Je lui ai demandé la permission de reprendre son texte en un seul long article de blog, plus facile d'accès que sur Twitter, et elle m'a très aimablement envoyé son texte.
Le voici, illustré des mêmes images, légèrement édité (pour compléter des mots raccourcis dans la version Twitter) et assorti d'un ou deux commentaires personnels, indiqués comme tels.
Merci à elle pour ce beau travail qui rafraîchira la mémoire à celles et à ceux qui s'imaginent que l'avortement a "toujours été considéré comme un crime"...
MW
***
Histoire du combat pour le droit à l'IVG
Dans l’Antiquité, le père disposait d’un droit
de vie et de mort sur ces enfants, aussi l’avortement par lui consenti n’était
en aucun cas considérés comme un crime.
S’il n’y consentait pas, alors c’était considéré
comme un crime, mais contre le pater familias ! (1)
C’est le christianisme qui va faire de
l’avortement un crime, non plus contre le mari et père, mais contre l’enfant à
naitre.
Et comme à l’époque moderne, le droit civil et
pénal se calquait sur le droit canon, l’Etat reprend l’interdiction de
l’avortement et son association à un crime.
Quand Napoléon fait réécrire tout le droit
français en 1804, il reconnaît à nouveau l’avortement comme un crime
Dont sont punissables et la femme avortée, et,
surtout, l’avorteur (ou l’avorteuse)
Mais dans la pratique, pendant tout le 19e siècle, quasi pas de poursuites, et quand rarement il y en avait, on prononçait quasi toujours
la relaxe pour la femme.
En effet, au 19e siècle, l’avortement
n’était pas considéré comme grave mais plutôt même prévoyant !
En effet, la France du 19e siècle
est "malthusienne" : les gens
limitent leur naissances, par la contraception ou l'avortement et l'État encourage cette limitation des
naissances car il y voit le moyen d’assurer la prospérité de la famille et de
la Nation.
Certaines municipalités offraient même des
prix de tempérance aux familles pauvres ayant peu d'enfants !
Dans ce
contexte, il était même autorisé de faire des publicités pour des boissons
abortives ou pour des médecins pratiquant l’avortement.
A noter
que l’avortement thérapeutique (si la vie de la mère est en danger) est
autorisé par l’Académie de médecine en 1852.
Ce qui
va faire changer les choses, c’est qu’après la défaite de 1871 et plus encore
après 14-18, la baisse de la natalité en
France suscite une véritable angoisse.
Les
populationnistes ont peur que la France y perde de sa puissance, notamment
militaire.
Dès
lors, on se met de plus en plus à considérer que la limitation des naissances,
et non l’avortement, sont un crime contre la Patrie
A partir
de là, la répression se fait plus sévère ; la Loi de 1920 interdit toute
propagande malthusienne et renforce la répression pénale contre les IVG
De plus
en plus systématiquement, les jugements sont sévères. Les avorteuses font des
peines de prison, les avortées payent surtout des amendes.
La
législation est durcie sous Vichy, pratiquer un avortement est passible
désormais de la peine de mort
Deux
faiseuses d'anges seront ainsi guillotinées. Claude Chabrol rapporte cela dans
un beau film : Une affaire de femmes.
La république
restaurée en 1945 revient à la loi de 1920 : elle reste toujours aussi
répressive en matière d’IVG mais s’en tient aux peines de prison
Ce qu'il faut bien voir, c'est que la plus
grande pénalisation de l'avortement ne limite pas vraiment le nombre des
avortements,
Mais
elle oblige les femmes à avoir recours à des avortements clandestins. Et là c'est
l'horreur.
Ça veut dire des angoisses quand on découvre qu'on
est enceinte ; la recherche d'une faiseuse d'ange ; l'ivg dans des conditions sinistres et sans
hygiène, avec des moyens de fortunes… des cintres notamment...
Puis la fausse couche, l'hémorragie, l'hôpital
où on vous traite sans la moindre considération, comme une moins que rien et
curetée à vif histoire de vous punir!
Il faut lire l’Evènement d’Annie Ernaux (Gallimard) pour
comprendre tout cela.
(2)
Ça veut dire des femmes qui en perdent leur
fertilité, et d'autres qui en perdent la vie.
Ce n’est pas du tout un phénomène minoritaire.
