Pendant l'été 1976, entre ma 2e et ma 3e année de médecine (je n'avais jamais eu de contact avec des patientes encore), j'ai traversé les Etats-Unis en bus Greyhound. New York, NY - Indianapolis, IN - Minneapolis, MN - Billings, MT - Portland, OR - San Francisco, CA - Las Vegas, NV - Salt Lake City, UT - Minneapolis, MN - Washington, D.C.
J'avais 21 ans, j'ai fait beaucoup de rencontres, et pas mal de galipettes avec des amies américaines ou françaises qui étaient contentes de me (re)voir. Au bout de quelques semaines de joyeux ébats, j'ai fait une uréthrite carabinée.
Après un voyage que j'ai trouvé très long (je me levais toutes les 10 minutes pour aller uriner douloureusement dans les toilettes au fond du bus) je suis arrivé, mortifié, à Washington, D.C, chez un ami mortifié de me voir en piteux état.
Inquiet à l'idée d'avoir chopé et surtout transmis un microbe embêtant (le plus fréquent à l'époque était le gonocoque), j'ai squatté son téléphone pour appeler toutes mes partenaires et leur dire que j'avais des symptômes et leur présenter des excuses si jamais je les avais contaminées. A ma grande surprise (je croyais qu'elles allaient me faire des reproches) elles m'ont toutes remercié de les avoir appelées et prévenues.
Et puis, je suis allé me faire soigner aux urgences de l'hôpital général de Washington, D.C.
L'interne (une femme qui devait avoir quatre ou cinq ans de plus que moi, à tout casser - et, non, il ne m'est pas venu à l'idée de demander à ce qu'un homme m'examine, malgré mon profond embarras) m'a écouté sans se moquer de moi et sans porter de jugements sur mon activité sexuelle.
Elle m'a examiné avec délicatesse, en terminant par un examen de la prostate et un prélèvement de l'urèthre à l'écouvillon qu'elle est allée étaler, colorer et examiner elle-même sur une lame de microscope.
Au bout de cinq minutes, elle est revenue, rassurante, en me disant qu'elle ne voyait pas de gonocoques mais des germes banals, qu'elle avait fait vérifier son observation par son Attending (le médecin titulaire) et m'a annoncé qu'elle allait me prescrire un traitement antibiotique adapté. Elle m'a donné l'exact nombre de comprimés dans un flacon en plastique portant mon nom, le sien, le nom générique du médicament et le nombre de jours de prise.
Avant de me faire l'examen de la prostate, elle m'avait expliqué pourquoi elle proposait de le faire (pour savoir si l'infection était limitée à l'urèthre ou si j'avais une prostatite), comment elle allait le faire (elle allait introduire son index ganté et enduit de lubrifiant dans mon anus pendant que, les pieds au sol et les jambes écartées, je m'étendrais sur le ventre à même la table d'examen) et, surtout, elle m'a demandé si j'étais d'accord, et précisé que si je ne l'étais pas, ça ne l'empêcherait pas de me soigner.
J'étais inquiet, mais en confiance, alors j'étais d'accord.
Elle a fait l'examen sans me faire mal.
Je me rappelle lui avoir dit que j'étais étudiant en médecine et l'avoir entendu répondre quelque chose comme "Ah, c'est terrible. Non seulement ça n'immunise pas contre les maladies, mais on pense toujours au pire." Je me rappelle aussi l'avoir entendue parler à la personne (âgée) installée dans le "box" attenant au mien, et m'être fait la réflexion qu'elle parlait à tout le monde avec la même bienveillance.
Ce n'était pas un problème compliqué, ni grave. Mais j'étais un étranger en terre étrangère, j'étais jeune et inexpérimenté, j'étais relativement isolé, je me sentais coupable et embarrassé. Cette femme aurait pu, par son attitude ou son comportement, accroître mon embarras et rendre encore plus pénible une situation qui l'était déjà beaucoup. Mais parce qu'elle ma bien traité, je peux aujourd'hui m'en souvenir sans rougir et la raconter.
Quand je suis sorti des urgences, je n'étais pas guéri, mais je me sentais déjà mieux.
Je regrette de ne pas avoir retenu son nom.
Cette rencontre de soin, je ne l'ai jamais oubliée. Je m'en suis souvenu dès que j'ai commencé à avoir une activité clinique. Je me suis souvenu de mon embarras et de ma honte et de l'attitude simplement bienveillante, explicative, les-pieds-sur-terre, qui lui avait permis de m'aider à me détendre et à me soulager.
On ne peut pas soigner les gens en les maltraitant. Et chaque personne qu'on soigne doit être respectée.
Mais quand on est une professionnelle de santé, il est bon aussi de se rappeler que parfois, on soigne une personne qui, demain, sera à son tour soignante, celle de proches ou de personnes étrangères. Et qu'en la soignant, on lui donne l'exemple.
On ne peut pas apprendre à soigner à des gens qu'on maltraite.
Marc Zaffran/Martin Winckler
Un blog participatif et coopératif rédigé pour et par des citoyen.ne.s, des patient.e.s, des soignant.e.s.
lundi 27 mai 2019
lundi 29 avril 2019
La vaccination universelle contre les HPV n'est ni justifiée scientifiquement, ni urgente. Et les "personnalités" qui appellent à la faire sont bardées de conflits d'intérêts...
Il ne se passe pas de semaine sans que des internautes me demandent s'il "faut" vacciner leurs filles contre le HPV.
J'ai déjà répondu il y a longtemps à ce sujet sur mon site professionnel.
Récemment, une cinquantaine de "personnalités" ont appelé à une vaccination élargie, des filles et des garçons.
Cet appel est en réalité l'élément pseudo-scientifique d'une vaste campagne commerciale.
Les conflits d'intérêts des signataires, liés à l'industrie pharmaceutique, sont immenses.
Avec des médecins et pharmaciens indépendants de l'industrie, j'ai co-signé un "contre-appel" qui remet les choses en perspectives.
Non, il ne "faut" pas vacciner tous les enfants contre les HPV. En l'état actuel des connaissances, il est au contraire nécessaire de ne pas s'engouffrer dans une campagne de vaccination qui n'a pas d'intérêt démontré, qui ne prévient pas contre une maladie immédiatement dangereuse et qui coûtera très cher à la collectivité.
POur en savoir plus, cliquez sur ce lien.
Lisez.
Et jugez par vous-mêmes.
Martin Winckler
NOTE IMPORTANTE : Ma position personnelle sur la vaccination en général et les vaccins anti-HPV en particulier
J'ai déjà répondu il y a longtemps à ce sujet sur mon site professionnel.
Récemment, une cinquantaine de "personnalités" ont appelé à une vaccination élargie, des filles et des garçons.
Cet appel est en réalité l'élément pseudo-scientifique d'une vaste campagne commerciale.
Les conflits d'intérêts des signataires, liés à l'industrie pharmaceutique, sont immenses.
Avec des médecins et pharmaciens indépendants de l'industrie, j'ai co-signé un "contre-appel" qui remet les choses en perspectives.
Non, il ne "faut" pas vacciner tous les enfants contre les HPV. En l'état actuel des connaissances, il est au contraire nécessaire de ne pas s'engouffrer dans une campagne de vaccination qui n'a pas d'intérêt démontré, qui ne prévient pas contre une maladie immédiatement dangereuse et qui coûtera très cher à la collectivité.
POur en savoir plus, cliquez sur ce lien.
Lisez.
Et jugez par vous-mêmes.
Martin Winckler
NOTE IMPORTANTE : Ma position personnelle sur la vaccination en général et les vaccins anti-HPV en particulier
Quelques internautes m’ont demandé « sur
quels arguments scientifiques » j’avais signé le moratoire contre la
vaccination HPV universelle.
Quelques précisions sur ma position vis-à-vis
de la vaccination en général.
J’ai été vacciné contre le tétanos, la
diphtérie, la polio, la variole. Je suis à jour de mes vaccinations (à un poil
près). J’ai fait la rougeole et la coqueluche (y’avait pas de vaccins à
l’époque).
