lundi 26 mai 2025

"Pour nous aider à mourir" - un manifeste sur la fin de vie par Martin Winckler (en accès libre)


En 2024, alors que la loi sur l'aide médicale à mourir patinait lamentablement, et qu'Emmanuel Macron la faisait patiner encore plus en décidant la dissolution de l'assemblée, j'ai écrit ce texte initialement destiné aux éditions P.O.L. 

Il n'a pas été publié et, à l'heure où j'écris ceci (mai 2025) il semble que des lois soient sur le point d'être discutées à l'assemblée nationale ; mais mes remarques restent les mêmes, et je mets ce texte au format PDF en accès libre pour qui voudra le lire. 

Note : Ce texte est gratuit et dénué de copyright. Sentez-vous libre de le diffuser à qui vous voudrez, en citant son auteur et, de préférence, sans le récrire. 😉

Bien entendu, tous les commentaires et courriers en réaction à ce texte seront eux aussi bienvenus. 

Martinwinckler@gmail.com

PRESENTATION

L’aide médicale à mourir est un soin, l’ultime soin que chacune, chacun de nous devrait, le moment venu, pouvoir obtenir sans avoir besoin d’implorer qui que ce soit.   

La question n’est plus, en 2025, de savoir s’il est souhaitable ou non de la légaliser. Ce sera une mesure de justice aussi élémentaire que la légalisation de l’avortement car, aujourd’hui, en France, pour quitter la vie sans douleur et à l’heure de son choix, il faut avoir de l’argent.  

Malheureusement, même si une loi est votée, les premières personnes concernées auront beaucoup de mal à faire respecter leurs volontés. Car lorsque le corps social est élitiste et hiérarchisé, le corps médical est l’un des principaux obstacles à la liberté individuelle.    

TABLE DES MATIÈRES

« D’où tu parles ? » ............ p.5

Gilbert ............ p.6

Ange, qu’on appelait « Zaza » ............ p.8

Nelly ............ p.12

La mort dans la vie ............ p.14

« Péché mortel » ............ p.16 

Morts violentes............ p.21

Suicide, mode d’emploi ............ p. 26

Définir sa vie ............ p.29

Quelle dignité ? ............ p. 32

Une « bonne » mort ? ............ p. 35

« Galatée » ............ p. 39

Aube ............ p.42

Vincent Humbert ............ p.47

Les mots pour (ne pas) le dire............ p.50

« Est-ce bien raisonnable ? » ............ p.54

« Il faut protéger les personnes vulnérables » ............ p.57

« Il faut d’abord s’occuper des soins palliatifs » ............ p.64

« Les médecins ont pour vocation de sauver des vies » ...........p.66

« Le médecin n’a pas pour mission de donner la mort » .........p.70

« Et toi, le donneur de leçons ? » ............ p.76

« Fille aînée de l’Église... et de la psychanalyse » ............ p.81

De l’éthique et du Canada............ p.86

La mort choisie par les Belges............ p.90

L’insoutenable opacité de la loi française............ p.94

L’aide à mourir est un soin............ p.103

Sans foi ni loi ............ p. 108

Aux soignant·e·s............ p.112


Pour télécharger le texte au format PDF, cliquer ICI. 

Sur le même thème, on pourra aussi lire mon roman "En souvenir d'André" (POL et Folio) 




mardi 25 mars 2025

La médecine inégalitaire - à propos de "La Santé est politique" de Miguel Shema


Je ne connaissais pas Miguel Shema (mais je sais à présent qu'il a écrit dans le Bondy Blog, tient un blog sur le site de Médiapart et publie des vidéos régulièrement). 

Il m'a fait envoyer son livre via nos éditeurs respectifs, en l'accompagnant d'un mot amical qui disait ceci : "Ce livre est traversé par une question qui vous a habité il y a quelques années : Pourquoi y a-t-il tant de médecins maltraitants ?" Comme vous, j'ai essayé d'y répondre." 

Il faisait ainsi référence aux Brutes en Blanc (Flammarion, 2016), qui avait fait couler beaucoup d'encre, et suscité l'émoi du conseil national de l'Ordre des médecins. 

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Miguel Shema n'y va pas avec le dos de la cuillère. Son livre, solidement édifié sur d'innombrables références scientifiques (en particulier de nombreuses enquêtes et travaux de sociologie) démonte le mythe, bien ancré en France, selon laquelle la médecine serait délivrée également à tout le monde. 

