inutile -  devraient être poursuivis en justice. Ils ne le sont malheureusement pas tous, mais c’est un autre sujet.)

Autrement dit, sans cadre juridique et sans consentement, aucun acte médical n’est praticable. Il n’appartient jamais aux médecins de dire si un acte médical est praticable, mais à la loi et aux patientes. 

C’est ce qui s’est passé pour l’IVG. Ce qui en fait un acte médical, c’est la loi et la demande des femmes. Pas l’opinion que s’en font les médecins (qui, pour beaucoup, y étaient hostiles et le sont encore). 

La seule chose qu’un médecin a le droit de décider, c’est s’il pratiquera l’acte ou non

Il peut accepter ou refuser (un geste chirurgical, une IVG, une prescription).

Il ne peut pas en revanche interdire à d’autres médecins de le pratiquer – et encore moins interdire à un
e patiente d’y recourir ou d'y avoir accès.

« Provoquer la mort n’est pas soigner un être vivant. »

Des milliers de personnes vivent avec des animaux, qu’ils nourrissent et soignent ; il leur arrive couramment de demander un jour au vétérinaire d'abréger les souffrances de ces animaux parce qu'ils souffrent et que les traitements disponibles n’amélioreront pas leur qualité de vie. Les vétérinaires sont les professionnels de santé les plus souvent confrontés à l'aide médicale à mourir. Et ils auraient beaucoup à apprendre aux médecins, si beaucoup parmi ce derniers ne les regardaient pas avec mépris. 

(NB : Je ne vais pas entrer ici dans la réflexion plus générale sur la souffrance animale, auquel des philosophes comme Peter Singer ont réfléchi depuis longtemps, je m'en tiendrai aux animaux de compagnie ; je préciserai toutefois que dans mon esprit, le bien-être d’une vache laitière ou d’un poulet en batterie n’a pas moins d’importance que celui de Gilbert, le chat avec qui ma blonde et moi vivions jusqu'en 2019 et que nous avons accompagné quand sa vie s'est achevée.)

Pour la majorité des humains, il semble assez naturel, si leur chien ou leur chat souffre de manière continue - ou quand un cheval s'est cassé le paturon - de demander au vétérinaire de le délivrer de ses souffrances.
« C’est la chose humaine à faire. »

Est-ce qu’injecter à mon chien qui souffre d'une tumeur inopérable une drogue qui le fera mourir c’est le tuer ? Oui. 
Est-ce que c’est un soin ? Je prétends que oui. 
Si on le fait mourir, c'est parce que tous les autres soins possibles ne l’empêcheront pas de souffrir. Et parce qu'on ne veut pas le laisser souffrir. 
Mettre un terme à la souffrance, c'est un soin. 

L'euthanasie d'un animal est une décision arbitraire : le chat ou le chien qui la subit ne demandait rien. Mais l’humaine qui vivait avec lui le voyait souffrir, depuis longtemps. Il a décidé à sa place parce que l’animal ne peut pas exprimer un choix. S’il était possible de leur demander s’ils préfèrent continuer à souffrir plutôt que mettre fin à sa propre vie, il est probable que tous les animaux ne répondraient pas la même chose. Mais comme on ne peut pas leur poser la question, les humains n’ont qu’une alternative : les laisser souffrir jusqu’à ce qu’ils meurent, ou les soulager de leurs souffrances. C’est un dilemme, mais beaucoup n’ont aucune hésitation à choisir la démarche qui produit le moins de souffrance.

Ce qui m'inspire deux questions :  

- Est-il moins légitime, moins digne et moins éthique d’aider un humain qui demande librement à mourir que de faire mourir arbitrairement - en invoquant l'« humanité » du geste - un animal qui n’a rien demandé ?

- Est-il plus légitime (digne, éthique) de décider de mettre fin aux souffrances d'un animal que d'en décider pour soi

Question subsidiaire : Si vous aviez le choix entre
1° administrer à votre chien une drogue qui le fera mourir rapidement et sans souffrance
et
2° le mettre sous "sédation profonde" et attendre qu'il meure.... 
Que choisiriez-vous ?
Pourquoi ?
 