Mes enfants ont été vaccinés — pas contre la
variole, qu’on ne fait plus depuis les années 70 mais contre tout ce qui était
disponible ou presque à l’âge où ils l’ont été.
Pendant mon enfance, j’ai grandi avec un
copain qui avait perdu un bras à cause de la polio. Pendant ma formation, j’ai
vu des personnes mourir de tétanos, des enfants rester sévèrement handicapés à
cause d’une encéphalite rougeoleuse, des bébés naître malformés ou aveugles ou
sourds à cause d’une rubéole. Et j’ai vu deux cas de diphtérie. L’une des
malades en est morte.
Autant vous dire que je ne suis pas
« antivaxx », au contraire. Je suis heureux que la variole ait été
éradiquée grâce à la vaccination, et que la polio soit en passe de l’être.
NEANMOINS, parce que j’essaie d’avoir une
attitude scientifique, je suis très circonspect quand on propose de vacciner
toute la population contre une maladie « nouvelle ». Je l’étais déjà
en 2009 quand industriels et gouvernements faisaient courir le bruit qu’une
pandémie de grippe allait tuer des millions de personnes dans l’hémisphère
nord, alors qu’elle avait fait moins de victimes dans l’hémisphère sud que
l’année précédente.
DE MEME, j’ai été très sceptique, dès son
lancement, à l’égard de la vaccination anti-HPV. Contrairement aux maladies
sus-citées (y compris la grippe), les HPV ne tuent pas dans les jours ou
semaines qui suivent l’infection, et l’immense majorité des infections
guérissent seules. Les lésions du col graves sont peu fréquentes, et peuvent
être traitées précocément grâce au dépistage par frottis et/ou test HPV.
Les effets de la vaccination sur une
diminution du nombre de cancers n’a pas été démontré. On ne pourra l’évaluer
que soixante-dix ans après les premières vaccinations.
Autant dire que les sommes colossales
investies dans une vaccination de masse se justifient ENCORE MOINS que celles
que l’on a mise dans le vaccin contre le A/H1N1.
A présent que vous avez lu ma position, merci
de lire la version longue de l’appel à ne pas vacciner. Les informations scientifiques
sont clairement exposées, elles sont vérifiables, elles méritent d’être
discutées.
N’en restez pas à une réaction « épidermique ».
Même si elle se révélait utile (ce qui est très mal parti) la vaccination de
toutes les filles et tous les garçons contre les HPV n’est pas urgente. Vous
avez le temps de réfléchir. Sans peur, sans culpabilisation. Et de vous
rappeler que quand on vous fait peur (de voir vos filles et vos garçons mourir
de cancer dans trente à quarante ans) c’est parce qu’on a quelque chose à vous
vendre.
Martin Winckler
dimanche 7 avril 2019
Le corps d'une femme, enceinte ou non, n'appartient qu'à elle
Les adversaires de l'IVG (quels que soient leurs motifs) déploient habituellement deux types d'arguments pour contester les droits d'une femme à interrompre sa grossesse.
"Et les droits du père biologique, alors ?"
Les anti-IVG arguent que le génome de l'embryon vient pour moitié de l'homme qui l'a conçu. C'est vrai. Mais il vient aussi pour moitié de la mère biologique, qui n'a donc pas moins de droits que lui.
Elle en a même plus, à commencer par celui de protéger sa vie, car être enceinte n'est pas dénué de risques corporels, qu'il s'agisse de la gestation (il y a plus d'accidents thrombo-emboliques mortels chez les femmes enceintes que chez celles qui prennent la pilule) ou de l'accouchement (on peut mourir en couches de manière brutale et imprévisible par hémorragie ou embolie, sortir d'un accouchement mutilée par une épisiotomie ou souffrant de séquelles de la péridurale) ou encore de la période qui suit (le taux de suicides liés aux dépressions du post-partum est plus élevé que dans la population générale).
Ces risques, les pères biologiques ne les encourent jamais. Il n'est donc pas scandaleux qu'une femme décide de ne pas risquer sa vie ou sa santé pour une grossesse dont elle ne veut pas. La contraindre à poursuivre une grossesse contre son gré n'est pas seulement une entrave à sa liberté, mais un risque physique réel. Même s'il est faible, il est, de toute manière, plus élevée pour elle que pour le père.
"Et les droits du foetus, alors ?"
C'est le deuxième argument, couramment invoqué par les anti-IVG, qui tentent depuis longtemps de faire reconnaître l'embryon ou le foetus comme une personne (au sens juridique du terme). Ils espèrent ainsi, selon la date à laquelle ce "statut" serait reconnu, interdire l'IVG en le faisant assimiler à un meurtre. C'est ce que vient de faire l'état de Georgie, aux Etats-Unis, en votant un "foetal heartbeat bill", loi qui interdit l'avortement à partir du moment où l'on voit battre le coeur foetal.
Je vais poser ici qu'il n'est pas éthique de donner un statut à l'embryon ou au foetus, et qu'en France, c'est probablement impossible d'un point de vue strictement juridique. Pour une raison simple, mais incontournable.
Si le foetus avait un statut, celui-ci entraverait la liberté de la femme qui le porte. Celle-ci ne serait plus une citoyenne ou une individu autonome, mais serait automatiquement assujettie à la "personne" du foetus. Autrement dit : elle en serait l'esclave.
Etre considéré comme une personne suppose en effet de jouir de tous les droits accordés à tous et toutes les citoyennes dès leur naissance. Un enfant a des droits, une personne majeure incapable (en raison d'une maladie ou d'une malformation) en a également. Et elle est encadrée : par exemple, jusqu'à l'âge de 18 ans, un individu reste en principe soumis à l'autorité (et relève de la responsabilité) de ses deux parents. Une personne mineure ou sous tutelle ne peut pas voter ou conduire un véhicule ni effectuer un certain nombre de gestes sans aval des tuteurs.
Imaginons que le foetus ait le statut de personne. Pendant la période de gestation, qui aurait sa tutelle ? La mère ? Le père ?
Si la mère est tutrice de son foetus, elle se retrouve dans une situation absurde : elle est responsable de la sécurité d'une personne qui met sa propre vie en danger ; si le foetus est menacé, elle devrait par exemple accepter des traitements administrés sur (ou à travers) son propre corps - médicaments, chirurgie, etc. - même si elle n'y consentait pas pour elle-même.
Si le père est le tuteur du foetus, cela signifie qu'il dispose d'une autorité sur le corps de la mère, dont le foetus est encore indissociable.
Il pourrait ainsi l'empêcher d'exercer sa liberté comme elle l'entend, par exemple lui interdire de prendre des vacances à l'étranger, de changer de travail, de faire du sport, voire même de sortir de chez elle, au prétexte que ça risquerait d'être un danger pour la grossesse.
On reviendrait en somme à la situation que les femmes subissaient encore dans les années soixante, lorsqu'elles ne pouvaient pas utiliser une contraception, ouvrir un compte en banque ou acheter une voiture sans l'autorisation de leur mari... Et même pire, à l'époque où les médecins, lors d'un accouchement difficile, demandaient au père s'il fallait "sauver la mère ou l'enfant".
Donner un statut au foetus équivaudrait à assujettir les femmes enceintes à la grossesse qu'elles portent. Autrement dit, à en faire des esclaves. Seulement quand elles sont enceintes ? Ou en permanence ?
Je doute que cet état de chose soit compatible avec la Constitution française (qui stipule que tous les citoyens ont des droits identiques). Ou, d'ailleurs, avec la plupart des textes juridiques portant sur les droits humains.
La Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU, co-signée par la France en 1948, stipule à son article 1er : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.
Et son article 4 : Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.
Donc, à moins que l'on ne veuille remettre en esclavage la moitié de l'humanité, un foetus ne peut pas être une personne.
Car le corps d'une femme, enceinte ou non, n'appartient qu'à elle-même.
Martin Winckler/Marc Zaffran
"Et les droits du père biologique, alors ?"
Les anti-IVG arguent que le génome de l'embryon vient pour moitié de l'homme qui l'a conçu. C'est vrai. Mais il vient aussi pour moitié de la mère biologique, qui n'a donc pas moins de droits que lui.
