samedi 30 juin 2018

Quelques suggestions aux étudiant.e.s en santé qui désirent soigner sans être sexistes - par Marc Zaffran/Martin Winckler



Le rapport sur le sexisme et les violences en gynécologie et obstétrique, rédigé par le Haut Conseil à l’Egalité des femmes et des hommes, vient d’être publié. Il est lisible dans son intégralité ici, je vous laisse le découvrir. Le HCEfh y fait des recommandations très pratiques pour que sexisme et violence disparaissent.
Les principes qui sous-tendent ces recommandations sont simples :
1° reconnaître ; 2° prévenir ; 3° identifier et condamner.

En attendant que le gouvernement et son énième groupe de travail le lise et accouche (dans la douleur ?) d’articles de loi, de décrets ou de directives, toute personne peut, dès aujourd’hui, lutter contre le sexisme dans le monde de la santé et en prévenir les dégats.

Comment ? Voici quelques suggestions destinées aux soignant.e.s débutant.e.s (et tout particulièrement aux étudiant.e.s en médecine) qui désirent adopter une attitude respectueuse et soigner toutes les personnes (en particulier les femmes, les personnes homosexuelles, les personnes transgenre, les personnes intersexuées) qui doivent faire face au sexisme systémique et individuel en milieu de soin.

Ces suggestions ne sont ni exhaustives, ni définitives, ni absolues. Même si elles sont rédigées par une personne expérimentée, elles ne sauraient recouvrir tout ce qu'il y a à dire sur le sujet - et elles peuvent être incomplètes, approximatives, voire fausses et peut-être même sexistes par certains aspects (personne n'est à l'abri, pas même l'auteur de cet article). Toute personne (professionnelle de santé ou usagère) qui lit ceci et qui désire critiquer, compléter, contribuer, commenter, est invitée à le faire à la suite de l'article et, si elle le désire, à m'envoyer un texte à publier dans ces pages (ecoledessoignants @ gmail.com). 

Notez bien que ces suggestions sont destinées à soigner toutes les personnes, de tous les genres, à tous les âges, dans toutes les situations de soin. La santé des femmes et des personnes soumises au sexisme, c’est la santé de tous les humains. Car toute personne est susceptible, un jour ou l'autre, de faire l'objet d'une discrimination en situation de soin. 
***


D’abord quelques rappels de bon sens :



On soulage la douleur.
On panse une plaie.
On traite une maladie.
On soigne une personne.
Et c’est toujours la personne malade qui guérit de sa maladie – ce n’est pas « le médecin qui guérit la personne malade ». Un médecin n’est pas un guérisseur, c’est un soignant parfois surspécialisé au statut surélevé.
De la même manière, c'est toujours la femme enceinte qui accouche, et non l'obstétricien ou la sage-femme. 

Dans les pages qui suivent, je m'adresse aux personnes qui ont choisi une profession de santé d'abord pour soigner (et donc, soulager, panser, traiter), et ensuite seulement, pour le statut qu'elle confère. Je présuppose que ce qui vous intéresse au premier chef, c'est la relation humaine, et que vous voyez les connaissances scientifiques comme les outils du soin, le moyen de mieux soigner, et non comme un but en soi. 

Et donc, si vous vous intéressez plus particulièrement à la santé des femmes, voici une liste de suggestions. Attention, c'est un peu long, ça va vous demander de l'attention et de la patience. Comme le soin. 

Avant de vous mettre à soigner : 

Examinez vos propres préjugés.
Le sexisme réside en chacun de nous. Le reconnaître, c’est d’abord l’identifier en soi, dans tous les jugements instinctifs, souvent inconscients que nous portons sur la personne qui nous fait face – et qui concernent son genre, la couleur de sa peau, son maquillage (ou absence de), son gabarit, sa classe sociale, ses vêtements, sa manière de parler, ses attitudes. Pour vous aider, repensez aux préjugés dont vous ou un.e proche avez été victime. Les vôtres ne valent pas mieux.

Prenez conscience du sexisme qui vous entoure – dans votre famille, parmi vos ami.e.s, sur les bancs de la faculté où vous étudiez, dans les services où vous vous formez. Ayez conscience de la manière dont il s'exerce sur vous, vos amies ou vos camarades. Et de la manière dont, quel que soit votre genre, vous pratiquez le sexisme en toute innocence (enfin, jusqu'ici). Et rappelez-vous que l'homophobie et la transphobie, c'est aussi du sexisme. 

