dimanche 7 avril 2019

Le corps d'une femme, enceinte ou non, n'appartient qu'à elle

Les adversaires de l'IVG (quels que soient leurs motifs) déploient habituellement deux types d'arguments pour contester les droits d'une femme à interrompre sa grossesse.

"Et les droits du père biologique, alors ?" 


Les anti-IVG arguent que le génome de l'embryon vient pour moitié de l'homme qui l'a conçu. C'est vrai. Mais il vient aussi pour moitié de la mère biologique, qui n'a donc pas moins de droits que lui. 


Elle en a même plus, à commencer par celui de protéger sa vie, car être enceinte n'est pas dénué de risques corporels, qu'il s'agisse de la gestation (il y a plus d'accidents thrombo-emboliques mortels chez les femmes enceintes que chez celles qui prennent la pilule) ou de l'accouchement (on peut mourir en couches de manière brutale et imprévisible par hémorragie ou embolie, sortir d'un accouchement mutilée par une épisiotomie ou souffrant de séquelles de la péridurale) ou encore de la période qui suit (le taux de suicides liés aux dépressions du post-partum est plus élevé que dans la population générale).


Ces risques, les pères biologiques ne les encourent jamais. Il n'est donc pas scandaleux qu'une femme décide de ne pas risquer sa vie ou sa santé pour une grossesse dont elle ne veut pas. La contraindre à poursuivre une grossesse contre son gré n'est pas seulement une entrave à sa liberté, mais un risque physique réel. Même s'il est faible, il est, de toute manière, plus élevée pour elle que pour le père. 



"Et les droits du foetus, alors ?"


C'est le deuxième argument, couramment invoqué par les anti-IVG, qui tentent depuis longtemps de faire reconnaître l'embryon ou le foetus comme une personne (au sens juridique du terme). Ils espèrent ainsi, selon la date à laquelle ce "statut" serait reconnu, interdire l'IVG en le faisant assimiler à un meurtre. C'est ce que vient de faire l'état de Georgie, aux Etats-Unis, en votant un "foetal heartbeat bill", loi qui interdit l'avortement à partir du moment où l'on voit battre le coeur foetal.


Je vais poser ici qu'il n'est pas éthique de donner un statut à l'embryon ou au foetus, et qu'en France, c'est probablement impossible d'un point de vue strictement juridique. Pour une raison simple, mais incontournable.


Si  le foetus avait un statut, celui-ci entraverait la liberté de la femme qui le porte. Celle-ci ne serait plus une citoyenne ou une individu autonome, mais serait automatiquement assujettie à la "personne" du foetus. Autrement dit : elle en serait l'esclave. 


Etre considéré comme une personne suppose en effet de jouir de tous les droits accordés à tous et toutes les citoyennes dès leur naissance. Un enfant a des droits, une personne majeure incapable (en raison d'une maladie ou d'une malformation) en a également. Et elle est encadrée : par exemple, jusqu'à l'âge de 18 ans, un individu reste en principe soumis à l'autorité (et relève de la responsabilité) de ses deux parents. Une personne mineure ou sous tutelle ne peut pas voter ou conduire un véhicule ni effectuer un certain nombre de gestes sans aval des tuteurs.


Imaginons que le foetus ait le statut de personne. Pendant la période de gestation, qui aurait sa tutelle ? La mère ?  Le père ? 



Si la mère est tutrice de son foetus, elle se retrouve dans une situation absurde : elle est responsable de la sécurité d'une personne qui met sa propre vie en danger ; si le foetus est menacé, elle devrait par exemple accepter des traitements administrés sur (ou à travers) son propre corps - médicaments, chirurgie, etc. - même si elle n'y consentait pas pour elle-même. 

Si le père est le tuteur du foetus, cela signifie qu'il dispose d'une autorité sur le corps de la mère, dont le foetus est encore indissociable. 

Il pourrait ainsi l'empêcher d'exercer sa liberté comme elle l'entend, par exemple lui interdire de prendre des vacances à l'étranger, de changer de travail, de faire du sport, voire même de sortir de chez elle, au prétexte que ça risquerait d'être un danger pour la grossesse. 


On reviendrait en somme à la situation que les femmes subissaient encore dans les années soixante, lorsqu'elles ne pouvaient pas utiliser une contraception, ouvrir un compte en banque ou acheter une voiture sans l'autorisation de leur mari... Et même pire, à l'époque où les médecins, lors d'un accouchement difficile, demandaient au père s'il fallait "sauver la mère ou l'enfant". 


Donner un statut au foetus équivaudrait à assujettir les femmes enceintes à la grossesse qu'elles portent. Autrement dit, à en faire des esclaves. Seulement quand elles sont enceintes ? Ou en permanence ? 


Je doute que cet état de chose soit compatible avec la Constitution française (qui stipule que tous les citoyens ont des droits identiques). Ou, d'ailleurs, avec la plupart des textes juridiques portant sur les droits humains. 

La Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU, co-signée par la France en 1948, stipule à  son article 1er : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. 


Et son article 4 : Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.


Donc, à moins que l'on ne veuille remettre en esclavage la moitié de l'humanité, un foetus ne peut pas être une personne. 


Car le corps d'une femme, enceinte ou non, n'appartient qu'à elle-même. 


Martin Winckler/Marc Zaffran 



3 commentaires:

  1. pour les mères porteuses kif kif ?

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    1. Je ne vois pas en quoi ça serait différent pour elles, si elles sont consentantes. Et oui, elles doivent pouvoir retirer leur consentement (et garder l'enfant, ou interrompre leur grossesse) à tout moment. C'est un risque que les parents qui font appel à elle doivent courir. La vie c'est risqué, et elle ne peut pas être vécue en faisant des autres (des femmes) des esclaves.

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  2. Vous avez raison de détailler les dangers que feraient courir à la liberté des femmes un retour sur le droit à l'avortement mais vous ne devriez pas oublier que la règlementation du suivi de grossesse telle qu'elle existe actuellement en France est aussi très contraignante et viole allègrement la loi Kouchner sur le consentement aux soins : consultations prénatales et échographies présentées comme "obligatoires", attitudes d'injonction adoptées par certaines SF de PMI par rapport aux entretiens ou visites à domicile "proposées" aux futures mères.

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