A la fin des années 60, autour d'un million d'avortement clandestin par an en
France.
Ca veut dire aussi des sexualités angoissées
tant la peur de tomber enceinte est présente (il n’y a pas non plus de droit à
la contraception)
Le tout dans un silence assez général, faisant
l'objet d'un tabou. Dans les années 60, les femmes vont se dresser contre cette
situation.
Elle réclament ne cherchent pas tellement à
limiter les naissances (c'est le baby boom, les Glorieuses, on a du fric dans
les familles), non elles réclament le droit à choisir quand elle
veulent un enfant, et quand elle n'en veulent pas.
Elles réclament le droit à une sexualité
heureuse, le droit à une maternité heureuse.
Et sont défendues par nouvelle association,
Maternité heureuse, qui prend le nom de Planning familial.
Dans un premier temps, les femmes réclame
surtout la contraception. Un vaste débat débouche sur la loi Neuwirth quiautorise la pilule en France.
La loi qui autorise la pilule en France est
votée en 67 (mais les décrets mettront presque 5 ans à être publiés ! )
Reste qu'après Neuwirth, restait à gagner le
droit à l'avortement.
Le contexte
favorable à cette revendication : médicalement, il était possible de
pratiquer des avortements sécurisé ; on était après mai 68, évolution des mentalités
en faveur du droit des femmes, libération sexuelle…
Quelques pays
voisins, moins catholiques que le notre, moins populationnistes, pratiquait l'IVG sécurisée et légale, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse.
De facto, du fait de ce contexte, il y avait de
plus en plus d'avortement illégaux (autour d'un million/an).
Avec une grande inégalité sociale, entre les
femmes pauvres, contrainte au parcours de la faiseuse d'ange, et celles qui pouvaient se payer 1 voyage hors
des frontières, ou un médecin qui faisait ça clandestinement mais en sécurité.
Des associations naissent pour défendre
l'avortement. Ainsi le MLF (mouvement féministe radical), qui apparait en 70.
Mais aussi Choisir, de l'avocate Gisèle Halimi,
et enfin le MLAC (Mouv pour la Libéralisation de l’avortement et de la
Contraception) fondé en 72.
Le
Planning familial (qui au début était
pro contraception mais contre l’IVG) rejoint les pro avortement en 72.
Le camp adverse s'organise aussi et crée
l'association Laissez –les vivre, association créée en 1970, par des juristes. Avec
comme conseiller scientifique, le biologiste Lejeune.
Association de catholiques
intransigeants (qui s'appuie sur une encyclique du Pape de 68 "Humanae
vitae" (de la vie humaine)
Dans leurs congrès, ils exhibent
des fœtus de 6 mois et font résonner le bruit du cœur du bébé,
Ils comparent les partisans
de l’IVG à des nazis et évoquent les "fours crématoires dans lesquels on
brule des fœtus.
Les médecins sont divisés
sur la question. Mais le conseil de l’ordre des médecins est anti IVG. (3)
Sur les médecins et l’IVG
dans les années 70 je vous conseille le roman de Martin Winckler...
Entre 1970 et 1974, le débat devient
omniprésent sur la scène publique, dans la rue, dans la presse, dans les
prétoires, à la télévision. En avril 71, le Nouvel Obs fait paraître une liste de
343 femmes affirmant s’être fait avorter et demande la libéralisation de l’IVG,
liste connue sous le terme
du manifeste des 343 salopes (on ne
remercie pas Charlie Hebdo), parmi lesquels quelques personnalités du monde des
lettres et du spectacle, et non des moindre, Beauvoir, Duras, Sagan,
Deneuve, Delphine Seyrig, Jeanne Moreau...
L’impact en fut
considérable. Si l’on appliquait la loi elles auraient du passer en justice,
mais le ministère public choisit de ne pas les poursuivre.
Ce manifeste fut suivit
(même si moins connu) d'un manifeste de 330 médecins disant avoir pratiqué des
avortements (1973).
En 72, a lieu le procès de
Bobigny : procès de la jeune Marie-Claire, jeune mineure avortée avec
l’aide de sa mère et de collègue, dénoncée par le père
Il est l’occasion pour
l’avocate Gisèle Halami, qui se dévoue corps et âme pour le droit à
l’avortement de faire le procès des lois de 1920 et suivantes.