Puis, quand une femme vous demande de la soigner : 

Laissez votre paranoïa et votre fantasme de toute-puissance au vestiaire.
Elle ne vient pas vous voir pour vous mettre en difficulté. Elle vient vous demander de l’aide. Elle n’attend pas que vous soyez surhumain.e, ou que vous lui "sauviez la vie", elle attend que vous l’aidiez à comprendre ce qui lui arrive, et à y faire face, pour pouvoir opérer des choix et vivre le mieux possible. Si elle vous présente des symptômes ou des demandes qui ne figurent pas dans votre « registre » de plaintes médicales estampillées, ce n’est pas pour que vous soyez surhumain.e, mais pour que vous mettiez à profit votre formation pour l’aider à trouver des solutions. Soyez prêt.e à accueillir ses demandes comme autant de surprises et de sources de découverte, et non comme des corvées. Soyez son allié.e, car elle n’est pas votre ennemie. Et elle vous apprendra beaucoup. 

Accueillez-la avec un sourire et une poignée de main.
La femme que vous recevez pour la première fois en a souvent déjà vu des vertes et des pas mûres. Ou alors vous êtes vraiment le/la premièr.e soignant.e qu'elle sollicite. Dans un cas comme dans l’autre, elle se demande comment vous allez la traiter. La poignée de main indique que vous la considérez comme votre égal.e. Le sourire témoigne de votre bienveillance et lui permet de ne pas être sur la défensive.
(Oui, je sais que vous serez peut être fatigué.e, et quand on est fatigué.e, sourire est difficile. Mais sourire quand on est fatigué.e est une manifestation de bienveillance ET de professionnalisme.)

Si vous êtes en retard, reconnaissez-le et exprimez vos regrets.
Le plus souvent, elle vous en sera gré : c’est une marque de délicatesse. La plupart des femmes ne vous en voudront pas d’être en retard – elles ne sont pas idiotes, elles savent que vous ne maîtrisez pas toujours votre temps. En revanche, elles vous en voudront, et à juste titre, de les prendre de haut. Elles ont souvent attendu plusieurs mois et pris une journée de congé pour vous voir. Ne prenez pas leur présence comme un fait acquis et ne laissez pas entendre que vous leur faites une faveur en les recevant.   

Ne l’inspectez pas des pieds à la tête, et ne faites pas de commentaire sur son aspect. La femme qui entre ne vient pas se montrer, mais se confier. Elle n’est pas venue pour que vous la jaugiez, mais pour vous demander un soutien professionnel. La dévisager ou commenter son aspect, c’est la soumettre aux mêmes agressions et humiliations que celles qu’elle subit chaque jour, dans la rue, au boulot et peut-être chez elles. Vous ne savez rien de sa vie, de ses moyens, de ses problèmes. Elle ne s’est pas habillée pour vous plaire ou vous déplaire. Alors, gardez vos réflexions pour vous.

Ne présumez de rien en ce qui la concerne. Vous ne pourrez pas éviter de « catégoriser » l’inconnue qui se tient devant vous. Tout le monde catégorise. Mais méfiez-vous des automatismes qui collent à ces qualifications inconscients. 
Toutes les femmes ne sont pas forcément nées femme et ne se sentent pas forcément femme. 
Une femme de dix-sept ans ne vient pas forcément vous demander une contraception. 
Une femme de cinquante ans ne vient pas forcément parce qu’elle commence sa ménopause.
Une femme célibataire de trente-cinq ans ne désire pas forcément être enceinte.
Une femme qui fume n’est pas forcément ignorante des risques du tabac.
Une femme en surpoids ne vient pas forcément pour vous parler de son poids (et ses symptômes n’ont le plus souvent rien à voir avec son surpoids).
Une femme dont la peau n’est pas blanche n’est pas forcément une immigrée.
Une femme qui s’exprime de manière familière n’a pas forcément cessé l’école au certificat d’études.

Toutes les femmes ne sont pas forcément hétérosexuelles ni même sexuellement actives.
Quand une femme a plusieurs partenaires sexuel.le.s, ça n'est pas forcément « parce qu’elle aime avoir une vie compliquée ».
Toutes les femmes n’ont pas forcément envie d’avoir des enfants, celles qui en ont ne sont pas forcément heureuses d’en avoir eu et les autres ne sont pas forcément « tristes » de ne pas en avoir.