En moins de 200 pages et de manière accessible et limpide, l'auteur montre au contraire que le système de santé français discrimine les personnes en fonction de 1° leur origine ethnique réelle ou perçue comme telle par les institutions et les professionnels 2°  leur milieu socio-économique, leur niveau de langue et leurs handicaps,  3° leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre. 

Rien de tout cela n'est nouveau en soi. Ce qui l'est, c'est la densité des preuves que Miguel Shema énonce dans son livre, et la finesse de son analyse, qui décrit - par exemple - comment l'ignorance des professionnels interdit aux personnes ne maîtrisant pas la langue française d'accéder à des soins de qualité. Ainsi, un service national d'interprétariat par téléphone (ISM Interprétariat) couvre l'ensemble du territoire, mais une majorité des médecins n'y font jamais appel pour interagir avec les personnes allophones. En refusant de chercher à entendre les patient·e·s, les médecins leur interdisent de se faire soigner correctement. 

Miguel Shema donne par ailleurs un exemple, tout récent, de la manière dont le racisme présent dans la pensée scientifique entraîne des retards de diagnostic et de soins. Pendant la pandémie de Covid, les personnes étaient hospitalisées et traitées sur la base d'une mesure de l'oxymétrie (saturation du sang en oxygène) grâce à un capteur posé au bout d'un doigt. Or, cette mesure est modifiée par la couleur de la peau. Quand la peau est foncée, la mesure surestime la quantité d'oxygène dans le sang. A gravité égale de la maladie, les personnes à peau noire ont donc été moins bien diagnostiquées et moins souvent hospitalisées que les personnes à peau blanche. Dans quelle proportion ? C'est impossible à savoir, puisque cette particularité "technique" n'a jamais été prise en compte, ni évaluée... 

Très justement, Miguel Shema rappelle d'ailleurs que le simple fait d'établir une distinction entre peau noire, peau blanche, peau "jaune" ou peau "cuivrée" est, en lui même, raciste et, surtout, anti-scientifique. Les proto-humains apparus sur le continent africain ont acquis d'innombrables teintes de peau au gré des migrations de populations sur l'ensemble de la planète et de l'exposition de ces populations à des environnements distincts. Et cependant, la médecine continue à mettre les blancs d'un côté et les non-blancs de l'autre. Mais tandis qu'aux Etats-Unis, les enseignant·e·s de médecine attirent l'attention des étudiant·e·s sur les biais de perception inhérents à cet apartheid inconscient, en France en revanche on continue à prétendre que ces biais n'existent pas... 

J'ai retrouvé dans le livre de Miguel Shema bon nombre de situations auxquelles j'ai été confronté au cours de ma carrière, puis abordées dans mes livres : le mépris affiché du corps médical et son obscurantisme ; la discrimination des populations Roms ; le refus de soin aux personnes les plus démunies ; la culpabilisation, les tentatives de "normalisation" et le dénigrement des personnes LGBTQIA+ ; la mutilation des nouveaux-nés et mineur·e·s intersexes ; la culpabilisation des malades "non compliant·e·s"; les innombrables maltraitances infligées aux femmes, qu'elles soient enceintes ou non, qui ne veulent pas l'être une fois ou jamais... 

Et cependant, même si j'ai été sensibilisé à tout cela, la pensée et la réflexion de Miguel Shema m'ont ouvert les yeux encore un peu plus. Sa connaissance de la sociologie médicale est immense et il la partage avec une grande clarté et un bon sens impressionnant. Ce faisant, il ouvre de nouvelles perspectives. 

De sorte que ce livre ne m'a pas seulement beaucoup appris et éclairé, mais qu'en plus, il me réjouit. 

Il suggère qu'avec lui, les jeunes générations de soignant·e·s sont infiniment plus conscientes des enjeux politiques de la santé et intellectuellement mieux armées aujourd'hui pour y faire face. 

La lutte pour une délivrance des soins véritablement égalitaire continue, et le livre de Miguel Shema constitue à lui seul un état des lieux, un outil de réflexion et une plateforme d'action précieuse pour éclairer et poursuivre cette lutte. 

Marc Zaffran/Martin Winckler