Pour un article destiné à Elle.fr, j'ai répondu à une série de questions de Caroline Michel.
Voici l'intégralité de ses questions et de mes réponses, dont certaines seulement ont été reprises dans son article.
(NB : Comme me l'a suggéré un/e correspondant/e, je précise que les réponses ci-dessous sont cis-normées, non parce que je veux exclure les autres femmes, mais parce que mon expérience ne porte que sur les femmes cis-genre).
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Comment définir la lubrification, et distinguer ce phénomène de l’hydratation naturelle et « continue » du vagin ?
Il n'y a pas de différence. Le vagin est lubrifié comme la bouche, en permanence, et à certains moments, ces sécrétions "de base" deviennent plus abondantes, tout comme on salive plus quand on a faim, ou comme quand on larmoie en permanence pour protéger son oeil. Les sécrétions vaginales se produisent de la même manière que la salive ou les larmes. Elles augmentent en général sous l'effet de stimulations qui sont (selon les personnes) : les baisers, les caresses sur le cou ou les seins ou toute autre zone sensible (variable d'une personne à une autre), les mots doux, la stimulation douce du clitoris et/ou des grandes lèvres, etc. Mais il n'y a pas de règle : chacune réagit de manière particulière. Une femme peut se mettre à avoir des sécrétions plus abondantes parce qu'elle a un rêve amoureux ou parce qu'elle pense à la personne qu'elle désire, ou parce qu'elle lit un roman érotique... La première zone érogène, c'est le cerveau, et le corps réagit en fonction de ce qui se passe dedans. Exactement comme pour l'érection. Ni plus, ni moins.
- Par quels mécanismes les femmes lubrifient-elles ?
Le vagin contient des cellules à mucus (qui sécrètent des liquides physiologiques) et le col de l'utérus des glandes similaires aux glandes sudoripares (de la sueur) ou lacrymales (des larmes) ou salivaires (de la salive). . Ces cellules fonctionnent au ralenti en permanence. Lors de la stimulation sexuelle, les vaisseaux de la vulve et du vagin se dilatent (comme ceux du pénis) et la quantité de liquide sécrétée peut ainsi augmenter. Les glandes de Bartholin (qui sont les "glandes salivaires" des petites lèvres) lubrifient la vulve, et les cellules muqueuses du vagin et les glandes du col lubrifient le vagin.
- Faut-il rappeler (on l’entend souvent) que la lubrification féminine n’est ni continue ni automatique ? Là où l’érection paraît parfois plus mécanique ?
Mais ni l'une ni l'autre ne le sont ! Ca ne fonctionne que quand les conditions s'y prêtent. La douleur par exemple, ou la surprise ou la peur peuvent empêcher la lubrification comme empêcher l'érection. Les phénomènes physiologiques de stimulation sexuelle sont exactement les mêmes chez la femme et chez l'homme. (Encore une fois, la première zone érogène, c'est le cerveau...) L'une est visible, l'autre moins, c'est tout. Et surtout, les hommes ont toujours interprété la lubrification selon LEUR point de vue, et non selon le point de vue des premières intéressées...
- Dans la même lignée, quelle différence entre un souci de sécheresse vaginale et un souci de lubrification ?
La sécheresse vaginale, c'est quand le vagin ne lubrifie pas assez en permanence, en dehors de toute stimulation sexuelle. De même que pour la bouche : s'il fait extrêmement chaud, ou si vous prenez des médicaments qui assèchent la bouche, ils vont aussi assécher les larmes et les sécrétions vaginales (et la sueur aussi) en permanence. La sécheresse vaginale n'est en général pas isolée. Même après la ménopause. Et c'est un phénomène personnel, pas général à toutes les femmes ménopausées, par exemple.
