jeudi 29 août 2019

La fabrique des Brutes en blanc commence la première année - par MZ/MW



Aujourd’hui, 29 août 2019, une internaute m’envoie un article de La Montagne datant du 28 : « Bizutage, harcèlement et injures : des étudiants en médecine à Clermont-Ferrand dérapent sur Facebook. »

Au-delà de la situation locale – qui n’est pas exceptionnelle, car les « traditions » de bizutage et de harcèlement existent dans toutes les facs de médecine – cet article saisonnier (on en lit tous les ans à la même époque) nous rappelle une réalité persistante et très problématique : les études de médecine sont un lieu de confrontations violentes et de harcèlement entre étudiants. Et surtout, de la part de jeunes hommes envers des jeunes femmes, des personnes racisées et des jeunes gens LGBTI+.

La « culture » de la faculté de médecine est le reflet direct de la culture ambiante, et de manière encore plus concentrée : toute personne qui n’est pas un homme blanc dominant (par la force, le statut social ou les protections) est considérée comme « indigne » de faire partie de la race des saigneurs.

Le sexisme, l’homophobie, le racisme ne sont pas des « accidents » dans le monde médical. Ils en font intrinsèquement partie parce que la culture médicale française est (celle d’un pays) mysogine, sexiste, raciste, classiste et polyphobe. Et fière de l’être : rappelez-vous les levées de bouclier quand on a dénoncé les fresques pornographiques qui « ornent » les murs de nombreux internats.

Or, c’est dans ce terreau (on devrait dire : ce purin) de violence contre les autres que sont formées les professionnelles de santé.

Peut-on, raisonnablement, croire que les étudiantes confrontées à cette violence peuvent apprendre à soigner les autres ?

Peut-on raisonnablement affirmer que ceux qui l’exercent se transformeront, comme par miracle, en soignants bienveillants une fois leur diplôme en poche ?

Peut-on raisonnablement suggérer que les enseignants qui tolèrent ce type de comportement dans les amphithéâtres s’y opposent dans les services ou les départements et sanctionnent leurs auteurs ?

Quand on lit des ouvrages récents tels Omerta à l’Hopital (2017) ou Silence sous la blouse (2019), on sait qu’il n’en est rien.

La culture médicale française est archaïque et violente ; elle contribue non seulement à former et à protéger les brutes en blanc de la pire espèce (celles qui, entre autres méfaits, violent les femmes et les enfants) mais aussi à maintenir les professionnelles  bienveillantes dans la peur et le silence.

Mais il ne suffit pas de pointer du doigt le bizutage qui a lieu, rituellement, tous les automnes dans telle ou telle faculté. Il ne suffit pas de passer du blanc sur les fresques. Il ne suffit pas de « constater » que « certains médecins » sont sexistes ou racistes. 

Il faut documenter (dans les services, dans les amphithéâtres), dénoncer et pénaliser lourdement et sans hésitation, dans les facs et dans les tribunaux, tous les actes de brutalité, verbale morale ou physique commis par des étudiants en médecine ou des enseignants, sur les étudiantes en médecine, les autres professionnelles  de santé et les personnes soignées.

C’est à ce prix seulement que la profession médicale se débarrassera de ses brutes en blanc – et deviendra, enfin, une profession soignante digne de ce nom et fière de ses valeurs. 

Aujourd'hui, je pose une question à tous et toutes les professionnelles  de santé, quel que soit leur statut, leur expérience et leurs perspectives de carrière, qui participent, de près ou de loin, à la formation médicale et à la vie des facultés de médecine.

De quel côté êtes-vous ?

Et ne répondez pas  Je ne savais pas, je ne peux pas y croire ou en détournant les yeux. 

Car les principaux alliés des brutes en blanc, ce sont l’incrédulité et le silence.

Les brutes peuvent croître et se reproduire grâce à l’incrédulité de celles et ceux qui ne veulent pas croire que des « docteurs » puissent faire du mal : n’ont-ils pas choisi ce métier pour faire du bien ?

Quand une étudiante en médecine vous raconte avoir subi des violences morales ou physiques, des menaces ou du harcèlement, croyez-la, croyez-le.

Car si vous refusez de l’entendre et de le/la soutenir, vous êtes aussi coupable et complice que si vous refusiez de croire une femme maltraitée par son conjoint. (A l’heure où j’écris, la France en est à son 99e féminicide de l’année… D'ici à ce que vous lisiez l'article, elle en sera peut-être déjà à 101 ou 102...) 

Les brutes peuvent sévir grâce au silence défensif que gardent les victimes ou les professionnelles  prises en otage par des supérieures hiérarchiques.

Mais en vous taisant sur les violences que d’autres subissent, vous vous exposez à les subir vous-même. Votre silence ne vous protège en rien. Il ne fait que repousser l’inéluctable. Et il fait de vous un jouet entre les mains des brutes.

Les brutes peuvent sévir grâce au silence coupable de celles et ceux qui ne veulent pas s’opposer aux brutes par « confraternité » ou les dénoncer par peur d’être taxées de « délatrices ».

Délation : « dénonciation jugée méprisable et honteuse ».

Mais dénoncer une violence abjecte, ce n’est ni méprisable, ni honteux. C’est un honneur !!!
Ce qui est méprisable et honteux, c’est de fermer les yeux et de se taire alors qu’on a les moyens et la liberté de parler et d’agir.

Choisissez votre camp. Et appelez celles et ceux qui vous entourent à choisir le leur, ouvertement, clairement. Il est important de savoir qui sont les brutes, mais il est aussi très important de savoir qui sont leurs complices et qui sont nos alliées.

Et surtout, si vous êtes doyen ou doyenne, professeure en chaire, chef de clinique ou maîtresse de conférences, donnez l'exemple de ce qu'est un/une professionnelle responsable et respectueuse !!! 
Faites le en cours, dans les départements, dans chacune de vos interactions et interventions. Ne laissez pas les brutes servir de modèles ! 

La lutte contre les brutes en blanc c’est chaque jour, dans toutes les facultés, dès la première année. 

C'est maintenant ! 

Marc Zaffran/Martin Winckler