Bref, retenez-vous de leur coller des étiquettes, vous éviterez de penser - et de dire - des âneries. 

Présentez-vous (ce n’est jamais superflu) et assurez-la d’emblée que vous respecterez toujours ses confidences et sa liberté. C’est très simple et ça se précise en deux phrases : « Rien de ce qui se dit ici ne sort d’ici. » et « Rien ne se fera sans votre consentement. » 
Si vous le dites dès cette première rencontre, et si vous vous y tenez, vous n’aurez plus besoin de le redire.

Dites-lui d’emblée et tout aussi simplement :
« Ici, vous n'avez aucune obligation. » Ni celle de « tout dire », ni celle de « tout montrer ». 
Ce n'est jamais la femme qui a des obligations, c'est le/la professionnel.le de santé. 
Et je vous rassure tout de suite, pour soigner, il n’est pas nécessaire de tout savoir de la personne qu’on soigne, ni de la contraindre à se déshabiller. Afin que les femmes se sentent en confiance, il faut leur signifier clairement qu’elles peuvent livrer ou préserver ce qu’elles veulent, quand elles veulent, comme elles veulent.

Ecoutez-la... Une femme qui consulte a, d’abord, une histoire à raconter : celle qui l’amène à franchir votre seuil. Cette histoire, elle l’a souvent préparée, répétée, repensée de nombreuses fois avant de venir. Elle aimerait y exprimer tout à la fois qui elle est, ce qu’elle ressent, ce qu’elle pense, ce qu’elle craint et ce qu’elle attend de vous. Si vous ne l’écoutez pas, vous ne saurez pas l’essentiel et vous ne pourrez pas faire votre travail. Le récit de la personne n’est pas seulement respectable, il est central dans la relation de soin. L’écouter n’est pas une perte de temps, c’est la moitié du travail. L’écouter est une marque de respect – et le ciment de la relation qui s’installe.

… sans l’interrompre...
Autrement dit : Si vous avez des questions, notez-les pour plus tard. 
Un récit personnel est rarement linéaire. C’est une « trame », sur laquelle se greffent des digressions et des incises, pas toujours dans l’ordre prévu. Toutes les informations ont, le plus souvent, une importance et une signification, soit par elles-mêmes, soit comme éclairage des autres. Si vous l’interrompez, la femme qui vous parle perdra le fil de son récit – et ça vous compliquera le boulot. Gardez toujours à l’esprit que si elle vous parle, c’est pour vous confier des choses qui l’inquiètent et qu’elle ne comprend pas.
L’immense majorité des personnes (même les plus bavardes) s’arrêtent de raconter au bout de 2 à 3 minutes afin de demander au médecin son opinion sur ce qu’elles viennent de raconter.
Si vous savez être patient.e, les questions qui vous viennent au fil de son récit trouveront leurs réponses dans le récit. Si certaines de vos questions n’ont pas trouvé de réponse, posez-les une fois qu’elle vous cède la parole : c’est ce qu’elle attend.

… et en prenant garde à votre langage corporel !  
Nous avons tous des tics : rouler des yeux, faire un sourire en coin, soupirer, secouer la tête en signe de dénégation ou de perplexité, s’adosser nonchalamment, gribouiller en détournant le regard. 

Tous ces tics, remplacez-les par une seule attitude, qui deviendra une bonne habitude : regardez votre interlocutrice et faites « Mmhh » en hochant la tête, pour lui signifier que vous l'écoutez.
Je ne plaisante pas. 
« Mmhh » accompagné par un hochement de tête est la meilleure manière de dire : « J’entends et je ne juge pas. » Quand elle cessera de parler, faites une dernière fois « Mmhh », et attendez. Et puis, si elle ne dit plus rien, souriez et récapitulez ce qu’elle vient de vous dire pour vous assurer que vous avez bien écouté.

Ne souriez jamais, n'ironisez jamais au sujet de ce qu’elle vous raconte. Ne dites jamais que ce n’est « rien ». Ja-mais. Ce qu’une femme vous dit en consultation, elle vous le dit en confidence. Son histoire est souvent chargée de gravité, d’inquiétude, de honte, de culpabilité. Votre sourire, elle peut le ressentir comme une brutalité, une humiliation, un déni de ce qu'elle vous raconte. Ce qu’elle vous dit n’est peut-être pas grave médicalement parlant, mais ça n’est pas « rien ». Dire « ce n’est rien », c’est balayer de la main l’importance qu’elle accorde son problème. Si vous ne comprenez pas pourquoi c’est important pour elle, demandez – lui : « Qu’est-ce vous préoccupe, exactement ? » Vous constaterez que très souvent, la cause de la consultation n’a pas été énoncée d’emblée (elle est souvent en filigrane) mais qu’elle parviendra à la formuler beaucoup plus ouvertement si elle sent que ça vous intéresse.

