Vous vous souvenez de ce jour où vous êtes tombé dans un champ d’orties
? Vous avez essayer de l’éviter, mais la pente était raide, le vélo s’est
emballé. Et vous voilà prisonnier de plantes hostiles qui attaquent votre peau.
Ca gratte, ça pique, ça brûle. Il y a un an je me suis réveillée dans cet état,
et les orties ne m’ont plus quittée, attaquant toujours plus fort, les fesses,
les jambes, le torse, les bras et un jour le visage ou les parties génitales.
Au fur et à mesure elles ne se satisfont plus des boutons et des plaques
qu’elles infligent, elles attaquent plus profond, elles font gonfler les
membres ou le visage. Ce champ d’orties qui m’accompagne en permanence est une
maladie : l’urticaire chronique. Mon corps produit tout seul ces attaques. Ca gratte
comme des boutons d’araignées, ça pique comme des insectes qui mordilleraient
la peau, ça brûle comme un coup de soleil, ça fait mal comme un bleu. Tout le
temps.
J’ai écrit la majeure partie de ce texte dans la salle d’attente des
urgences, parce qu’après un an de nomadisme médical, je suis devenue folle, au
sens propre. Folle de douleur et de démangeaison, mais aussi rendue folle par
l’absence de traitement et de considération du corps médical. La violence du
système médical m’a fait perdre un an de ma vie. Mais ce texte n’est pas une
plainte, c’est un témoignage. Nous sommes des centaines de milliers à devoir
nous battre contre la maladie et dans le même temps contre un système médical
hostile. Dans ce combat nous partons inégaux. Or mon niveau d’instruction et ma
position sociale me placent dans les privilégiés. Je ne suis pas une victime,
je suis une combattante et ce texte est une arme. Ecrire me permet de mettre au
loin ma colère pour continuer ma vie, publier offrira, je l’espère, des outils
pour les malades et leurs proches.
Urticaire chronique
366ème jour, salle d’attente des Urgences
Ce matin la démangeaison m’a réveillée. Pas plus atteinte qu’un autre
mauvais jour, mais c’était le jour de trop. Le jour où les tergiversations, les
examens inutiles et humiliants, les promesses de traitement non tenues devaient
cesser. Ce soir je devais avoir un traitement ou je sombrerais dans la folie.
Déjà je m’entendais chantonner des chansons que je n’ai jamais entendues.
J’ai filé aux urgences. Ils sont gentils aux urgences, une fois passé
le suspicieux « Vous venez pour de l’urticaire ?? ». Pourtant dans la
salle d’attente je vois un peu des minuscules violences que subissent les
malades. Mises bout à bout durant des mois, de médecins en examens, d’hôpitaux
en cabinets, elles constituent une souffrance qui s’ajoute à la maladie. Elles
sont responsables de l'obsession qui envahit petit à petit notre esprit,
jusqu’à la folie. Cette accumulation est un rite initiatique, un bizutage
organisé inconsciemment par tout le corps médical. Tu veux un traitement ?
Prouve nous que tu es « compliante », que tu obéis aveuglément.
Aux urgences, d’abord on nous suspecte (« ce n’est que de
l’urticaire »), ensuite les aides soignants appellent des noms du fond de la salle, ils se retournent,
ils laissent les patients les suivre de loin. On marche vite vite pour les
rattraper en se demandant pourquoi cette personne en pyjama ne nous a pas dit
bonjour, ne nous a pas regardé.
Ca a commencé comme ça mon parcours médical. L’attente. 6 semaines pour
que mon urticaire soit déclarée chronique pour avoir droit de voir un
spécialiste, puis encore 4 semaines pour avoir un rendez-vous chez un
dermatologue. J’ai vu la « meilleure » dermatologue de Paris
paraît-il, en tout cas une des plus chères. Pas besoin de se demander pourquoi
je l’ai laissé faire sans rien dire j’étais impressionnée par son énorme bureau
en marbre massif dans cet immense cabinet à 50000€ le mètre carré. Je payais
100€ la consultation, je n’avais aucun souci à me faire à ce prix là. Et puis
la toubib était drôle et sympathique. Ce n’est que des semaines après que j’ai
réalisé qu’elle n’avait même pas jeté un oeil sur ma peau. Ce n’est
qu’aujourd’hui que je m’aperçois que je suis repartie avec une batterie
d’examens à subir, mais pas d’ordonnance qui augmente ma dose
d’antihistaminique. Alors que de toute évidence j’avais besoin d’un traitement
plus fort. En sortant, je me disais qu’elle avait fait de son mieux, que je
devais serrer les dents et être forte. Je me suis dit ça 200 fois par jour
pendant un an.
