Maud m'a envoyé ce témoignage, "à chaud" d'une consultation qu'elle venait de vivre. Il n'est pas fréquent que ce type d'expérience soit noté sur le champ. L'intensité de ce qu'elle a ressenti n'en est que plus frappante. Car soigner ça ne consiste pas seulement à faire des gestes stéréotypés sans les expliquer ni les justifier, à imposer sa manière de voir, à être inquisiteur, à porter des jugements de valeur. Soigner ça consiste à appréhender ce que le patient dit avec ses mots, selon ses propres termes et à adapter son savoir et son savoir-faire à chaque personne. Soigner, cela consiste toujours à s'interroger sur ses actes à travers perception que chaque personne peut avoir de ce qu'on lui fait, de ce qu'on lui dit. Un.e patient.e qui subit ses symptômes (ou ses craintes) ne devrait jamais avoir à subir, en plus, la maltraitance des soignants.
Je publie ce texte aujourd'hui à titre d'exemple de toute une ribambelle de comportements maltraitants. Vous les identifierez sans peine si vous vous mettez à la place de Maud. Tous les commentaires (de professionnels ou de patient.e.s) sont les bienvenus et seront publiés après validation.
M.W.
*****
Aujourd’hui je vais
chez une gynécologue, c’est mon premier rendez-vous avec elle. C’est un médecin
qui me suit qui me l’a conseillée alors je suis plutôt confiante. Je ne
souhaite plus retourner chez mon ancien gynécologue depuis qu’il m’a dit que
mes infections urinaires à répétition n’étaient pas des « vraies
infections » et que le germe n’était pas un « vrai germe » ce
qui a failli me valoir une pyélonéphrite (Note de MW : Infection rénale). J’ai appelé en janvier et n’ai eu
rendez-vous que fin mai. Une gynéco à ce point overbookée elle doit être
bien !
La salle d’attente est
tellement bondée que tout le monde n’a pas une place assise. Elle a du retard,
mais c’est surtout la dermatologue avec qui elle partage le cabinet qui est
très en retard. Après 35 minutes d’attente c’est mon tour.
« Bonjour, allez-y je vous en prie » Au premier abord, elle parait chaleureuse,
un bon point
— Installez-vous, et
dites moi ce qui vous amène .
—Je vais essayer de vous raconter, je ne sais
pas vraiment comment faire
— Allez-y.
— Il y a un peu plus d’un an quand j’ai
rencontré mon compagnon, très vite après le début de nos rapports, j’ai
commencé à avoir des infections urinaires à répétition. Et aussi des mycoses,
mais bon des fois c’était que urinaire.
— Des fois l’un, des fois l’autre, des
fois les deux
— Oui, c’est ça, donc ça c’était en mars
et puis j’ai donc essayé tout un tas de choses, ça me rendait folle, j’ai fait
7 ou 8 infections, et en septembre j’ai décidé d’arrêter la pilule, parce que
je sais que les hormones ça peut modifier un peu le terrain et je voulais tout
remettre à plat dans mon corps, et du coup on a recommencé à mettre des
préservatifs et alors je n’avais plus de problèmes. Je suis vraiment contente
d’avoir arrêté la pilule. Mais au bout
d’un moment bin les préservatifs c’était compliqué sur le long terme et donc il
me fallait une contraception. En fait au départ je voulais vous voir pour ça,
mais comme je n’ai eu rdv qu’en mai, il valait mieux que je fasse quelque chose
avant car ça devenait risqué, alors mon médecin traitant m’a mis un dispositif
intra utérin, en cuivre, sans hormones.
— C’est quoi comme stérilet ?
— Heuu short quelque chose
— Vous n’avez pas la carte qu’on
vous donne avec ? A quelle date vous l’avez mis ?
— Heu non je n’ai pas la carte
— Donc short quelque chose…….