Croyez toujours ce qu’elle vous dit. Ne l’accusez jamais de mentir. Ne la soupçonnez même pas de mentir.  La relation de soin est fondée sur une confiance réciproque. Si vous ne faites pas confiance à ce qu’une femme vous dit, pourquoi voulez-vous qu’elle vous fasse confiance ? L’immense majorité des femmes vous disent l’essentiel, même si elles ne disent pas tout (ce qui est, d’ailleurs, leur droit le plus strict). Et si vous avez vraiment peur que tous les détails de ce qu'elle vous raconte ne soient pas "vrais", concentrez-vous sur ses émotions : ce qu'elle ressent, ce qu'elle redoute et espère est toujours vrai. 

Respectez ses valeurs. Les valeurs de cette femme sont ce qu’elles sont. Vous avez le droit de ne pas voir le monde comme elle, mais vous n’avez pas le droit de dire que sa manière de le voir vaut moins que la vôtre. Si vous ne respectez pas ses valeurs, pourquoi voulez-vous qu’elle respecte votre avis ? Pour soigner, vous n’avez pas besoin de réfuter ses valeurs ou d’imposer les vôtres, vous avez seulement besoin de construire un projet de soin autour de valeurs communes. Si vous les cherchez ensemble, vous les trouverez.

Ce qu’elle ne veut pas est aussi important que ce qu’elle veut (et parfois ne sait pas ou n’ose pas dire). Parfois, on n’ose pas demander quelque chose parce qu’on a peur que les conditions, ou le prix à payer, soit trop élevé : des gestes invasifs, des examens douloureux, des exigences morales, des jugements de valeur. Quand une femme semble ne pas savoir exactement ce qu’elle veut, proposez-lui d’abord de définir ce qu’elle ne veut pas, en lui assurant que personne ne le lui imposera. Il y a de bonnes chances pour que ça la libère.

Ne dites jamais « C’est normal que ça fasse mal »
Il n’est jamais « normal » de souffrir. Car, très précisément, la douleur est produite par le cerveau lorsqu'un organe du corps ne fonctionne pas normalement. Or, la physiologie des femmes est plus riche et plus variée que celle des hommes.
Les hommes ne souffrent pas de leurs règles, de vaginisme, de tension mammaire, d’endométriose ou de nausées en début de grossesse ; ils souffrent moins souvent de migraine, de fibromyalgie et de rhumatismes inflammatoires. De plus, pour des raisons culturelles et éducatives, les hommes consultent moins les médecins : alors on les entend moins se plaindre. 


Ça ne justifie nullement de considérer que, "parce qu’on est une femme",  il est « habituel », « normal » et « banal » d’avoir mal et de s'en plaindre !


Bannissez certaines expressions comme « C’est faux » et « Ça n’existe pas ». Ces expressions sont blessantes et contre-productives, ce ne sont pas des arguments mais des jugements de valeur. Et les jugements de valeur sont incompatibles avec une compréhension mutuelle. Vous croyez savoir beaucoup, mais vous ne savez pas tout. Ça ne veut pas dire que ce que les femmes croient savoir est faux. Chaque personne a sur son corps un savoir incommunicable, qui ne peut pas être réfuté et doit donc être respecté. Quant à « C’est dans votre tête », commentaire très souvent proféré par certains médecins en réponse aux femmes qui décrivent une sensation non enseignée en faculté, c’est une preuve d’ignorance profonde. TOUTES LES SENSATIONS SONT PRODUITES PAR LE CERVEAU. Par conséquent, aucune sensation n’est imaginaire. Si vous ne comprenez pas ce que cette sensation signifie, ça veut dire que vous n’avez pas encore assez cherché.  

Ne cherchez pas à faire de l’humour. Ça risque presque toujours d’être déplacé. Une femme qui vient en consultation n’est pas là pour plaisanter mais pour être soignée, écoutée, entendue, soutenue, encouragée, et/ou rassurée. Si vous faites de l’humour, elle risque de penser que vous riez à ses dépens. En revanche, si elle fait de l’humour, vous avez le droit de rire avec elle. Mais n’en rajoutez pas. 

