Souvent, quand un.e
citoyen.ne critique la profession médicale, il ou elle s'entend dire :
"Vous n'avez pas le droit de parler, vous n'y connaissez rien, vous n'êtes
pas médecin." Cette "objection" n'est pas réservée aux
non-médecins : on la sert régulièrement aux professionnels de santé qui tentent
de dénoncer certains comportements. Sous des formes diverses et variées.
À l’époque où je suis
devenu un écrivain-médecin connu et où j’ai donc commencé à m’exprimer
publiquement, c’était : « Vous êtes médecin ? Vraiment ? Et vous exercez
? Ah oui, seulement
à temps partiel ! »
Plus tard, j'ai
souvent entendu :
« Bon, mais est-ce que vous pratiquez encore la médecine ? »
« Bon, mais est-ce que vous pratiquez encore la médecine ? »
Aujourd'hui, c'est :
"Depuis quand n'avez vous plus pratiqué la médecine ?"
(Ou même "Mais vous ne vivez plus en France !")
Toutes ces
formulations sont équivalentes. Elles signifient : « De quel droit nous
critiquez-vous, alors que vous n’êtes pas (ou plus) des nôtres ? Vous ne savez
pas en quoi consiste notre travail ! Vous n’avez pas le droit de nous juger !
Vous n’êtes pas - ou, dans mon cas, vous n'êtes plus - un vrai
médecin. »
Le caractère
fallacieux de ces "reproches" est évident : nombre de responsables
des syndicats ou de l'Ordre ne sont pas ou plus en activité depuis longtemps.
Et je ne parle pas des députés, des conseillers de ministres, ou des ministres
eux-mêmes, qui n'hésitent pourtant pas à invoquer leur formation
professionnelle à l'appui de leurs déclarations ou de leurs actes. Quand est-on
un "vrai" médecin ? Bien malin qui pourra le dire. Mais là n'est pas
vraiment la question.
Car l’objectif de ces
reproches est clair : il consiste à disqualifier les interpellations, au
prétexte que l'activité professionnelle du critique serait « insuffisante »
pour que celui-ci soit crédible. Les personnes qui les adressent oublient
seulement une chose : pour s’élever contre le comportement des institutions
médicales ou de certains de leurs membres, il n’est pas nécessaire d'être
médecin. Pas plus qu’il n’est nécessaire d’être politicien, policier,
avocat, enseignant ou militaire pour énoncer des critiques vis-à- vis de ces figures
d’autorité – ou des institutions qu’ils représentent.
Dans un pays qui
se dit démocratique, tout citoyen (médecin ou non) est en droit de critiquer le
comportement inacceptable d'une profession réputée répondre aux besoins de
la population.
Pour ma part, ce
n’est jamais en « confrère » que je m’exprime pour adresser mes critiques, mais
bien en citoyen – c’est-à-dire en tant que parent, conjoint, ami, fils, frère
de patients, et patient lui-même. Ma « légitimité » n’est pas plus discutable
que si je posais des questions embarrassantes au conseil municipal de ma
ville.
En revanche, la violence avec laquelle certains médecins s’efforcent de faire taire ou de traiter par le mépris toute critique, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur de la profession, en dit long sur leur absence de sens démocratique. Ce type d'argument visant à "excommunier" ou tout simplement à "punir" les médecins qui critiquent la profession est représentatif d'un comportement de caste élitaire, de club privé (et même, à certains égards, de secte). Les clubs privés ne tolèrent aucune critique, ni de la part de ses membres, ni de ceux qui n'en font pas partie.
Ce qui conduit à la question : le corps médical est-il en droit de fonctionner comme un club privé, dans un pays où la fonction du médecin consiste, d'abord, à s'insérer dans un système de santé publique ? Les citoyens ne sont-ils pas, eux, en droit de s'interroger - et d'interpeller les professionnels - sur des sujets aussi importants que le comportement individuel des médecins et les maltraitances que certains font subir aux patient(e)s sous leur responsabilité, leurs prises de position, les méthodes et l'idéologie de la formation en faculté de médecine, les liens des médecins à l'industrie, les conflits d'intérêt... ?
Plus simplement : les
citoyens ne sont-ils pas en droit de définir eux-mêmes à quel "genre" de médecins ils
veulent pouvoir confier leurs problèmes de santé ?
Marc Zaffran/Martin
Winckler
PS : Dans ce billet, si l'on remplace "corps médical" par "CHU", les remarques restent valides. Que l'institution critiquée soit informelle et hétérogène (le corps médical) ou hyper-formalisée et tout aussi hétérogène (les CHU, leur hiérarchie, leur administration, leurs luttes de pouvoirs entre certains patrons qui se prennent pour des marquis, le mépris rampant envers la médecine générale et tout ce qui n'est pas PUPH, l'élitisme de certains enseignants à qui l'on confie la formation des étudiants, etc.), la critique n'est pas moins valide quand elle vient d'une voix extérieure. Celle des patients, par exemple.
