mardi 22 décembre 2015

Origines du dogmatisme et des comportements non soignants de nombreux médecins français - par Marc Zaffran/Martin Winckler

  
En guise d’introduction, une mise en situation personnelle 

Quand, à la fin des années 90, j’ai commencé à écrire Contraceptions mode d’emploi (1), je croyais tout connaître sur mon sujet, ou presque : je travaillais dans un centre de planification et d’IVG depuis 1983, j’avais lu presque tout ce qui était publié en France,  je demandais régulièrement conseil à plusieurs gynécologues de ville ou de la maternité voisine, soucieux du bien-être des patientes et disposés à partager ce qu’ils savaient. (Jacky, Jackie, Didier, Catherine, Philippe, encore merci !)

Mais à partir de 1995-1996, à mesure que l’internet naissant me permettait d’élargir mon champ de recherche, j’ai découvert que j’ignorais l’essentiel des notions utiles, et surtout que je n’avais pratiquement pas eu accès à beaucoup de travaux scientifiques qui venaient, selon le cas, valider mes notions théoriques ou discréditer mes idées reçues.

La littérature en langue anglaise ne manquait pas : on la trouvait sur des revues spécialisées destinées aux professionnels comme la (désormais disparue) revue en ligne Contraception Report » du Baylor College de Houston (Tx), mais aussi dans des bulletins d’organismes internationaux de planification familiale (IPPFEN) ou encore sur des sites consacrés à la santé des femmes (Our Bodies, Ourselves).

Sur le site de l’IPPF, sur celui de The Population Report de l’université Johns Hopkins, sur les sites canadiens de l’époque et bien sûr sur celui de l’OMS, on trouvait des informations en français. Si vous voulez télécharger les recommandations actuelles (en français) de l’OMS en matière de santé reproductive, il suffit de cliquer ICI.

Les livres médicaux sur le sujet ne manquaient pas non plus. Ceux dont je me suis le plus souvent servi à l’époque (et encore aujourd’hui) étaient l’énorme traité Contraception de David Serfaty et son Abrégé (Ed. Masson, le seul ouvrage complet en français), le Clinical Guide for Contraception de Speroff (Lippincott) et Contraception : Your Questions Answered du Britannique John Guillebaud, que je considère comme le plus pratique pour tous les professionnels. C’est de ce dernier que je me suis le plus inspiré pour écrire mes propres livres sur le sujet.

Je me suis senti honteux en découvrant que je donnais des conseils souvent rigides et parfois inefficaces ;  que je défendais mordicus des principes qu’on m’avait inculqués en faculté, répétés par livres et revues sans l’ombre d’une discussion ; que je refaisais de manière mécanique des gestes pénibles pour les patientes et pour certains, parfaitement inutiles. J’ai commencé à changer de discours et de comportements.

Soucieux de ne pas garder ce nouveau savoir par-devers moi, j'ai résolu de le partager dans un ouvrage qui soit lisible aussi bien par les femmes curieuses de savoir, de comprendre et de choisir leur méthode, que par les enseignant(e)s, les travailleurs sociaux et les professionnel(le)s de santé concernés. Ce que j’avais envie de faire, c’était à la fois un ouvrage de référence en langue française ET un guide pratique tel Contraception Today, (Guillebaud encore) ou le très chouette Mon Guide Gynéco d’Agnès Ledig (sage-femme) et Teddy Linet (gynécologue) qui sera publié en janvier 2016 chez Pocket. Bref, je voulais écrire le bouquin que j’aurais aimé trouver en librairie au moment où je m’étais mis à faire des remplacements.

Je pensais, naïvement, que tout le monde - à commencer par mes confrères - serait ravi de voir un tel livre enfin disponible. 
Je me trompais.

Contraceptions mode d’emploi a connu un beau succès : il s'en est vendu entre quinze et vingt mille exemplaires en trois éditions. (En même temps que la troisième en 2007, j’ai publié deux livres de plus petit format : Choisir sa contraception et Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les règles (éd. Fleurus), également destinés au grand public.)

Le livre a été largement couvert par la presse grand public et a même fait l'objet d'une émission de télévision. Son caractère polémique n'est pas passé inaperçu : L’Express relevait à l’époque ma critique vigoureuse de la prescription excessive de « Diane 35° » - sans pour autant que le fabriquant porte plainte. Des magazines féminins en ont parlé. Bref, l’accueil a été très positif. Sauf dans le monde médical.

En effet, alors que les médecins anglo-saxons n’hésitent jamais à chroniquer un livre médical destiné au plus large public, Contraceptions mode d’emploi n’a pratiquement fait l’objet d’aucun compte-rendu dans les journaux médicaux français. Pas même pour en critiquer le contenu scientifique (même si j’avais apporté beaucoup de soin à son écriture, on pouvait certainement y relever des approximations ou des manques). On m’a certes rapporté de vive voix ou par écrit les commentaires défavorables de professionnels qui me reprochaient mon « manque de rigueur » (sans précision), des « informations fausses » (sans dire lesquelles), l' "absence de bibliographie" (ils n'avaient pas lu le livre jusqu'à la fin) et ma « démagogie » (sans doute pour avoir écrit un livre destiné au grand public). Mais je n’ai pas reçu de mise en demeure du syndicat des gynécologues obstétriciens ou d'avertissement du Conseil de l'Ordre.
Pour une grande partie de la profession médicale française, ce livre n'a jamais existé.

De certains discours médicaux en France en 2015

Depuis, heureusement, beaucoup d’eau est passée sous les ponts. L’internet s’est développé en France, les forums se sont multipliés, le site (officiel) de l’INPES donne des informations fiables sur la contraception et les pages consacrées à la gynécologie et l’obstétrique abondent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Autant dire que les femmes françaises sont beaucoup mieux informées.