Ne faites jamais de remarque (pas même "humoristique" ou pour "détendre l'atmosphère") à connotation sexuelle. C'est inapproprié et anti-professionnel. Point final. 

Si elle vous confie un secret, ne l’utilisez jamais. Que ce soit pour en parler à autrui ou pour lui en reparler, à elle, plus tard. Les secrets des femmes que vous soignez ne vous appartiennent pas. Ils ont pu vous êtes confiés sous le coup d’une émotion intense, et la femme l’a peut-être regretté par la suite ou, du moins, redouté que ça n’ait modifié le respect que vous avez pour elle. Alors, juste après qu’elle vous l’aura livré, remerciez-la de sa confiance, mais ne le mentionnez plus par la suite, sauf si elle-même l’évoque une nouvelle-fois.

Ne racontez pas votre vie. Elle n’est pas venue pour ça. C’est de la sienne qu’il est question. Et elle n’est pas là pour vous soigner ou vous écouter vous épancher.

Une fois qu’elle a terminé son récit, si vous avez des questions, posez-les de manière professionnel.le, c’est à dire discret.e et délicat.e.
Il peut être parfaitement légitime pour un.e professionnel.le de santé de poser à une femme des questions sur sa sexualité ou son vécu intime, ou sa situation familiale, et j’en passe. Mais dans tous les cas, ces questions doivent être en relation directe avec ce qu’elle demande et/ou avoir une utilité par rapport au diagnostic que vous évoquez ou aux solutions que vous lui proposerez. Quand ces questions sont susceptibles d’être gênantes, posez-les avec délicatesse, en lui (et en vous) rappelant qu’elle n’est nullement obligée d’y répondre.

Et tournez votre langue sept fois dans votre bouche avant de poser des questions intimes. (Parce que vous, vous allez en poser, des questions stupides !)
Si une femme vous demande un dépistage d’infection sexuellement transmissible, ne lui demandez pas combien elle a de partenaires ; c’est indiscret, c'est stigmatisant et, en plus, c’est idiot : un seul partenaire suffit pour avoir peur d’être contaminée.
Si une femme vous dit envisager une IVG, ne lui demandez pas « Vous avez bien réfléchi ? » D’abord, elle n’a pas de motif à vous donner ; ensuite, elle n’a peut-être pas envie d’en parler ; et troisièmement, une femme ne va jamais demander une IVG sans avoir réfléchi. Elle y réfléchit depuis qu’elle s’est mise à penser qu’elle pourrait être enceinte.
Si une femme vous dit « Je voudrais me faire ligaturer les trompes » ne dites pas « Ah, mais vous êtes encore jeune, alors pourquoi ? » Fondamentalement, ses motivations ne vous regardent pas. Et encore une fois : vous ne savez rien de sa vie !

Si vous voulez qu’elle écoute vos explications, dites-lui des choses utiles et intéressantes pour elle. 
Montrez lui les objets dont vous lui parlez. Par exemple : ayez un DIU, un implant contraceptif, un diaphragme dans le tiroir de votre bureau (ou dans votre sac, si vous n'avez pas de bureau). Donnez-lui les objets et proposez lui de les manipuler. (Quand voit qu' un DIU est un tout petit truc en plastique qui se plie dans tous les sens, ça rassure tout de suite). 
Regardez avec elle des planches anatomiques pour qu'elle visualise ce qui se passe quand (par exemple) on insère un DIU. 
Utilisez des métaphores ("Un DIU, c'est comme une boucle d'oreilles, c'est un bijou pour l'utérus", disait une praticienne de planification pour signifier aux femmes que ça n'était pas dangereux et qu'elles ne le sentiraient pas.)
Utilisez des analogies scientifiquement exactes, mais qui ne demandent pas de long développement théorique ou abstrait.  Par exemple : "Une femme enceinte n'ovule pas parce que les hormones de la grossesse endorment l'ovulation dans le cerveau. La pilule reproduit l'état hormonal de la grossesse - et endort l'ovulation - ce qui réduit le risque de grossesse." 

Bref, soyez concret.e.s et pratiques. 
Assurez-vous que c’est clair. 
Invitez-la à vous poser toutes les questions qui lui viennent. 

