La publication récente d'une "Charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique" par le CNGOF a suscité pas mal de critiques (justifiées, à mon avis) de la part des associations d'usagères et des femmes spécialistes de la maltraitance gynéco-obstétricale.
Ladite charte m'a rappelé un texte rédigé il y a quelques années et que je ne suis pas sûr d'avoir publié.
J'y décrivais ce que j'avais entendu, compris et appris des femmes (et d'autres personnes) que j'avais reçues en consultation ou vues en visite pendant vingt-cinq ans, et de celles qui m'écrivent depuis le début des années 2000.
Je l'ai retrouvé, relu, retouché et je vous le livre ici.
MZ/MW
Soigner…
On ne devient pas soignant du jour au lendemain. Quand j'ai commencé à exercer, j’étais bourré de certitudes et de préjugés. Heureusement pour moi, j'ai appris une bonne partie de mon métier de soignant en centre d'orthogénie (IVG et contraception), parmi des femmes, avec des femmes. Ces femmes m'ont enseigné à les recevoir et à les soigner. Voici ce qu’elle m’ont dit ou fait comprendre ; cela vaut, il me semble, pour les personnes de tous genres, toutes origines, toutes sensibilités qui consultent un médecin.
- Ne commencez pas la consultation en me demandant de me déshabiller.
Me demander (m’imposer) de me déshabiller est la pire manière de (ne pas) nouer une relation. Souriez-moi, donnez-moi votre nom, demandez-moi le mien et invitez-moi à m'asseoir. Votre attitude à mon égard compte plus que votre statut ou vos compétences affichées.
- Assurez-moi de la confidentialité de l'entretien.
Parler de soi n’est pas simple, on ne le fait pas sans confiance. Assurez-moi que vous méritez la mienne. (Et, une fois que je serai partie, ne parlez pas de moi en salle de garde ou lors d’un repas entre « confrères », même sans citer mon nom. Mon histoire ne vous appartient pas.)
- Quand on me bombarde de questions, je ne donne que les réponses que je crois devoir donner.
Ne me demandez pas « Qu’est-ce qui vous amène » ? Dites plutôt : « Je vous écoute. » Ou « Racontez-moi... » Ce sont des paroles magiques : elles me laissent entendre que ce qui vous soucie le plus, c’est ma vie et ma personne, non mes symptômes.
- Ecoutez-moi sans m’interrompre.
Je peux vous dire ce qui me soucie en moins de trois minutes. Et dans quatre-vingt dix pour cent des cas, ça vous donnera le diagnostic. Si vous m’écoutez attentivement, vous l'entendrez.
- Prenez toujours mon histoire au sérieux.
Même si elle vous paraît futile ou scandaleuse. Parfois, la demande est cachée derrière un "pré-texte", qui sert d'écran protecteur. Si cela vous met mal à l’aise, ne me jugez pas, essayez de vous mettre à ma place. Et, pour ça, invitez-moi à en dire plus. Si vous vous braquez, je ne parlerai pas. Si vous me tendez la main, je me sentirai en confiance. Parfois, je ne sais pas moi-même exactement ce qui ne va pas. En étant ouvert, vous m'aiderez à le découvrir.
- Aidez-moi à formuler ce qui m' inquiète.
C'est plus important pour moi que ce qui vous inquiète. Et souvent, ce qui vous inquiète est totalement étranger à mon problème réel.
- Invitez-moi à employer mes mots, et non à reprendre ou confirmer les vôtres.
Et, quand je vous dis que j'ai mal (et quand je vous dis quoi que ce soit !!!) croyez-moi !!! Si vous ne me croyez pas, vous ne pourrez pas me soigner. Et vous courrez moins de risque en nous croyant toutes qu'en ne croyant personne ou seulement les personnes qui vous semblent crédibles.
- Rassurez-moi autant qu'il est possible.
L'angoisse accentue la douleur et compromet la prise de décisions. Si je viens vous voir, c'est pour aller mieux ! Si vous me rassurez, je serai plus détendue, ça facilitera votre travail et ça me permettra de décider de manière plus sereine. Mais ne confondez jamais rassurer et mentir.
- Ne soyez jamais ironique ou blessant (en parlant de mon aspect physique ou de mon poids, par exemple).
Et si vous avez été blessant sans le vouloir, présentez-moi des excuses. Je peux vous pardonner une erreur ou une maladresse ; je ne vous pardonnerai jamais de m'avoir humiliée.
- Ne me condamnez pas, ne me terrorisez pas, ne me culpabilisez pas.