Et pourtant, beaucoup de médecins semblent toujours ne pas l’être. Il ne se passe pas de jour sans que je lise, dans mes courriels, sur des pages FB ou via Twitter, le récit de femmes françaises à qui l’on refuse l’accès à la contraception de leur choix sous des prétextes divers.

Parmi les prétextes invoqués par les professionnels pour refuser une contraception on entend les bêtises suivantes :

« Vous êtes trop jeune » (à des jeunes femmes qui ont déjà des rapports sexuels ou sont susceptibles d’en avoir)
« Vous n’en avez plus besoin » (à des femmes qui ne sont pas ménopausées)
« Tabac et pilule sont incompatibles » (à des femmes de moins de 35 ans) 
« Les DIU sont interdits aux femmes sans enfant »
« La prise d’anti-inflammatoires inactive l’efficacité des DIU »
« Les DIU favorisent les grossesses extra-utérines et la stérilité. »
« Il ne faut pas porter de « cup » avec un DIU, ça facilite leur expulsion. »
« L’implant provoque de l'ostéoporose. »
« La prise de pilule compromet la fertilité. »
« La prise de pilule en continu (pour ne pas avoir de "règles") est dangereuse pour la santé »
« La loi interdit aux femmes de moins de 35 ans qui ne veulent pas d'enfant de se faire stériliser. »

Et j’en passe.

Or, toutes ces affirmations sont fausses, et les preuves scientifiques, les directives professionnelles et les réglementations et lois de la République ne manquent pas pour le prouver. 

Qu'en 2015, alors que les usagères ont accès à de multiples sources d’information qui leur disent le contraire, bon nombre de professionnels de santé continuent à proférer sans honte ces affirmations erronées c'est, pour le moins, problématique.  

Ces jours-ci, une journaliste m’écrit :
« Je suis très intriguée par le retard des médecins français sur leurs confrères anglo-saxons, s'agissant de la prescription d'une pilule en continu. 
Est-ce juste une question de dogmatisme (et dans ce cas comment expliquer ce dogmatisme?) ou y a-t-il aussi d'autres raisons, par exemple la pression de certains lobbies (les marques de serviettes hygiéniques feront faillite si les femmes décident de ne plus avoir leurs règles !)? 
Je serais curieuse de savoir ce qui est enseigné aujourd'hui dans les facs de médecine françaises à ce sujet. J'ai l'impression que les plus jeunes générations de gynécologues sont plus ouvertes. »

La question soulevée est effectivement de taille : pourquoi tant de membres d’un corps professionnel qui affirme œuvrer pour la santé des femmes sont-ils encore si en retard dans leurs connaissances ? Pourquoi s’ingénient-ils à opposer des fins de non-recevoir à des demandes courantes et satisfaites sans problème hors des frontières de l’hexagone ? 

(Quelques exemples : Les DIU au cuivre de petite taille - donc, pour femmes sans enfant - sont commercialisés dans le monde entier, y compris en France, depuis au moins quarante ans. Aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou au Canada, on pose sans discussion un DIU au cuivre ou hormonal à la femme qui le demande, quel que soit son âge. La prise de pilule en continu est depuis plusieurs décennies une pratique courante et des marques de pilules à prendre 3 ou 6 mois d’affilée existent aux États-Unis et en Angleterre depuis dix ans au moins, etc.)

Comprenons-nous bien : un médecin n’est pas un robot qui inscrit quelque chose sur une ordonnance à la moindre demande d’un patient ; sa profession et l'indépendance qu'elle requiert l'obligent certes à diagnostiquer, éclairer, informer, guider, conseiller et prescrire de son mieux, mais certainement pas à répondre à toutes les demandes sans discrimination. Cependant, son autonomie professionnelle ne l'autorise pas non plus à défendre des positions scientifiques erronées, ou à opposer une fin de non-recevoir à des demandes légitimes.

Une profession qui se dit scientifique doit se maintenir à jour des connaissances scientifiques. Or, souvent, le type d’arguments que certains médecins, en particulier des gynécologues (2) opposent aux femmes ne sont pas des arguments scientifiques, mais des dogmes.

Le TLFI (Trésor de la langue française informatisé) définit le dogme comme étant une « proposition théorique établie comme vérité indiscutable par l'autorité qui régit une certaine communauté. » (C’est moi qui souligne.)

Les affirmations énumérées plus haut ne reposent pas sur des faits scientifiques et ne peuvent pas être discutées avec beaucoup de celles et ceux qui les martèlent - pas même, souvent, au moyen d’arguments scientifiques. A leurs yeux, ce sont donc des dogmes. En tant que tels, ils sont incompatibles avec l’éthique et la déontologie médicale. Rappelons que le code de déontologie des médecins français affirme : (Article 32, article R.4127-32 du CSP, et premier des « Devoirs envers les patients ») : Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents.

Malgré le Code de déontologie, parmi bon nombre de médecins français, les dogmes sont légion, et ils ont la vie dure. 
D’où viennent-ils, ces dogmes, et comment sont-ils inculqués à tant de praticiens ?

La réponse tient en une phrase. 

Ces dogmes naissent d'une structure pyramidale et d'un enseignement paternaliste, contraires à l'éthique du soin, qui écartèlent les étudiants entre des loyautés contradictoires, et les transforment en médecins phobiques et dépendants

***

Démonstration 

Structure pyramidale…

Le dogmatisme médical français est directement lié aux conditions de la formation, paternaliste et profondément élitiste, que subissent les étudiants. (Oui, on voit ça aussi ailleurs qu’en France, mais dans ce texte, il s’agit de balayer devant la porte de l'Hexagone.)