Exprimez-vous de manière compréhensible. Le langage médical vise à simplifier la communication technique entre médecins. Il n’est pas approprié à une consultation, laquelle est avant tout un échange émotionnel entre deux êtres humains. Ne la "reprenez" pas pour « traduire » ce qu’elle vient de dire en termes médicaux. Utilisez les mots de tous les jours. Vous vous comprendrez mieux. 


Et surtout, ne la traitez pas comme une gamine... 
(Ne la prenez pas de haut, ne la tutoyez pas, ne l'appelez pas par son prénom si elle ne fait pas de même avec vous.)
... et ne la prenez pas pour une imbécile ! 
(Ce que vous croyez savoir n'est pas plus important que ce qu'elle sait d'elle-même ; la spécialiste de son corps et de ses émotions, c'est elle !) 

Mettez-vous dans la tête, une fois pour toutes, qu’une femme qui consulte un médecin ne pose jamais de question « stupide ». Si elle vous pose une question, c’est parce qu’elle n’a pas (ou n’est pas sûre de) la réponse. Et c’est à vous qu’elle la demande. Ne faites pas la grimace, ne pouffez pas ; si vous souriez sans le vouloir, reprenez-vous, présentez des excuses et dites : « Je suis désolé, je vois que pour vous, ce n’est pas facile. » Et si sa question vous surprend, demandez-lui ce qui l’a amenée à vous la poser. Derrière une question surprenante, il y a toujours un motif qui se cache.

Prenez toutes les questions au sérieux, mais ne faites pas comme si vous aviez réponse à tout. Souvent, il est plus important de comprendre ce que signifie la question que de lui donner une réponse. Et personne ne vous en voudra de dire : « Je n’ai pas de réponse aujourd’hui, mais je vais la chercher. » C’est votre boulot !!!

La relation de soin est asymétrique. Assumez-la, n’en abusez pas.
La cause de cette asymétrie ne réside pas dans votre "savoir" (tout relatif) mais dans le fait que la femme se sent vulnérable et vient vous demander de l'aider à surmonter cette vulnérabilité. 
En tant que professionnel.le de santé, vous êtes le plus souvent (et à juste titre) perçu.e comme une personne qui, en plus de "savoir", dispose de prérogatives importantes, et c’est pour ça qu'elle fait appel à vous. Mais ça ne vous donne aucun droit sur elle ! 
Vous devez mettre votre position privilégiée au profit de la personne qui fait appel à vous. L'utiliser à votre profit c'est agir contre elle.  

Demandez l’autorisation de l’examiner. Elle ne sait pas toujours que vous avez besoin de son autorisation. (Vous non plus, d'ailleurs.) Ça ne va pas sans dire. Cela va donc beaucoup mieux en (vous) le (lui) disant ! 
Si elle ne s’attend pas à ce que vous la lui demandiez, ce sera une bonne surprise pour elle. Ça lui permettra de savoir que si elle n’y tient pas, elle peut refuser. Et vous, même si elle refuse, ça ne vous empêchera pas de la soigner. Parfois, c’est vous qui lui direz que ce n’est pas nécessaire de l'examiner, et c’est elle qui vous demandera de le faire pour la rassurer. Une relation de soin bénéfique, c’est une relation librement consentie, où rien n’est jamais imposé. 

Ne lui imposez pas de geste inutile ou "de routine" parce que c'est ce qu'on vous a appris à faire. 
Par exemple, l'examen gynécologique et l'examen des seins sont inutiles chez une femme qui ne se plaint de rien, et ne sont nullement nécessaires pour prescrire une contraception. Même si on vous a dit le contraire en fac. 

Quand une femme vous autorise à l’examiner, elle ne vous autorise pas à la complimenter.  Au cours d’une consultation, l’inconfort est souvent inévitable. (Rien que le fait de raconter ce qu’on a, puis de se déshabiller, est inconfortable.) N'en rajoutez pas en disant ce que vous pensez de son corps. C'est inapproprié ou insultant ou les deux en même temps. 

Dans l’immense majorité des cas, vous pouvez et vous devez pratiquer tous les examens cliniques, et presque tous les examens complémentaires sans lui faire mal (ou en vous arrêtant immédiatement dès que/si ça fait mal, et en lui présentant vos excuses).
Cette obligation de moyens est inscrite dans le code de déontologie. Et les moyens de ne pas faire mal sont simples, connus, disponibles et à la portée de toute personne dotée d’un minimum de délicatesse (ou qui fait l’effort de l’apprendre). 

