Pendant l'été 1976, entre ma 2e et ma 3e année de médecine (je n'avais jamais eu de contact avec des patientes encore), j'ai traversé les Etats-Unis en bus Greyhound. New York, NY - Indianapolis, IN - Minneapolis, MN - Billings, MT - Portland, OR - San Francisco, CA - Las Vegas, NV - Salt Lake City, UT - Minneapolis, MN - Washington, D.C.
J'avais 21 ans, j'ai fait beaucoup de rencontres, et pas mal de galipettes avec des amies américaines ou françaises qui étaient contentes de me (re)voir. Au bout de quelques semaines de joyeux ébats, j'ai fait une uréthrite carabinée.
Après un voyage que j'ai trouvé très long (je me levais toutes les 10 minutes pour aller uriner douloureusement dans les toilettes au fond du bus) je suis arrivé, mortifié, à Washington, D.C, chez un ami mortifié de me voir en piteux état.
Inquiet à l'idée d'avoir chopé et surtout transmis un microbe embêtant (le plus fréquent à l'époque était le gonocoque), j'ai squatté son téléphone pour appeler toutes mes partenaires et leur dire que j'avais des symptômes et leur présenter des excuses si jamais je les avais contaminées. A ma grande surprise (je croyais qu'elles allaient me faire des reproches) elles m'ont toutes remercié de les avoir appelées et prévenues.
Et puis, je suis allé me faire soigner aux urgences de l'hôpital général de Washington, D.C.
L'interne (une femme qui devait avoir quatre ou cinq ans de plus que moi, à tout casser - et, non, il ne m'est pas venu à l'idée de demander à ce qu'un homme m'examine, malgré mon profond embarras) m'a écouté sans se moquer de moi et sans porter de jugements sur mon activité sexuelle.
Elle m'a examiné avec délicatesse, en terminant par un examen de la prostate et un prélèvement de l'urèthre à l'écouvillon qu'elle est allée étaler, colorer et examiner elle-même sur une lame de microscope.
Au bout de cinq minutes, elle est revenue, rassurante, en me disant qu'elle ne voyait pas de gonocoques mais des germes banals, qu'elle avait fait vérifier son observation par son Attending (le médecin titulaire) et m'a annoncé qu'elle allait me prescrire un traitement antibiotique adapté. Elle m'a donné l'exact nombre de comprimés dans un flacon en plastique portant mon nom, le sien, le nom générique du médicament et le nombre de jours de prise.
Avant de me faire l'examen de la prostate, elle m'avait expliqué pourquoi elle proposait de le faire (pour savoir si l'infection était limitée à l'urèthre ou si j'avais une prostatite), comment elle allait le faire (elle allait introduire son index ganté et enduit de lubrifiant dans mon anus pendant que, les pieds au sol et les jambes écartées, je m'étendrais sur le ventre à même la table d'examen) et, surtout, elle m'a demandé si j'étais d'accord, et précisé que si je ne l'étais pas, ça ne l'empêcherait pas de me soigner.
J'étais inquiet, mais en confiance, alors j'étais d'accord.
Elle a fait l'examen sans me faire mal.
Je me rappelle lui avoir dit que j'étais étudiant en médecine et l'avoir entendu répondre quelque chose comme "Ah, c'est terrible. Non seulement ça n'immunise pas contre les maladies, mais on pense toujours au pire." Je me rappelle aussi l'avoir entendue parler à la personne (âgée) installée dans le "box" attenant au mien, et m'être fait la réflexion qu'elle parlait à tout le monde avec la même bienveillance.
Ce n'était pas un problème compliqué, ni grave. Mais j'étais un étranger en terre étrangère, j'étais jeune et inexpérimenté, j'étais relativement isolé, je me sentais coupable et embarrassé. Cette femme aurait pu, par son attitude ou son comportement, accroître mon embarras et rendre encore plus pénible une situation qui l'était déjà beaucoup. Mais parce qu'elle ma bien traité, je peux aujourd'hui m'en souvenir sans rougir et la raconter.
Quand je suis sorti des urgences, je n'étais pas guéri, mais je me sentais déjà mieux.
Je regrette de ne pas avoir retenu son nom.
Cette rencontre de soin, je ne l'ai jamais oubliée. Je m'en suis souvenu dès que j'ai commencé à avoir une activité clinique. Je me suis souvenu de mon embarras et de ma honte et de l'attitude simplement bienveillante, explicative, les-pieds-sur-terre, qui lui avait permis de m'aider à me détendre et à me soulager.
On ne peut pas soigner les gens en les maltraitant. Et chaque personne qu'on soigne doit être respectée.
Mais quand on est une professionnelle de santé, il est bon aussi de se rappeler que parfois, on soigne une personne qui, demain, sera à son tour soignante, celle de proches ou de personnes étrangères. Et qu'en la soignant, on lui donne l'exemple.
On ne peut pas apprendre à soigner à des gens qu'on maltraite.
Marc Zaffran/Martin Winckler
Magnifique témoignage ! Et vous avez tellement raison, la bienveillance, le respect de l'autre doivent être la règle quand on soigne, que ce soit notre métier ou pas puisque cela est vrai également pour les accompagnants de malades chroniques.
RépondreSupprimerSuperbe !!!! Magnifique témoignage sur la bienveillance !
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