mercredi 29 juin 2016

Que pourrait-on enseigner d'autre en médecine ?



Beaucoup de sujets ne sont pas abordés pendant les études de médecine, ils seraient pourtant pertinents pour la pratique. Ces sujets sont parfois abordés ici et là, dans un cours, une faculté ou un enseignement, mais ils ne font pas partie du bagage délivré à tous les étudiants, dans tous les facultés. A mon sens, c’est très dommage.

Le fait qu’on aborde « un peu » l’un ou l’autre dans un cours est louable, mais il ne suffit pas, en soi. Les sujets énumérés ici devraient accompagner les étudiants à chaque étape de leur formation -  être abordés en théorie puis revus « en situation » - ou de manière réflexive, à l’occasion de situations vécues ou rencontrées.

Ainsi, les questionnements éthiques sur le consentement ne sont pas identiques selon qu’on est dans un stage d’obstétrique, de chirurgie ou de pédiatrie. Avoir reçu des bases théoriques au cours des années précédentes ne garantit pas qu’on pourra les appliquer. Pas plus que l’apprentissage théorique de l’anatomie de l’abdomen ne permet d’emblée d’aller opérer quelqu’un de l’appendicite.

Et donc, quelques thèmes en vrac (liste non exhaustive, qui mériterait d’être complétée ou nuancée).

