vendredi 28 juin 2019

La politique, le pouvoir et le soin - quelques réflexions à la volée, par MW/MZ

(NB : dans ce blog, désormais et dorénavant, presque toutes les plurielles et beaucoup de singuliers sont accordées au féminin.)
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Je lis ce jours-ci, grâce à un rappel d'@aron_julien (Merci, Julien !), qu'en mars 2017, la majorité des généralistes se disait prête à voter pour un candidat de droite. Ce n'était évidemment qu'un sondage professionnel, ce qui justifie de ne pas lui apporter plus d'importance que ça. (D'ailleurs, entre le sondage et l'élection, le choix préféré des MG, Fillon, est sorti de la piste...) 


Mais ce sondage et son résultat apparent m'ont conduit à me poser plusieurs questions. 

D'abord, quel aurait été le résultat si on avait détaillé les réponses en fonction du lieu d'exercice ? De la population soignée ? De l'année de naissance des praticiennes ? De leur fac d'origine ?
Et si on avait séparé les praticiennes libérales et les salariées ? 
Et si on avait interrogé les spécialistes ? 
Et si on avait interrogé séparément les hommes et les femmes, les hétéros, les homos, les non-binaires, les personnes handicapées, les personnes racisées, les personnes obèses ou en sous-poids... ? 
Bref, autant de questions sans réponse, mais il est toujours bon de garder à l'esprit qu'une profession n'est pas faite d'individus identiques et superposables... "Les médecins généralistes", en réalité, ça n'existe pas, sinon pour servir des propagandes. 

Cela étant, il ne fait dans mon esprit aucun doute que lieux et conditions d'exercice (en particulier l'environnement socio-économique des personnes soignées) ont une influence sur les préférences politiques des médecins (tous exercices confondus). A moins que ce ne soit l'inverse. Et peut-être même les deux. 

Comment puis-je être certain de ça ? Ben, parce que c'est vrai pour tout le monde. Nos opinions politiques sont étroitement corrélées à nos antécédents familiaux, notre expérience personnelle, notre statut socio-économique et notre mode de vie. Et, sauf erreur de ma part (et n'en déplaise à ce que certaines prétendent ou affectent de croire), les médecins sont des personnes comme les autres. 

Ce qui me conduit à poser une autre question : est-ce que les opinions/obédiences/allégeances politiques des médecins ont des conséquences perceptibles sur la manière dont iels exercent

Il me semble que oui, et je vous rassure, il n'est pas nécessaire de dépasser (ni même d'atteindre) le point Godwin pour le suggérer. Il suffit d'aller chercher dans un passé récent. (Je me limite à la France, pays que je connais le mieux, car je pense qu'avant de s'offusquer de ce qui se passe ailleurs, on fait toujours bien de balayer devant sa porte...) 

L'exemple qui me vient spontanément (mais il s'agit probablement d'un biais de perception lié aux conditions dans lesquelles j'ai exercé) est celui de la politique raciste et sexiste menée par l'Etat français à la Réunion dans les années 60 et 70 et décrite dans le livre de Françoise Vergès, Le ventre des femmes et dans le documentaire « Les 30 Courageuses de La Réunion : une affaire oubliée ». de la réalisatrice Jarmila Buzkova. (Si vous ne connaissez pas cette histoire, lisez les liens avant de continuer.) 

Le plus frappant dans cette histoire, ce n'est pas que des médecins aient pratiqué des avortements ou des stérilisations autoritaires. Cela, en soi, n'a rien de très surprenant : les gestes violents et autoritaires pratiqués sur des femmes en France, en 2019, on en lit la description tous les jours dans de nombreux médias et réseaux sociaux. En cinquante ans, ça n'a pas encore disparu. Les maltraitances médicales des années 60 ont fait le lit (si l'on peut dire) de celles d'aujourd'hui. 

Mais ce qui est particulier, ici, c'est le fait que ces violences n'étaient pas le fait de décisions individuelles (le principal médecin concerné n'était ni "fou" ni sadique, on disait même de lui qu'il était "un bon père de famille") mais le produit d'une idéologie répandue (beaucoup de médecins étaient au courant et lui envoyaient des "patientes") et cautionnée par le pouvoir : Michel Debré, député de la Réunion à partir de 1962 et ami proche du Dr Moreau, directeur de la clinique la plus "active" en ce domaine, était l'un des politiciens les plus proches de De Gaulle. (Rappelons en passant qu'il fut 1er ministre à plusieurs reprises et fit adopter en 1958 le projet de réforme hospitalière promu par son professeur de médecine de père, le Pr Robert Debré, lequel structure toujours les hôpitaux et l'enseignement médical en France à l'heure où j'écris. Et la pensée de nombreuxes praticiennes.)   

