Le site d'informations médicales Egora m'a interrogé sur "Les Brutes..." et les réactions de la profession. Comme je ne sais pas faire court, l'entretien a été raccourci pour publication (comme c'est toujours le cas pour les entretiens, même sur un site en ligne) ; et cela, je le souligne, sans que ces omissions dénaturent mes propos. La journaliste qui a sollicité et publié le texte m'a aussdi soumis les omissions (surlignées ci-dessous) avant publication. Je tiens à saluer ici son professionnalisme.
Cependant, comme il s'agit d'un site professionnel, le public non médical n'y a pas accès. Je publie ici l'intégralité de l'entretien. Pour celles et ceux qui ont la patience de tout lire. :-)
MZ
Pour
qui avez-vous écrit ce livre ? Pour les médecins ? Pour les patients ?
Je l’ai écrit pour, et au nom de,
ces patients très nombreux dont je reçois chaque jour des courriels et des
témoignages depuis 2002, quand j’étais chroniqueur sur France Inter. Mais aussi
pour les soignants qui m’ont confié leurs difficultés à se former et à soigner dans un environnement irrespirable, et qui pour certains l’expriment
publiquement : les blogs des généralistes, des internes, des étudiants en
médecine, des aides-soignantes, des sages-femmes et des infirmiers disent
combien ils souffrent non seulement de la brutalité de l’administration
hospitalière ou des institutions d’Etat, mais aussi de la rigidité et du
comportement maltraitant de certains professionnels.
Lorsque ceux-ci sont à des postes-clés, et empêchent tout
dialogue entre soignants et toute écoute des patients, ça devient infernal.
Alors bien sûr, la
désertification, le poids de l’administration et la pression du T2A sont insupportables.
Mais l’analyse de ces maltraitances-là n’était pas le propos du livre : je me
focalise sur la maltraitance individuelle
pratiquée ou relayée par certains professionnels et subie par d’autres soignants beaucoup plus nombreux et par des
patients. Cette
maltraitance a ses sources dans un mode de pensée et une culture très anciens. Le
livre témoigne pour les patients mais invite aussi les professionnels qui
veulent me lire, et que je suppose responsables de leurs actes, à examiner et à
réviser ce qu’ils font et ce que font d’autres autour d’eux. Et à ne pas rester
les bras croisés.
Vous
écrivez, dès les premières pages : "Il y a partout en France de très bons
soignants, de très bons services, de très bonnes équipes". Pourquoi,
alors, avoir choisi ce titre et ce bandeau qui font bondir vos confrères ?
Comprenez-vous ceux qui regrettent que l'amalgame
"soignants/maltraitants" soit l'idée qui sera reprise par la presse et
reçue par les patients ?
Je suis un professionnel de
l’écrit depuis le début des années quatre-vingt. Quand je choisis un titre, c’est avec beaucoup de soin. J’ai choisi celui-ci
pour sa polysémie : il évoque les "Hommes et aux Femmes en blanc"
d’André Soubiran (dont les personnages étaient loin d’être tous des modèles de
vertu !!!), et la brutalité de certains comportements (annoncer une
maladie grave "de but en blanc"). Bref, à mes yeux, il est tout à
fait approprié. Je ne l’ai pas choisi pour qu’il plaise ou déplaise, mais pour
qu’on sache tout de suite de quoi je parle. Et j’ai rédigé le dos du livre pour
la même raison.
Le premier bandeau proposé par
l’éditeur était "Pourquoi les
médecins nous maltraitent ?" - ce qui sous entendait que tous les médecins étaient visés. Je m’y
suis opposé car le contenu du livre dit sans arrêt le contraire. J’ai proposé
"Pourquoi y a-t-il tant de
médecins maltraitants ?" parce que c’est la question que posent celles
et ceux qui me racontent leurs déboires. Tous disent qu’ils ont eu du mal à
trouver quelqu’un qui les écoute sans les humilier ou les rabaisser. Mais ils
continuent à chercher, parce qu’ils savent qu’il y a des médecins respectueux.
