samedi 14 février 2015

Qui a le droit de critiquer le corps médical (ou les CHU...) ?

Souvent, quand un.e citoyen.ne critique la profession médicale, il ou elle s'entend dire : "Vous n'avez pas le droit de parler, vous n'y connaissez rien, vous n'êtes pas médecin." Cette "objection" n'est pas réservée aux non-médecins : on la sert régulièrement aux professionnels de santé qui tentent de dénoncer certains comportements. Sous des formes diverses et variées. 

À l’époque où je suis devenu un écrivain-médecin connu et où j’ai donc commencé à m’exprimer publiquement, c’était  : « Vous êtes médecin ? Vraiment ? Et vous exercez ? Ah oui, seulement à temps partiel ! » 
Plus tard, j'ai souvent entendu : 
« Bon, mais est-ce que vous pratiquez encore la médecine ? » 

Aujourd'hui, c'est : "Depuis quand n'avez vous plus pratiqué la médecine ?" (Ou même "Mais vous ne vivez plus en France !") 

Toutes ces formulations sont équivalentes. Elles signifient : « De quel droit nous critiquez-vous, alors que vous n’êtes pas (ou plus) des nôtres ? Vous ne savez pas en quoi consiste notre travail ! Vous n’avez pas le droit de nous juger ! Vous n’êtes pas - ou, dans mon cas, vous n'êtes plus - un vrai médecin. » 

Le caractère fallacieux de ces "reproches" est évident : nombre de responsables des syndicats ou de l'Ordre ne sont pas ou plus en activité depuis longtemps. Et je ne parle pas des députés, des conseillers de ministres, ou des ministres eux-mêmes, qui n'hésitent pourtant pas à invoquer leur formation professionnelle à l'appui de leurs déclarations ou de leurs actes. Quand est-on un "vrai" médecin ? Bien malin qui pourra le dire. Mais là n'est pas vraiment la question. 

Car l’objectif de ces reproches est clair : il consiste à disqualifier les interpellations, au prétexte que l'activité professionnelle du critique serait « insuffisante » pour que celui-ci soit crédible. Les personnes qui les adressent oublient seulement une chose : pour s’élever contre le comportement des institutions médicales ou de certains de leurs membres, il n’est pas nécessaire d'être médecin. Pas plus qu’il n’est nécessaire d’être politicien, policier, avocat, enseignant ou militaire pour énoncer des critiques vis-à- vis de ces figures d’autorité – ou des institutions qu’ils représentent.

Dans un pays qui se dit démocratique, tout citoyen (médecin ou non) est en droit de critiquer le comportement inacceptable d'une profession réputée répondre aux besoins de la population. 

Pour ma part, ce n’est jamais en « confrère » que je m’exprime pour adresser mes critiques, mais bien en citoyen – c’est-à-dire en tant que parent, conjoint, ami, fils, frère de patients, et patient lui-même. Ma « légitimité » n’est pas plus discutable que si je posais des questions embarrassantes au conseil municipal de ma ville. 

En revanche, la violence avec laquelle certains médecins s’efforcent de faire taire ou de traiter par le mépris toute critique, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur de la profession, en dit long sur leur absence de sens démocratique. Ce type d'argument visant à "excommunier" ou tout simplement à "punir" les médecins qui critiquent la profession est représentatif d'un comportement de caste élitaire, de club privé (et même, à certains égards, de secte). Les clubs privés ne tolèrent aucune critique, ni de la part de ses membres, ni de ceux qui n'en font pas partie. 

Ce qui conduit à la question : le corps médical est-il en droit de fonctionner comme un club privé, dans un pays où la fonction du médecin consiste, d'abord, à s'insérer dans un système de santé publique ? Les citoyens ne sont-ils pas, eux, en droit de s'interroger - et d'interpeller les professionnels - sur des sujets aussi importants que le comportement individuel des médecins et les maltraitances que certains font subir aux patient(e)s sous leur responsabilité, leurs prises de position, les méthodes et l'idéologie de la formation en faculté de médecine, les liens des médecins à l'industrie, les conflits d'intérêt... ? 