— Donc je l’ai mis le 23 mars ah oui mais
aussi ce que je voulais vous dire c’est que depuis septembre où j’ai arrêté la
pilule bin je n’ai plus mes règles enfin je ne les ai eu qu’une seule fois, en
janvier. Et puis après pour mettre le stérilet le médecin m’a dit qu’il fallait
le poser pendant les règles alors on a provoqué les règles parce qu’elles
n’arrivaient toujours pas en mars, j’ai pris du duphaston et puis ça les a fait
venir. Et puis après ça comme ça n’arrivait toujours pas tout seul elle m’a
proposé de faire un bilan hormonal et puis il fallait encore faire la prise de
sang pendant les règles alors on a reprovoqué les règles avec du duphaston et
puis j’ai pu faire le bilan hormonal là très recemment, voilà les résultats
— Ah très bien montrez moi. Alors… oui…
effectivement… l’alpha hydroxy progesterone est trop élevée.. boh toute façon
vous avez une dystrophie des ovaires vous… Pas
de regard, pas d’explication enfin il faudra voir ça sous échographie
— Ah mais heu j’ai fait des echographies
l’été dernier justement parce qu’à force d’avoir des infections urinaires et
bin j’avais tout le temps mal dans le bas du ventre, la douleur partait plus
alors j’ai fait plusieurs echo et même une IRM, tout était normal, rien, pas
d’anomalie, pas d’endométriose. J’ai justement le compte-rendu d’une
échographie pelvienne tenez.
—Oui enfin normal, normal… Y a pas les
dimensions ... Vous n’avez pas les clichés ?
— Non je les ai pas pris.
—Vous aviez beaucoup d’acné adolescente ?
—Non.
—Pas de boutons d’acné ? parce que là
vous en avez un peu sur le visage
—Bin justement depuis que j’ai arrêté la
pilule j’ai de l’acné qui est apparu dans le dos surtout alors qu’avant j’en
avais pas
—Et quand vous étiez adolescente vous aviez
des cycles réguliers ?
—Heu bin en fait je sais pas trop parce que
j’ai pris la pilule tout de suite
—Vous avez eu vos règles à quel âge ?
—Quatorze ans et demi
—Et vous avez pris la pilule à quel âge ?
—Quatorze ans et demi
—Vous en aviez besoin en terme de contraception
ou vous l’avez prise parce que vous aviez de l’acné ? Je vois pas pourquoi tu me demandes ça alors que je t’ai dit que
j’avais pas d’acné
—J’en avais besoin en terme de contraception Voilà maintenant tu sais à quel âge j’ai eu
mes premiers rapports.
—Ah et aussi
j’oubliais de vous dire mais depuis donc que j’ai mis le stérilet et que donc
on a arreté les préservatifs j’ai eu très rapidement une grosse mycose, très
douloureuse. Donc je me pose un peu la question par rapport à mon partenaire
aussi, est ce que c’est possible d’avoir des « flores
incompatibles » ?
—C’est possible qu’il soit porteur de quelque
chose si ça revient, est ce qu’il lui arrive d’avoir des petits boutons, des
rougeurs, la peau qui pèle ?
—Il avait consulté mais on lui avait dit qu’il
avait rien à faire de son côté
—Est-ce qu’il a déjà eu des boutons des choses
comme ça
—Bin il a déjà eu des petits boutons mais on
lui a dit que c’était pas pathologique que c’était juste un excès de sé..
—Vous fumez ? Heu elle vient de me couper la parole pour me poser une question qui
n’a rien à voir, j’en reste bouche-bée. Je vous écoute hein, mais j’avance
dans mon interrogatoire. Mince mes
réponses sont trop longues peut être ? Il y a plein de patients dans la
salle d’attente il faut que je me dépêche..
—Heu non.
—Venez je vais vous examiner
On se dirige dans la salle à côté, il y a une table courte avec les
fameux étriers, et un petit coin caché d’un rideau pour se deshabiller.
« Vous enlevez le bas »
Je m’installe sur la
chaise, les jambes dans les étriers. Elle sort un speculum, et sans une parole
sur ce qu’elle va faire, elle me l’introduit en disant
—Bon, j’arrive dans la
course après donc je vous le dis quand même mais le stérilet en cuivre, ça
comporte aussi ses risques, ça ne protège pas des infections hautes, voire même
ça les favorise, hein parce que bon un champignon là ça va mais dès qu’il y a
une bactérie, qui en temps normal resterait au niveau du vagin, et bin avec le
stérilet, hop ça remonte, et ça va dans l’utérus, et moi je vois plein de
jeunes filles qui font des salpingites sur stérilet ! Alors je préfère
prévenir deux fois qu’une hein, il faut rester bien attentif à vos symptômes
—Oui, je suis bien attentive
—Non mais je préfère mettre en garde hein,
parce que j’en ai vu tellement hein, qui pensent « j’ai un stérilet donc
il peut rien m’arriver », le stérilet ne protège pas non plus des
grossesses extra-utérines !