Quand vous lui proposerez un traitement ou une démarche, ne portez pas de jugement sur ses décisions ou ses priorités, si elles ne correspondent pas à vos conseils. Vous n’êtes pas son curé, son confesseur ou son coach, vous êtes un.e professionnel.le du soin. Votre boulot ne consiste pas à condamner ou absoudre, mais à soigner. Et on ne peut pas soigner sans respecter les décisions des gens qu’on soigne.

La meilleure contraception, ce n’est pas celle que vous préférez, c’est celle que la femme choisit après que vous aurez répondu à toutes ses questions. Et si elle en choisit une autre que celle que vous auriez choisie, c’est parce qu’elle n’est pas vous !

Bis repetita : c’est toujours la femme enceinte qui accouche. Les professionnel.le.s de santé ne sont pas là pour l'accoucher (les femmes l'ont fait pendant deux millions d’année sans rien demander à personne) mais pour l'aider à le faire dans les meilleures conditions possibles, c’est à dire dans l'idéal comme elle l'a choisi ! En tant que soignant.e.s vous avez là aussi une obligation de moyens, mais aucune femme enceinte n’a l'obligation de se plier aux moyens que vous mettez à sa disposition, et vous n’avez nullement le droit de les lui imposer. Une femme qui accouche a le droit de refuser un monitoring, une épisiotomie, une péridurale, les examens gynécologiques répétés, comme ça lui chante. Il vaut mieux dès aujourd'hui vous faire à cette idée. 

Ne pratiquez ni intimidation, ni culpabilisation, ni chantage.
Une femme n’a pas besoin qu’on lui dise « Vous auriez dû consulter plus tôt. » Elle avait déjà probablement peur de consulter, et s’en voulait de ne pas l’avoir fait. Ne l'enfoncez pas. 
Elle n’a pas besoin qu’on lui dise « Pensez à vos proches » Elle y pense déjà, et c’est culpabilisant, ou alors elle est seule dans la vie et c’est cruel.
Elle n’a pas besoin qu’on lui dise « Si vous ne faites pas ce que je vous dis, vous serez bientôt stérile/invalide/morte. » C’est violent et terroriste. Et c’est probablement faux. 
Et vous n’avez pas le droit de dire : « Si vous ne suivez pas mes instructions, je ne m’occupe plus de vous. » C’est indigne et crapuleux. Donc, contraire à l'éthique. 

Tous les gestes imposés à une personne par un médecin sont une violence contraire à l’éthique. Plus précisément : tous les gestes pratiqués par un médecin sur le corps d'une femme sans son consentement, que ce soit en consultation « de contrôle », pendant le suivi d’une grossesse ou au cours un accouchement sont des violences sexistes, voire des violences sexuelles, quand elles ne sont pas carrément un viol.  

Ne dites pas « à votre place, je ferais ci ou ça ». Vous avez l’obligation d’essayer de comprendre ce qu’elle ressent, car les émotions sont identiques pour tout le monde. Mais vous ne devez en aucun cas lui dire comment agir et décider, car sa vie n’est en aucun cas identique à la vôtre.
Vous n’êtes pas responsable de ce qu’une femme fait de sa vie, mais vous êtes entièrement responsable de ce que vous lui faites !!!   

Soigner une femme, c'est s'engager à être toujours de son côté.
Ce n’est pas facile. Il vous faudra parfois la soutenir dans une décision avec laquelle vous n’êtes pas d’accord. Mais encore une fois c’est de sa vie qu’il s’agit, pas de la vôtre. Si vous ne la soutenez pas, elle ne vous fera plus confiance, et si elle est un jour en difficulté, elle ne vous demandera pas votre aide. En revanche, si vous la soutenez sans la juger, le jour venu, elle s’en souviendra, et pourra choisir de faire appel à vous. 

Acceptez de l’entendre critiquer des collègues que vous connaissiez et respectiez auparavant. (Voir plus haut « Croyez toujours ce que les femmes vous disent. ») Rappelez-vous que dans le Code de déontologie, vos obligations envers les personnes que vous soignez viennent en premier. Ne vous laissez pas enfermer dans un conflit d’intérêts. L’intérêt des patient.e.s passe avant le vôtre – et a fortiori avant celui des autres soignant.e.s. 
Si une femme vous dit avoir été brutalisée par un.e professionnel.le de santé, vous devez la croire, au même titre que si elle vous disait avoir été brutalisée par un proche ou un membre de sa famille. Et vous devez la soutenir, et la défendre par tous les moyens disponibles et légaux.