Elle en a même plus, à commencer par celui de protéger sa vie, car être enceinte n'est pas dénué de risques corporels, qu'il s'agisse de la gestation (il y a plus d'accidents thrombo-emboliques mortels chez les femmes enceintes que chez celles qui prennent la pilule) ou de l'accouchement (on peut mourir en couches de manière brutale et imprévisible par hémorragie ou embolie, sortir d'un accouchement mutilée par une épisiotomie ou souffrant de séquelles de la péridurale) ou encore de la période qui suit (le taux de suicides liés aux dépressions du post-partum est plus élevé que dans la population générale).
Ces risques, les pères biologiques ne les encourent jamais. Il n'est donc pas scandaleux qu'une femme décide de ne pas risquer sa vie ou sa santé pour une grossesse dont elle ne veut pas. La contraindre à poursuivre une grossesse contre son gré n'est pas seulement une entrave à sa liberté, mais un risque physique réel. Même s'il est faible, il est, de toute manière, plus élevée pour elle que pour le père.
"Et les droits du foetus, alors ?"
C'est le deuxième argument, couramment invoqué par les anti-IVG, qui tentent depuis longtemps de faire reconnaître l'embryon ou le foetus comme une personne (au sens juridique du terme). Ils espèrent ainsi, selon la date à laquelle ce "statut" serait reconnu, interdire l'IVG en le faisant assimiler à un meurtre. C'est ce que vient de faire l'état de Georgie, aux Etats-Unis, en votant un "foetal heartbeat bill", loi qui interdit l'avortement à partir du moment où l'on voit battre le coeur foetal.
Je vais poser ici qu'il n'est pas éthique de donner un statut à l'embryon ou au foetus, et qu'en France, c'est probablement impossible d'un point de vue strictement juridique. Pour une raison simple, mais incontournable.
Si le foetus avait un statut, celui-ci entraverait la liberté de la femme qui le porte. Celle-ci ne serait plus une citoyenne ou une individu autonome, mais serait automatiquement assujettie à la "personne" du foetus. Autrement dit : elle en serait l'esclave.
Etre considéré comme une personne suppose en effet de jouir de tous les droits accordés à tous et toutes les citoyennes dès leur naissance. Un enfant a des droits, une personne majeure incapable (en raison d'une maladie ou d'une malformation) en a également. Et elle est encadrée : par exemple, jusqu'à l'âge de 18 ans, un individu reste en principe soumis à l'autorité (et relève de la responsabilité) de ses deux parents. Une personne mineure ou sous tutelle ne peut pas voter ou conduire un véhicule ni effectuer un certain nombre de gestes sans aval des tuteurs.
Imaginons que le foetus ait le statut de personne. Pendant la période de gestation, qui aurait sa tutelle ? La mère ? Le père ?
Si la mère est tutrice de son foetus, elle se retrouve dans une situation absurde : elle est responsable de la sécurité d'une personne qui met sa propre vie en danger ; si le foetus est menacé, elle devrait par exemple accepter des traitements administrés sur (ou à travers) son propre corps - médicaments, chirurgie, etc. - même si elle n'y consentait pas pour elle-même.
Si le père est le tuteur du foetus, cela signifie qu'il dispose d'une autorité sur le corps de la mère, dont le foetus est encore indissociable.
Il pourrait ainsi l'empêcher d'exercer sa liberté comme elle l'entend, par exemple lui interdire de prendre des vacances à l'étranger, de changer de travail, de faire du sport, voire même de sortir de chez elle, au prétexte que ça risquerait d'être un danger pour la grossesse.
On reviendrait en somme à la situation que les femmes subissaient encore dans les années soixante, lorsqu'elles ne pouvaient pas utiliser une contraception, ouvrir un compte en banque ou acheter une voiture sans l'autorisation de leur mari... Et même pire, à l'époque où les médecins, lors d'un accouchement difficile, demandaient au père s'il fallait "sauver la mère ou l'enfant".
Donner un statut au foetus équivaudrait à assujettir les femmes enceintes à la grossesse qu'elles portent. Autrement dit, à en faire des esclaves. Seulement quand elles sont enceintes ? Ou en permanence ?
Je doute que cet état de chose soit compatible avec la Constitution française (qui stipule que tous les citoyens ont des droits identiques). Ou, d'ailleurs, avec la plupart des textes juridiques portant sur les droits humains.
La Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU, co-signée par la France en 1948, stipule à son article 1er : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.
Et son article 4 : Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.
Donc, à moins que l'on ne veuille remettre en esclavage la moitié de l'humanité, un foetus ne peut pas être une personne.
Car le corps d'une femme, enceinte ou non, n'appartient qu'à elle-même.
Martin Winckler/Marc Zaffran
lundi 11 février 2019
"L'Ecole des soignantes" - un roman pour proposer d'autres modèles du soin et de son apprentissage
Le 7 mars 2019, trente ans presque jour pour jour après avoir publié mon premier roman, La Vacation, P.O.L publiait L'Ecole des soignantes.
Vous pouvez en lire les premières pages ici, sur le site de P.O.L
Si j'en parle ici, c'est bien sûr parce qu'il porte (presque) le même titre que ce blog, et à dessein : c'est la description d'un hôpital utopique et de son école de professionnel.le.s de santé, entre les années 2034 et 2039.
Le Centre hospitalier holistique de Tourmens et son école des soignantes sont régies toutes deux (non, ce n'est pas une erreur d'accord, c'est un accord de proximité) par une approche féministe - c'est à dire égalitaire et inclusive.
Là-bas, toute personne doit être soignée et/ou formée aux soins avec la même attention, le même respect, la même écoute, quelles que soient son origine, son genre, ses caractéristiques personnelles, ses croyances, ses préférences...
Pour ce faire, les soignantes (femmes et hommes et personnes non-binaires) du CHHT et de l'EDS fondent le soin et son apprentissage sur deux changements de paradigme profonds : le corps et la physiologie des femmes deviennent les domaines scientifiques de référence ; la santé des femmes devient l'objectif numéro un des soins.
Les fondatrices du CHHT et de l'Ecole partaient en effet du principe que si l'on parvient à répondre de manière appropriée et égalitaire aux besoins des femmes, depuis des millénaires négligées et méprisées par le corps médical, on saura répondre aux besoins de toutes les personnes.
Oui, il s'agit d'une utopie. Mais il ne suffit pas de critiquer ce qui existe (et ne marche pas toujours bien) il faut aussi proposer de nouveaux modèles, de nouveaux repères. C'est ce que je fais dans ce livre, qui poursuit le travail de recherche romanesque sur l'éthique du soin développée dans Le Choeur des femmes.
Je ne prétends pas que ce que je décris, défends ou propose dans L'Ecole des soignantes est définitif ou exempt d'objections et de critiques. Ce n'est pas une somme, un évangile ou un petit livre rouge. C'est un roman qui prolonge les précédents et - je touche du bois - en annonce d'autres.
C'est une narration tissée de dialogues, d'informations, d'émotions, de réflexions, d'anecdotes, de retournements, de valeurs et d'espoirs. Un livre fait pour balader, émouvoir, intriguer, provoquer, étonner, réconforter, encourager des lectrices et des lecteurs, et si celles-ci en ont envie, les inciter à en lire plus, à écrire et à inventer à leur tour.
J'espère que vous aurez envie d'embarquer.
Marc Zaffran/Martin Winckler
Vous pouvez en lire les premières pages ici, sur le site de P.O.L
Si j'en parle ici, c'est bien sûr parce qu'il porte (presque) le même titre que ce blog, et à dessein : c'est la description d'un hôpital utopique et de son école de professionnel.le.s de santé, entre les années 2034 et 2039.
Le Centre hospitalier holistique de Tourmens et son école des soignantes sont régies toutes deux (non, ce n'est pas une erreur d'accord, c'est un accord de proximité) par une approche féministe - c'est à dire égalitaire et inclusive.
Là-bas, toute personne doit être soignée et/ou formée aux soins avec la même attention, le même respect, la même écoute, quelles que soient son origine, son genre, ses caractéristiques personnelles, ses croyances, ses préférences...