La médecine est une discipline qui nécessite simultanément l’acquisition d’un très grand nombre de notions scientifiques théoriques et un apprentissage pratique difficile et émotionnellement éprouvant. En principe, cet apprentissage « au lit du malade », qui fonctionne comme un compagnonnage, devrait venir compléter les notions théoriques et scientifiques acquises auparavant, les nuancer, les relativiser, les mettre en situation. Il devrait aider les étudiants à utiliser le savoir comme un outil au service du soin, et non comme une entrave. Il devrait aussi contribuer à aider le médecin à affronter les difficultés morales du soin.

De même qu’un professionnel de santé soucieux d’éthique considère le patient comme son égal, le formateur soucieux d’éthique doit considérer l’étudiant comme l’égal de l’étudiant qu’il a lui-même été, à savoir un futur collègue, un sujet en formation pensant et agissant, non une éponge qu’il s’agit de gorger jusqu’à ce qu'elle dégoutte. Aujourd’hui plus qu’hier, étudiants hospitaliers et résidents entrent à l’hôpital avec un bagage incomplet et encore hésitant, mais déjà très important. Sur certains points, ils ont des notions plus fraîches que celles des cliniciens à qui ils auront affaire.

Dans l’idéal, la relation entre enseignant et étudiant est une relation de partage et d’échanges réciproques. Dans la réalité, les relations entre enseignants et étudiants varient énormément selon la société, le milieu considéré et la personnalité des individus.

Quand société, milieu et individus tendent vers la réciprocité, la relation est horizontale et dynamique : l’apprenti s’enrichit de l’expérience du formateur et en retour soulève les questions que son aîné ne se pose pas (ou plus) et le pousse à réexaminer sa pratique.

Quand la société et le milieu sont autoritaires et paternalistes, la relation est verticale, descendante et unilatérale. 

Depuis la réforme de 1958, le monde hospitalo-universitaire français est structuré de manière pyramidale ; tout chef de service règne en monarque absolu dans "son" service : dans les départements de CHU voués au soin, à l’enseignement et à la recherche, le « Patron », comme son nom l’indique, décide de tout

Ce pouvoir considérable a bien entendu de lourdes conséquences sur le fonctionnement des services en matière de soin et de recherche, mais je vais me cantonner ici à ce qui concerne l’enseignement. Le Patron a en effet tout pouvoir sur les médecins en formation – et en particulier, celui de favoriser, de ralentir, voire de mettre un terme à leur carrière.

… enseignement paternaliste…

Pendant longtemps (et c’est encore le cas dans de nombreuses facultés), l’enseignement médical français était fondé sur un certain nombre de prémisses non dites, mais parfaitement intégrées par la majorité de ses membres :

Certaines de ces prémisses concernent la relation de soin :

« Un médecin sait, les patients ne savent pas. » (Et même si on leur expliquait, la plupart ne comprendraient pas.) 
« Le médecin acquiert son savoir en observant des patients et en écoutant ses maîtres. Jamais en recevant ce savoir des patients eux-mêmes. »
« Les patient(e)s ont des attentes inappropriées (puisque c'est le médecin qui sait) et donc tantôt excessives, tantôt insignifiantes. »
« Le patient n'est jamais rationnel ; le bon médecin, lui, l'est toujours. » (Ou, en tout cas, toujours plus que le patient.) 
« Le patient qui prend une décision contraire à ce que le médecin a recommandé court de grands risques. » Et, par conséquent, « Il est parfois nécessaire d'imposer au patient ce qu'il ou elle ne veut pas, pour son bien. »

D’autres prémisses concernent la relation entre formateurs et étudiants :

- Héritage direct de la société monarchique, l’autorité d’un « Maître » en médecine et sa compétence découlent exclusivement de son titre et de son statut dans la hiérarchie hospitalo-universitaire. (Le fait qu'il soit totalement incompétent n'y change rien.) Ladite hiérarchie étant pyramidale, le « Patron », s'il est "Professeur en chaire" est l’autorité pédagogique suprême dans sa spécialité. 

- Bien entendu, seuls les médecins peuvent former les médecins et leur servir de « modèle ». Une infirmière, une sage-femme, une orthophoniste ne le peuvent pas. Et, à une poignée d’exceptions près, les « Maîtres » sont des hommes. (La féminisation de la profession médicale semble à peine modifier les choses, puisque le sommet de la hiérarchie reste majoritairement masculin.) 

- Enfin, l’autorité d’un « Maître » vient toujours du fait qu’il est Patron ou que le Patron lui a délégué son autorité. Tout « Maître » est donc, peu ou prou, une extension du Patron. 

D'autres prémisses, enfin, ne sont pas spécifiques de l’hôpital : on les retrouve dans d’autres environnements d’apprentissage, universitaires ou non, en France ; mais ils témoignent d’une mentalité féodale et quasi religieuse, fondée sur l’idée d’un pouvoir suprême, transmis par cooptation et s’exerçant exclusivement de haut en bas.

Ainsi :
- « Ce que le Patron sait, l’étudiant ne peut pas le savoir avant que le Patron le lui ait inculqué. Il n’a pas le droit de contester ce savoir, ou de le questionner.
- « Ce que le Patron enseigne aujourd’hui comme vrai ne peut pas être faux demain. »
- « Ce que le Patron tient pour faux ne peut pas être vrai. » (Et ce dont il n’a pas connaissance n’existe pas.) 
- « Le Patron n’a pas à (s')expliquer. S’il le fait, c’est par faveur, non par obligation. Et il appartient à l’étudiant d’assimiler à tout moment, de comprendre s’il en est capable et d’appliquer sans discuter ce qu' a dit le Patron.
- « Ce que le Patron fait, l’étudiant doit le faire comme lui. Il ne peut pas envisager de le faire autrement sans son autorisation. » (Mais suggérer de faire autrement, c’est insultant pour le Patron. Donc, irresponsable, indigne de la profession, etc.)
- « Les interdits du Patron ne doivent jamais être transgressés, sous peine de mort » (celle du patient, bien entendu).