- Trouvez-vous que la lubrification connaît son injonction au même titre que l’érection ? Il « faudrait » lubrifier / bander pour être une affaire sexuelle ? (J’ai le sentiment que la pression autour de l’érection envahit les hommes tandis que les femmes ne se posent pas tant la question jusqu’au jour où « ça déraille »)
L'injonction à la lubrification vient essentiellement de la vision masculine. Selon cette vision, quand une femme lubrifie, c'est parce qu'elle est excitée par un homme et prête à recevoir son pénis !!! C'est très normatif (et caricatural, et faux...). Or, comme je l'ai rappelé ci-dessus, c'est très variable d'un moment à l'autre. On peut être très amoureuse de quelqu'un et à certains moments ne pas lubrifier comme on le voudrait pour des raisons diverses et variées. On peut aussi n'avoir personne en tête mais avoir plus de sécrétions parce qu'on pense à quelque chose d'excitant (ou pendant une lecture, par exemple) ! L'injonction n'est donc pas valide (aucune injonction ne l'est). Mais évidemment, quand on a des rapports avec pénétration, si on n'a pas le vagin suffisamment lubrifié, c'est douloureux !!! Avoir des sécrétions, c'est plus confortable que ne pas en avoir, tout comme avoir de la salive et un film humide sur les yeux en permanence est beaucoup plus confortable qu'avoir la bouche sèche et les yeux secs en permanence !
- Peut-être faut-il comparer le sperme et la cyprine ? Le sperme est un fluide valorisé, notamment à travers le porno, mais la cyprine aussi ?
Oui, tellement valorisée que ça n'existe pas à proprement parler, la cyprine. C'est juste un terme poétique pour désigner les secrétions de la vulve (des glandes de Bartholin). Il n'y a pas un sécrétion sexuelle "sacrée" qui s'ajouterait à la sécrétion vaginale "normale". C'est la même, mais en plus abondant !!! Mais ça plaît aux hommes de penser qu'une femme excitée par eux (et eux seuls) secrète une substance magique spéciale !!! Bref : c'est un fantasme.
- Peu lubrifier, est-ce un souci ? Quels problèmes cela engendre-t-il ? (Dyspareunies… manque de confiance en soi ?) Peut-on relativiser en rappelant que « lubrifier peu c’est déjà suffisant » ?
Là encore, ça dépend des femmes. Quand on a spontanément des sécrétions abondantes (et c'est le cas d'un certain nombre de femmes), on ne voit pas vraiment la différence en période d'activité sexuelle. Parfois un peu en début et en fin de cycle, mais c'est très subjectif. Si une femme n'est pas gênée et se sent bien pendant des rapports avec pénétration, c'est qu'elle lubrifie assez. (Peu importe ce que dit ou pense son ou sa partenaire.)
Si elle est gênée ou a mal, alors il y a un problème. Mais il ne vient peut-être pas d'elle. L'augmentation de la lubrification peut prendre plusieurs minutes, selon les personnes. Avant ça, on n'est "pas assez" lubrifiée. Après avoir pris le temps nécessaire, on l'est. C'est une question éminemment personnelle, et bien sûr ça dépend de la ou le partenaire de la femme en question... Et bien sûr, du moment, de l'état d'esprit, etc.
A noter aussi que beaucoup de médicaments peuvent diminuer les sécrétions, à commencer par les hormones contraceptives : beaucoup de femmes - pas toutes, mais un nombre non négligeable - se plaignent de ne pas lubrifier autant quand elles prennent la pilule, et c'est un motif légitime et suffisant pour changer de contraception (soit prendre une autre pilule ou passer au DIU au cuivre).
Mais les sécrétions peuvent aussi être taries par tous les médicaments ayant des effets dit "atropiniques" (traduire : asséchant les sécrétions glandulaires) comme en particulier certains antidépresseurs, les neuroleptiques, mais aussi les antispasmodiques du tube digestifs (pour lutter contre les colites spasmodiques), certains traitements de l'asthme... Etc. Quand on vous prescrit un médicament, lisez toujours la notice. Si ça dit qu'un des effets secondaires fréquents est "sécheresse de la bouche ou des yeux", il y a de bonnes probabilité qu'il diminue aussi les sécrétions vaginales !
- Que faire en cas de plus gros souci, de véritable sécheresse, qui rendrait les rapports désagréables ?
Si c'est inhabituel et que ça se reproduit indépendamment de l'environnement, autrement dit, même quand toutes les conditions sont réunies, il faut chercher la cause, qui peut être la contraception actuelle (toutes les contraceptions hormonales, y compris le DIU hormonal) un autre médicament ou une maladie en cours (pas forcément grave).
Si c'est constant depuis toujours, alors la meilleure solution c'est le recours à un lubrifiant. Le lubrifiant est le meilleur ami de la sexualité pour les personnes de tous les genres.
- Que peut-on dire sur le cercle vicieux « J’ai peur de ne pas lubrifier, donc je lubrifie encore moins ». La place de l’esprit dans tout ça ?