·      Histoire et sociologie de la médecine des professions de santé : qui devient médecin ou sage-femme ou psychologue, et pourquoi ? En quoi l’origine sociale influe-t-elle sur le type de métier choisi et le type de pratique de chaque professionnel ?
·      Les déterminants sociaux de la santé : comment la pauvreté, l’analphabétisme ou l’illétrisme, l’exclusion interviennent dans l’apparition des maladies.
·      La santé sexuelle : quels sont les critères et variantes de la santé sexuelle ? Existe-t-il des « normes » médicales en terme d’orientation sexuelle, d’identité de genre, d’anatomie des organes sexuels, etc ?
·      La physiologie reproductive : existe-t-il des « normes » en terme de reproduction ? Et, sinon, quelles sont les variantes ?
·      La mort vue par le médecin, vue par le patient.
·      Comment examiner une personne en respectant sa pudeur et sans lui faire mal.
·      Comment demander le consentement d’un patient pour l’examiner et délivrer des soins même s’il le refuse.
·      Comment user de son imagination pour faire face à une demande inattendue ou à un refus de soin ou d’exploration.
·     L'absention thérapeutique, traitement à part entière. 
·     Les soins palliatifs au quotidien. 
·     L'effet placebo au quotidien. 
·     Comment respecter les croyances des patients pour les soigner sans s'énerver.  
·      Le bon sens en médecine.
·      Conférences sur la maladie par les patients qui la vivent
·      L’écoute des membres de la famille
·      Ecouter et coopérer avec les autres professionnel.le.s de santé
·      Le déni de réalité - du médecin, du patient.
·     Désir et dégoût en consultation. 
·      Rapports de pouvoir en médecine : entre médecins, entre administration et professionnels, entre professionnels et patients. Leurs conséquences sur la délivrance des soins.
·      Les droits des patients et l’attitude des médecins face à ces droits. Comment repérer les transgressions à la déontologie chez les autres et dans son propre comportement. La défense des droits des patients fait-elle partie des obligations des professionnels de santé ou relève-t-elle d’un choix individuel ?
·      Comment analyser une information (radiophonique, télévisée, dans une revue) et déterminer si elle est crédible ou sans implication pratique immédiate. Comment aider les patients à l’analyser.
·      La douleur – comment la soulager en fonction des organes et des pathologies concernées.
·      Evolution et biologie : pourquoi la physiologie et les pathologies des humains varient en fonction de la géographie, du climat, du bagage génétique, etc.
·     Anthropologie et géographie du soin : comment soigne-t-on ailleurs, et pourquoi ? Médecines traditionnelles, médecines "alternatives". 
·      L’empathie et l’altruisme chez les primates.
·      Cognition, perceptions et comportement : comment le fonctionnement du cerveau humain intervient-il dans les décisions quotidiennes – et par extension dans les décisions face à la maladie ?
·      Préjugés et biais cognitifs : comment ils influent sur les diagnostics et les décisions thérapeutiques.
·      La peur : comment elle influe sur le comportement des patients et sur celui des professionnels de santé.
·      Postures de caste et préjugés de classe dans la profession médicale.
·      Vérités scientifiques et dogmes invérifiables dans la pensée médicale occidentale. 
·      Faire face aux émotions des patients : l’anxiété, la peur, l’agressivité, le chagrin, l’abattement.
·      Annoncer des mauvaises nouvelles sans brutalité et en accompagnant les patients.
·      Le temps dans les décisions médicales : faire la part entre ce qui est urgent, et ce ne l’est pas. Les inconvénients de la hâte, les vertus de l’attente.
·      L’impatience du médecin : origines, formes cliniques, symptômes, complications, traitement.
·      Pressions, chantages et négociations : comment identifier une tentative de manipulation – de la part du patient et de la part du médecin ; mais aussi de la part des politiques et des marchands.
·      « Tout le monde ment » (Confidentialité et secret) : comment soigner sans savoir « toute » la vérité ; comment respecter le silence ou garder le secret pour protéger les patients ; comment ne jamais utiliser les secrets contre les patients.
·      Communication, 1 : comment recevoir les informations des patients et les utiliser ; comment leur en donner de manière appropriée (et respectueuse).
·      Communication, 2 : méthodes employées (par les industriels, par les Etats) pour influer sur la demande et la délivrance de produits de santé.
·      Ethique clinique : comment se comporter avec les patients et les autres professionnels pour instaurer des conditions de travail propices au soin et à la coopération.
·      Groupes de pratique/groupes Balint : comment mettre en place des groupes de professionnels permettant échanges et partages d’expériences en vue d’améliorer les pratiques individuelles et collectives.
·      Les autres professions de santé : en quoi consistent les professions d’aide-soignant/e, d’infirmier/e, de sage-femme, d’orthophoniste, de psychologue, de kinésithérapeute, de psychomotricien... 
·      Savoir demander de l’aide – à un.e aîné.e, à un.e collègue, à un.e professionnel.le extérieur.e.
·      Critères personnels de choix d’un mode d’exercice : l’argent fera-t-il mon bonheur de praticien.ne ?
·      Réflexions sur l’image du soignant : au cinéma, à la télévision (dans les documentaires et les fictions), dans les discours de patients.
·      Comment tenir un dossier médical fiable, loyal, qu’on puisse transmettre au patient et qui soit utilisable par lui et les autres professionnels de son choix.
·      Ce que les artistes nous disent de la santé, de la maladie, des patients et des soignants
·      Comment préserver son énergie et éviter le burn-out
·      ….
  
Toutes les suggestions ou informations d'expériences d'enseignement similaires en cours sont les bienvenues, je les rajouterai à la liste.

MW/MZ (ecoledessoignants@gmail.com)

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Bonjour, 
Merci infiniment pour votre blog que je suis et que je retransmet très souvent à mes collègues et a mes internes…

Je rajouterais à votre liste:
- l’instinct et le « gut feeling » en médecine;
- fierté, surconfiance et leurs risques ; 
- la médecine, et le soin en général, comme un acte politique fort (non pas au sens contemporain du terme « politique » mais au sens plus aristotélicien de sa présence centrale dans la polis, ou plus récemment au sens que donne Hannah Arendt, dans « Qu’est ce que la politique », de la politique non comme gestion de l’Homme mais prise en considération de l’espace entre les hommes…

Peut-être d’autres idées à venir!

bien amicalement


Christophe F., praticien hospitalier 



7 commentaires:

  1. et je proposerai quelques questions transversales :
    _ le tabac : qui fume , sociologie, psychologie des fumeurs et histoire des fumeurs depuis des siècles, aspect anthropologique et culturel du tabac, lien avec les pathologies liées au tabac selon les formes utilisées et ouverture sur les autres toxiques connus : les perturbateurs endocriniens par ex, les métaux lourds et leurs conséquences sur la santé...
    - idem pour l'allaitement (!) : qui allaite , (pas tout le monde ...dépend la aussi du niveau socioculturel et économique) , quels sont les conséquences sur la santé de la mère et de l'enfant ? qu'est ce qu'un allaitement normal ( non ce n'est pas toutes les 3h ! c'est n'importe quand !) et comment soutenir l'allaitement auprés des femmes ou au moins connaitre ce qu'est une conseillère en lactation et où en trouver ( pas forcément connaitre toutes les positions et toute la physiologie ... mais au moins savoir ou trouver les connaissances et même pour les pahtologies... CH Lyon Sud pour les lyonnais...)
    _ quoi d'autres ? parler plus des autres cultures et de tout ce qui se fait en médecine et en chirurgie en France ( réparation des mutilations sexuelles féminines, opération des transgenre...)
    à bientôt,

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  2. Quelques remarques que m'inspirent, à chaud, ce billet, merci… J’espère, en tant que patiente ne pas être trop péremptoire et bêbête et/ou à côté de la plaque.

    Quel sujet la formation !

    J’ajouterai les déterminants de la santé familiaux et psychologiques - non pas trop essentialistes et psychologisants et/ou psychiatrisants - mais dans une perspective systémique.

    Et aussi un questionnement sur les normes. Normes sociales, culturelles ? Normes scientifiques ? Et si oui, établies sur quelles preuves ?

    Le soin ne me semble pas comme " allant de soi". Il m’apparaît plus que jamais étonnant que les sciences humaines ne fassent pas partie du curriculum en médecine Pas en plus, mais d’égale importance. Avec les mathématiques , la biologie. Et autres disciplines. Ethique, épistémologie de la médecine et des sciences, anthropologie et sociologie ! psychologie, philosophie et même littérature (qui à mon sens ne serait pas moins « utile » que les mathématiques aux futurs médecins.

    Une formation à la complexité, parce que l’humain, c’est complexe (pas compliqué mais complexe), la réalité est complexe et simple à la fois.

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  3. "Le bon sens en médecine" : si vous voulez mon avis, avec les nouveaux iECN qui se passent par QCM (c'est à dire un raisonnement et une solution unique), c'est mal parti...

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  4. Tu sais que je suis d'accord avec tout ça, mais nous ne pouvons pas faire l'impasse sur l'épineuse question de la charge de travail de l'étudiant médecin.
    On a déjà le droit à l'une des formations les plus longues, chargées et couteuses de notre organisation sociale, autant de critères qui nuisent de facto à la diversité sociologique des étudiants en médecine.

    Si on ajoute tout ça, même en survolant, il va falloir une année de plus.

    Donc, on en revient à la question fondamentale de la refonte totale de la médecine et donc de son enseignement.
    Tes propositions ne marchent pas si on reste coincés dans la vision de super techniciens omniscients.
    C'est donc toute notre vision de la médecine qui est à revoir, notre vision du soin, de la bonne santé, du patient aussi, moins subissant, plus actif, du partage des connaissances, de leur diffusion, de leur perpétuelle évolution et transformation, de l'inadéquation des enseignements académiques actuels et des structures hiérarchiques, etc.

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    1. Je suis absolument d'accord. C'est pourquoi je pense qu'il vaudrait mieux exiger de pouvoir mettre en place de nouvelles facultés/écoles de médecine plutôt que "réformer" les anciennes - il y aurait bcp trop de résistances.

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    2. Je suis absolument d'accord. C'est pourquoi je pense qu'il vaudrait mieux exiger de pouvoir mettre en place de nouvelles facultés/écoles de médecine plutôt que "réformer" les anciennes - il y aurait bcp trop de résistances.

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  5. Comment se prévaloir d'Hippocrate qui disait "l'alimentation sera ta médecine" et ne recevoir que 4h de cours de nutrition en 10 ans d'études ?

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