A maints égards, la formation médicale française illustre parfaitement l’expérience de Milgram : une figure d’autorité (le Patron ou le Maître) ordonne à un sujet « naïf » (l’étudiant, le résident) d’exécuter des ordres portant sur un tiers (le patient) sans qu’il soit possible de discuter le bien-fondé de ces ordres.

Le conformisme, auquel tous les êtres humains sont prédisposés, même pour les tâches les plus anodines ou les plus absurdes, contribue à plonger d’emblée le nouvel arrivant dans un environnement où on ne discute pas la parole du Patron. 

L’expérience de Milgram laissait les sujets libres de rejeter les ordres de la figure d'autorité. Dans les facultés de médecine françaises fonctionnant sur ce modèle, l’obéissance est assurée par le fait que la figure d’autorité a tout pouvoir pour expulser le sujet du service, voire l'exclure du cursus, s'il se rebelle contre elle.

Dans ces conditions, le Patron et ses extensions peuvent, de fait, pratiquer un enseignement, fondé sur l’argument d’autorité (« Moi, le Patron, je dis que… »), lequel fait alors figure de vérité indiscutable et donc, de dogme. Or, l’enseignement dogmatique est l’inverse de la réflexion scientifique, qui repose sur la confrontation et la mise en commun des expériences, le questionnement des « vérités » d’antan, l’énoncé d’hypothèses nouvelles, la recherche de preuves tangibles ou chiffrées pour les étayer - et donc, pour remettre en cause les notions dépassées. 

Un exemple caricatural d’argument d’autorité : l’interdiction de prescrire des anti-inflammatoires à une femme portant un DIU au cuivre. Ce dogme, strictement franco-français, découle d’une hypothèse formulée dans les années 80 par un Patron, et promue par la suite comme une Vérité alors qu’elle a été maintes fois démentie par des études cliniques.

Aux prémisses citées plus haut, ajoutons une dernière, qui n'est pas spécifique du monde médical, mais tout à fait représentative de la culture française, très cloisonnée, très fermée sur elle-même, très ethnocentrique, à savoir : 

« Ce qui s'écrit et se fait en médecine hors de France est au mieux douteux, au pire sans intérêt ; si c'est écrit en anglais, ça ne peut pas être de la bonne médecine car les médecins anglo-saxons sont essentiellement motivés par l'argent ; tandis que les médecins français, eux, sont mus par le souci des patients. »

(Si, si, je vous assure que c'est souvent aussi caricatural que ça.)

… contraires à l’éthique de la formation et des soins... 

Hiérarchie pyramidale, arguments d’autorité et isolationnisme intellectuel ont des conséquences incontournables et désastreuses.

D’abord, ils interdisent toute communication entre les facultés, qui se comportent comme des écoles de pensée (je devrais dire « des clochers ») aux valeurs contradictoires, parfois jusqu'à l'absurdité.

Ensuite, ils contribuent à répandre et pérenniser des valeurs moralement discutables, des notions erronées et des comportements opposés aux intérêts des patients : lorsqu’un Patron de gynécologie est idéologiquement opposé à l’IVG ou à la stérilisation volontaire, personne dans "son" service n’a le droit d’en pratiquer, alors que la loi le permet et que l'hôpital public doit appliquer la loi. 

Aucun des étudiants qui y sont formés ne peut apprendre à pratiquer les interventions "interdites". Même s'ils n'ont pas les mêmes objections que leur Patron, ils auront donc beaucoup de difficultés plus tard à offrir ces interventions à leurs patients. Si le même Patron est convaincu qu’un DIU provoque des infections, il enseignera aux étudiants à ne pas en poser à des femmes qui en ont besoin. S'il est convaincu que l'implant est une "mauvaise contraception", ses élèves n'en prescriront jamais. S'il est séduit par l'anneau vaginal, il leur en fera prescrire à tire-larigot. 

L’impossibilité d’interpeller le Maître et l’absence de diversité de points de vue interdisent tout apprentissage comparatif et critique, de sorte que les étudiants n’apprennent que selon des « lignes de pensée » étroitement balisées. Et ceci peut s'observer dans des départements de toutes les spécialités médicales, dans toutes les facultés de médecine françaises.

Enfin, cette situation favorise la manipulation intellectuelle et morale de plusieurs générations de médecins. En effet, puisque nul ne peut discuter la parole du Patron dans une spécialité donnée, il suffit de convaincre celui-ci d’adhérer à un traitement (un hypertenseur, une insuline, une pilule plutôt qu’une autre) pour que l’immense majorité des médecins qui seront formés dans "son" service prescrive le même traitement. 

Et, pour mettre un Patron dans sa poche, il n’est pas nécessaire de lui donner directement de l’argent (ce serait grossier). Il est plus efficace de le flatter en lui proposant de publier dans des revues prestigieuses, en lui conférant un statut d’"expert" (conférencier-vedette dans un congrès national, par exemple), ou en le chargeant d’ « expérimenter » un traitement nouveau sur les patients de "son" service. Ce mode de manipulation, couramment exercé par les industriels et très bien décrit dans le livre de Christian Lehmann, Patients, si vous saviez (Laffont), est particulièrement efficace dans les services où l'on ne pratique ni la critique scientifique ni le débat contradictoire. 


… des étudiants écartelés entre des loyautés contradictoires... 

En principe, tout médecin doit d’abord sa loyauté au patient qu’il soigne. Or, la formation médicale est conçue de telle manière que les étudiants sont d’abord massivement exposés à l’influence, au charisme et à l’autorité des Patrons, qui leur dispensent des cours magistraux bien avant de leur confier les soins d’une personne souffrante. Quand ces mêmes étudiants entrent à l'hôpital, leur regard sur le soin, la maladie et les patients a depuis longtemps été « préformaté » par les « modèles de rôle » qu’ils ont écoutés parler en amphithéâtre. 