Pour ce faire, les soignantes (femmes et hommes et personnes non-binaires) du CHHT et de l'EDS fondent le soin et son apprentissage sur deux changements de paradigme profonds : le corps et la physiologie des femmes deviennent les domaines scientifiques de référence ; la santé des femmes devient l'objectif numéro un des soins.
Les fondatrices du CHHT et de l'Ecole partaient en effet du principe que si l'on parvient à répondre de manière appropriée et égalitaire aux besoins des femmes, depuis des millénaires négligées et méprisées par le corps médical, on saura répondre aux besoins de toutes les personnes.
Oui, il s'agit d'une utopie. Mais il ne suffit pas de critiquer ce qui existe (et ne marche pas toujours bien) il faut aussi proposer de nouveaux modèles, de nouveaux repères. C'est ce que je fais dans ce livre, qui poursuit le travail de recherche romanesque sur l'éthique du soin développée dans Le Choeur des femmes.
Je ne prétends pas que ce que je décris, défends ou propose dans L'Ecole des soignantes est définitif ou exempt d'objections et de critiques. Ce n'est pas une somme, un évangile ou un petit livre rouge. C'est un roman qui prolonge les précédents et - je touche du bois - en annonce d'autres.
C'est une narration tissée de dialogues, d'informations, d'émotions, de réflexions, d'anecdotes, de retournements, de valeurs et d'espoirs. Un livre fait pour balader, émouvoir, intriguer, provoquer, étonner, réconforter, encourager des lectrices et des lecteurs, et si celles-ci en ont envie, les inciter à en lire plus, à écrire et à inventer à leur tour.
J'espère que vous aurez envie d'embarquer.
Marc Zaffran/Martin Winckler
mercredi 30 janvier 2019
Scènes de la maltraitance médicale ordinaire (parmi bien d'autres) - un témoignage de patiente.
Un témoignage reçu par Baptiste Beaulieu et que son autrice m'autorise à publier.
* Mucite : inflammation des muqueuses, le revêtement intérieur des organes du corps (en particulier du tube digestif). Elle est fréquemment provoquée par les traitements anticancéreux.
C'est l'histoire d'un
interne. Appelons le C.
Il s'occupe de moi depuis mon entrée et son attitude est de pire en pire. Je suis exigeante allez vous me dire ? Si attendre qu'on me respecte en tant qu'être humain et femme c'est être exigeante, alors oui, je le suis.
C'est donc l'histoire de C; à la démarche nonchalante, au regard noir et perçant, C, que je m'étais promis de ne pas malmener comme l'interne du mois de juillet. J'avais décidé, cette fois, d'être bienveillante.
C, c'est l'interne que je vois tous les matins pour une auscultation et faire un point. C'est le mec qui pose des questions et ne prend pas la peine d'écouter les réponses. Ce qui a le don de m'énerver mais j'ai décidé d'être bienveillante hein.... Alors je laisse couler.
C, c'est l'apprenti médecin qui a la palpation du ventre assez "musclée". Il sait que tu as mal là mais il vérifie ! Et plusieurs fois ! En augmentant la pression ! Certainement pour voir si c'est bien là que ça te fait mal. Il débarque parfois avec son gentil externe qu'il doit sans aucun doute considérer comme son valet ou son esclave (j'ai un doute) vu le ton qu'il emploie lorsqu'il s'adresse à lui.
C, c'est aussi le type à qui tu dis tout.... T'es bien obligée c'est le seul médecin que tu vois et c'est lui qui a la main sur tes prescriptions de médicaments. Alors quand il te demande " le transit ?" (ah oui.... C a du mal à mettre des verbes dans une phrases, il n'a pas que ça a faire, il est interne bordel !)
Il s'occupe de moi depuis mon entrée et son attitude est de pire en pire. Je suis exigeante allez vous me dire ? Si attendre qu'on me respecte en tant qu'être humain et femme c'est être exigeante, alors oui, je le suis.
C'est donc l'histoire de C; à la démarche nonchalante, au regard noir et perçant, C, que je m'étais promis de ne pas malmener comme l'interne du mois de juillet. J'avais décidé, cette fois, d'être bienveillante.
C, c'est l'interne que je vois tous les matins pour une auscultation et faire un point. C'est le mec qui pose des questions et ne prend pas la peine d'écouter les réponses. Ce qui a le don de m'énerver mais j'ai décidé d'être bienveillante hein.... Alors je laisse couler.
C, c'est l'apprenti médecin qui a la palpation du ventre assez "musclée". Il sait que tu as mal là mais il vérifie ! Et plusieurs fois ! En augmentant la pression ! Certainement pour voir si c'est bien là que ça te fait mal. Il débarque parfois avec son gentil externe qu'il doit sans aucun doute considérer comme son valet ou son esclave (j'ai un doute) vu le ton qu'il emploie lorsqu'il s'adresse à lui.
C, c'est aussi le type à qui tu dis tout.... T'es bien obligée c'est le seul médecin que tu vois et c'est lui qui a la main sur tes prescriptions de médicaments. Alors quand il te demande " le transit ?" (ah oui.... C a du mal à mettre des verbes dans une phrases, il n'a pas que ça a faire, il est interne bordel !)
Tu lui réponds que la période de constipation du départ
est réglée et que tu te sens soulagée. Et lui de te répondre, " ok je vais
regarder votre anus, allongez-vous fesses face à la fenêtre pour la lumière
". Mais toi, tellement estomaquée face à cette.... ???? Cette demande ?
Nooooon, cet ordre, cette injonction... Oui toi, tu ne dis rien tu mets ton cul
à l'air face à la fenêtre et tu sens l'humiliation palpable dans la pièce.
Pourquoi cet examen ? Toi tu ne le sauras jamais, mais C il sait lui pourquoi !
Et puis toi, finalement t'es plus à une humiliation de plus : les pertes de
sang, les hémorroïdes, la sonde urinaire, les caillots de sang..... T'es plus à
"ça" près.
Et donc tu continues à voir C tous les jours en te récitant ce mantra mentalement "il est interne, c'est un bébé médecin, il apprend, tu es bienveillante".
C c'est donc le type qui ce matin a fini par me faire déboulonner. La mucite* augmente de jour en jour et, malgré la morphine, les douleurs dans la bouche sont bien là. Comme tous les matins, il rentre dans la chambre " Bonjour Madame, comment allez vous ? " (soit dit en passant, on ne revient pas sur le fait que je trouve cette question complètement débile venant de la part d'un médecin.... J'en ai déjà parlé).
Je lui explique donc que la mucite prend de l'ampleur et que c'est douloureux. Il se munit donc de sa lampe de poche et me demande d'ouvrir la bouche. Avant de m'exécuter, je prends le temps de lui expliquer que j'ai très mal et que je ne suis plus en mesure d'ouvrir la bouche en grand. Je fais quand même de mon mieux.
Il regarde et me demande d'ouvrir la bouche plus grand. Je tente et je lui explique à nouveau que ce n'est pas possible pour moi. "Mais si Madame, vous allez faire un effort ! Vous allez ouvrir la bouche plus grand" Tout ça à 20 cm de mon visage, les yeux dans les yeux sur un ton à la fois condescendant et infantilisant. J'ai fini par lui dire sur un ton très ferme que non ce n'était pas possible !!!!!
Il est resté me regarder droit dans les yeux un long moment avant de capituler. J'étais tétanisée de peur et dans une colère extrême. Il a repris son auscultation sur un ton neutre comme si rien ne s'était passé.
Voilà l'histoire de C. Voilà mon histoire....
Mais c'est encore moi qui doit être trop exigeante. Cette fois je ne laisserai pas pourrir le truc. Dans un premier temps, je copie colle ce texte et l'envoie comme témoignage à Baptiste Beaulieu
Demain, je l'attends de pied ferme C pour lui dire ma façon de penser. Et selon sa réaction, je demanderai à voir un vrai médecin.
(Janvier 2019)
Et donc tu continues à voir C tous les jours en te récitant ce mantra mentalement "il est interne, c'est un bébé médecin, il apprend, tu es bienveillante".