La stérilisation forcée des femmes réunionnaises, soutenue et organisée par un certain nombre de médecins locaux, était en quelque sorte "complémentaire" de la politique de lutte contre la "démographie galopante" et (par exemple) du "déplacement" d'enfants de la Réunion mis en place par Debré à la même époque. 

Autrement dit, dans les années 60-70, en stérilisant arbitrairement des femmes à la Réunion, des médecins agissaient dans le sens du pouvoir. (Officieusement, certes, mais dans son sens tout de même.) 

Ce qui me ramène à ma question du début : est-ce que les opinions politiques d'un.e médecin ont un impact sur son exercice ? C'est très probable. Si ladite médecin est d'accord avec le pouvoir en place, iel adhèrera plus facilement aux décisions/politiques de santé dudit pouvoir (même si ces décisions sont officieuses). 

S'iel n'est pas d'accord, il est prévisible qu'iel aura envie de s'y opposer. Tout récemment, des gynécologues (hommes) ne menaçaient-ils pas de "faire la grève des IVG", au mépris d'une loi datant déjà de plus de 40 ans ? 

Et j'en viens à une nouvelle question : est-il possible de soigner en alignant sa pratique sur les décisions du pouvoir en place ? 

J'ai bien écrit "le pouvoir" - qui va et qui vient - et non "la loi", qui est, en principe, votée dans l'intérêt de toutes et, en principe, devrait s'appliquer à tout le monde... 

Et j'ai bien écrit "soigner" et non "exercer". A l'heure actuelle, à moins d'enfreindre visiblement la loi et d'être prise en flagrant délit (et désavouée par la profession ET la justice) une médecin peut (hélas) exercer sans que son activité soit examinée de près autrement que quand iel "coûte trop cher" en arrêts de travail ou en prescriptions, par exemple... 

Même s'iel est insultante, sexiste, homophobe, raciste, classiste ou validiste dans ses paroles et dans ses gestes, il est difficile d'empêcher un médecin d'exercer. 

Mais je ne pose pas ici la question de l'exercice (si détestable soit-il) ; je pose la question du soin. 

Peut-on soigner (donner des soins, soutenir, accompagner, consoler, réconforter, panser, soulager, et j'en passe) tout en se conformant à des opinions politiques (ou à une idéologie) paternalistes, élitistes et autoritaires ? 

D'un point de vue strictement éthique, la réponse est inévitablement non : une praticienne qui considère, s'adresse à ou traite une ou des personnes soignées du haut d'une posture élitiste n'est jamais soignante. 

Etre soignante nécessite de se tenir à tout moments aux côtés des soignées face à tout ce qui les atteint, les vulnérabilise, les fragilise. Cela nécessite d'entendre et respecter les valeurs des personnes soignées. Cela nécessite par conséquent d'abdiquer tout sentiment de supériorité et toute velléité de jugement. De s'abstenir de tout geste, toute parole, toute décision d' "autorité" sur la personne soignée... puisqu'elle seule a "autorité" sur son propre corps, sur sa propre vie. (C'est pas moi qui le dis, c'est un des quatre principes élémentaires de la bioéthique moderne.) 

Faire une croix sur tout ça, pour une médecin, ce n'est pas simple. C'est même paradoxal : les médecins sont formées pour décider -- Car-si-tu-décides-pas-ton-patient-va-mourir.  

Certaines (j'en fais partie) ont besoin de nombreuses années pour s'affranchir de ce comportement soigneusement inculqué, et qui confine à la phobie : "Mais laisser les soignées décider, c'est l'anarchie et, surtout, c'est une négation de ma "compétence", de mon être même de médecin".... 
Heureusement, on parvient à lâcher prise. Car souvent, quand on veut, on peut. Encore faut-il vouloir...