Que demandent les personnes favorables à une légalisation de l’aide médicale à mourir ?

Quand la mort est provoquée par un tiers de manière unilatérale, il y a effectivement de quoi s'interroger. Mais c'est malheureusement ce que beaucoup de médecins ont fait et font encore trop souvent : ils décident seuls, ou presque, qui meurt et qui survit. Sans demander l'avis des premiers intéressés. 
Et ça, oui, c'est un meurtre. 


Mais les partisans de l'aide médicale à mourir ne demandent pas qu'on les tue - et encore moins que quelqu'un d'autre décide à leur place quand comment et où ils vont mourir. 

Sur le plan philosophique et moral, nombreuses sont les cultures, aussi bien en Occident qu’en Orient, qui voient le suicide comme une décision respectable. En France, au 21e siècle, une tentative de suicide n'expose pas à des poursuites judiciaires. 

Les citoyennes (j’en fais partie) qui demandent qu’on légalise l’aide médicale à mourir souhaitent tout simplement qu'on respecte l'idée simple, et indiscutable, que si nous sommes aptes à voter, à payer des impôts, à avoir et élever des enfants ou à décider de ne pas en avoir, à garder ou interrompre une grossesse, a accepter ou refuser un traitement, nous sommes également aptes à choisir notre façon de mourir et à nous faire aider par un médecin sans que ce médecin soit poursuivi pour meurtre. (Et, accessoirement, sans que les autres médecins montent sur leurs grands chevaux. Ceux-là, on ne leur a rien demandé.) 

Une dizaine d’états au monde ont  déjà légalisé l’aide médicale à mourir ; l’euthanasie active (au cours de laquelle le médecin administre les médicaments) est légale aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Colombie, au Canada, en Belgique, en Espagne ; le suicide assisté (au cours duquel le patient les prend ou se les administre lui-même) est légal en Suisse, en Autriche, et aux Etats-Unis : en Oregon, Vermont, Californie, Montana et dans l’état de Washington, entre autres. Même l'Italie semble avoir accepté que le suicide assisté soit toléré. 

Dans tous les cas, la demande vient de la personne concernée. 
Elle ne vient ni des médecins, ni de la famille, ni de personne d’autre. Et les personnes qui ne peuvent pas décider pour elles-mêmes (personnes dans le coma, personnes handicapées qui ne sont pas légalement autonomes) ne peuvent pas bénéficier de cette aide. Et on ne peut pas la leur imposer. L'idée selon laquelle les lois autorisant l'aide médicale à mourir entraîneraient "l'assassinat des personnes dans le coma/des personnes handicapées profondes/etc." est par conséquent un fantasme. Qui en dit beaucoup sur l'élitisme des personnes qui l'invoquent... 


Pourquoi demander aux médecins de nous aider à mourir ?  

Parce que la manière dont nous allons mourir a de l’importance.

Si la manière de mourir importait peu, nous ne serions pas horrifiés par la manière dont chaque jour des milliers de personnes meurent de faim ou de froid, en mer ou dans le désert, dans un lit d’hôpital ou sur le trottoir d’une métropole de pays riche, seules dans un EHPAD ou chez elles, entourées par leur famille. Et, plus récemment, isolées dans des services de réanimation...  

Si la manière de mourir ne comptait pas, nul ne verrait d’inconvénient à ce que les vétérinaires égorgent ou noient les chiens et les chats qui souffrent trop.

Si la manière de mourir ne comptait pas, nul ne verrait d’inconvénient à ce qu’une personne qui désire mettre fin à ses jours se fasse sauter la cervelle, se jette par une fenêtre ou se pende dans un coin sombre.

Mettre fin à ses jours est une liberté, mais le suicide est un acte d’une extrême violence, aussi bien pour soi que pour les personnes de l’entourage, par le moment de sa survenue et par les méthodes employées.