C c'est donc le type qui ce matin a fini par me faire déboulonner. La mucite* augmente de jour en jour et, malgré la morphine, les douleurs dans la bouche sont bien là. Comme tous les matins, il rentre dans la chambre " Bonjour Madame, comment allez vous ? " (soit dit en passant, on ne revient pas sur le fait que je trouve cette question complètement débile venant de la part d'un médecin.... J'en ai déjà parlé).
Je lui explique donc que la mucite prend de l'ampleur et que c'est douloureux. Il se munit donc de sa lampe de poche et me demande d'ouvrir la bouche. Avant de m'exécuter, je prends le temps de lui expliquer que j'ai très mal et que je ne suis plus en mesure d'ouvrir la bouche en grand. Je fais quand même de mon mieux.
Il regarde et me demande d'ouvrir la bouche plus grand. Je tente et je lui explique à nouveau que ce n'est pas possible pour moi. "Mais si Madame, vous allez faire un effort ! Vous allez ouvrir la bouche plus grand" Tout ça à 20 cm de mon visage, les yeux dans les yeux sur un ton à la fois condescendant et infantilisant. J'ai fini par lui dire sur un ton très ferme que non ce n'était pas possible !!!!!
Il est resté me regarder droit dans les yeux un long moment avant de capituler. J'étais tétanisée de peur et dans une colère extrême. Il a repris son auscultation sur un ton neutre comme si rien ne s'était passé.
Voilà l'histoire de C. Voilà mon histoire....
Mais c'est encore moi qui doit être trop exigeante. Cette fois je ne laisserai pas pourrir le truc. Dans un premier temps, je copie colle ce texte et l'envoie comme témoignage à Baptiste Beaulieu
Demain, je l'attends de pied ferme C pour lui dire ma façon de penser. Et selon sa réaction, je demanderai à voir un vrai médecin.
(Janvier 2019)
* Mucite : inflammation des muqueuses, le revêtement intérieur des organes du corps (en particulier du tube digestif). Elle est fréquemment provoquée par les traitements anticancéreux.
vendredi 19 octobre 2018
Les gants - par Florence Braud
J'ai froid.
J'ai peur.
Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive.
Je suis assise au bord du lit, dans cette chambre plongée dans la pénombre, et j'attends. Mais ce lit n'est pas le mien. Je ne connais pas cette chambre. Et je ne sais pas ce que j'attends.
Deux petits coups discrets frappés à la porte. Je tends l'oreille. J'entends des bribes de voix dehors. Des voix que je ne connais pas. Je retiens ma respiration.
Deux autres petits coups, un peu plus forts. Ils viennent pour moi. La porte s'entrouvre doucement. Je devine une tête.
- Je peux entrer?
Je ne sais pas. Je ne sais pas qui est cette femme. Je ne sais pas ce qu'elle veut. Silence. Je regarde la tête, puis le corps de la femme qui vient de parler. Un corps habillé de blanc. Je dois être à l'hôpital.
- Je suis Elsa, l'aide-soignante. Je viens pour vous aider à faire votre toilette.
Elle vient m'aider. Moi. Mais pourquoi?
Elle entre. Elle n'allume pas la lumière, et je la distingue à peine. Derrière elle, j'entends une autre voix, plus grave. Un homme.
- Ça ira? Tu veux que je reste?
- Oui, ça ira, on va prendre notre temps. J'appelle si j'ai besoin.
Pourquoi ça n'irait pas? Pourquoi devraient-ils être deux? De quoi ont-ils peur?
- Je vais ouvrir les volets, on y verra plus clair.
Bonne idée. Ainsi je pourrai la regarder. Et regarder autour de moi. Elle appuie sur un bouton, les volets remontent lentement. Et je la découvre. Toute de blanc vêtue, cheveux impeccablement coiffés en chignon, sourire avenant. La jeunesse arrogante de ceux qui savent ce qu'ils ont à faire.
Et moi? Moi, rien. Je suis assise au bord du lit, j'ai froid et j'ai peur.
Elle me tend la main. Je la saisis et me redresse péniblement. Elle ne cesse de sourire et de parler. C'est énervant tous ces sourires et tous ces mots. Je voudrais qu'elle se taise. Ses mots m'empêchent de réfléchir.
Elle m'entraîne vers la salle de bain. Elle a déjà préparé mes vêtements. Une robe bleue que je n'aime pas, et un pull que j'aime encore moins. Elle a l'air sûre d'elle. Moi, j'hésite. Elle parle, elle sourit, et tout en parlant et en souriant, elle enfile des gants.
Des gants. Je me souviens. L'infirmière était gentille. Elle avait une belle robe blanche et une petite coiffe. Elle nous parlait et nous souriait. Et entre un sourire et un mot doux, elle avait enfilé des gants. Après, je ne sais plus. Quand je me suis réveillée, l'infirmière était partie. J'étais seule. J'avais froid. J'avais peur. Et maman n'était plus là. Maman n'a plus jamais été là. Quand le camp a été libéré, je l'ai cherchée. Pendant des jours, des semaines, des mois. Et puis, j'ai arrêté de la chercher. Parce qu'elle était morte. Parce que tout le monde était mort.
Les gants. La femme en blanc approche sa main gantée de moi. Je la repousse. J'ai froid. J'ai peur. Elle me sourit, elle me parle. Mais je sais que les sourires et les mots sont trompeurs. Je sais qu'elle essaie de m'amadouer. Je sais qu'elle veut m'endormir. Et je sais qu'à mon réveil, je serai de nouveau toute seule, et j'aurai froid et peur.
Elle sourit encore, et sa voix doucereuse se veut apaisante. Mais ça ne marche pas. Ça ne marchera pas deux fois. Alors je la repousse, encore, et plus fort. Et je pleure, je crie, je hurle ma colère et ma peur. Et elle, la femme en blanc, la femme avec ses gants, elle essaie encore, avec ses mots et ses sourires, elle essaie toujours, elle persévère, mais je ne la laisse pas faire, je la repousse encore et encore, et je crie, et je la frappe, oui, je la frappe, parce que je n'ai plus que ça, les coups, pour me défendre, parce que j'ai peur, parce que je ne veux pas qu'elle me touche, pas elle, pas avec ses gants. Et elle, elle crie aussi, elle appelle à l'aide, et j'entends des pas, une course, une porte qui s'ouvre, et une voix d'homme, la voix de tout à l'heure, et je le vois, lui, l'homme en blanc, et j'ai peur, ils sont deux maintenant, et moi je suis toute seule, toute seule face à eux, et ils sont en blanc, ils sont forts, ils sont plus forts que moi, j'ai peur...
Et puis... rien. Une pause. Le silence. La femme aux mains gantées est sortie de la salle de bain. L'homme en blanc est là, face à moi. Il ne parle pas. Il ne sourit pas. Il me tend la main.
Il ne porte pas de gants. Je m'effondre. J'ai froid. J'ai peur. Maman n'est plus là. Mais je ne suis plus toute seule. Il est là, avec moi, l'homme qui n'a pas de gants. Il est là, avec moi, et il ne me fera aucun mal.
Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive.
Je suis assise au bord du lit, dans cette chambre plongée dans la pénombre, et j'attends. Mais ce lit n'est pas le mien. Je ne connais pas cette chambre. Et je ne sais pas ce que j'attends.
Deux petits coups discrets frappés à la porte. Je tends l'oreille. J'entends des bribes de voix dehors. Des voix que je ne connais pas. Je retiens ma respiration.
Deux autres petits coups, un peu plus forts. Ils viennent pour moi. La porte s'entrouvre doucement. Je devine une tête.
- Je peux entrer?
Je ne sais pas. Je ne sais pas qui est cette femme. Je ne sais pas ce qu'elle veut. Silence. Je regarde la tête, puis le corps de la femme qui vient de parler. Un corps habillé de blanc. Je dois être à l'hôpital.
- Je suis Elsa, l'aide-soignante. Je viens pour vous aider à faire votre toilette.
Elle vient m'aider. Moi. Mais pourquoi?
