jeudi 28 octobre 2021

Les femmes savent (et nous disent) comment les soigner. Le CNGOF aurait peut-être dû les écouter - par MW/MZ

La publication récente d'une "Charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique" par le CNGOF a suscité pas mal de critiques (justifiées, à mon avis) de la part des associations d'usagères et des femmes spécialistes de la maltraitance gynéco-obstétricale. 

Ladite charte m'a rappelé un texte rédigé il y a quelques années et que je ne suis pas sûr d'avoir publié. 

J'y décrivais ce que j'avais entendu, compris et appris des femmes (et d'autres personnes) que j'avais reçues en consultation ou vues en visite pendant vingt-cinq ans, et de celles qui m'écrivent depuis le début des années 2000. 

Je l'ai retrouvé, relu, retouché et je vous le livre ici. 

MZ/MW

Soigner… 


On ne devient pas soignant du jour au lendemain. Quand j'ai commencé à exercer, j’étais bourré de certitudes et de préjugés. Heureusement pour moi, j'ai appris une bonne partie de mon métier de soignant en centre d'orthogénie (IVG et contraception), parmi des femmes, avec des femmes. Ces femmes m'ont enseigné à les recevoir et à les soigner. Voici ce qu’elle m’ont dit ou fait comprendre ; cela vaut, il me semble, pour les personnes de tous genres, toutes origines, toutes sensibilités qui consultent un médecin. 


- Ne commencez pas la consultation en me demandant de me déshabiller. 


Me demander (m’imposer) de me déshabiller est la pire manière de (ne pas) nouer une relation. Souriez-moi, donnez-moi votre nom, demandez-moi le mien et invitez-moi à m'asseoir. Votre attitude à mon égard compte plus que votre statut ou vos compétences affichées. 


- Assurez-moi de la confidentialité de l'entretien. 


Parler de soi n’est pas simple, on ne le fait pas sans confiance. Assurez-moi que vous méritez la mienne. (Et, une fois que je serai partie, ne parlez pas de moi en salle de garde ou lors d’un repas entre « confrères », même sans citer mon nom. Mon histoire ne vous appartient pas.) 


- Quand on me bombarde de questions, je ne donne que les réponses que je crois devoir donner. 


Ne me demandez pas « Qu’est-ce qui vous amène » ? Dites plutôt : « Je vous écoute. » Ou « Racontez-moi... » Ce sont des paroles magiques : elles me laissent entendre que ce qui vous soucie le plus, c’est ma vie et ma personne, non mes symptômes. 


- Ecoutez-moi sans m’interrompre. 


Je peux vous dire ce qui me soucie en moins de trois minutes. Et dans quatre-vingt dix pour cent des cas, ça vous donnera le diagnostic. Si vous m’écoutez attentivement, vous l'entendrez. 


- Prenez toujours mon histoire au sérieux. 


Même si elle vous paraît futile ou scandaleuse. Parfois, la demande est cachée derrière un "pré-texte", qui sert d'écran protecteur. Si cela vous met mal à l’aise, ne me jugez pas, essayez de vous mettre à ma place. Et, pour ça, invitez-moi à en dire plus. Si vous vous braquez, je ne parlerai pas. Si vous me tendez la main, je me sentirai en confiance. Parfois, je ne sais pas moi-même exactement ce qui ne va pas. En étant ouvert, vous m'aiderez à le découvrir.  


- Aidez-moi à formuler ce qui m' inquiète. 


C'est plus important pour moi que ce qui vous inquiète. Et souvent, ce qui vous inquiète est totalement étranger à mon problème réel. 


- Invitez-moi à employer mes mots, et non à reprendre ou confirmer les vôtres. 


Et, quand je vous dis que j'ai mal (et quand je vous dis quoi que ce soit !!!) croyez-moi !!! Si vous ne me croyez pas, vous ne pourrez pas me soigner.  Et vous courrez moins de risque en nous croyant toutes qu'en ne croyant personne ou seulement les personnes qui vous semblent crédibles. 


- Rassurez-moi autant qu'il est possible. 


L'angoisse accentue la douleur et compromet la prise de décisions. Si je viens vous voir, c'est pour aller mieux ! Si vous me rassurez, je serai plus détendue, ça facilitera votre travail et ça me permettra de décider de manière plus sereine. Mais ne confondez jamais rassurer et mentir.  


- Ne soyez jamais ironique ou blessant (en parlant de mon aspect physique ou de mon poids, par exemple). 


Et si vous avez été blessant sans le vouloir, présentez-moi des excuses. Je peux vous pardonner une erreur ou une maladresse ; je ne vous pardonnerai jamais de m'avoir humiliée. 