Le propos du livre n’est d’ailleurs pas focalisé sur les
médecins, mais sur le type de maltraitances
rapportées ou documentées et sur les origines culturelles de ces
maltraitances. Comme ce sont les médecins qui sont les soignants les plus
autonomes, il est surtout question d’eux ; comme ce sont surtout les
femmes qui témoignent, je parle beaucoup de gynécologie mais pas seulement. Et je
ne désigne pas du doigt l’ensemble des
médecins mais, encore une fois, des attitudes, des paroles, des gestes, des
comportements.
Bon, on m’engueule sur Twitter, mais c’est le droit de
chacun de penser ce qu’il veut, et franchement, c’est de la petite bière à côté
des maltraitances réelles infligées à des personnes vulnérables. Depuis la
sortie du livre, pour chaque protestation de professionnel choqué, je reçois plusieurs
messages d’encouragement et de remerciements venant de médecins (généralistes,
spécialistes et hospitaliers), de sages-femmes, d’infirmières et de patients. Le
sujet est tabou et n’est jamais abordé de front. Car quand on risque d’être
sacqué pour avoir ouvert la bouche, on y regarde à deux fois.
Comme je ne suis pas
paternaliste, je fais confiance à l’intelligence des lecteurs. Ceux et celles
qui sont satisfaits de leurs relations avec les médecins ne seront pas ébranlés
par ce titre. Le fait que certains médecins le soient, en revanche, me semble parfois
découler de leur sentiment justifié d’être
mésestimés et harcelés par le système. Le titre ne les vise pas personnellement ;
s’il les a choqués, c’est parce qu’ils sont fragilisés. Mais je ne suis pas
responsable de leurs souffrances – et il
n’est pas
question d’eux ! Il est question des patients !
D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que j’aborde la
question de la maltraitance dans mes livres, loin de là !!! La Maladie de Sachs, Nous sommes tous des
patients, Les Trois Médecins ou Le Chœur des femmes en parlent à chaque
page. Ce dernier a fait moins de bruit que Les
Brutes en blanc, mais près de deux cents mille lectrices y ont retrouvé
leurs expériences et leurs sentiments d’avoir été maltraitées. Certains des journaux (médicaux) qui
l’ont chroniqué en 2009 n’ont pas manqué d’en souligner le
« manichéisme » et les attaques contre la profession, mais
curieusement ça n’a pas fait bouger l’Ordre ou les réseaux sociaux de médecins,
à l’époque. Ce n’était qu’un roman, pas un livre « sérieux »…
Pour Les Brutes en
blanc, dès la mention du sujet et du contenu, les journalistes de nombreux
médias ont voulu le lire et ont demandé à m’interroger. En écoutant leurs
questions, j’ai pu constater que leur intérêt pour le sujet est lié directement
à leur expérience personnelle ou familiale. Car
tout le monde a une histoire de maltraitance médicale à raconter, même les
médecins !!! Prétendre le contraire est un mensonge ! Est-ce que
ça veut dire que tous les médecins
sont maltraitants ? Non ! Mais si beaucoup de gens se sentent
maltraités, alors ça mérite que la profession se penche sur le sujet !!!
A noter que vous êtes le premier média professionnel qui m’interroge. Le Généraliste et le Quotidien n’ont pas jugé utile de le
faire. Dommage. J’aurais pourtant répondu volontiers.
Personne n’a demandé au Parisien de faire sa « une » sur mon bouquin. La presse française ne fait pas
ce que les auteurs ou les éditeurs lui demandent, elle fait ce qui lui est
profitable pour vendre des journaux, quand elle pense que ça intéresse ses
lecteurs. J’ai découvert cette « une » en même temps que tout le monde. On ne m’avait
pas demandé mon avis – et c’est très bien : la liberté de la presse est
une valeur fondamentale dans un pays démocratique. J’ai trouvé cette « une »
très provocatrice (plus que mon titre, à vrai dire !), mais beaucoup de « unes »
sont oubliées le lendemain de leur publication. Je n’aurais jamais pensé que
des professionnels de qualité se sentent visés par ça. Et je me suis dit (assez
naïvement) qu’ils auraient la curiosité d’aller lire à l’intérieur et de regarder
dans le bouquin de quoi il s’agit. D’autant qu’il n’est pas nécessaire de
l’acheter : on peut lire le début gratuitement sur les sites de librairie
en ligne, et j’en ai publié plusieurs extraits sur mon blog.