Elle entre. Elle n'allume pas la lumière, et je la distingue à peine. Derrière elle, j'entends une autre voix, plus grave. Un homme.
- Ça ira? Tu veux que je reste?
- Oui, ça ira, on va prendre notre temps. J'appelle si j'ai besoin.
Pourquoi ça n'irait pas? Pourquoi devraient-ils être deux? De quoi ont-ils peur?
- Je vais ouvrir les volets, on y verra plus clair.
Bonne idée. Ainsi je pourrai la regarder. Et regarder autour de moi. Elle appuie sur un bouton, les volets remontent lentement. Et je la découvre. Toute de blanc vêtue, cheveux impeccablement coiffés en chignon, sourire avenant. La jeunesse arrogante de ceux qui savent ce qu'ils ont à faire.
Et moi? Moi, rien. Je suis assise au bord du lit, j'ai froid et j'ai peur.
Elle me tend la main. Je la saisis et me redresse péniblement. Elle ne cesse de sourire et de parler. C'est énervant tous ces sourires et tous ces mots. Je voudrais qu'elle se taise. Ses mots m'empêchent de réfléchir.
Elle m'entraîne vers la salle de bain. Elle a déjà préparé mes vêtements. Une robe bleue que je n'aime pas, et un pull que j'aime encore moins. Elle a l'air sûre d'elle. Moi, j'hésite. Elle parle, elle sourit, et tout en parlant et en souriant, elle enfile des gants.
Des gants. Je me souviens. L'infirmière était gentille. Elle avait une belle robe blanche et une petite coiffe. Elle nous parlait et nous souriait. Et entre un sourire et un mot doux, elle avait enfilé des gants. Après, je ne sais plus. Quand je me suis réveillée, l'infirmière était partie. J'étais seule. J'avais froid. J'avais peur. Et maman n'était plus là. Maman n'a plus jamais été là. Quand le camp a été libéré, je l'ai cherchée. Pendant des jours, des semaines, des mois. Et puis, j'ai arrêté de la chercher. Parce qu'elle était morte. Parce que tout le monde était mort.
Les gants. La femme en blanc approche sa main gantée de moi. Je la repousse. J'ai froid. J'ai peur. Elle me sourit, elle me parle. Mais je sais que les sourires et les mots sont trompeurs. Je sais qu'elle essaie de m'amadouer. Je sais qu'elle veut m'endormir. Et je sais qu'à mon réveil, je serai de nouveau toute seule, et j'aurai froid et peur.
Elle sourit encore, et sa voix doucereuse se veut apaisante. Mais ça ne marche pas. Ça ne marchera pas deux fois. Alors je la repousse, encore, et plus fort. Et je pleure, je crie, je hurle ma colère et ma peur. Et elle, la femme en blanc, la femme avec ses gants, elle essaie encore, avec ses mots et ses sourires, elle essaie toujours, elle persévère, mais je ne la laisse pas faire, je la repousse encore et encore, et je crie, et je la frappe, oui, je la frappe, parce que je n'ai plus que ça, les coups, pour me défendre, parce que j'ai peur, parce que je ne veux pas qu'elle me touche, pas elle, pas avec ses gants. Et elle, elle crie aussi, elle appelle à l'aide, et j'entends des pas, une course, une porte qui s'ouvre, et une voix d'homme, la voix de tout à l'heure, et je le vois, lui, l'homme en blanc, et j'ai peur, ils sont deux maintenant, et moi je suis toute seule, toute seule face à eux, et ils sont en blanc, ils sont forts, ils sont plus forts que moi, j'ai peur...
Et puis... rien. Une pause. Le silence. La femme aux mains gantées est sortie de la salle de bain. L'homme en blanc est là, face à moi. Il ne parle pas. Il ne sourit pas. Il me tend la main.
Il ne porte pas de gants. Je m'effondre. J'ai froid. J'ai peur. Maman n'est plus là. Mais je ne suis plus toute seule. Il est là, avec moi, l'homme qui n'a pas de gants. Il est là, avec moi, et il ne me fera aucun mal.
*****
Note :
Ce texte a été publié sur le blog de Florence, Soignante en devenir, qui en contient beaucoup d'autres. Il est reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteure.
jeudi 13 septembre 2018
Les vrais spécialistes de la santé des femmes, ce sont les généralistes - par Marc Zaffran/Martin Winckler
Le débat autour de la clause de conscience à l’égard de l’IVG fait rage, et je me suis déjà exprimé deux fois sur le sujet, sur ce blog (dans le billet précédent) et sur le média en ligne AOC.
Si je reviens là-dessus aujourd’hui, c’est à l’occasion
d’une question qui m’a été posée par une journaliste du Parisien à
l’occasion d’une récente interview.
« Faut-il obliger les gynécologues à pratiquer des
IVG » ?
Or, cette question n’a pas lieu d’être, pour plusieurs
raisons.
La première raison est simple : dans un pays
démocratique, on n’oblige personne à faire quoi que ce soit. On ne
peut que sanctionner celles et ceux qui ne respectent pas la loi.
Prenez le port obligatoire de la ceinture. On peut
verbaliser la personne qui ne l’a pas mise. Mais il n’y a pas dans chaque
voiture un flic pour vous la mettre de force. (Il suffit que vos enfants aient
l’habitude de la mettre, et vous fassent une scène si vous ne la mettez pas…)
Et puis, d'un point de vue éthique, la contrainte n'est jamais acceptable pour obtenir un résultat en santé publique : beaucoup de citoyen.ne.s voient (à juste titre) d'un mauvais oeil qu'on les force à vacciner leurs enfants...
Alors craindre (ou prétendre) qu'on va "forcer" les gynécologues à faire des IVG est problématique.
Et de toute manière (même si je suis pour la suppression de la clause de conscience), je ne crois pas qu'il soit nécessaire de forcer qui que ce soit.
Cela dit, les gynécologues obstétriciens (par la voix de leurs représentants) nous balancent des déclarations à l'emporte-pièce qui appellent ce genre de réaction.
Clause de conscience et code de déontologie
Prétendre qu’une IVG est un « homicide », comme
l’a fait récemment le président du SYNGOF n’est pas seulement insultant (en raison de la
connotation morale et de la culpabilisation que cette déclaration sous-entend)
c'est aussi une contre-vérité. Un homicide est un crime puni par la loi. Une
IVG est une liberté garantie par la loi. (Et c’est une liberté
encadrée, ne serait-ce que par les délais imposés.)
Manifestement, B. de Rochambeau ne connaît pas la différence. Et il continue à penser que son opinion sur l'embryon dont une femme est porteuse compte plus que l'opinion (et la vie) de cette femme. Rien que pour ça, on est en droit de penser qu'il n'a pas de respect pour les personnes qu'il soigne, puisqu'il les respecte "sous condition" (tant qu'elles n'avortent pas).
Le code
de déontologie dit qu’un médecin est en droit de ne pas pratiquer une
IVG (art. 18). A l'opposé, à aucun moment, le Code ne dit qu’un médecin peut
être contraint à pratiquer quelque geste que ce soit.
L’article 8 du Code de déontologie stipule également que
tout médecin est libre de ses prescriptions. La liberté d’adresser à un autre
médecin est de plus explicitement indiquée dans l’article 60, ainsi que la
liberté de se récuser. La clause de conscience dans le cas de l’IVG est donc
inutile.
En revanche, on peut exiger des gynécologues qu'ils respectent la loi en ne faisant pas des déclarations insultantes, et en n'entravant pas la liberté des femmes. Et les sanctionner quand ils violent la loi.
(L’autre « clause de conscience » absurde qui
devrait être supprimée est celle qui concerne la stérilisation volontaire.
Laquelle ne « met pas fin à une vie », et n’est pas différente du
choix (légal) de recourir à une contraception pour toute ou partie de sa vie.
On a pourtant le sentiment que beaucoup de gynécologues chirurgiens refusent de
pratiquer un geste choisi librement par les femmes qui le demandent comme s'ils
étaient des agents du ministère de la Famille secrètement chargés de maintenir
la natalité...)