Malheureusement, ce qui pose souvent problème, c'est que ceux qui sont à l'intérieur et ont le sentiment (à tort ou à raison) d'y travailler de leur mieux ne soient pas toujours capables d'entendre ces critiques, et les prennent comme des atteintes personnelles, voire comme des insultes.
Savoir s'individualiser, se différencier de l'institution dans laquelle on travaille, en reconnaître les défauts et accepter d'entendre les critiques qui lui sont portées, n'est-ce pas pourtant le début de la réflexion ? Apparemment, pas pour tout le monde.
Sur un mode plus ludique, les internautes intéressé.e.s liront "La tirade des CHU", écrite à cette occasion.
PS : Dans ce billet, si l'on remplace "corps médical" par "CHU", les remarques restent valides. Que l'institution critiquée soit informelle et hétérogène (le corps médical) ou hyper-formalisée et tout aussi hétérogène (les CHU, leur hiérarchie, leur administration, leurs luttes de pouvoirs entre certains patrons qui se prennent pour des marquis, le mépris rampant envers la médecine générale et tout ce qui n'est pas PUPH, l'élitisme de certains enseignants à qui l'on confie la formation des étudiants, etc.), la critique n'est pas moins valide quand elle vient d'une voix extérieure. Celle des patients, par exemple.
Malheureusement, ce qui pose souvent problème, c'est que ceux qui sont à l'intérieur et ont le sentiment (à tort ou à raison) d'y travailler de leur mieux ne soient pas toujours capables d'entendre ces critiques, et les prennent comme des atteintes personnelles, voire comme des insultes.
Savoir s'individualiser, se différencier de l'institution dans laquelle on travaille, en reconnaître les défauts et accepter d'entendre les critiques qui lui sont portées, n'est-ce pas pourtant le début de la réflexion ? Apparemment, pas pour tout le monde.
Sur un mode plus ludique, les internautes intéressé.e.s liront "La tirade des CHU", écrite à cette occasion.
Les confrères qui vous dénoncent le feront toujours plus bruyamment que ceux qui vous approuvent. Soyez certain que vos livres, vos combats ont un écho très positif et sont même déterminants chez nombre d'entre nous!
RépondreSupprimerMerci !
Supprimerpas mieux ^^
RépondreSupprimerIl n'y a pas que les critiques qui passent mal auprès de certains (nombreux tout de même) médecins, mais également les simples recommandations ou conseils.
RépondreSupprimerL'autre jour, j'emmène mon bébé - atteint d'une ostéogenèse imparfaite sévère - à l'hôpital pour faire retirer son plâtre pelvi-pédieux suite à une fracture du fémur.
J'indique au plâtrier que pour les prochaines fois, il faudra davantage rembourrer au niveau de la colonne vertébrale (l'arête du plâtre risquant de fracturer la colonne et d'entrainer une lésion médullaire, c'est pas rien) et davantage dégager le plâtre autour de la jambe "valide" (non plâtrée) car un bébé ça remue beaucoup les jambes, et il se cognait le fémur contre le plâtre (ce qui n'est environ pas indiqué quand l'enfant présente une ostéogenèse imparfaite - JE DIS ÇA JE DIS RIEN HEIN..).
Et bien le plâtrier s'est montré tout à fait dédaigneux, me lançant un "Oui on pourrait enlever tout le plâtre pour que ça ne le gêne pas !".
J'ai ravalé à grand peine mon envie de "l'emplâtrer" - haha - pour lui réexpliquer en quoi les précautions que je demandais étaient justifiées MÉDICALEMENT, et ça a fini par rentrer - enfin j'espère.
Mais c'est chiant, fatiguant, pénible à la longue de tomber sur des pignoufs pareils, vraiment. C'est moi, non médecin, qui suis constamment obligée de rappeler en quoi telle ou telle demande que je formule ne tombe pas du ciel de mes fantasmes mais bien d'une justification médicale. Ils sont médecins putain, les justifications médicales c'est pas eux qui sont sensés les fournir ??
Un jour j arriverais peut etre a raconter aussi toutes ces petites histoires, questionnements coleres, joies et autres, glannées depuis 15 ans que je suis infirmiere... en attendant je me regale de lire les votres et surtout, je me rejouis qu il puisse exister dans ce monde medical si particulier et si hostile parfois, une famille de soignants humanistes capable de se remettre en question pour être au plus juste dans sa pratique du soin.
RépondreSupprimermerci pour ca
Nathalie
Criez à la censure des qu'on ose remettre en question la forme d'une critique ou qu'on reproche le manque total de nuance c'est aussi très pénible. (Commentaire lié en partie notamment à l'un de vos derniers tweets sur les CHU)
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