Au lieu de quoi, une petite partie
de (mais pas toute) la communauté médicale a réagi de manière épidermique, sans
aller voir plus loin que le titre du livre. Parmi ces voix en colère, aucune
n’a mentionné que dans le corps de l’article du Parisien, d’autres médecins – parmi lesquels Didier Sicard -
s’expriment sur le sujet. Je n’ai pas le monopole du discours sur la question.
Les professionnels qui ont réagi de manière défensive et
hostile n’ont fait que fortifier aux yeux du public l’idée (fausse, étant donné
l’hétérogénéité de la profession) que « les médecins font corps »
quand on les critique. Bref, cette levée
de boucliers est perçue par beaucoup de patients (qu’on prétend vouloir
préserver) comme une manifestation de corporatisme. Du coup, ce n’est pas le
livre qu’elle dessert…
L'Ordre des médecins rappelle que plus de 90% des patients disent
avoir une bonne relation avec leurs médecins et vous accuse de "réduire
l’ensemble de la profession médicale à des maltraitants". Que lui
répondez-vous ?
C’est un peu comme si les
syndicats de police répondaient aux soupçons de bavures policières que
« 95% des citoyens sont satisfaits des forces de l’ordre ». Aucun
rapport ! La « satisfaction », c’est une notion extrêmement vague
si on ne précise pas de quoi on parle. Les sociologues répètent ça depuis
trente ans au moins. On peut être satisfait de « son » médecin et
avoir subi des maltraitances de la part d’autres
médecins ! On
peut témoigner des maltraitances exercées sur ses proches sans en subir
soi-même. Par ailleurs, dans des zones où la démographie médicale est
dramatique, on peut très bien se dire « satisfait » parce qu’on a un médecin alors que les patients du village voisin n’en ont pas. Enfin,
on peut parfaitement ignorer que son médecin est maltraitant avec d’autres
patients !!! Les maltraitances sélectives – sociales, racistes, sexistes,
grossophobes, homophobes et autres - j’en décris plusieurs dans le livre.
Cela étant, l’Ordre a pour
vocation de défendre l’image des médecins, il n’allait pas abonder dans mon
sens. Mais s’il cherchait à me déconsidérer, c’est raté. Aux yeux de ses adversaires
(il y en a un paquet), ce communiqué est une légion d’honneur. Aux yeux des
patients, ça laisse entendre que mon livre est vraiment très dangereux. Et ça me fait sourire. A moi seul, je vais ébranler
la confiance de 60 millions de Français ? Vraiment ? L’industrie
pharmaceutique a dit la même chose de mes chroniques sur France Inter…
A vous
lire, on a le sentiment que la médecine française est particulièrement
maltraitante. Vous dites que cela commence dès les études de médecine. Pourquoi
cette particularité française ? Est-elle réelle ?
Oui, je le pense, et j’évoque dans
le livre des éléments d’explication scientifiques, anthropologiques, éthiques,
historiques, sociologiques, politiques, religieux. Je ne dis pas que j’ai fait
le tour de la question, mais au moins je l’ai examinée sérieusement, en
comparant avec la réflexion sur la maltraitance et la médecine dans d’autres pays.
Le livre cite de nombreuses sources, ce n’est pas une série d’anathèmes ou de
péroraisons. Alors pour y répondre de manière crédible, il ne suffit pas de
m’invectiver (ou de me décocher des insultes antisémites, comme l’ont fait certains).