La jeune fille est relaxée, la mère, la
collègue et l’avorteuse condamnée à des peines assez faibles.
Là encore, le
retentissement du procès est majeur. Il faisait la preuve que la loi répressive
était caduque. La question de l’avortement est désormais au 1er
plan des préoccupations de l’opinion publique qui évolue en faveur de
l’IVG.
En 1970, 22% des Français se prononçaient favorablement à l’avortement ; en 1971, ils étaient 55%.
Pendant ce temps, le MLAC organise des voyages
collectifs vers la Hollande ou l’Angleterre, plusieurs fois par semaine, pour
organiser des avortements, et met sur pied en France, en
toute illégalité, des centres médicalisés où des médecins acceptent de
pratiquer des avortements (au risque d'être condamnés).
Sous la pression de l’opinion, les gouvernements
envisagent de modifier la loi répressive de 1920. Dans un premier temps, un projet de loi autorise
l'avortement si la conception résulte d’un viol ou en cas de difficulté
sociale majeure.
Très en deçà donc de ce que
réclament les femmes et les associations féministes.
Mais la mort du Président Pompidou (1974) fait
qu'il n'est pas discuté. Valéry Giscard d'Estaing est élu. Il nomme Simone Veil au ministère de la
santé.
Elle dépose à la chambre
une loi qui autorise toute les IVG, donc sans motif, dans un délai de 10
semaines.
Le débat fait rage à
l'assemblée nationale, dans les journaux, dans la rue.
Le débat prend des aspects
moraux, voire moralisateurs. Les députés contre l’IVG brandissent la figure de
la dévergondée.
L’un des arguments des pro-IVG a
été de prouver, enquête socio, à l'appui que le profil type de la femme qui
avait recours à l’avortement n’était pas la jeune fille dévergondée. Mais au contraire la mère de famille, mariée,
avec déjà 2 voire 3 enfants, et n’en souhaitant pas un 4ème de son
mari !
L’argument phare des pro-IVG, et de S Veil, ce qui a fait gagner, c'est le principe de
réalité = il y a des avortements, mais ils sont clandestins (on estime autour
d’un milllion)
Il fallait donc légaliser pour permettre des IVG médicalisées
et sécurisés afin de limiter mortalité et stérilité ; à quoi s’ajoutent des arguments
de justice sociale et d’égalité entre les femmes du fait de leur
inégalités dans l’accès à une IVG sécurisée.
Réécouter le discours dans lequel Simone Veil défend son projet de loi :
Le projet est présenté au
représentant de la nation le 26 nov 1974, et fait rare dans l’histoire de la
Ve, l’issue du scrutin est totalement inconnue, rien n’excluant que la majorité (de droite) ne
vote contre le texte du gouvernement.
Les consignes de discipline
de vote, de temps de parole sont levées, ce qui va donner un débat incroyable,
entièrement retransmis à la télé.
Il y eu de tout : des
débats d’une haute tenue, des propos odieux et inacceptables, des passages de
cirques....
Tout ça alors que des catholiques intransigeants égrainaient des rosaires devant le Palais Bourbon, organisaient
des manifestations, alors que parallèlement, le
MLF manifestait en criant « Un enfant, Si je veux, Quand je veux ! »
Le 28 nov, en pleine nuit, à 3 h 40, le projet
est mis au voix : il est adopté à une majorité de 284 contre 89.
Pour la première fois, le projet
loi d'un gouvernement de droite était passé avec une majorité de voix qui venaient de
la gauche + une partie des députés de droite
D'un coté c'est une
victoire ENOOOOOOrme. L'IVG était autorisée en France. et il n'y avait pas de
conditions de motifs qui limitent la possibilité d'avorter.
C’était enfin la fin des
avortements clandestins et dangereux
Mais, c'était un droit à
l’IVG malgré tout contrôlé et le MLF pouvait être déçu. En effet l’IVG ne
pouvait intervenir que dans les dix premières semaines.
Il n’était pas remboursé par
la sécu (mais gratuit pour les femmes sans ressources) et il fallait une autorisation
parentale pour les mineures.
Obligation était faite à la
femme de suivre un entretien, pensé comme dissuasif,
où on lui proposait tout un
tas de prospectus sur les aides pour les mères seules, sur l'accouchement sous
X...