Si je viens pour une IVG, ce n’est pas pour qu’on m’inflige une leçon de morale. Si je viens pour une IST, ce n’est pas pour être terrorisée sur ma fertilité future ou culpabilisée d’avoir un « comportement à risque ». Si je viens parce que je veux être enceinte à quarante-cinq ans, ce n’est pas pour subir votre condescendance. Je ne suis pas là pour que vous me disiez quoi faire de ma vie, mais pour que vous m'aidiez à la vivre le moins mal possible.
- Ne dénigrez pas mes choix, respectez-les.
C'est ma vie, pas la vôtre. Vous n’êtes pas mon directeur de conscience.
- Invitez-moi à vous poser des questions. Et quand je pose une question qui vous semble « naïve » ou « simple », ne me traitez pas avec condescendance.
Il n'y a pas de question stupide : si je la pose c’est qu’elle est importante à mes yeux. Et je mérite une réponse respectueuse. Si vous ne comprenez pas ma question, invitez-moi à préciser ce que je veux dire. Parfois, je ne la comprends pas moi-même. Avec votre soutien, nous la comprendrons ensemble.
- Répondez-moi avec franchise.
Ne tournez pas autour du pot. Vous avez le droit de réfléchir avant de répondre. Mais vous n'avez pas le droit de me mentir ou d'éluder.
- Ne me prenez pas pour une imbécile.
Je n'ai pas fait d'études de médecine, mais si vous prenez le temps de me dire ce que vous pensez, je comprendrai. Ne présumez pas le contraire. Jamais.
- Si vous ne savez pas, dites "Je ne sais pas, mais je vais me renseigner."
Et faites-le ! C'est votre boulot. J'attendrai avec confiance. Ne me trahissez pas.
- Avant de m'examiner, posez vous la question de savoir si c'est utile, expliquez-moi pourquoi ça peut l’être et demandez-moi si je suis d'accord.
- Si je refuse d'être examinée, ne me culpabilisez pas, et ne me menacez pas.
Un examen gynécologique imposé est un viol. Si je tiens à être examinée alors que vous n’en voyez pas l’utilité, ne le prenez pas pour de la défiance. Parfois, je veux simplement vous montrer que ce que je dis est vrai. (Car je redoute que vous ne me croyiez pas.) Dans tous les cas, examinez-moi avec délicatesse, sans hâte mais aussi sans vous attarder. Un examen gynécologique qui se prolonge est, au mieux, une épreuve pour moi. Au pire, c’est un viol.
- Ne me prescrivez pas des examens pour vous rassurer.
Faites-le parce que ça permettra de mieux me soigner. Expliquez-moi à quoi ils serviront, demandez-moi mon accord avant de rédiger la prescription
- N'énoncez pas un diagnostic pour avoir l'air d'être compétent, mais parce que vous en avez les éléments.
Ces éléments, donnez-les moi. Et si vous avez plusieurs hypothèses en tête, énoncez-les clairement. Une personne éclairée se détend. Une personne qui ne comprend pas se défend.
- Ne prescrivez pas des traitements « parce qu'il faut bien prescrire quelque chose » ou « pour que j’aie le sentiment d’être soignée »
Faites-le seulement si vous en attendez un résultat précis. Décrivez-moi leurs effets, attendus ou indésirables. Une femme avertie en vaut deux.
- Si vous ne pouvez pas ou ne voulez pas être mon/ma soignant·e, proposez-moi de ransmettre toutes les informations nécessaires à un·e professionnel·le qui acceptera de le faire.
Et ne m'interdisez pas l'accès à une procédure à laquelle j'ai droit, comme la loi l'indique : une IVG, une ligature de trompes, par exemple. Si vous faites obstacle à ce que je les obtienne, vous n'êtes pas seulement hors la loi, vous trahissez votre mission de soignant·e.
- N'hésitez jamais à demander de l'aide – par exemple à un ·e praticien·ne plus âgé ·e, à l'infirmière ou la sage-femme chevronnées que vous côtoyez dans le service. Je n’ai pas besoin de quelqu'un qui sait tout, mais d’une personne qui met son savoir, son savoir-faire et ses pairs au service du soin.
Et rappelez-vous que la manière dont vous me soignez me dit si vous êtes digne ou non de soigner mes enfants, mes parents, celles et ceux que j'aime, et toutes les personnes qui ont besoin de soins. Et que je le ferai savoir autour de moi.
MW/MZ
Conseil de lecture :
Encore un livre qui devrait être traduit en français et lu et discuté en fac de médecine et qui montre que si beaucoup de médecins n'écoutent pas les femmes et ne les croient pas, c'est parce qu'ils ne savent pas qui elles sont.