- Ne me condamnez pas, ne me terrorisez pas, ne me culpabilisez pas. 


Si je viens pour une IVG, ce n’est pas pour qu’on m’inflige une leçon de morale. Si je viens pour une IST, ce n’est pas pour être terrorisée sur ma fertilité future ou culpabilisée d’avoir un « comportement à risque ». Si je viens parce que je veux être enceinte à quarante-cinq ans, ce n’est pas pour subir votre condescendance. Je ne suis pas là pour que vous me disiez quoi faire de ma vie, mais pour que vous m'aidiez à la vivre le moins mal possible. 


- Ne dénigrez pas mes choix, respectez-les. 


C'est ma vie, pas la vôtre. Vous n’êtes pas mon directeur de conscience. 


- Invitez-moi à vous poser des questions. Et quand je pose une question qui vous semble « naïve » ou « simple », ne me traitez pas avec condescendance. 


Il n'y a pas de question stupide : si je la pose c’est qu’elle est importante à mes yeux. Et je mérite une réponse respectueuse. Si vous ne comprenez pas ma question, invitez-moi à préciser ce que je veux dire. Parfois, je ne la comprends pas moi-même. Avec votre soutien, nous la comprendrons ensemble. 


- Répondez-moi avec franchise. 


Ne tournez pas autour du pot. Vous avez le droit de réfléchir avant de répondre. Mais vous n'avez pas le droit de me mentir ou d'éluder. 


- Ne me prenez pas pour une imbécile. 


Je n'ai pas fait d'études de médecine, mais si vous prenez le temps de me dire ce que vous pensez, je comprendrai. Ne présumez pas le contraire. Jamais. 


- Si vous ne savez pas, dites "Je ne sais pas, mais je vais me renseigner." 


Et faites-le ! C'est votre boulot. J'attendrai avec confiance. Ne me trahissez pas.


- Avant de m'examiner, posez vous la question de savoir si c'est utile, expliquez-moi pourquoi ça peut l’être et demandez-moi si je suis d'accord. 


- Si je refuse d'être examinée, ne me culpabilisez pas, et ne me menacez pas. 


Un examen gynécologique imposé est un viol. Si je tiens à être examinée alors que vous n’en voyez pas l’utilité, ne le prenez pas pour de la défiance. Parfois, je veux simplement vous montrer que ce que je dis est vrai. (Car je redoute que vous ne me croyiez pas.) Dans tous les cas, examinez-moi avec délicatesse, sans hâte mais aussi sans vous attarder. Un examen gynécologique qui se prolonge est, au mieux, une épreuve pour moi. Au pire, c’est un viol. 


- Ne me prescrivez pas des examens pour vous rassurer. 


Faites-le parce que ça permettra de mieux me soigner. Expliquez-moi à quoi ils serviront, demandez-moi mon accord avant de rédiger la prescription 


- N'énoncez pas un diagnostic pour avoir l'air d'être compétent, mais parce que vous en avez les éléments. 


Ces éléments, donnez-les moi. Et si vous avez plusieurs hypothèses en tête, énoncez-les clairement. Une personne éclairée se détend. Une personne qui ne comprend pas se défend.


- Ne prescrivez pas des traitements « parce qu'il faut bien prescrire quelque chose » ou « pour que j’aie le sentiment d’être soignée » 


Faites-le seulement si vous en attendez un résultat précis. Décrivez-moi leurs effets, attendus ou indésirables. Une femme avertie en vaut deux. 


- Si vous ne pouvez pas ou ne voulez pas être mon/ma soignant·e, proposez-moi de ransmettre toutes les informations nécessaires à un·e professionnel·le qui acceptera de le faire. 


Et ne m'interdisez pas l'accès à une procédure à laquelle j'ai droit, comme la loi l'indique : une IVG, une ligature de trompes, par exemple. Si vous faites obstacle à ce que je les obtienne, vous n'êtes pas seulement hors la loi, vous trahissez votre mission de soignant·e. 


- N'hésitez jamais à demander de l'aide – par exemple à un ·e praticien·ne plus âgé ·e, à l'infirmière ou la sage-femme chevronnées que vous côtoyez dans le service. Je n’ai pas besoin de quelqu'un qui sait tout, mais d’une personne qui met son savoir, son savoir-faire et ses pairs au service du soin. 


Et rappelez-vous que la manière dont vous me soignez me dit si vous êtes digne ou non de soigner mes enfants, mes parents, celles et ceux que j'aime, et toutes les personnes qui ont besoin de soins. Et que je le ferai savoir autour de moi. 