Un mois plus tard, toujours couverte de plaques, la même médecin
m’apprend que j’ai une urticaire chronique. Ca existe, c’est une maladie, dans
6 mois ce sera fini, je dois continuer mon traitement qui ne marche pas, mais
bon ça va quoi, on vit très bien avec de l’urticaire, faîtes pas votre
chochotte, ça gratte tant que ça ? Heu non non, pardon docteure, ça ira. J’ose
tout de même demander pourquoi mon urticaire est plus fort pendant mes règles.
Mais parce que je suis focalisée sur mes cycles, comme toutes les jeunes, je
suis parisienne et stressée voilà tout, allez voir ce bon gynéco ma petite
(vous avez l’âge de ma fille) et voilà tout.
Et moi, si habituée à ces discours, je repars, bonne petite soldate, la
bourse allégée et plutôt rassurée. Le « bon » gynéco confirme les
dires de sa consoeure et « j’ai fait 10 ans d’étude, je sais de quoi je
parle. On va arrêtez les cycles si ça peut vous rassurer.» Moi aussi j’ai fait
10 ans d’étude, je ne vois pas le rapport, mais encore une fois je sors
rassurée, tout va s’arrêter c’est la docteure qui l’a dit et elle a été à
l’école.
Mais tout est allé de mal en pis. La pilule progestative prescrite a
rendu mon urticaire absolument incontrôlable. J’ai passé 10 jours dans un brasier,
à me gratter au sang. J’ai arrêté cette contraception nocive (mais puisqu’on
vous dit que l’urticaire n’a rien à voir avec vos cycles ou les hormones enfin
!). Depuis ma maladie n’a jamais retrouvé son niveau d’avant cet épisode.
Chaque menstruation est une torture. Il existe une maladie appelée
« dermatite auto immune à la progestérone », mais aucun spécialiste
que j’ai vu n’a voulu me faire le test. Ils n’y « croient pas »
(sic).
Cela faisait maintenant 7 mois que je vivais dans mon champ d’orties,
je devenais chaque jour moins active, moins joyeuse, plus angoissée. Comme j’ai
la chance de savoir faire des recherches, je me suis mise à lire des articles
scientifiques, à tenter de comprendre comment fonctionne cette maladie. J’ai
échangé avec d'autres patients, j’ai appris l’existence de traitements qui
fonctionnent mais qui sont donnés en dernier recours. Comme dans toutes les
maladies chroniques, il y a plusieurs phases de prise en charge (4 dans mon
cas), avec un traitement de plus en plus fort. J’ai pris rendez-vous dans un
service spécialisé. Le 1er docteur m’a passé de la phase 1 à la phase 3, il m’a
fait faire une biopsie. Il m’a à peine regardé pendant les 5 minutes de la
consultation, il a été méprisant et m’a fait des reproches. Mais je m’en moquais,
j’avais un traitement et une biopsie c’est du sérieux quand même, on me prenait
en charge, enfin. Comme à chaque fois, je suis ressortie pleine d’espoir et
toute confiante dans la médecine.
Je crois que c’est dans l’attente des résultats de cette biopsie que je
suis devenue folle petit à petit. Les premières semaines le traitement m’a
accordé du répit, l’hôpital allait me rappeler avec les résultats et il en
découlerait un ajustement thérapeutique, tout roulait. Mais bien sûr que non.
Il a fallu prendre moi-même rendez-vous et retourner à l’hôpital.
Ah madame, c’est qu’on ne trouve plus votre dossier, ah le voilà, des
résultats quels résultats, non non ils ne sont pas arrivés, ça prend du temps
vous savez. Mais madame soyez patiente un peu, je n’ai pas de temps, prenez
votre ordonnance, je n’ai pas le temps, dans 3 à 5 ans ce sera fini, allez au
revoir, je file je n’ai pas le temps.
Et j’ai basculé. Le traitement ne marchait plus, ces résultats qui
n’arrivaient pas, c’était impossible, ça tournait en boucle dans ma tête, il me
fallait ces résultats, c’était la clé. Pendant 10 jours j’ai appelé 10 fois par
jour le service, ça sonnait dans le vide. Pour éloigner mon esprit de la
douleur et des démangeaisons, j’avais construit d’autres obsessions : avoir mes
résultats, avoir un traitement, trouver le bon médecin. Mais personne ne
répondait, comment se battre contre un fantôme ? Le désespoir m’a envahie,
entrecoupé de sursaut de vie.