Lorsque un Patron (comme j’ai vu le faire dans les années 70 à Tours) donne un cours sur l’alcoolisme en « présentant » aux étudiants un "patient alcoolique typique" dont il expose sans gêne les tremblements, la couperose, et le ventre distendu par l’ascite, il laisse entendre que traiter un malade comme un spécimen d'observation est une manière « normale » de se comporter. Puisque le patron le fait

Quand (autre observation personnelle) un autre Patron donne un cours sur le cancer de l’utérus en l’  « illustrant » au moyen de diapositives « humoristiques » montrant une femme obèse, au visage couvert de poils et à la culotte tachée de sang, il laisse entendre qu’il est « naturel » de se moquer des femmes qui souffrent de cette maladie. 

Enfin, on continue en France à pratiquer un « enseignement au lit du malade » en « grande visite »  – comme le montre le documentaire de Marie Agostini L’école de médecine (2007) dont vous pouvez voir bon nombre d'épisodes ICI

En voici un extrait particulièrement parlant, je trouve. 






Cette manière de procéder n’est favorable ni à la transmission de notions théoriques, ni à l’apprentissage clinique, ni à la démonstration de comportements respectueux envers les patients, ni même à de bons échanges pédagogiques entre enseignants et étudiants.

Dans ces conditions, il est très difficile pour les médecins en formation de se mettre du côté de la personne malade. Comment pourraient-ils s’identifier à elle alors que les enseignants n'hésitent pas à exposer, à ignorer, à humilier et à se moquer des patients ? Et souvent, à faire de même avec les étudiants !  

Comment les étudiants pourraient-ils protester contre ce type de « présentation » et sortir du cours ou de la chambre quand on leur signifie que "c'est comme ça qu'on apprend" et que toute contestation les expose à être punis, disqualifiés ou à devenir de mauvais médecins ? 

Un petit nombre, fascinés par le système, se conforment si bien à ses attentes qu’ils réussissent, après s'être "coulés dans le moule", à se faire coopter par leurs aînés, à graver les échelons de la hiérarchie hospitalo-universitaires et parfois à devenir un Patron à leur tour. Pour mieux reproduire ce qu'ils ont subi. ("J'en ai bavé, et vous voyez où ça m'a amené. Alors quand je vous en fais baver, c'est pour votre bien. Vous comprendrez plus tard. ") 

D’autres étudiants, très critiques mais moins nombreux, s’ils ne sont pas d’emblée exclus ou rejetés par les Patrons et par leurs camarades, n’ont qu’une hâte : en finir avec le milieu hospitalo-universitaire et aller apprendre dans le monde réel ce qu'on n'a pas pu leur apprendre en faculté. Plus tard, ils créent un syndicat dissident comme le SMG et sa revue, Pratiques ; fondent une publication dissidente et/ou multidisciplinaire comme La revue Prescrire ou Exercer ; mettent sur pied un organisme d'information critique et indépendant comme le FORMINDEP ; animent un forum sur la médecine 2.0 comme Dominique Dupagne ou un blog critique et politique comme Christian Lehmann ; organisent le partage des connaissances en gynécologie comme le font médecins et sage-femmes sur Formagyn ou témoignent de leur expérience et de leurs réflexions sur des blogs, trop nombreux pour que je puisse les citer tous (mais en voici un qui les cite régulièrement). Et leur nombre ne fait que croître, ce qui est heureux. 
Tous ces militants du soin s'expriment, aujourd'hui, en réseaux virtuels, bien loin des facultés et des lieux de formation "officiels". 
L'itinéraire de ces "excentriques" et leur engagement expliquent que la majorité des critiques remettant en cause le système hospitalo-universitaire sont des médecins généralistes, des infirmier(e)s, des sages-femmes ou des praticien(ne)s délivrant des soins primaires notamment en centres de planification, en santé mentale, en médecine du travail.

Malheureusement, la majorité des étudiants d'hier et d'aujourd'hui, des médecins d'aujourd'hui et de demain ne font partie ni des ultraconformistes ni des dissidents. Ils se plient au modèle dominant, puisqu’il n’y en a pas d’autres et poursuivent leur formation sans perspective de pouvoir changer les choses de l'intérieur. Faute d'avoir acquis l'autonomie et l'esprit critique qui leur permettraient d'exercer hors de la sphère d'influence de la Faculté, ils deviennent des marionnettes entre les mains des industriels du médicament. Mais ont-ils jamais eu le choix ?  

… des médecins phobiques et dépendants. 

La formation d’un médecin dépend beaucoup de ce à quoi on l’expose ou le soumet, mais aussi bien sûr de sa personnalité propre. 

La plupart des étudiants en médecine français,  jeunes et juste sortis de l’enseignement secondaire, sont très sensibles à la pression des pairs et à l’influence des Patrons. Or, l’apprentissage du soin à l’hôpital – au contact de malades atteints d’affections graves, invalidantes et souvent mortelles est très éprouvant, émotionnellement parlant. Il favorise une vision très clivée de la réalité : les soins délivrés  à l’hôpital sont toujours une question de vie ou de mort ; à l’opposé, les problèmes de santé qui ne méritent pas l’hospitalisation sont négligeables et ne méritent pas les efforts des médecins, puisqu’ils ne méritent pas de leur être enseignés. L’exceptionnel est survalorisé par rapport au quotidien : dans un service de gynécologie, par exemple, on parle beaucoup plus de cancer (du sein, de l’utérus, de l’ovaire) que de contraception ; la grossesse et l’accouchement sont toujours traités comme des situations à risque, alors même que dans un pays développé comme la France, l’immense majorité se déroule sans aucun problème…  

Cette survalorisation des dangers contribue à convaincre les futurs médecins que leur métier consistera avant tout à « combattre la mort » (ou à "sauver des vies"). Or, la plupart des médecins, une fois diplômés, exercent hors de l’hôpital. Ils ont affaire en majorité à des patients qui consultent parce que quelque chose leur complique la vie, non parce qu’ils sont susceptibles de mourir du jour au lendemain. Cette médecine-là est très différente de celle qu’on leur a inculquée : elle est beaucoup moins spectaculaire et consiste surtout à dédramatiser, à proposer des gestes préventifs, à prescrire des traitements au long cours et en assurer le suivi, à écouter, expliquer, rassurer, soutenir moralement…  Bref, à délivrer des soins. Cela, leurs Patrons ne le leur ont pas enseigné, car ce n’est pas la médecine qu’ils pratiquent. Mais, comme ils ne connaissent que cette médecine-là, ils continuent à s'y référer, parfois longtemps après avoir fini leurs études. 