—Ah oui ma mère a eu une grossesse sous
stérilet et elle a fait une fausse couche à 5 mois de grossesse du coup
—Non mais là vous parlez d’une grosse INTRA
utérine, ça c’est PAS GRAVE moi je vous parle d’une grossesse EXTRA utérine
c’est pas du tout pareil parce que dans le cas d’une grossesse EXTRA utérine,
hein dans la trompe et bin la trompe après elle explose et on peut mourir d’une
hémorragie interne.
—….
Pendant ce temps elle m’introduit divers
cotons-tige dans le vagin, toujours sans m’expliquer, je sens une sensation
très désagréable et douloureuse au niveau du col de l’utérus, j’en déduis
moi-même qu’elle fait un frottis, mais quand même c’est long.
—Donc il faut bien faire attention
—Heu oui mais vous savez moi je suis très
attentive voire trop attentive, j’ai des tendances hypocondriaques alors peut
être c’est pas la peine de me dire tout ça
—Ah mais moi c’est comme ça que je fonctionne,
c’est peut être pas la façon de faire de tout le monde mais c’est la mienne
Elle me retire enfin le speculum et prend un
espèce de gros godemichet relié à une machine, sur laquelle elle déroule un
préservatif. Encore une fois, aucune annonce de ce qu’elle s’apprête à faire,
aucune explication. Je suppose que c’est pas pour se gratter l’oreille mais
j’aimerais quand même qu’on me previenne avant de m’enfoncer des objets dans le
vagin enfin au moins qu’on m’explique pourquoi c’est nécessaire.
Elle enfonce son godemichet et regarde son
écran, en faisant des grands mouvements de droite à gauche, ignorant mes
grimaces
—Bon le stérilet il est bien
posé, pour l’instant tout va bien… Bon comme je le disais, des ovaires
dystrophiques…
—Heu c’est quoi des ovaires
dystrophiques ?
—Ah, on vous a pas expliqué !
Comment veux tu qu’on m’ait expliqué puisque
tu viens de m’en faire le diagnostic il y a 5 minutes
—Non, on ne m’a pas expliqué
—Et bien vous devez avoir des souvenirs, même
s’ils remontent un peu loin, que l’ovulation est provoquée par un certain
nombre d’hormones et de messages qui sont envoyées par l’hypophyse lui-même
controlé par l’hypothalamus enfin bref c’est compliqué mais il y a plein de
messages, d’influx nerveux qui commandent les ovaires et l’ovulation et il
semblerait que pour un certain nombre de femmes, dont vous faites manifestement
partie, il y a un problème au niveau de la commande et donc ça fait gonfler les
ovaires et il y a plein de follicules..
—Donc mes ovaires sont trop gros ?
—Oui, un peu, mais c’est pas tant la grosseur
que le fait qu’il y a plein de follicules mais sans qu’aucun domine pour faire
une ovulation.
—Donc j’ovule pas
—Non, enfin peut être une ou deux fois par an
c’est possible
Je me
retiens de pleurer parce que plein de questions se bousculent mais je n’ose pas
les poser et que ça me fait super peur ce truc d’ovaires dystrophiques mais
qu’elle me dit pas si c’est grave, si c’est réversible, si il y a des
traitements, si ça veut dire que j’aurai difficilement des enfants parce que
bon j’ai 29 ans et je commence à y penser mais bon mon compagnon n’est pas prêt
alors on va attendre mais….)
—Attendez je vais vous palper les seins (je fais mine d’enlever mes jambes des
étriers) NON je vous ai dit attendez je vais vous palper les seins
—Ah donc je dois rester comme ça, les jambes
écartées ?
—J’en ai pas pour longtemps.
—….
—C’est qu’en fait si vous baissez les jambes
vous perdez la position allongée. Ok..
—Vous pouvez vous rhabiller
Je me sens étourdie
—Donc en fait, vous m’avez
ramené un certain nombre d’inquiétudes, concernant les infections à répétition,
bon est ce que vous avez fait des prélèvements vaginaux ?