Si vous ne pouvez pas, ou ne voulez pas, soigner une femme, adressez-la à un.e soignant.e compétent.e en expliquant sincèrement et clairement à tout.e.s deux pourquoi vous passez la main. Cela aussi, c'est une obligation déontologique. 

Gardez toujours à l’esprit que la personne qui fait appel à vous est un.e individu autonome.
Le corps et la vie d’une femme qui vient vous consulter n’appartiennent qu’à elle. Ils n’appartiennent ni à son/sa conjoint.e, ni à ses enfants ou à ses parents, ni à son patron. Et encore moins aux soignant.e.s !

Ne cherchez pas à lui faire  « prendre le bon chemin » médical ou sanitaire. Soigner, ça consiste à aider les gens à vivre en souffrant le moins possible. La femme qui vous demande de s’occuper de son corps vous honore de sa confiance. Sans la confiance de chaque femme, vous n’auriez personne à soigner. C’est donc vous qui êtes son obligé.e, et non l’inverse ! En la recevant, vous ne lui faites pas une faveur, vous faites votre boulot. Ne la trahissez pas en décidant à sa place. 

Ne contribuez pas à la maltraitance et au sexisme en étant complice, par passivité ou indifférence. Ne laissez pas vos collègues se comporter de manière sexiste ou brutale. Ne banalisez pas leurs paroles, leurs gestes, leurs attitudes et leurs comportements. Ne dites pas que c'est "de l'humour". Une moquerie sexiste, homophobe ou transphobe est d'abord une discrimination.

Si vous êtes en position d’infériorité hiérarchique, dénoncez leur comportement à plus haut placé qu’eux.(Il y a toujours plus haut placé qu’eux.) Ou décrivez leur agissement sur un blog, et faites circuler.

Si vous êtes leur égal.e, ne restez pas sans rien dire. La carrière et la réputation d'un.e professionnel.le maltraitant.e ne doivent pas avoir plus de valeur que la vie et le corps des femmes maltraitées !!!! 


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Vous m’avez lu jusqu’ici, et je vous remercie de votre attention.
Il reste à vous donner un avertissement et une bonne nouvelle.

L'avertissement, c’est que même si vous adhérez à leur contenu, et même si vous en avez le désir, vous n’arriverez pas à appliquer toutes ces suggestions à la lettre, tout de suite. 

Lutter contre le sexisme, à la fois en soi et parmi les autres, ça demande du temps et beaucoup d'énergie. Soyez indulgent.e avec vous-mêmes. Ne vous découragez pas. C’est comme quand on veut courir un marathon. On commence par de petites distances, en petites foulées, et on augmente son périmètre au fur et à mesure. 

Le temps travaille pour vous, et les femmes vous seront reconnaissantes que vous choisissiez de tenir la distance, plutôt que vous épuiser au sprint. En matière de respect des femmes, comme pour la course à pied, chaque effort compte. 
 
La bonne nouvelle, c’est que votre mission ne consiste pas à être surhumain.e. Votre mission – si vous l’acceptez – consiste à faire de votre mieux. Et faire de son mieux, c’est toujours possible. 


Bonne chance.


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A lire : 

Le rapport du Haut Comité à l'Egalité entre les femmes et des hommes 

Recommandations de la Haute Autorité de santé sur la contraception. 

Recommandations de la Haute Autorité de santé sur la grossesse et l'accouchement. 

Le Code de déontologie des médecins français. (Il aurait besoin d'être révisé, mais commencez déjà à respecter celui-ci, vous serez déjà beaucoup plus respectueux que nombre de médecins actuellement en exercice.)

Valérie Auschlander 

Omerta à l'hôpital. Le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé. 
Ed. Michalon, 2017 - J'ai lu, 2018. 

Mélanie Déchalotte
Le Livre noir de la gynécologie. 
Ed. First, 2017

Marie-Hélène Lahaye
Accouchement : les femmes méritent mieux 
Ed. Michalon, 2018

Alain Gahagnon et Martin Winckler 

Tu comprendras ta douleur - Pourquoi vous avez mal et que faire pour que ça cesse. 
Fayard, à paraître fin 2018

Martin Winckler 
Les Brutes en blanc - La maltraitance médicale en France. 
Ed. Flammarion, 2016  - "Points" Seuil, 2018