Il faut répliquer point par point. Il ne suffit pas non plus de dire
« C’est pas vrai, il veut seulement vendre des livres ! » ou « Vous
fantasmez, tout a changé depuis vingt ans ! »
Non, tout n’a pas changé, même s’il y a des D.U.
d’éthique et de l’apprentissage de la relation. Si certaines facs ont commencé
à modifier leur enseignement, ce n’est pas le cas de toutes (à Montpellier, par
exemple, on me l’a confirmé aujourd’hui même, on continue dans certains
services à suggérer aux étudiants « d’apprendre » le TV sur des
femmes sous AG). D’autre part, même si toutes les facs délivraient un
enseignement parfait de l’éthique et de la relation depuis dix ans (en 2005, ce
n’était pas le cas, j’en sais quelque chose), il faudrait au moins trente ans
pour que tous les médecins exerçant sur le territoire aient été formés sur ce
modèle !!! Alors même si la formation change petit à petit, la
maltraitance ne va pas disparaître comme par magie du jour au lendemain !
La cause première, à mon sens, de
la maltraitance à la française (enracinée dans une histoire religieuse et
politique très ancienne), est attestée par sociologues et historiens et
parfaitement perceptible par des observateurs de l’étranger : c’est la
posture de supériorité parfois inconsciente, mais réelle, que prennent beaucoup
de médecins vis-à-vis de « tout ce qui n’est pas médecin ». Cette
posture (les Québécois parlent d’ « arrogance ») sous-entend
qu’un médecin est supérieur, par le savoir mais aussi par les valeurs morales,
à ceux qu’il ou elle soigne. Et qu’il est en droit d’imposer ces valeurs
« pour le bien du patient ». Ce n’est certes pas la posture
individuelle de tous les médecins,
mais elle est extrêmement répandue dans la profession, et entretenue par sa
hiérarchisation.
Beaucoup de médecins viennent de
milieux favorisés (mais même cette évidence, certains le contestent contre
toutes les données statistiques) ; comme personne ne leur apprend
l’humilité, le caractère très compétitif des études valide (ou en tout cas ne
dément pas) leurs présupposés sociaux de « supériorité ». L’élitisme intrinsèque
aux institutions françaises (pensez au grandes écoles, à l’ENA) est omniprésent
dans la formation et le milieu médical et se traduit par des luttes de pouvoir
à tous les niveaux. Il imprègne tout le système – et toutes les relations entre
les professionnels. La dévalorisation des
autres professions de santé en est un signe flagrant. Tout comme le
mépris rampant envers les généralistes, sous-estimés et sacrifiés après avoir
été longtemps sous-formés en faculté.
Nier cet élitisme et ces luttes de
pouvoir (ou les considérer comme « normales ») c’est fermer les yeux
sur leurs conséquences. Quand une infirmière se suicide, quand un praticien
hospitalier se jette par la fenêtre ou quand un généraliste prend un cocktail
de médicaments pour en finir, ce n’est pas à cause des patients et ça n’est pas
seulement à cause de
l’administration. C’est aussi parce que l’environnement de travail immédiat était
insupportable et parce que certains individus bien placés y sont délétères.
Face à ces individus-là, la fameuse « confraternité » dont on nous
rebat les oreilles reste parfois violemment muette !!! Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio le décrit très bien et
ça n’est pas une fiction. L’affaire de l’hôpital Georges-Pompidou non
plus !
Comment
y remédier ? Quelle serait la première mesure à prendre pour améliorer la
situation ?
D’abord la reconnaître !
Ecouter les patients qui disent être maltraités et les soignants harcelés
par leurs collègues ; désigner, condamner et sanctionner sévèrement les professionnels
maltraitants.
Hier, seulement, Le
Quotidien du Médecin publiait un
article sur le harcèlement sexuel dans le monde médical. C’est le deuxième en
moins de quinze jours ! Si le harcèlement sexuel et le harcèlement moral
(qui sévissent souvent ensemble) existent entre
professionnels, vous pensez que les patients en sont préservés ?
Et il ne suffit pas que les
journaux le disent ! Il faut aussi que les professionnels eux-mêmes
agissent !