Ca ne devrait pourtant pas être difficile : un médecin n'a pas pour vocation (ni pour mission, lisez le Code de déontologie) de faire respecter la loi aux personnes qu'iel soigne. Ce n'est pas un membre des forces de l'ordre. Ce n'est pas un membre du parquet. Il a seulement pour mission de la respecter personnellement, et de ne pas inciter les personnes soignées à l'enfreindre.  

Il ne s'agit pas de dire qu'une médecin devrait être "apolitique" (personne ne l'est) mais que dans le cadre de la délivrance des soins, iel n'a pas à imposer la politique de qui que ce soit.  

En pratique, par exemple, ça veut dire qu'un médecin n'a pas vocation à (ni moralement le droit de) condamner, culpabiliser, moraliser, fustiger, humilier, menacer un parent qui refuse de faire vacciner ses enfants. Ce n'est pas son boulot. Son boulot est de vacciner les enfants qu'on lui amène, et de soigner sans commentaires les enfants qui, n'ayant pas été vaccinés, sont tombés malades. S'iel fait ça, c'est déjà beaucoup. 


C'est pour cette raison qu'à mon humble avis, les médecins qui votent pour, adhèrent à, soutiennent et/ou appliquent des positions politiques autoritaires (de quelque inspiration que ce soit) ne doivent jamais être considérées comme des professionnelles de santé

Iels sont, avant tout, des leviers du pouvoir. 

Marc Zaffran/Martin Winckler





vendredi 14 juin 2019

Méningiomes provoqués par l'Androcur : une patiente raconte et crée une association

Comme la plupart des femmes, vous ne savez pas ce qu’est un méningiome.
Jusqu’en août 2017, je ne le savais pas non plus.
Comme la plupart des femmes, vous prenez la pilule contraceptive, ou un médicament qui permet de réduire les soucis gynécologiques, comme des ovaires polykystiques, des saignements excessifs, qui est efficace aussi contre l’acné ou l’hirsutisme.

Et on ne vous a jamais parlé de méningiome, une tumeur cérébrale, le plus souvent bénigne, et à croissance lente.
Et on ne vous a pas dit que certains médicaments n’ont jamais été testé par le laboratoire pharmaceutique qui le commercialise pour les pathologies pour lesquelles vous prenez ces médicaments. 
On ne m’en avait jamais parlé non plus. Jamais.  

Qui se moque de la santé des femmes ?
Qui pense que des effets indésirables gravissimes ne doivent pas être dit aux femmes, pauvres créatures sans cervelles (mais il est vrai que des tumeurs au cerveau améliorent grandement nos capacités de réflexion !) ? Des médecins, des gynécologues surtout, qui connaissaient le risque, mais qui se disaient que ça devait être si rare que ça ne valait pas la peine de le dire.

Pour vous raconter un peu mon histoire, pas la plus terrible, mais typique de ce que beaucoup de femmes ont vécu, et qui comporte son lot de souffrances qui auraient pu être évitées : 


Depuis des années, je me trouvais ralentie, différente. Mon corps avait changé, et ma personnalité aussi. J’ai trainé des symptômes bizarres, qui se sont aggravés au fil des ans, pendant au moins 8 années.  Je ne savais pas que ma boite crânienne hébergeait 5 méningiomes, dont le plus gros, comme une orange à sa découverte, aurait pu me tuer. Image-t-on avoir quelque chose de la taille d’une orange dans la tête ? Et d’autres fruits plus petits : une prune, des cerises…

Je fais partie des centaines de personnes qui, en France, ont été opérées d’un méningiome et avaient pris de l'Androcur pendant plus de 5 ans. Une étude de la CNAM sortie en 2018 a montré un sur-risque de développer un méningiome quand on prend ce médicament plus de 6 mois.  Et un risque très important quand on le prend plus de 5 ans.  


Quand j’ai été reçue en septembre 2017 par le neurochirurgien qui allait m’opérer (oui, un méningiome aussi grand ne peut régresser suffisamment à l’arrêt du traitement, et il est trop gros pour de la radiothérapie seule), il m’a dit que mes tumeurs étaient dues au médicament ; je ne l’ai pas cru. 

Je ne l’ai pas cru ! Comment un médicament que 3 professeurs de gynécologie successifs ont renouvelé, peuvent-ils induire ce genre de conséquences sans que je sois avertie ? Sans que rien, jamais, ne me fasse penser que tous mes symptômes bizarres étaient dus à ce traitement ? 