Mal préparés à la réalité du soin, beaucoup de médecins deviennent (et restent longtemps) phobiques : ils voient des cancers ou des maladies graves partout, multiplient explorations, consultations spécialisées, hospitalisations et traitements lourds. Incapables de critiquer leurs Patrons pendant leurs études, ils sont aussi très défensifs, une fois diplômés, devant tout ce qui remet en question la façon dont ils ont été formés. Certains se déferont de leurs phobies et se mettront à poser des DIU aux femmes sans enfant. D’autres continueront à affirmer mordicus que c’est « dangereux », sans voir que leur refus expose les femmes ainsi privées de contraception à des grossesses non désirées. 

La peur qui cantonne un médecin à prescrire de manière « conforme » et sans discussion critique compromet toujours profondément ses obligations envers les patients, et par conséquent la qualité des soins. 

Or, les patients ont besoin de professionnels de santé courageux.  


***

Un système immuable - même pour ceux qui tentent de le réformer

Le fonctionnement des facultés de médecine françaises, dont les coutumes sont ancrées dans la médecine du XIXe siècle, et dont la structure féodale a été transformée en administration rigide par la réforme de 1958, est un système fermé qu’il est très difficile, voire impossible, de réformer. 

Bien entendu, il y a des départements et des services, partout en France, où l'on pratique autrement. Mais ces lieux tranchent le plus souvent sur les départements qui les entourent et on ne les montre pas à la télévision.  

Et dans certaines facultés, les doyens (cela arrive régulièrement, je pense à Brest, en particulier) tentent de changer les choses, mais ils sont vite bloqués dans leur démarche, voire mis en échec par les Patrons les plus soucieux de maintenir le statu quo. Modifier les conditions de formation nécessite en effet de penser la médecine comme une activité fondée sur le partage des expériences à l’aune des connaissances scientifiques, le débat démocratique et le dialogue, l’interdisciplinarité via l’établissement de relations horizontales entre tous les professionnels de santé, la collégialité, le soutien aux étudiants, la participation active et constante des patients aux décisions qui les concernent. 

Ce qui exigerait, pour commencer, de remettre en question les statuts et prérogatives des personnes installées, torse gonflé et cul vissé, au sommet de la pyramide...

« ... Et voilà ce qui fait que votre fille est muette. »
Molière, Le médecin malgré lui (1666)


Cela dit, si certains lecteurs ont connaissance ou participent à des expériences novatrices de formation dans une faculté de médecine française, je les invite à temoigner de ces expériences sur ce blog. Ils y seront les bienvenus.

Marc Zaffran/Martin Winckler
ecoledessoignants@gmail.com


(1) 1e éd Le Diable Vauvert, 2001, 2e éd. Le Diable Vauvert, 2003, 3e éd. J’ai Lu, 2007
(2) Non, bien sûr, pas tous les gynécologues, et pas seulement les gynécologues. Mais beaucoup trop de gynécologues, certainement, puisqu’on voit passer beaucoup de protestations sur les réseaux sociaux, les forums, les sites, et aussi, à présent, dans les organes de presse en ligne. Et, venant de "spécialistes" de la santé des femmes, c'est très irritant... 

vendredi 18 décembre 2015

Le consentement vu par une patiente - par A. L.

Ce texte a été écrit par A. L., internaute lectrice de ce blog et de beaucoup d'autres. Je la remercie de l'avoir envoyé et d'autoriser sa publication. 
Elle y rappelle qu'à l'hôpital, et tout particulièrement dans une maternité, les patient(e)s ne sont pas des objets et que le consentement n'est pas optionnel. Il devrait faire partie de chaque interaction et ne peut pas être "implicite", mais doit toujours être demandé explicitement et délivré librement. Elle rappelle aussi, et ce n'est pas anodin, que la délicatesse, la courtoisie et la demande de consentement, ça n'est pas inné, ça s'apprend. 
MWZ

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Je suis depuis quelques mois les débats sur les réseaux sociaux et les blogs sur la question des maltraitances gynécologiques et sur le recueil du consentement auprès des patients. Je me suis intéressée à la question progressivement, de lecture en lecture sur internet. Je suis enceinte de 8 mois et depuis que j'ai annoncé ma grossesse, beaucoup de femmes de mon entourage ont commencé à me raconter la façon dont elles ont vécu leurs grossesses, à me parler de toutes ces choses qu'on n'évoque jamais avant d'y être confronté : la péridurale, l'épisiotomie, les perfusions d'ocytocine, le déclenchement, les suites de l'accouchement. Bref, en essayant de m'informer j'ai entendu beaucoup de choses, lu énormément de textes, parfois très instructifs et intéressants, parfois caricaturaux et moralisateurs, énormément de témoignages aussi, parfois terribles et assez anxiogènes pour la femme enceinte que je suis.        