Ce type de harcèlement devrait être fermement, constamment
et ouvertement dénoncé dans les facultés et les hôpitaux, il devrait faire
l’objet d’un enseignement et d’une prise de conscience récurrente tout au long
des études. Mais pour ça, il faudrait que tous les enseignants fassent leur
examen de conscience…
Car il faudrait aussi dénoncer les mauvais exemples. Un
PU-PH qui tient des propos racistes, sexistes ou homophobes ne devrait plus
avoir le droit de donner des cours. Un chirurgien infect avec les équipes de
bloc ne devrait pas avoir le droit de former des étudiants ou des internes. Il
ne devrait pas avoir le droit d’opérer, point final. On ne peut ni soigner, ni enseigner
ni travailler en équipe en étant un sociopathe !
Combien de professionnels toxiques
sont tolérés parce qu’ils ont la faveur de la direction, des liens politiques
puissants ou parce que leur activité est une source de revenus pour l’hôpital
qui les emploie ? Nul ne le sait, parce que personne ne veut enquêter
là-dessus ! Tout le monde sait que ça existe, mais par
« confraternité », ou par défaitisme, ou parce qu’on veut la paix, on
ferme les yeux ! Une profession qui n’est pas capable de balayer devant sa
porte mérite-t-elle la confiance des patients ? On est en droit de se le
demander !
Les
conditions d'exercice des médecins en France peuvent-elles être un élément
d'explication ?
Elles peuvent tout à fait
expliquer l’hyperréactivité de certains à la vue du titre de mon bouquin - bien
qu’il ne représente qu’une goutte d’eau face au tsunami de maltraitances qu’ils
subissent ; elles ne sauraient en aucune manière expliquer ou justifier la
maltraitance que d’autres qu’eux exercent sur les personnes vulnérables
(patients et soignants).
Aujourd’hui, la crise économique
est dure pour tout le monde, patients et
soignants. Les patients ne sont pas responsables de leurs conditions de travail
ou de chômage. Ils ne sont
pas responsables des insuffisances des pouvoirs publics et des manipulations
des industriels pour leur faire consommer des aliments qui les rendent obèses.
Et ils ne sont pas responsables de ce qu’on fait subir aux soignants.
Quand ils
s’adressent à eux avec des plaintes nourries par le marasme économique et
social actuel, ils s’attendent à être
entendus par des gens dont c’est le boulot ! Pas à être engueulés ou
traités de paresseux ou de simulateurs parce qu’ils sont obèses ou
souffrent de douleurs chroniques inexpliquées !
Tout médecin a parfaitement le
droit d’être fatigué, ça ne l’autorise pas à se « lâcher » sur les
patients. La plupart des médecins en ont conscience, et se comportent de
manière parfaitement respectueuse, malgré leur fatigue. Vous n’accepteriez pas qu’on
« explique » qu’un instituteur a frappé votre enfant en disant
« Il est fatigué, l’Education Nationale lui pompe l’air ». Alors il
est inacceptable, quand on parle de maltraitance, de répliquer « Mais Les
soignants sont en burn-out ! ». Là encore, ça n’a rien à voir. En
ce moment, beaucoup de soignants sont vulnérables, mais les patients le sont toujours, et ce sont deux souffrances
distinctes. Les opposer, c’est indécent. Et ça noie le poisson
Vous observez le système français à distance depuis 25 ans ?
Observez-vous une amélioration/une évolution ?
Je ne l’observe « à
distance » que depuis 7 ans ½, date de mon installation au Québec. Et je
n’ai rien à prouver sur ma connaissance du milieu. J’ai exercé à la campagne
entre 1983 et 1993. J’ai été rédacteur puis rédac-chef-adjoint de Prescrire entre 1983 et 1989. De 1984 à 2008 j’étais médecin dans un
centre d’Orthogénie où je faisais de la médecine générale. En 2009, j'ai acquis
une maîtrise de bioéthique de l'Université de Montréal. J’ai défilé en
2005-2006 avec le mouvement des médecins généralistes. J’étais contre les
franchises, contre la disparition du Médecin Référent, je suis hostile à la loi
Santé et, accessoirement, j’ai été viré de France Inter parce que j’ai critiqué
l’industrie pharmaceutique. Mes convictions et mes loyautés n’ont jamais varié,
et ceux qui me lisent sans préjugé le savent parfaitement. Mais la loyauté et
le soutien n’interdisent pas de pratiquer la critique, sinon c’est seulement du
corporatisme.