Il était impensable pour moi de n’avoir jamais été avertie, ni par des associations auxquelles j’adhérais pour l’endométriose, ni par aucun médecin.  Une maladie non mortelle était traitée par des médicaments potentiellement mortels, comment était-ce possible ?  Tous les médicaments comportent des risques, mais celles qui prennent la pilule contraceptive les connaissent et ce sont principalement des phlébites ou des problèmes cardio-vasculaires.

Ce médicament m’a volé 10 ans de ma vie, et me pourrit par ses conséquences les jours qui me restent.

Ma colère est immense face au silence de ceux qui savaient et qui n’ont rien dit.
Je souhaite à tous ceux qui se sont tus, par bêtise, par souci de carrière, que sais-je, de vivre une opération du cerveau. Et d’ensuite me dire s’il était normal de se taire.

J’aurais aimé ne pas avoir à subir tant de choses. Comme la violence de la phrase d’un professeur de gynécologie qui m’a dit, alors que je lui disais que j’étais très en colère de ne pas avoir été prévenue de ce possible effet indésirable dévastateur : « Un médicament, c’est un bénéfice-risque. Quand vous prenez votre voiture, vous avez un risque de mourir et pourtant vous la prenez quand même. Un médicament c’est pareil ». 


La différence majeure, lui ai-je dit, c’est que je sais quand je prends ma voiture que je peux mourir. Là, personne ne m’a rien dit. 


Et sa phrase finale : « J’espère que vous allez vous en sortir ».
Parce que parfois on ne s’en sort pas.


Le but de l’association que j’ai créée en janvier 2019, l’AMAVEA, Association des Victimes de Méningiomes dus aux médicaments, n’est pas d’affoler les femmes, ni de leur dire que les progestatifs sont à bannir. Non. Bien sûr que non. Ces médicaments rendent de grands services, pour l’endométriose par exemple, où il ne guérit pas certes, mais il permet de vivre mieux.

Mais l’information, que diable ! INFORMER et ne pas infantiliser les femmes en leur cachant la vérité. Et la vérité est simple : ces traitements peuvent induire des tumeurs cérébrales, certes bénignes selon la terminologie médicale, parce que non cancéreuses. Mais tout ce qui est non-cancéreux est donc bénin ? Il est bénin de se faire ouvrir le crâne ? Il est bénin d’avoir des séquelles à vie qui empêchent de travailler ? Il est bénin de pouvoir devenir l’ombre de ce qu’on était, et à l’extrême, d’en mourir ? 


Je ne le crois pas. Il faut être informée pour être en alerte si des signes neurologiques apparaissent.
Et les autorités de santé sont déjà en alerte pour l’Androcur (acétate de cyprotérone), puisqu’il ne sera plus possible à un médecin de le prescrire sans faire signer à la patiente une attestation d’information, qu’elle devra apporter à la pharmacie pour avoir la délivrance du médicament.
Et avant toute prescription, une IRM cérébrale sera nécessaire. 

Reste à faire pareil pour le Lutéran et le Lutényl, et possiblement pour d’autres progestatifs, si cela s’avère nécessaire.
L’ANSM va enclencher une grande étude comme ça a été fait pour l’Androcur, mais des études ponctuelles montrent déjà que ces autres médicaments induisent parfois des méningiomes. Reste à savoir dans quelles proportions. 

Merci à Martin W. de m’avoir donné l’occasion de m’expliquer et de parler de l’association créée, avec le même objectif que Marine Martin, présidente de l’association APESAC, sur la problématique de médicaments antiépileptiques dont le plus connu est la Dépakine : faire la lumière sur tous les dysfonctionnements de notre système de santé et de pharmacovigilance. Et en parallèle, avoir une association pour demander réparation des préjudices subis.

Merci au neurochirurgien, le Pr Johan Pallud, qui m’a permis, dans tous les sens du terme, de me « reconstruire ». 

Je ne suis pas une lanceuse d’alerte. Il n’y en a pas dans ce dossier, et les mots sont importants, car les journalistes mettent ce terme sur n’importe quelle personne qui s’insurge un peu. 
Mais avec les personnes avec qui j’ai fondé l’association, on est prêtes à répondre aux questions et à faire partager nos connaissances et notre expérience. C’est à ça que sert une association de patients, je pense !


https:/amavea.org