Tout le monde sait que la clause de conscience est
inutile, y compris ceux qui pourraient sincèrement l'invoquer.
J’ai longtemps travaillé avec un gynécologue-obstétricien
chrétien et pratiquant qui, lorsque des femmes lui demandaient une IVG, leur
répondait très gentiment (il faisait et disait tout très gentiment...) qu’il ne
la ferait pas lui-même, mais répondait à toutes leurs questions et les confiait
à un médecin du centre d’IVG voisin, en qui il avait toute confiance. Il
s’adressait directement au médecin (souvent en l’appelant sur-le-champ), venait
voir la femme au centre d’IVG le jour de son intervention – bref, il se
comportait en soignant. Ses convictions l'empêchaient de pratiquer des IVG,
mais je l’ai toujours vu se comporter de manière respectueuse : il faisait ce
qu’il fallait pour que les femmes puissent l'obtenir et pour que leur IVG se
passe dans les meilleures conditions possibles.
Et il ne leur jetait jamais sa clause de
conscience à la figure. (Et il ne mettait pas dehors les femmes qui
demandaient une ligature de trompes. Même quand ce n'était pas encore
légal.)
Si la clause de conscience était inutile pour cet homme,
elle est inutile pour tous les autres : ils pourraient se comporter de la
même manière, sans trahir leurs convictions.
Mais le problème n'est pas que des individus comme B. de
Rochambeau ont des convictions. Le problème est qu'il méprisent les femmes.
Comme il sied à des professionnels qui, pensant faire partie d'une élite
sociale, tiennent à affirmer leurs privilèges. S'il
n'avait pas de mépris pour les femmes, il lui aurait suffi de s'adresser au
public comme mon confrère s'adressait aux patientes : avec respect, et en les
assurant de son soutien.
En
entravant la formation des médecins, la clause de conscience nuit à la santé
des femmes
La clause
de conscience est plus problématique quand elle est invoquée par un praticien
hospitalier que lorsqu'elle est invoquée par un médecin bossant dans le
privé.
En théorie, le médecin du service public n’a pas le droit
de choisir qui entre à l’hôpital et qui s’y fait soigner. (En pratique, on
autorise un certain nombre de médecins hospitaliers à faire deux poids deux
mesures en ayant un « secteur privé ». Ça en dit long sur la
démocratie du système sanitaire français.)
Un médecin hospitalier peut toujours, notez-le bien,
s’arranger pour ne pas s’occuper d’une personne en particulier (et beaucoup ne
s’en privent pas) mais comme c’est rarement le seul médecin du service, les
patient.e.s peuvent le plus souvent trouver quelqu’un pour les soigner.
A condition qu’il ne s’interpose pas.
Et c'est là que le bât blesse : l’hôpital n’est pas
seulement un lieu de soin. C’est aussi un lieu d’apprentissage pratique, de
sensibilisation morale et de formation juridique. En France, c’est à l’hôpital
que tous les médecins apprennent les bases fondamentales de
leur métier – à commencer par la manière d’interagir avec les personnes
soignées.
De plus, comme toute la société française, l’hôpital est
un lieu hautement hiérarchisé. Les chefs de service sont les « grands
timoniers » du département qu’ils dirigent. Certains se comportent comme
s’ils étaient [seuls maîtres à bord après] Dieu. Et certains « petits
chefs » à qui ils délèguent des responsabilités font de même.
En pratique, le « patron » d’un département de
gynécologie obstétrique peut très bien, en plus de son pouvoir
quasi-absolu sur le fonctionnement de « son » service invoquer
la « clause de conscience » pour "justifier", par
exemple : « Chez moi, on ne fait pas d’IVG – et on n’apprend pas à en
faire. » ou « Chez moi, on ne pratique pas de ligature de
trompes. » ou encore « Chez moi, on ne fait pas d’échographies aux
femmes qui demandent une IVG »
Et comme on apprend la médecine par l'exemple, ces "patrons"-là peuvent donner le mauvais exemple en traitant les femmes très, très mal, devant les étudiant.e.s. Et beaucoup ne s'en privent pas.
C'est encore le cas, dans beaucoup de CHU de France.
Un médecin opposé à l'IVG peut ainsi, par divers moyens,
empêcher les médecins qui passent dans son service de répondre aux besoins des
patientes qu'il n' "agrée" pas. Car il a mainmise sur l’enseignement
théorique (s’il est enseignant, ce qui est souvent le cas des praticiens
hospitaliers en CHU) et contrôle les conditions d’apprentissage pratique.
On voit bien ce que la clause de conscience peut avoir de
pervers : elle ne sert pas à « protéger la conscience » de ceux
qui s'opposent à l'IVG ; elle permet à certains individus, qui disposent d’un
pouvoir discrétionnaire sur les soins et/ou l’enseignement dans un département
ou une faculté, d’empêcher d’autres médecins de se former à l'IVG. De
ce fait, la clause de conscience entrave encore plus la liberté des femmes.
Voilà une raison de plus pour l'abolir. Non pour
« obliger les gynécologues à pratiquer des IVG » mais pour que cette
clause cesse de renforcer la capacité de nuire – verbale, morale,
pédagogique - des opposants à l’IVG. Pour qu'aucun petit marquis hospitalier
ne puisse interdire à quiconque de pratiquer des IVG dans son service - qui ne
lui appartient pas, puisque c’est le service public, mais comment voulez-vous
qu'il le comprenne tant qu'on lui laisse entendre qu'il a droit à une (clause
d') exception ?
La liberté d’un médecin exerçant dans (et, en principe,
pour) le service public ne devrait pas supplanter ou entraver celle du public
qu’il est censé servir.
La santé
des femmes et l'IVG n'intéressent pas les spécialistes
Il y a
une autre raison pour laquelle il n’est pas possible d’obliger tous les
gynécologues à pratiquer des IVG. C'est que, pour la plupart, ils n'en ont
jamais fait et ne savent pas en faire ! La grande majorité n'ont même
jamais assisté à une IVG par aspiration. Ca ne fait pas partie
de leur formation. (Et pour qu'ils apprennent, il faudrait que leur patron soit
d'accord, or... - lire plus haut.)
Considérez
ceci : depuis quarante ans, la majorité des médecins présents dans les centres
de planification français sont des généralistes. C'est assez logique : ils sont
beaucoup plus nombreux que les spécialistes et ils sont en première ligne ; sur
10 consultations, 7 se déroulent avec des femmes. Les MG sont confrontés à
beaucoup plus de demandes d'IVG que les spécialistes. Très logiquement aussi,
ils suivent plus de grossesses et prescrivent plus de méthodes contraceptives.
Très logiquement, ils se sont volontiers portés volontaires dans les
CIVG.
De sorte que lorsque vous entendez des gynécologues
prétendre que "sans eux, les femmes ne seraient pas soignées", ce
n'est pas seulement de la vanité, c'est un mensonge. La santé des femmes est
dans l'immense majorité des cas, assurée par les généralistes.
Dans l'esprit de nombreux médecins, il y a des disciplines
"nobles" et d'autres qui ne le sont pas. Et à l'intérieur d'une
discipline, certaines activités sont plus "nobles" que les
autres.
En gynécologie obstétrique on considère que la grossesse,
les consultations de fertilité ou de PMA, la chirurgie des cancers et de
réparation, c'est "noble". La contraception, l'IVG et la
stérilisation volontaire c'est "vulgaire". Il faut dire que les
premières sont des activités où les praticiens en font beaucoup (fût-ce sans
l'accord des femmes, comme c'est souvent le cas en obstétrique) ; les secondes
sont des situations où les médecins font peu et les femmes choisissent.
Voilà pourquoi il y a plus de généralistes que de
gynécologues dans les centres de planification et d'IVG.