Et bien sûr qu’il y a des
améliorations : des jeunes soignants dont les valeurs et les objectifs
sont très différents d’il y a cinquante ans ; des patients plus
informés ; des moyens de communication plus performants ; des
enseignants à l’esprit infiniment plus ouvert, qui échangent avec les médecins
d’autres pays. Tout ça est récent et ça mérite toutes les louanges, mais ça ne
règle pas tout. Et mon boulot dans ce livre ne consiste pas à parler de ceux
qui font des choses positives, mais à pointer, parce que j’en ai les moyens,
les dysfonctionnements que d’autres ne peuvent pas dénoncer.
Je veux que le système de santé français mérite sa réputation de
meilleur système au monde. Et pour ça, je pense indispensable que les professionnels
redéfinissent leurs priorités : sont-ils médecins exclusivement pour
eux-mêmes ou aussi pour servir la population ? Et surtout, à qui doit
aller leur première loyauté ? Aux patients ou à leurs confrères ? Pour
améliorer leurs relations avec les patients, les médecins doivent examiner les
critiques, d’où qu’elles viennent. Et cesser de fermer les yeux. Grâce à
l’internet et aux réseaux sociaux, les patients qui le veulent s’informent plus
vite que les médecins ; il est temps que les médecins s’adaptent et
acceptent que le savoir et les décisions médicales ne soient plus seulement
entre leurs mains. Et qu’ils sont responsables de leur comportement devant la
collectivité.
Que répondez-vous à ceux pour qui cet éloignement discrédite votre
analyse ?
Je le rappelle d’emblée au début
du livre : je suis un citoyen ; j’ai parfaitement le droit de critiquer
le monde médical de mon pays. Ou alors, ça veut dire que les Français qui ne
vivent pas en métropole – mais qui votent et payent des impôts – sont des
citoyens de seconde classe ! De plus, j’ai des douzaines de proches et des
milliers de correspondants anonymes, sans compter ma lecture assidue des médias
français, des thèses de médecine, des blogs, pour m’informer sur la situation. Et
j’ai le temps de les lire, puisque c’est mon travail. Aucun médecin praticien
en exercice n’a autant que moi le temps de le faire. Alors, dire « Il
n’est plus médecin, il n’est pas là, il n’y connaît rien. », c’est un peu
court ; ce n’est pas du discrédit, c’est du mépris défensif, signe de
l’arrogance dont je parlais plus haut. Ça évite d’avoir à examiner la critique.
Mais qui est dupe ? Pas les patients maltraités, c’est certain. Ni,
d’ailleurs, le très grand nombre de professionnels qui n’ont pas comme moi la
possibilité de s’exprimer mais qui n’en pensent pas moins.
Certains médecins disent avoir grandi/découvert leur vocation grâce
à La Maladie de Sachs et être aujourd'hui blessés par ce dernier livre. Quel
message souhaitez-vous leur adresser ?
J’en ai deux. Le premier, c’est
que je n’écris pas pour qu’on idolâtre mes livres (ou moi). J’écris parce que
j’ai des choses à dire, et je sais depuis longtemps que ça ne plaira pas à tout
le monde. Si ça aide des lecteurs, je m’en félicite. Si certains soignants ont
le sentiment d’avoir trouvé leur vocation grâce à un de mes romans, j’en suis
heureux et honoré, mais je leur dirai que cette vocation, ils la portaient déjà.
Le livre l’a peut-être encouragée, il ne l’a sûrement pas fait naître et ce
serait malhonnête de prétendre (ou de laisser croire) le contraire.
Le second message, c’est qu’ils
feraient bien de relire La Maladie attentivement.