Je ne vais pas, par ce texte, ajouter un nouveau témoignage sur la maltraitance gynécologique. Je pourrais vous parler longuement de ma gynécologue. Elle est très compétente, mais en même temps, elle est clairement très nataliste et se permet des jugements moraux qui n'ont pas leur place dans une consultation médicale. Cela fait dix ans qu'elle me suit et j'ai bien pensé plusieurs fois aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Je dois avouer que, de peur de tomber sur pire, je me suis dit que, pourvu qu'elle me soigne correctement, je ferais abstraction de ses réflexions mal placées. Et puis surtout, je suis plus vieille, je me laisse moins impressionner que lors des premières visites dans son cabinet. Dans un monde idéal, elle se contenterait de me soigner et ne m'inciterait pas à repeupler la France en mettant au monde six enfants.    
   
Si j'écris aujourd'hui c'est plutôt parce que depuis le début de ma grossesse, j'ai eu l'occasion de voir de nombreux personnels de santé, de fréquenter assez assidument un CHU et d'observer des médecins et des sages femmes, confirmés et en formation. On parle beaucoup en ce moment du consentement des patients, de la façon dont il faudrait le demander dans les CHU et ailleurs (par écrit ? Par oral? Pour chaque acte ? Dès qu'on franchit la porte de l'hôpital ?), de la légitimité de le demander dans le cadre de la formation des médecins.

En tant que patiente, je suis très consciente de l'importance pour les futurs médecins de pouvoir s'exercer régulièrement sur de vrais patients, lors de consultations, et je suis tout à fait disposée à leur accorder le temps nécessaire. Pour moi, en ce moment, le recueil du consentement du patient, ce n'est pas un papier qu'on me fait signer en trois exemplaires, c'est quelques chose de beaucoup plus simple et naturel que ça, c'est juste un instant qui dure 15 secondes dans une consultation, pas plus, pas moins.

C'est le moment où, avant de me faire une échographie pelvienne, le médecin ou la sage femme demande : « je peux vous examiner ? » et où je réponds « oui ». C'est bête, ça dure 15 secondes, ça ne coûte rien, ça ne révolutionne pas la façon dont se déroule une consultation, mais purée, qu'est-ce qu'on se sent mieux quand ces 15 secondes-là ont existé par rapport à la consultation où on a juste le droit à « plus près du bord les fesses » marmonné sans un « s'il vous-plaît Madame »...        

Il y a sans doute des cas où recueillir le consentement du patient, en cas d'urgence, c'est plus compliqué et j'ai beau être une patiente ignorante, je suis assez sensée pour le comprendre. Récemment, au cours d'une discussion avec ma sage femme, elle m'a expliqué qu'en cas d'épisiotomie le jour de l'accouchement, on ne me demanderait sans doute pas mon avis. Devant mon étonnement, elle m'a expliqué : « faire une épisiotomie, c'est une décision qu'en tant que praticien on prend au dernier moment, en cas de nécessité et quand on la prend, il faut aller vite alors il est très probable qu'on ne vous le dise pas. Si vous tenez vraiment à ce qu'on vous prévienne si jamais cela devait arriver, dites-le au tout début de l'accouchement, comme ça la personne le gardera en tête et vous le dira si elle doit pratiquer une épisiotomie. » Cet échange pour moi a été fondamental. J'ai lu tellement de mises en garde sur cette maudite épisiotomie et sur les abus en la matière…

Je suppose que certains et certaines, à cette lecture, protesteront que l'épisiotomie est rarement nécessaire et que c'est scandaleux de ne pas demander l'autorisation expresse de la patiente au moment de la faire. Pour ma part, maintenant que j'ai eu cet échange, si on m'apprend qu'il a fallu procéder à une épisiotomie, je ne serais certes pas ravie, mais je ne me sentirai pas abusée : je savais que ça pouvait se produire de cette manière là, on m'avait expliqué pourquoi ça se passerait comme ça, bref j'avais été prévenue. Pour la personne qui fait ce geste, c'est un geste technique et banal qu'elle juge nécessaire, rien de plus. Pour la patiente qui accouche la première fois, c'est la bête noire, une source d'angoisse, un geste qui aura sans doute des conséquences sur sa vie sexuelle qu'elle ne peut pas mesurer, ça n'a rien de banal. Ça mérite qu'on en parle de manière claire et simple en amont, non ?        

J'ai lu et entendu quelques témoignages de médecins qui prétendent qu'on ne peut pas demander systématiquement le consentement des patients dans le cadre de la formation des étudiants en médecine. Que si on demandait à chaque fois, il y aurait tellement de refus qu'on ne pourrait pas former correctement les médecins. Nombreux de leur confrères ont exprimé leur désaccord. Je voudrais juste pour ma part apporter un modeste témoignage, celui d'une patiente qui accepte volontiers de participer à la formation des futurs médecins, pourvu qu'on y mette les formes.        

J'ai accepté il y a quelques semaines de « prêter mon ventre » de femme enceinte pour le passage d'un DIU d'échographie gynécologique et obstétricale et ai servi de cobaye à quatre candidats. Pourquoi ai-je accepté de revenir spécialement à l'hôpital, de perdre concrètement 1h30 de mon temps pour me prêter à cet exercice alors même que j'avais déjà passé ma dernière échographie et que je savais que tout allait bien ? Le plaisir de voir encore une fois mon bébé ? Pas vraiment. À ce stade, il est trop grand pour qu'on puisse le voir autrement que par petits bouts, pas toujours simples à identifier pour le non spécialiste. Je pourrais aussi vous répondre que je suis enseignante, que j'ai passé et fait passer beaucoup d'examens et que cela me paraissait naturel de venir.

Honnêtement, la seule et vraie raison pour laquelle je suis revenue, c'est tout simplement qu'on me l'a demandé gentiment. C'est parce que les sages femmes qui se sont occupées de moi depuis le début de ma grossesse m'ont toujours mise à l'aise, ont toujours été prévenantes et respectueuses que quand à ma troisième échographie on m'a demandé : « est-ce que vous accepteriez de revenir pour l'examen d'échographie ?», j'ai tout de suite dit oui. Évidemment, vous me direz, passer une échographie et accepter un toucher vaginal ou un toucher rectal, ça n'a rien à voir et je ne me serais pas portée volontaire pour subir ce genre d'examen s'il n'était pas nécessaire à ma santé.        