Entretien suivi de 8 jours
de réflexion puis d’un second entretien, ce qui risquait de faire perdre du
temps au vu du délai légal.
Les médecins pouvaient refuser de pratiquer un
avortement. Les étrangères non résidentes ne pouvaient pas avorter. Enfin la loi n’était appliquée
que pour 5 ans, ce qui renvoyait à un nouveau débat en 79 pour son adoption
définitive.
Le débat de 79 fut à
nouveau houleux, long difficile, mais on notera que l’Ordre
des médecin, constatant la disparition des morts après avortement se déclara
désormais en faveur de la loi.
La loi est reconduite
indéfiniment, à nouveau avec une partie de la droite qui vote contre et l'appui de la
gauche.
Après l’élection de
Mitterrand, les femmes obtiennent le remboursement
de l'IVG (mais pas sur les comptes de la sécu, sur un budget à part).
En 1986, le retour de la
droite au pouvoir déçoit les anti avortement car Jacques Chirac dit cette fois
clairement que l’on ne reviendra pas sur la loi Veil. (Il avait été contre en
79)
Dès lors privés d’appuis
parlementaires (ou très minoritaire, il y a la député des Yvelines, Christine
Boutin), les anti-IVG se replient sur l’extrême droite (Le FN).
Des membres de l'extrême droite, ou
des intégristes ont recours à des stratégies violentes, inspirées des USA, avec
la mise sur pied de commandos anti IVG.
Leur stratégie est mise en
échec d'abord par des contre commandos,
puis par la loi Neiertz (Véronique), de 1992, qui institue le délit d’entrave à
l'IVG.
Nombreuses entraves au
début années 90 avec le retour de la droite.
Les carrières des médecins qui pratiquent les IVG sont freinées, les services d'IVG sous
dotés, les délais d'attente trop longs, les femmes sortent des délais et sont encore obligées d'aller à l'étranger (5000/ans).
C'est le retour de la
Gauche qui va redonner un coup de pouce.
La loi Aubry Guigou allonge en
2000 le délai à 12 semaines, délivre les mineurs de
l’autorisation parentale et rend l’entretien préalable facultatif.
Plus récemment, la loi Vallaud-Belkacem rembourse l’IVG à 100% et sur la sécu désormais.
Un site un site gouvernemental dédié ivg.gouv.fr est lancé et toute entrave à l’information sur l’IVG est sanctionnée.
Enfin la loi de 2014 supprime la
condition de "détresse avérée" que la loi de 1975 exigeait pour ouvrir droit à
une IVG (suppression symbolique mais importante).
On estime de nos jours que
45 % des femmes ont pratiqué au cours de leur vie une IVG.
Les difficultés actuelles
tiennent aux politiques d’austérité : faute de personnel, l’attente est
longue et à nouveau les femmes dépassent les délais…
Voici donc l'histoire d'un droit. Un aspect de l'histoire
politique et sociale du 20e sc, un aspect de son histoire des
mentalités.
Mathilde Larrère
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Notes de MW :
(2) Parmi les autres livres consacrés au sujet, citons aussi La Ventriloque (éd. des Femmes) de Claude Pujade-Renaud et Hôpital, Silence, de Nicole Malinconi (éd. de Minuit). Deux écrivains-médecins français ont également abordé la question et se sont positionnés fermement en faveur de la liberté des femmes - André Soubiran dès les années 60 dans Les Hommes en Blanc et le Journal d'une femme en blanc (Le Livre de Poche), qui fit l'objet d'un film engagé de Claude Autant-Larat en 1965 ; MW dans La Vacation (POL, 1989).
(3) Quand on lit le site de l'Ordre aujourd'hui, on peut se demander s'il ne l'est pas toujours...
Article passionnant !
RépondreSupprimerJe me suis toujours demandé si le fameux nombre incompressible d'IVG par an ne correspondait pas tout simplement au pourcentage connu de ratés de contraception de toute la population des femmes nubiles et sexuellement actives en France, toutes méthodes confondues, dans la mesure où un taux hallucinant des femmes ayant recours à une IVG SONT SOUS CONTRACEPTION. Une étude a-t-elle été faite qui pourrait répondre à cette question ?