De plus, aujourd’hui, alors même que des dizaines de médecins pratiquent chaque jour des gestes d’euthanasie clandestins parce qu’illégaux, tout le monde n’est pas égal devant la mort. En France, au 21e siècle, les riches meurent bien plus confortablement que les pauvres. Cette situation est la même que celle de l’interruption de grossesse avant 1976 : les femmes riches pouvaient avorter sans danger pour elles ou leur fertilité. Les femmes qui n'avaient pas les moyens jouaient leur vie à la roulette.

Ne pas encadrer l’aide médicale à mourir, c’est pérenniser une inégalité contraire à la démocratie. 

Les pays qui ont légalisé l’aide médicale à mourir l’ont bien compris. Ainsi, au Canada, un article du code criminel interdisait à un médecin d’aider une patiente à mourir. En 2015, un arrêt de la Cour Suprême a invalidé cet article au motif  qu'il était (je cite Radio-Canada) : « contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, et donc inconstitutionnel, d'avoir une prohibition totale de l'aide médicale à mourir. La Cour conclut que l'article actuel du Code criminel viole le droit à la vie, la liberté et la sécurité de certaines personnes par sa très large portée. Elle vise par son jugement les adultes considérés comme capables au sens de la loi, qui donnent clairement leur consentement et qui souffrent de manière persistante et intolérable à cause d'un problème de santé grave et irrémédiable. »

"Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité".
Eh oui, choisir de mourir est un acte posé par une personne vivante, un acte de liberté. Et il devrait pouvoir être fait en toute sécurité - pour elle, pour sa famille - avec l'aide d'un médecin. 


De quoi les médecins opposés à la légalisation de l’aide médical à mourir ont-ils peur ?

* Ont-ils peur qu’on euthanasie les personnes dans le coma, infirmes ou démentes ?

Ce n’est pas ce que nous demandons. Nous ne demandons pas qu’on tue arbitrairement quiconque, nous demandons simplement qu’on aille jusqu’au bout dans la logique de l’autonomie des patientes inscrite dans la Loi de 2002 : à savoir qu’on donne à chaque personne juridiquement capable la liberté de décider de sa fin. 

La loi Veil sur l'IVG et la loi de 2001 sur la stérilisation volontaire ne permettent nullement de contraindre une femme à avorter ou une personne à se faire stériliser, elles n'autorisent pas à avorter ou stériliser de manière autoritaire les personnes handicapées. De fait, ces lois protègent les personnes vulnérables beaucoup mieux que lorsque ces deux gestes étaient clandestins et pouvaient être décidés arbitrairement par une famille avec la complicité d’un médecin. 

Nous ne demandons pas autre chose : pouvoir choisir l'aide médicale à mourir légalement, en toute sécurité. 

La crainte la plus couramment exprimée est, par ailleurs : « Oui, mais comment éviter, par exemple, que la famille fasse pression sur un malade pour qu’il demande à mourir ? »

Cette objection ne tient pas et les pays où l’aide médicale à mourir est légale s'en sont assurés par de multiples précautions : les démarches sont longues et conduisent à des entretiens répétés. In fine, il est fréquent que les personnes dont la demande a été approuvée ne passent pas à l’acte. 

* Les opposants ont-ils peur qu’on contraigne TOUS  les médecins à pratiquer des euthanasies ou des aides médicales à mourir 

Cette crainte-là serait drôle si elle n'était pas indécente, quand on connaît le nombre de médecins qui refusent, en toute impunité, de pratiquer des gestes bien moins compromettants que celui-là, comme poser un DIU à une nullipare. (Et je ne parle même pas des gynécologues qui refusent de pratiquer des IVG ou des ligatures de trompes, des urologues qui refusent les vasectomies, et les médecins de tous bords qui refusent des arrêts de travail aux personnes atteintes de Fibromyalgie, de douleurs neuropathiques ou de Covid Long...) 


Aucun médecin n’est obligé de faire quoi que ce soit. 
Et aucun partisan de l'aide médicale à mourir ne souhaite que des médecins soient obligés de la pratiquer. Nous voulons partir en paix, avec l'aide de quelqu'un qui nous respecte, pas sous les yeux de quelqu'un qui nous méprise ou est terrorisé par notre geste de liberté. 