MW/MZ


Conseil de lecture : 

Encore un livre qui devrait être traduit en français et lu et discuté en fac de médecine et qui montre que si beaucoup de médecins n'écoutent pas les femmes et ne les croient pas, c'est parce qu'ils ne savent pas qui elles sont. 





mercredi 27 octobre 2021

Les hommes devraient-ils porter le poids de la contraception (suite) - par Martin Winckler/Marc Zaffran

J'ai déjà abordé la question dans une entrée précédente de ce blog. Au risque de me répéter, je publie ici une réponse adressée à une praticienne spécialisée dans la santé sexuelle qui m'écrit vouloir se consacrer à la contraception masculine.

Voici ce que je lui ai répondu. Comme toujours,  il ne s'agit que d'une position personnelle, pas d'une "vérité" et encore moins "immuable". Je publie ces réflexions pour nourrir la réflexion sur le sujet. 

MW 

La contraception masculine est un sujet important, qui soulève des problèmes complexes et intriqués. En résumé, je pense qu'elle (et la recherche en ce qui la concerne) se heurte à trois types d'obstacle : 

des difficultés techniques et physiologiques : trouver une méthode réversible est beaucoup plus compliqué que pour les contraceptions féminines qui bénéficient du caractère intermittent de l'ovulation (et de la facilité de la bloquer) et des possibilités anatomiques (pour les DIU, en particulier). 

Rien de tel n'est possible pour les hommes et les méthodes existant à l'heure actuelle (slips chauffants, injections hormonales, méthode andro-switch) sont très imparfaites en terme d'efficacité (et on ne les a pas testées sur un nombre suffisant d'hommes pour les commercialiser en toute tranquillité d'esprit). 

Et d'abord, aucune ne peut se mesurer, en termes de tolérance et de continuation, à celles d'un estroprogestatif ou d'un DIU. 

Or, une méthode mal tolérée et abandonnée rapidement par la majorité des utilisateurs/ices n'est pas une méthode praticable, comme les femmes le savent parfaitement. 

Y-a-t-il une réticence des industriels à chercher une méthode masculine ? Non. Autrefois, quand je traduisais le Bulletin des médicaments essentiels de l'OMS,  je me suis intéressé au gossypol (une molécule testée en Chine) et aux injections de valsalgel dans le déférent (expérimentées en Inde). C'était il y a vingt-cinq ans. Etant donné les fortes motivations de ces deux pays pour trouver des méthodes masculines (la vasectomie y est bien plus répandue qu'en France...), on est en droit de penser que si ça avait donné des résultats probants, lesdites méthodes seraient aujourd'hui disponibles, au moins dans les pays en question. Or, il n'en est rien. Le gossypol entraîne des azoospermies permanentes et des insuffisances rénales ; l'injection de valsalgel, en plus des difficultés techniques et des accidents inévitables, ne semble pas aussi réversible qu'on l'avait espéré...  

des problèmes méthodologiques : comment faire pour recruter un nombre suffisant d'hommes et étudier l'efficacité contraceptive de la méthode qu'on leur propose alors que celle-ci se mesure... au nombre de grossesses de leurs partenaires féminines... ? 

Le nombre des spermatozoïdes est en effet insuffisant pour conclure (on voit des grossesses avec des nombres de spz très bas). Et comment prendre en compte l'éventualité qu'un même homme ait plusieurs partenaires féminines pour savoir si la méthode est efficace ? 

Faut-il interdire aux hommes qui testent la méthode d'avoir des relations avec plus d'une partenaire pendant toute la durée de l'expérimentation ? Faut-il les surveiller ? Faut-il leur demande de déclarer les relations extérieures à l'étude ? Et si on le fait, comment contacte-t-on (de quel droit) les partenaires extérieures pour savoir si elles sont enceintes ou non ? Sur le plan du respect de la vie privée et de la méthodologie de recherche, c'est très compliqué et très épineux... 

des question éthiques : Est-ce qu'une contraception masculine efficace assure la sécurité des femmes ? 

Je pense que non. 

La partenaire d'un utilisateur de C° masculine peut très bien décider d'avoir des relations sexuelles avec un ou plusieurs autres partenaires masculins. Donc, elle a besoin de sa méthode personnelle. 

Et même si une femme hétérosexuelle a une relation mutuellement exclusive avec un homme,  pour être tout à fait tranquille, il lui faut l'assurance que la méthode de son partenaire est efficace à 100%. 

C'est  beaucoup demander : aucun médicament et aucune méthode contraceptive n'a ce taux d'efficacité... pas même la ligature des trompes et  la vasectomie, dont le taux d'échec n'est pas nul !!! 