Je reprends au tout début des Brutes en
blanc un de ses passages, qui s’intitulait - tenez-vous bien : « Nous sommes
tous des médecins nazis !!! » On ne pouvait pas être plus clair, je
pense. Mon opinion sur le caractère
paternaliste et violent de la culture médicale française est la même depuis mes
études. On la retrouve dans tous mes bouquins. Si des lecteurs se sentent
blessés par Les Brutes aujourd’hui,
je le regrette et j’en suis triste, mais ça n’est pas parce que je les ai
« trahis » ou parce que j’ai changé d’avis. C’est parce qu’ils ont
oublié ce que j’écris depuis toujours. Ou parce qu’ils se sont mis à penser
autrement, ce qui est leur droit le plus strict. Comme c’est le mien de dire ce
que je pense.
Je n’ai jamais dit ou pensé que tous les médecins sont des brutes. Je
passe mon temps à rendre hommage aux nombreux professionnels qui m’ont formé
(certains sont cités dans le bouquin). Mais je pense aussi qu’il est temps
qu’on reconnaisse qu’il faut prendre la
question de la maltraitance à bras-le-corps, pour le bien des patients. Si la
profession examine ses propres travers, elle en sortira grandie aux yeux de la
population.
MZ/MW
Il est des précautions dans le raisonnement, cher confrère, que vous semblez omettre systématiquement, à l'image de ces conversations franchouillardes au comptoir du bar des sports.
RépondreSupprimerMerci de nous préciser lesquelles, "Unknown". Là, vous laissez tout le monde sur sa faim...
SupprimerJe souscris totalement à ce point de vue, l'ayant largement observé durant ma longue carrière d'infirmière et de cadre de santé. J'ai personnellement opté, dans mon propre établissement pour une dénonciation des "pratiques délétères et omissions" afin de ne pas attaquer de front les personnes, ce qui n'empêchait pas les concernés de protester vigoureusement auprès de la direction de l'hôpital. Tout ce qui est dit ici est largement vrai, même de la part de médecins de bonne volonté qui sont inconscients de ce qu'ils produisent et se soucient davantage de préserver la confraternité que les patients. Un de mes amis réanimateur, à qui je reprochais de faire l'impasse sur une grave erreur à l'origine de troubles graves du rythme en ne prévenant pas le médecin à l'origine de cette erreur (et bien entendu encore moins la patiente concernée, une vieille dame) m'a répondu embarrassé "cela pourrait nous arriver à tous" ce qui ne constitue pas une excuse car, si évidemment nous sommes tous faillibles ce n'est pas en planquant nos erreurs que nous parviendrons à une plus grande vigilance. Mais je suis infirmière... et l'invariable réaction à mes critiques est le soupçon que j'aie des comptes à régler du fait de la probable frustration qui pourrait mobiliser une infirmière à dénoncer les médecins. Inutile de préciser que j'ai émis autant de critiques à l'égard des autres soignants et que dire des services administratifs qui font peser leurs erreurs sur l'ensemble des acteurs de soin. Pour autant c'est mon empathie à leur égard qui a dominé mes relations avec les médecins car devant leurs lacunes et insuffisances humaines, il y avait de quoi s'émouvoir... Quant à la suffisance de certains, elle est dérisoire mais bien réelle... Continuez à témoigner, c'est indispensable et on finira peut-être par comprendre que la sélection par les sciences est une profonde erreur qu'on n'est pas encore prêts à reconnaître. Pour avoir fréquenté de nombreux internes durant mes quarante deux ans d'exercice, c'est leur immaturité qui reste l'impression la plus forte comparés aux autres jeunes du même âge. Commençons donc par vérifier leur aptitude à soigner, ensuite on verra s'ils sont capables d'apprendre par coeur...
SupprimerMerci de ce témoignage.
SupprimerCes "maltraitances" sont scandaleuses et rien ne peut les excuser!
RépondreSupprimerCela concerne une minorité MAIS sali le corps des soignants car la presse ne s'intéresse qu'aux scandales.
Le médias parlent peu de la crise de la santé c'est pourquoi j'ai écrit le livre:
"Chirurgie chronique d'une mort programmée"
On en parle Lundi à 18h à l'émission de Sud Radio"Moi Président"
826 300 300 pour discuter!