Dans l'idéal - je le décris dans mon roman En souvenir d'André - chacun.e de nous devrait pouvoir se procurer (sur prescription médicale, s'il le faut) de quoi mourir sans souffrance chez soi, entouré par les personnes de son choix. Sans qu'obligatoirement un médecin soit présent. 
En attendant que cette utopie advienne, nous avons besoin que la loi autorise les médecins à pratiquer l'aide médicale à mourir. Comme dans les pays cités plus haut. 


* Les opposants ont-ils peur  que la légalisation de l’aide médicale à mourir « dévalue » la profession médicale ? 

Tout dépend de la manière dont on voit son métier. Si on est médecin pour soigner, c'est-à-dire pour accompagner la personne qui souffre dans ses choix, alors, il n'y a aucun déshonneur à la soutenir dans son choix de mettre fin à ses jours. 
Si l'on voit plutôt son métier de médecin comme une posture de pouvoir, en revanche... 


Etre médecin/médecienne (ou plus généralement, professionnelle de santé), est-ce une "mission" ou un engagement ? 

Pour certains, c'est une « mission » parée de valeurs abstraites  (« la vie est sacrée », par exemple). 
Cette vision (assortie de la "fonction apostolique" dont parlait Michael Balint) était celle de la médecine d'avant 1945. Elle présumait que les médecins étaient des personnes exceptionnelles, douées d'un sens moral supérieur à ceux de la population générale. C'était une vision élitiste et paternaliste, en accord avec l'idéologie élitiste et colonialiste des pays occidentaux. 

Pour d'autres, être médecin n’est pas une « mission », c'est une profession soignante. Et soigner est un engagement qui consiste à mettre son savoir et son savoir-faire au service des autres ; à répondre du mieux qu’on peut aux besoins des personnes qui souffrent. Sans jugement, sans paternalisme, sans chercher à imposer ses propres valeurs aux personnes qui nous demandent de l’aide. Sans pression, sans culpabilisation, sans humiliation, sans brutalité d'aucune sorte. 

L'engagement soignant consiste à voir l’individu qui nous fait face comme une personne autonome, dont toutes les demandes sont respectables, et dont toutes les décisions, lorsqu'elles ont été loyalement informées, doivent être respectées.

L'engagement soignant consiste à aider l’autre à exercer au mieux sa liberté, en ayant l’humilité de penser que c’est à elle ou lui d'en définir le sens et d’en assumer les conséquences. Et cette liberté comprend de pouvoir mettre fin à ses jours. 

Comme le décrit très bien François Damas dans La Mort choisie, l'aide médicale à mourir n'équivaut pas à "tuer", pas du tout. Mais c'est bien un soin. 

Pas plus que pratiquer une IVG n'équivaut à "tuer", pas plus que pratiquer une ligature de trompes ou une vasectomie ou une chirurgie de réassignation n'équivalent à  "mutiler". 

En revanche, tout se qui se noue avant et après ces gestes, entre des soignants et un individu, un couple ou une famille, c'est du soin. Et c'est pleinement du soin. 

Encore faut-il, pour le savoir, écouter ce que les personnes qui demandent à mourir,  à interrompre une grossesse, à être stérilisées, à faire leur transition, ont à dire. Et ne pas l'interpréter, le jauger, le juger à l'aune de valeurs qui ne sont pas les leurs. Mais l'entendre comme l'expression de leur liberté. 
 
 
L'engagement soignant consiste à défendre une idée simple, mais profondément éthique : c’est aux personnes qui souffrent qu'il appartient de définir ce qui est "bon" pour elles

L'assistance médicale à mourir demandée par une personne qui souffre est un soin. 
Car elle seule est capable de dire si mettre fin à ses jours est "bon" ou non pour elle. 

Ça n'appartient pas aux médecins. 
Ça ne leur a jamais appartenu. 
La liberté de vivre ou de mourir est bien trop importante pour la confier aux médecins. 


Marc Zaffran/Martin Winckler