—Oui
—Mais quand vous avez été embêtée, par exemple
là vous avez eu une mycose, pas le prélèvement d’il y a un an
—Oui. Mais heu pour en revenir à cette
histoire d’ovaires dystrophiques, heu..
—Bon déjà ce qui est bien c’est de faire un
contrôle, donc refaire une prise de sang car les bilans hormonaux, c’est pas
toujours fiable donc on va en refaire un
—Oui mais du coup…
—Et en fait ça va pas vous faire plaisir mais
le meilleur traitement c’est de prendre la pilule
—Ah.
—Bin oui c’est comme ça
—Mais si le traitement c’est la pilule, si je
veux avoir des enfants comment je fais
—Bin il faut vous dépêcher ( !!) parce qu’il faut pas laisser
s’installer la dystrophie des ovaires parce que si vous prenez pas la pilule ça
va s’aggraver et dans quelques années ça va être difficile d’obtenir une
ovulation
Ne pas pleurer
—Donc sur l’ordonnance donc
un prélèvement vaginal (ah bon mais
pourquoi je dois refaire un prélèvement vaginal j’ai dit que j’en avais déjà
fait donc vous le faites en dehors d’un rapport sexuel hein donc pas de
rapport la veille
—D’accord..
—Hein vous téléphonez vous prenez rdv et donc
vous vous dites bin j’ai rdv demain donc ce soir bin pas de rapport ! j’avais compris la première fois merci
—Et pour le frottis ça met un peu de temps
pour les résultats vous inquiétez pas (je
me serais pas inquiétée vu que tu m’avais pas dit que tu m’avais fait un
frottis..).
—Ok..
—Et donc quand j’aurai les résultats, si
besoin je vous appelle, et s’il faut se voir quelques minutes, je trouverai
bien un petit moment. Quelques minutes
—Ca fait 75 euros avec l’échographie. Donc c’était bien une échographie.
Je repars avec la tête qui tourne, l’impression de flotter au dessus de
mon corps. Je reprends mon vélo et je me perds, je me retrouve totalement à
l’opposé, dans la commune au nord de la ville alors que je dois aller au sud.
Quand je rentre je me
sens très mal et j’ai très envie de pleurer. Je vois juste un godemichet
flotter devant moi et dire « il faut se dépêcher » en imaginant mes
ovaires gonfler et éclater sans compter les fantasmes sur ce qui se passe dans
mon hypophyse et mon hypothalamus. Je n’ai rien compris.
Depuis des années, je lis des témoignages de femmes souhaitant avoir un AVAC (accouchement vaginal après césarienne) qui se font traiter de manière horrible par le médecin qu'elles consultent - 'je n'autoriserai pas l'AVAC si.... (un paquet de raisons toutes plus injustifiées les unes que les autres); scénarios catastrophiques présentés en lien avec la possibilité de rupture utérine (dans les faits de 0.3 à 0.7 % de risque); se faire traiter d'irresponsable, d'inconsciente, de vouloir mettre en danger son enfant, bref, plus rien ne m'étonne, même si cela me fait réagir à chaque fois. Dans l'histoire de Maud, c'est plus subtil, mais plusieurs comportements de la gynécologue n'ont pas leur raison d'être
RépondreSupprimerL'attitude dominante de ce médecin-ci est justement, une attitude de domination - donc paternaliste. Le médecin "sait mieux" que la patiente. De ce fait, elle ne l'écoute pas (ce qu'elle dit n'a pas de sens) et ne prend pas sa perception en compte (ce qu'elle ressent est médicalement inutile). Elle ne lui explique rien non plus, puisque lui expliquer nécessite de prendre en compte ce qu'elle dit (pour le préciser, le renforcer ou le rectifier) et ce qu'elle ressent (pour la rassurer et répondre à ses questions). Elle ne justifie rien non plus, signe que son comportement de médecin (standardisé ou intuitif, de toute manière aveugle et sourd à l'autre) s'impose sans discussion. Et il en va de même pour les consultations "simples" (quotidiennes) que pour les situations plus exceptionnelles comme l'accouchement. (Ici, je dis exceptionnelles pour une femme donnée, et non pour les praticiens, qui devraient les considérer avec le même soin que les consultations "courantes").
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