Un beau matin j’ai débarqué dans le service bien décidé à ne pas en repartir
sans mes résultats, prête au scandale s’il le fallait. Je me pensais forte...
je suis repartie la queue entre les jambes.
La biopsie a été faite il y a 4 mois ? Mais ma petite dame j’ai pas le
temps de vous recevoir je m’en fous de vos résultats allez les chercher au labo
de l’hôpital c’est pas mon problème.
Pourtant une semaine après, quand je suis revenue, après avoir changé
de médecin et prévenu la cheffe de service, ils étaient là mes résultats. Comme
depuis que le labo les avait transmis, 4 mois plus tôt. Normal quoi. Cependant,
la docteure A m’a expliqué qu’ils n’étaient pas utiles. Manière de me dire que
j’avais fait un scandale pour rien ? Ainsi, les examens c’était terminé pour
moi, je repassais en phase 2 de traitement mais seulement pour 15 jours et si
ça ne fonctionnait pas hop phase 4, le médoc qui marche à tous les coups. Quel
légèreté en sortant ! Dans15 jours tout ça serait derrière moi. Le cauchemar
était terminé, cette docteure A était mon héroïne.
Mais non. Finalement la docteure a changé d’avis. 15 jours après, les
résultats de cette biopsie il fallait les prendre en compte, il fallait refaire
plein d’examens, c’était inquiétant tout ça. A partir de ce moment, la maladie
a pris le pouvoir sur moi. Je passais mon temps à lire des publications, à
essayer de comprendre pourquoi on me demandait ces absurdes examens, pourquoi
je n’avais pas droit au traitement, pourquoi ils attendaient comme ça. Je
réfléchissais à des stratégies, je demandais des justifications scientifiques.
Mes proches étaient rassurés qu’on me demande des examens. Je voulais leur
crever les yeux : ils ne voyaient rien, ne comprenaient rien ou quoi ? Dans mon
délire, je m’accrochais à une date, le 28 juin j’avais décroché un nouveau
rendez-vous avec la docteure A, je ne partirai pas sans un traitement, je
serais forte, c’était ça ou me foutre en l’air, de toute façon.
Pourtant, encore une fois, ce 28 juin j’ai quitté l’hôpital sans
nouveau traitement. Et cependant rassurée. Comme d’habitude. Après m’avoir
reproché mes mails, la docteure A m’a fait comprendre que mes résultats
d’examens étaient inquiétants, qu’elle devait discuter avec ses collègues. Même
traitement qui ne fonctionne pas, nouveaux examens et on se revoit dans un
mois. A chaque visite le patient remplit des questionnaires sur la qualité de
vie, le mien explicitait que depuis 9 semaines je n’avais pas eu un jour de
répit, j’avais précisé que je voulais mourir et j’étais recouverte de plaques
d’urticaire de la tête au pied. Mais je suis repartie sans traitement et sans
date de rendez-vous. Et - par quel tour de passe passe ?- rassurée. Dans un
mois maximum tout serait terminé.
Combien de fois aurais-je gobé cette fable, si un soir, je n’étais
devenue si méchante et délirante qu’Edouard a crié que j’étais folle ? Oui,
j’étais folle, folle de douleur, folle de démangeaison, folle de ne pas avoir
de traitement, folle d’être maltraitée par le système. Je me mettais des
échéances, tenir encore 15 jours, encore 1 semaine. J’avais construit un
raisonnement selon lequel puisque la maladie augmente pendant mes règles, même
si les médecins refusent de voir le lien, être enceinte arrêterait tout, donc
je regardait les sites pour devenir mère porteuse. Pourquoi mes amis trouvaient
cette idée lumineuse idiote ? Le plus souvent, je leur affirmais très
tranquillement, persuadée que c’était d’une logique implacable, que j’allais me
suicider dans 3 semaines si il n’y avait rien. J’avais envie de mourir et
c’était une évidence.
Puisant dans mon instinct de survie, j’ai demandé à refaire l’examen
qui inquiétait tant le Dr A. J’étais sûre que tout allait bien. Et j’avais
raison, mes examens ne montraient rien d’inquiétant. Il n’y avait en réalité
aucune raison d’attendre encore avant de me traiter. Mais alors, à part pour me
punir, pour quelle raison le Dr A m’avait laisser partir de l’hôpital
recouverte d’urticaire, le cerveau embrumé par les idées noires ?