Et, chaque fois qu'il y a une grossesse (accidentelle ou non), c'est la femme que ça concerne en premier. 

La sécurité contraceptive d'une femme ne peut donc pas reposer, sinon de manière occasionnelle (et en toute connaissance des risques), sur la contraception d'un homme (quelle que soit la bonne volonté de l'homme en question). 

(Et je ne parle même pas de l'éventualité terrible qu'une femme soit agressée sexuellement par un autre homme, ou induite en erreur par un homme qui, sans la prévenir, décide de ne plus utiliser sa propre méthode...) 

Je sais que cette idée va à l'encontre du désir - justifié - de beaucoup de femmes de voir les hommes prendre leurs responsabilités en matière de contrôle de la fertilité, mais encore une fois, même en cas de relation exclusive extrêmement solide, le poids d'un échec n'est jamais porté par l'homme. 

Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas rechercher des méthodes nouvelles, bien sûr, mais qu'en pratique clinique, en médecine de terrain, il me semble que l'urgence se trouve plutôt du côté des femmes, ici et maintenant. 

En pratique clinique, il m'a toujours semblé plus important d'améliorer l'accès aux méthodes existantes pour les femmes qui n'en ont pas (ou en ont une qui ne leur convient pas) que de dépenser de l'énergie dans des méthodes encore expérimentales pour lesquelles un(e) praticien(ne) de terrain n'est pas équipé(e). 

L'expérimentation sur l'humain est une procédure lourde, complexe et longue. Et je pense qu'elle ne devrait être entreprise que par des équipes formées à ça. Il y en a, et elles y travaillent. Quand on peut s'intégrer à une équipe a minima, pourquoi pas ? Mais sinon, un(e) praticien(ne) engagé(e) dans le domaine de la santé sexuelle a déjà tant à faire pour répondre aux besoins des femmes que (à mon humble avis) dépenser son énergie sur la C° masculine (qui ne bénéficierait qu'à un petit nombre de femmes, de toute manière), est au mieux une perte de temps, au pire une perte de chance pour les femmes qui auraient le plus besoin de notre aide.

Je suis convaincu qu'un certain nombre d'hommes sont désireux de ne pas provoquer de grossesses, voire de ne pas avoir d'enfants du tout. Je suis convaincu qu'un certain nombre d'hommes sont désireux de partager le poids de la contraception. Et j'appelle de mes voeux une plus grande facilité d'accès à la vasectomie, procédure simple, indolore, bien moins lourde qu'une ligature de trompes, mais scandaleusement difficile d'accès en France pour les hommes qui la demandent, et cela à cause des refus que leur opposent les médecins. 

Mais dans tous les cas, le choix qu'un homme fait d'une méthode de contraception ne peut se passer de l'assentiment de la femme concernée, dans des circonstances et selon des modalités que cette femme aura définies très précisément. 

Car, quelle que soit la bonne volonté d'un homme, lorsqu'une grossesse survient, il n'est jamais celui qui en porte le poids. C'est donc aux femmes de dire quels risques elles sont prêtes à prendre. 

De sorte que ma position personnelle est plutôt radicale : de même que les femmes sont en droit de vivre, de travailler, de jouir et de s'épanouir en dehors des hommes (et sans leur demander ni leur avis, ni leur autorisation), elles sont en droit de contrôler leur fertilité sans l'aide, l'assentiment, l'avis, l'autorisation ou la participation des hommes.

Etre autonome, par définition, ça signifie ne dépendre de personne.

E n l'occurrence, cette autonomie - en particulier en France - les femmes ne peuvent y accéder de manière satisfaisante. Et ce n'est pas parce que les hommes n'ont pas de contraception

C'est avant tout parce que les méthodes féminines les plus efficaces (DIU, Implant) et la méthode définitive qu'est la stérilisation tubaire ne leur sont pas accessibles comme elles le devraient et parce que le corps médical français prescrit majoritairement des pilules estroprogestatives, qui sont loin de convenir à toutes les utilisatrices. 

Quand on sait que corps médical dans son ensemble est prompt à prescrire du Viagra aux hommes mais renâcle quand il s'agit de poser un DIU, d'effectuer une stérilisation masculine ou féminine, ou de permettre l'accès à l'IVG des femmes qui la demandent, il me semble que l'attente de commercialisation d'une pilule masculine est, avant tout, un voeu pieux.  

Et on ne prévient pas les grossesses non désirées par des voeux pieux. 

Et vous, qu'en pensez-vous ? 

Martin Winckler