Je persiste néanmoins à penser que le consentement du patient pour participer à la formation des étudiants en médecine est entièrement lié à la confiance qu'il a dans le médecin et à la façon dont celui-ci le considère. Il est beaucoup lié à l'état d'esprit du patient : est-il confiant ? Stressé ? Angoissé ? Lorsque je me suis présentée pour servir de cobaye ce jour là, j'étais très détendue, je savais que mon bébé allait bien, que j'allais bien, il n'y avait pas d'enjeu particulier. J'étais donc en état d'être bienveillante envers ces pauvres médecins et sage femmes, tous très stressés qui passaient leur examen, de les rassurer sur le fait que l'examinateur était très gentil. 

J'étais tout à fait en mesure de leur pardonner ce qui a pu me mettre un peu mal à l'aise et qui, dans un contexte de consultation normale, m'aurait probablement rendue beaucoup plus vulnérable : le médecin qui dit à peine bonjour et ne me regarde pas une seule fois, celui qui laisse son poignet en appui pendant 10 min sur mon pubis alors même qu'il discute avec l'examinateur et ne regarde pas sur l'écran de l'appareil ce que la sonde posée sur mon ventre donne à voir, celui qui laisse la porte entrouverte alors que je suis à moitié nue et que le couloir est plein, etc.

La donne est complètement différente lorsqu'on attend les résultats d'un examen médical potentiellement stressant. Une amie m'a raconté une mésaventure qui lui est arrivée. Après une première grossesse interrompue à 5 mois en raison d'une malformation du fœtus, elle est retombée enceinte. Étant donné la façon dont sa grossesse précédente s'était passée, les échographies étaient pour elle une source de stress et d'angoisse, d'autant plus qu'un soupçon de malformation cardiaque l'a obligée à faire une échographie supplémentaire. Lors de cette échographie, le médecin arrive accompagné de deux étudiants qu'il laisse s'entraîner sur le ventre de mon amie sans vraiment lui demander son avis.

Déjà angoissée par la situation, elle se sent de moins en moins bien. La consultation dure, dure et elle ne sait toujours pas si son enfant est viable ou non. Elle n'ose pas demander, ne pouvant s'empêcher de penser que, si on ne lui dit rien, c'est a priori mauvais signe. Elle n'en tient plus et finit par poser la question, un peu énervée. Le médecin, la regarde, étonné, comme si elle était un peu folle : mais oui Madame, tout va bien... Cette consultation aurait été beaucoup moins éprouvante pour elle si ce médecin avait juste pris la peine d'ouvrir son dossier médical, de voir ses antécédents, de la rassurer d'emblée avant de lui demander dans un deuxième temps si les deux étudiants pouvaient s'entraîner à faire passer une échographie.        

De manière générale, depuis que je suis suivie pour ma grossesse à l'hôpital, j'ai l'impression que les médecins et les sage femmes que j'ai croisés entretiennent des relations très différentes à leurs patients. Cette observation est très personnelle, ne concerne que quelques individus et ne se veut aucunement généralisatrice (il y a bien évidemment des médecins adorables et compétents et  sans doute des sages femmes incompétentes et maltraitantes), mais je me demande dans quelle mesure cette différence n'est pas un peu liée à leur formation. Les sages femmes ont toujours demandé l'autorisation avant de m'examiner, là où ma gynécologue de ville ne le fait jamais.

Lorsque j'ai servi de « cobaye » pour l'examen, deux médecins et deux sages femmes se sont succédés. Les deux sages femmes, même dans ce contexte stressant d'examen, se sont montrées beaucoup plus prévenantes que les deux médecins. Ce sont des petites choses très bêtes : « est-ce que vous voulez que je change le papier qui vous couvre ? » « Oh, désolée, je me rends compte que je regarde votre bébé et que je ne vous ai encore rien dit » (oui, le silence du soignant lors d'un examen est aussi une source d'angoisse pour le patient!) «C'est votre première grossesse ? ça se passe bien ? » C'est le fil de la sonde d'échographie qu'elles font passer au-dessus de leurs épaules pour éviter qu'il ne traine le long de mon ventre et ne me mette du produit partout, ce sont leurs excuses quand elles doivent appuyer un peu trop fort et que je fais la grimace. Bref… ce sont de toutes petites choses mais qui contribuent énormément à la qualité de la relation soignant-patient.

Et je ne peux m'empêcher de penser que si les sages femmes lors de cet examen ont eu ces attentions alors que les médecins, sans être particulièrement désagréables, ont été beaucoup plus distants et m'ont à peine parlé, c'est que ces petits rien sont de l'ordre du réflexe chez les uns et pas chez les autres. Ce sont des gestes et des questions que ces sages femmes ont tellement intégrés qu'elles les font et les posent sans y penser, alors même que leur main tremblait sur mon ventre à cause du stress de l'examen. Visiblement, les deux médecins qui m'ont examinée, aussi compétents soient-il, n'avaient pas ces réflexes. Je suis pourtant persuadée que leur formation comporte une foule de gestes, de paroles, de questions, qui répétés à n'en plus finir deviennent tellement naturels qu'ils sont effectués sans y penser. Ne serait-il pas salutaire que parmi ces gestes et ces paroles on trouve ces bêtes questions « Est-ce que je peux vous examiner ? » ou « Bonjour, je suis un étudiant en médecine, est-ce que vous voyez un inconvénient à ce que j'assiste à la consultation et à ce que je vous examine sous le contrôle du médecin ? ».

A.L.