Ce matin, j’ai compris que j’étais en danger. Quand on veut mourir, on
est en danger de mort. J’ai réuni tous mes résultats, le calendrier qui montre
l’évolution de ma maladie, avec les traitements successifs, la concordance des
crises avec mes règles, le fait que depuis un mois mon traitement a été réduit
à peau de chagrin, les compte-rendus des toubibs. Direction les urgences de
l’hôpital où je suis suivie. Un urgentiste c’est pragmatique, c’est là que je
trouverais du secours.
369ème jour - Dans le train pour les vacances
Et ça a marché ! Pour la première fois un médecin m’a écoutée, ne m’a
pas coupée, ne m’a pas demandé ce que je fais dans la vie blablabla. Elle a
seulement accueilli mes plainte , elle m’a rassurée « oui, c’est une
urgence » et elle m’a soignée. Grâce à cette urgentiste j’ai vu une
psychiatre, qui entre 2 défenses de ses confrères, m’a fait comprendre que
cette maladie est invalidante et nécessite une prise en charge psychologique
qu’on ne m’avait jamais proposée. Grâce à cette urgentiste j’ai eu un
rendez-vous dans la journée avec la Dr A et d’autres médecins du service qui me
traite. Et tout à coup, elles se sont occupé de moi.
La clé pour choisir mon traitement était bien la biopsie. Cela
détermine le choix du médicament, il faut un mois pour vérifier si ça
fonctionne mais on m’a donné directement le prochain rendez-vous, pour que je
ne m’inquiète pas de ça. Une simple politesse qui m’était jusqu’alors refusée.
J’aurais dû bénéficier de ce traitement il y a 6 mois, mais pas un mot d’excuse
de la part des médecins qui m’ont reçue.
Les premiers bénéfices ont mis 2 jours à apparaître. L’arrêt de la
douleur a eu l’effet d’une drogue sur mon cerveau. En me réveillant, j’ai
constaté que ça ne me grattait plus, je n’avais plus mal. Et j’ai passé 12
heures de pur bonheur, ivre sans alcool, cotonneuse comme après un orgasme sans
sexe, une petite voix me murmurait « dors, sois sans crainte » , mais
je ne voulais pas dormir, je voulais savourer encore un peu. Puis j’ai eu une
violente migraine comme une descente de LSD. Pas besoin de drogue, de vodka ou
de sexe : je n’avais tout simplement
plus mal. Cette journée m’a fait comprendre la violence de ce que j’ai vécu.
Mon cerveau décompressait de semaines de souffrances.
Du jour au lendemain, plus d’idées noires, plus de folie, rien.
L’urticaire me rendait folle, mais dès qu’elle s’est arrêté mon cerveau est
retourné à son état précédent, il est tout à fait sain. Jamais le système
médical ne reconnaîtra qu’il m’a fait perdre 6 mois de ma vie dans la folie de
la démangeaison, que ce n’est pas l’urticaire mais l’absence de traitement qui
m’a poussée aux urgences parce qu’il me restait assez de lucidité pour
comprendre que souffrir et vouloir mourir n’est pas normal ou logique. Que
j’étais en danger.
Il ne le reconnaîtra pas car ce bizutage est inconscient. Et il risque
de continuer, je vais encore longtemps devoir me battre pour avoir les bons
dosages ou pour que le lien avec mes cycles menstruels soit exploré. Mon
histoire est la même que celles de dizaines de milliers de patient-es, je ne
suis pas plus à plaindre qu’un-e autre. C’est l’histoire banale d’un rite
initiatique, vécu par des millions de malades, pour que la médecine les
considère assez pour les soigner. Un rite où l’ont doit attendre, marquer sa
déférence vis-à-vis médecins, adhérer à leurs croyances, ne pas dire un mot
plus haut que l’autre. Un rite pour montrer qu’on est capable de supporter, la
maladie, la douleur, l’humiliation, l’incertitude. Ce n’est que si l’on est un
« bon malade » (j’ai entendu l’expression), que le système médical nous prendra
en compte. Ou si l’on se bat. Alors arrêtons de supporter, battons-nous.
H.
H.
Ayant vécu la même histoire, j'ai eu la chance de rencontrer une médecin spécialiste de l'urticaire, au bout de 5 mois (seulement!) de traitements et examens inutiles... La qualité de son écoute et l'impression d'être enfin entendue ont,il me semble, entamé la guérison avant même la prise du traitement.
RépondreSupprimerTerrifiant, mais c'est exactement cette forme de torture et de maltraitance que nous vivons tous avec différentes maladies parfois pendant plus de 10 ans quand elles ne nous mènent pas directement au cimetière par défaut de compétence et d'humanité.
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