Les spécialistes de la santé des femmes, ce sont les
généralistes
J’ai pratiqué des IVG pendant dix-huit ans et assuré des
consultations de planification pendant vingt-cinq. Longtemps, pratiquer
des IVG a été un geste militant. Ça a été mon cas les premières années de ma
pratique. Ensuite, c’est devenu un geste parmi d’autres dans une pratique
particulière – la santé des femmes. Car en consultation, les femmes ne parlent
pas seulement de contraception. Elles parlent de tout le reste, pour
peu qu'on veuille les écouter. J’ai passé beaucoup plus de temps
à écouter les femmes et à leur donner des informations qu’à pratiquer des IVG[1]. J’étais, comme tous mes camarades généralistes vacataires,
payé des clopinettes. Sur 6 ou 7 médecins vacataires, du début des années 80 au
milieu des années 2000, tous étaient généralistes. J'ai longtemps été le plus
jeune (j'avais 28 ans quand j'ai commencé), et il s'est passé de nombreuses
années avant qu'un plus jeune que moi vienne se joindre à nous.
Je n’aurais pas pratiqué dans ce centre alors que
l'hôpital nous payait au lance-pierre si ça n’avait pas été gratifiant d’un
point de vue personnel et professionnel : personne ne m’y obligeait. Aucun
médecin présent n’était obligé, d’ailleurs. Nous avions tous le désir d’être
là. Et nous étions tou.te.s différent.e.s.
(Avant
mon arrivée au CIVG, une femme médecin hospitalier qui n’était ni généraliste
ni gynécologue avait pratiqué des IVG pendant plusieurs années ; elle le
faisait même quand elle était – pour reprendre l’expression de notre
surveillante – « enceinte jusque là ». Les femmes n’y voyaient pas
d’inconvénient. Certaines en étaient même tout à fait déculpabilisées.)
La plupart des médecins qui bossent en centre d'IVG le
font après y être entrés volontairement.
En effet,
la plupart des médecins français ignorent en quoi consiste l’activité d’un
médecin de CIVG. Ce n'est pas enseigné en fac. Et quand on propose d'initier
les étudiants, ça n'est pas toujours couronné de succès.
Pendant mes années au Centre de planification, j’ai
proposé régulièrement à mes collègues de la maternité (qui, je tiens à le
préciser, n’étaient pas hostiles, bien au contraire) de m’envoyer les
étudiant.e.s assister aux consultations. Il en est venu très peu. Il faut
dire qu’on ne leur parlait même pas du centre – et que souvent, on ne leur
accordait pas de temps pour venir. Mais pour celles et ceux qui sont venues et
pour l'équipe qui les accueillait, l'expérience était toujours très
gratifiante.
Réduire l'activité d'un CIVG à une pratique répétée et
mécanique est une erreur courante. Quand on a bossé ne serait-ce que quelques
mois dans un centre, on sait très bien que c’est plus riche et plus compliqué
que ça : on reçoit les femmes, on les écoute si elles ont envie de parler,
on les informe, on les soutient, on les rassure, on les déculpabilise, on les
conseille, on s’assure qu’elles ne souffrent pas et on les soulage si ça arrive
quand même, on leur prescrit une contraception, on les revoit et si elles le
désirent, on continue à les suivre pendant longtemps. Et on se préoccupe aussi
de leurs problèmes de couple, de boulot, de logement, d'enfants, de parents...
(Et
oui, on y fait aussi des frottis, on y pose aux nullipares le DIU que les gynécos leur ont refusé
et on y retire les implants que les gynécos n'ont pas voulu leur retirer,
Madame Paganelli.)
La demande d’IVG est parfois la seule interaction qu’un
médecin a avec une femme ; parfois c'est une rencontre parmi beaucoup d’autres
; parfois, c'est le début d’une longue relation de soins.
A mon départ, une jeune généraliste a pris en charge mes
consultations et des vacations d’IVG en même temps qu’elle s’installait. Elle
était venue, pendant son internat, suivre les consultations du service. Sans
que personne lui ait rien demandé. Les femmes qui consultaient dans le centre
ont bénéficié de l'intérêt de cette
jeune praticienne, mais le passage des étudiant.e.s au centre de planification
et d’IVG ne devrait pas être « optionnel ». Même quand on ne désire
pas pratiquer d’IVG, tout médecin doit être capable de recevoir une femme qui
en demande une, ou qui en revient, et accompagner sa demande ou son suivi par
toutes les informations et conseils utiles. Mais comment apprendre à
accompagner la vie des femmes quand on reste soigneusement à l’écart de
ses réalités ?
Or, c’est ce qui se passe, concrètement, dans les CHU
français. Que je sache, il n’y a pas en France de directives nationales
prévoyant que tout.e.s les étudiant.e.s doivent aller en stage dans un centre
de planification ou d’IVG. Et je ne pense pas qu'on consacre plus d'une ou deux
heures de cours à l'IVG dans les facultés françaises. Comme je l'ai dit plus
haut : ce n'est pas un sujet "noble".
Cette
lacune est grave du point de vue de la santé publique. Car la santé et la
sexualité des femmes (du dépistage des infections transmissibles à la
violence) sont le lot quotidien de TOUS les médecins : qu'on
soit neurologue, rhumatologue ou ophtalmologue, on est toujours amené à croiser
des femmes. Et ces femmes ont une vie, qui ne se résume pas à leur épilepsie,
leur rhumatisme articulaire ou leur kératite virale. Les généralistes sont les
mieux placés pour accueillir les femmes et les envisager "dans leur intégralité".
Les spécialistes non.
Or, s'il y a aujourd'hui moins de médecins pour faire des
IVG, c'est parce que les généralistes qui les assuraient depuis 40 ans partent
à la retraite les uns après les autres et ne sont pas
remplacés par des jeunes généralistes. (Ni par des spécialistes qui ne sont pas
spécialement motivés pour en faire...) Et cela aussi, c'est compréhensible :
les étudiant.e.s ne veulent plus faire de la médecine générale. Le nombre de
spécialistes augmente. Celui des généralistes décroit. Et ceux qui restent sont
beaucoup trop surchargés pour aller faire des IVG.
Alors,
non, on ne va pas obliger des gynécologues à faire des IVG que, pour la
plupart, ils ne faisaient pas, de toute manière. On pourrait en revanche se
préoccuper d'inciter fortement (financièrement, matériellement, moralement) les
étudiant.e.s en médecine à devenir généralistes - et les rémunérer en
conséquence. Car c'est parmi elles et eux qu'on trouvera des "spécialistes
de la santé des femmes au quotidien".
Car un.e généraliste a sur les autres professionnel.le.s de santé qui s'occupent des femmes, un avantage considérable : un.e généraliste reçoit les femmes dans toutes les situations de leur vie - y compris celles qui concernent leur entourage : pour elles-mêmes, leurs enfants, leurs conjoint.e.s, leurs parents, leurs conditions de travail, et j'en passe. Les sages-femmes ont une place importante dans la contraception, la grossesse, l'accouchement et l'IVG médicamenteuse, mais une femme n'ira pas la consulter pour un diabète, une hypertension ou une maladie de la thyroïde. Aucun.e autre professionnel.le ne voit les femmes en "temps réel" comme le font les généralistes. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles tous les généralistes devraient être formés à la santé des femmes, pas seulement à l'hôpital (où on ne s'occupe que du pathologie) mais aussi dans les centres de planification et en PMI.
On
devrait aussi, parce que ça prend beaucoup de temps et parce que c'est crucial
dans une politique de santé, rémunérer beaucoup mieux toutes les activités qui
concernent la santé des femmes. L'IVG, en particulier.
Mais pour
ça, il faudrait que les pouvoirs publics aient le désir de favoriser la santé
des femmes. Que ça devienne une priorité dans les faits, et pas seulement dans
les discours.
Si les
femmes prennent enfin le pouvoir, peut-être...
Martin
Winckler
PS : Je n’ai pas
développé le rôle des sages-femmes et des infirmières libérales dans ce
texte, mais ce n'est pas pour minimiser leur rôle. Pendant longtemps, dans
plusieurs villages autour de ma ville d'enfance, les femmes accouchaient à
l'hôpital local. Avec des sages-femmes expérimentées, des généralistes et des
infirmières. Le trio IDE-SF-MG est le plus performant qui soit en médecine de
proximité. Et l'un des plus mésestimés. Il faut dire que, depuis vingt ans, on
l'a soigneusement détruit.
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