J'en ai parlé ci-dessus, le cerveau est la zone érogène (ou anti-érogène) numéro un, et l'anxiété compromet tout, dans les relations sexuelles ; mais je trouve important de rappeler que le manque de lubrification n'est qu'un symptôme isolé et ne doit pas masquer la forêt. Les femmes (ou leur cerveau) ne sont pas "seuls responsables" de leur lubrification. Le présenter comme ça, c'est une nouvelle injonction...
Quand on a un rapport sexuel un peu difficile avec une personne avec qui on s'entend bien et qui nous respecte, on peut faire en sorte que le rapport suivant se passe mieux : prendre le temps de se stimuler réciproquement pour que le rapport avec pénétration (si c'est ce qu'on veut) soit aussi agréable que possible.
Si ce n'est pas possible, le problème n'est peut être pas la lubrification (ni vous...), mais la relation ou le/la partenaire.
- Que faire pour « améliorer » sa lubrification ?
On ne peut pas l'améliorer si elle a toujours été ce qu'elle est avec un(e) partenaire donné(e) mais on peut
1° garder le/la même partenaire et recourir à un lubrifiant. :-)
2° travailler avec le partenaire (en thérapie de couple) si on se rend compte que toute la sexualité est un problème et la lubrification seulement un symptôme (et recourir à un lubrifiant).
3° changer de partenaire (mais garder le lubrifiant ; l'autre est assez grand.e pour s'en acheter)
- Les lubrifiants sont encore perçus comme des médicaments ? Que dire / faire pour que ce « cosmétique » soit plutôt perçu comme un support érotique, un jeu ?
Le lubrifiant est l'un des produits cosmétiques les plus vendus en Amérique du Nord. C'est considéré comme un produit aussi banal et d'usage aussi courant que la crème pour les mains quand on a la peau sèche. Si c'est sec, on hydrate, un point c'est tout.
En France, on voit ça comme un produit érotique parce que tout ce qui concerne la sexualité est perçu comme "érotique", alors que la sexualité est une fonction physiologique aussi élémentaire que la respiration ou la digestion. Si vous avez soif, vous buvez. Si vous avez chaud, vous allez prendre une douche. Et donc, si vous avez le sentiment de ne pas être assez lubrifiée au moment où vous le voulez, vous pouvez très bien avoir un flacon de lubrifiant dans le tiroir de la table de nuit. Et on peut en utiliser pendant toute sa vie... "Le lubrifiant est votre ami", dit-on au Québec. "Le lubrifiant, c'est stupéfiant", écrit le Dr Jennifer Gunter dans "La Bible du Vagin", que je ne saurais trop recommander !!!
- Comment « convaincre » les femmes (mais aussi les hommes) de la place du lubrifiant dans tous rapports ? Après tout, il n’est pas réservé qu’aux personnes qui souffrent de sécheresse ?
Je leur dirais simplement :
"Essayez une fois, vous verrez. Si vous n'aimez pas, vous ne le réutiliserez pas. (Encore qu'on peut être amené à en tester plusieurs pour trouver le bon, tout comme on le fait pour une crème hydratante !!!) Mais si ça vous facilite la vie, vous ne voudrez plus vous en passer."
Et rappelez-vous: le lubrifiant n'est là qu'au cas où on en a besoin. Si vous n'en avez pas besoin, personne ne vous oblige à l'utiliser. Dans l'idéal, c'est un accessoire qu'on utilise à deux. Le lubrifiant est l'ami du couple, pas seulement de la femme : il n'a pas de préjugé de genre !
- Quels « produits » faut-il éviter pour apporter de la lubrification ? Huile, salive ?
Quand on n'a rien d'autre sous la main, la salive (la sienne ou celle du/de la partenaire) ou l'huile végétale conviennent très bien et peuvent largement suffire. L'inconvénient de l'huile, c'est que ça tache beaucoup les draps et le linge et que ça fragilise les préservatifs. Les lubrifiants aqueux (à base d'eau), en revanche, sont utilisables en toutes circonstances, ils ne sont pas toxiques ou polluants, et c'est ceux-là qu'il est préférable d'employer. Et j'imagine qu'aujourd'hui en France, comme au Canada, on en trouve en parapharmacie, pas seulement en sex-shops !
Et je vous invite vivement à lire ce petit bijou d'intelligence écrit par Lou Sarabadzic :
Voilà...
martinwinckler @ gmail . com