Plus simplement : les citoyens ne sont-ils pas en droit de définir eux-mêmes à quel "genre" de médecins ils veulent pouvoir confier leurs problèmes de santé ?  

Marc Zaffran/Martin Winckler 

PS : Dans ce billet, si l'on remplace "corps médical" par "CHU", les remarques restent valides. Que l'institution critiquée soit informelle et hétérogène (le corps médical) ou hyper-formalisée et tout aussi hétérogène (les CHU, leur hiérarchie, leur administration, leurs luttes de pouvoirs entre certains patrons qui se prennent pour des marquis, le mépris rampant envers la médecine générale et tout ce qui n'est pas PUPH, l'élitisme de certains enseignants à qui l'on confie la formation des étudiants, etc.), la critique n'est pas moins valide quand elle vient d'une voix extérieure. Celle des patients, par exemple. 

Malheureusement, ce qui pose souvent problème,  c'est que ceux qui sont à l'intérieur et ont le sentiment (à tort ou à raison) d'y travailler de leur mieux ne soient pas toujours capables d'entendre ces critiques, et les prennent comme des atteintes personnelles, voire comme des insultes. 

Savoir s'individualiser, se différencier de l'institution dans laquelle on travaille, en reconnaître les défauts et accepter d'entendre les critiques qui lui sont portées, n'est-ce pas pourtant le début de la réflexion ? Apparemment, pas pour tout le monde. 

Sur un mode plus ludique, les internautes intéressé.e.s liront "La tirade des CHU", écrite à cette occasion. 



6 commentaires:

  1. Les confrères qui vous dénoncent le feront toujours plus bruyamment que ceux qui vous approuvent. Soyez certain que vos livres, vos combats ont un écho très positif et sont même déterminants chez nombre d'entre nous!

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  2. Il n'y a pas que les critiques qui passent mal auprès de certains (nombreux tout de même) médecins, mais également les simples recommandations ou conseils.

    L'autre jour, j'emmène mon bébé - atteint d'une ostéogenèse imparfaite sévère - à l'hôpital pour faire retirer son plâtre pelvi-pédieux suite à une fracture du fémur.
    J'indique au plâtrier que pour les prochaines fois, il faudra davantage rembourrer au niveau de la colonne vertébrale (l'arête du plâtre risquant de fracturer la colonne et d'entrainer une lésion médullaire, c'est pas rien) et davantage dégager le plâtre autour de la jambe "valide" (non plâtrée) car un bébé ça remue beaucoup les jambes, et il se cognait le fémur contre le plâtre (ce qui n'est environ pas indiqué quand l'enfant présente une ostéogenèse imparfaite - JE DIS ÇA JE DIS RIEN HEIN..).

    Et bien le plâtrier s'est montré tout à fait dédaigneux, me lançant un "Oui on pourrait enlever tout le plâtre pour que ça ne le gêne pas !".
    J'ai ravalé à grand peine mon envie de "l'emplâtrer" - haha - pour lui réexpliquer en quoi les précautions que je demandais étaient justifiées MÉDICALEMENT, et ça a fini par rentrer - enfin j'espère.

    Mais c'est chiant, fatiguant, pénible à la longue de tomber sur des pignoufs pareils, vraiment. C'est moi, non médecin, qui suis constamment obligée de rappeler en quoi telle ou telle demande que je formule ne tombe pas du ciel de mes fantasmes mais bien d'une justification médicale. Ils sont médecins putain, les justifications médicales c'est pas eux qui sont sensés les fournir ??

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  3. Un jour j arriverais peut etre a raconter aussi toutes ces petites histoires, questionnements coleres, joies et autres, glannées depuis 15 ans que je suis infirmiere... en attendant je me regale de lire les votres et surtout, je me rejouis qu il puisse exister dans ce monde medical si particulier et si hostile parfois, une famille de soignants humanistes capable de se remettre en question pour être au plus juste dans sa pratique du soin.
    merci pour ca
    Nathalie

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  4. Criez à la censure des qu'on ose remettre en question la forme d'une critique ou qu'on reproche le manque total de nuance c'est aussi très pénible. (Commentaire lié en partie notamment à l'un de vos derniers tweets sur les CHU)

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