Oliver Sacks, médecin et écrivain né en Angleterre en 1933, a été longtemps professeur de neurologie à la New York University et auteur d’une douzaine de
livres très populaires. Leur thème commun est la perception, par les patients
souffrant de maladies neurologiques, de leur état, et la manière dont ils font
face et surmontent leur handicap. Ses titres les plus connus sont L'éveil et L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Il s’est pris plusieurs fois comme sujet de ses livres,
puisque Sur une jambe par exemple,
raconte comment il a dû lui-même faire face à son absence de perception d’une
de ses jambes. Il a écrit d’innombrables articles et des livres sur la vision
des couleurs, la perception de la musique, les hallucinations, la surdité et
j’en passe.
On the move, son autobiographie, est son treizième livre
Le treizième, et malheureusement le dernier, car en février
dernier, Oliver Sacks a annoncé dans un billet publié par le NYTimes qu’il
était atteint de métastases d’un cancer opéré il y a plusieurs années, et qu’il
n’avait plus que quelques mois à vivre. Ça m’a beaucoup ému, parce que j’ai lu
son premier livre, Migraine, au cours
de mes études de médecine, pendant les années soixante-dix et j’ai suivi sa
carrière depuis. À l’époque, j’étais très intéressé par la migraine, une
maladie qu’on avait souvent tendance à mésestimer et à diagnostiquer n’importe
comment en France : comme les migraines concernaient surtout des femmes,
et qu’elles avaient souvent des signes digestifs, on parlait de « crise de
foie » (si, si, je vous assure) sans se préoccuper des maux de tête
intenses, et des hallucinations dont elles souffraient. C’est un livre qui m’a
éclairé et aidé à comprendre ce que ressentaient les patients – et aussi à
faire le diagnostic de migraine chez des hommes, chez qui ça passait souvent
inaperçu. Enfin, c’était écrit dans une langue très accessible et si ce livre
et les suivants ont remporté un grand succès populaire – car Sacks est un
écrivain populaire – c’est parce qu’il rend compréhensible pour le plus grand
nombre des syndromes considérés comme obscurs pour la plupart des médecins.
Né en Angleterre, il part pour l'Amérique
Comme il le raconte dans On the move, avec beaucoup d’humour, ses parents et plusieurs
membres de sa famille étaient médecins, et lui même s’est destiné à la médecine
très tôt, mais une fois diplômé, quand il a vu qu’il aurait du mal à se faire
un nom parmi tous les docteurs Sacks de Londres. Il s’est dit qu’il aurait plus
de chance ailleurs. Il a quitté la Grande-Bretagne, d’abord pour le Canada,
puis pour travailler en Californie, et enfin New York. Il faisait de la moto
depuis longtemps, et toute la première partie de son autobiographie parle de
ses équipées en solo ou avec des compagnons de route occasionnels à travers
tout le continent américain. Le livre commence d’ailleurs à l’adolescence, il
parle peu de son enfance abordée dans un précédent livre, Oncle Tungstène, et d’emblée il aborde un sujet qu’il avait tu
toute sa vie. Oliver Sacks a vécu seul la plus grande partie de sa vie, car,
dit-il, il était homosexuel mais aussi extrêmement timide et terriblement
romantique. il faut rappeler que dans les années cinquante, en Amérique comme
en Angleterre, les relations homosexuelles étaient passibles de prison et que
la réprobation sociale était féroce. On comprend en le lisant que ce soit un
volet de sa vie sur lequel il soit toujours resté très discret mais On the move parle ouvertement de son éveil à la sexualité et de ses
relations amoureuses, et avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, à l’image
de sa personnalité.
Toute la première partie de On the move nous prépare à comprendre que sa sensibilité et son
intelligence sont tournées vers la compréhension de ce que les autres
ressentent. Il est exposé à la maladie mentale très tôt car son frère le plus
proche, Michael, est schizophrène, et il décrit aussi bien les tourments de son
frère et de ses parents que les sentiments conflictuels qu’il éprouve lui-même
à son égard. Et, ça le prépare à écouter avec attention les patients qu’il va
rencontrer, et à retranscrire leur expérience dans ses livres.
C’est une préoccupation de toujours, car il a souffert toute
sa vie de ce qu’on appelle une prosopagnosie : il ne reconnaît pas les
visages. Et pendant ses années de formation en Californie, en même temps qu’il
soulève des poids à Muscle Beach et fait son apprentissage amoureux, il
expérimente beaucoup de drogues, surtout les amphétamines. Il a d’abord
cherché à faire de la recherche en laboratoire, mais plusieurs de ses patrons
lui conseillent plutôt d’aller se confronter aux patients, ça fera moins de dégâts,
et c’est drôle, parce qu’il y a beaucoup de médecins à qui on devrait
conseiller l’inverse… Mais Sacks, justement, est un très bon clinicien, il est
très attentif, très dévoué, il ira même jusqu’à vivre pendant plusieurs mois
dans l’hôpital neurologique où il commence sa carrière, au point d’être de
garde vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il dit lui-même vouloir devenir une
sorte de neurologue généraliste, tourné vers les patients. Tout ce qui concerne le système nerveux, ses dysfonctionnements, sa stimulation et ses perceptions fautives le fascine, et il cesse d’utiliser des drogues en écrivant son premier livre, Migraine, parce que l’écriture lui procure des plaisirs identiques, sans le mettre en danger.
Le succès vient avec
son deuxième livre, L’éveil.
Il est médecin dans un service de patients neurologiques
chroniques, et près d’une centaine sont plongés dans la torpeur depuis près de
trente ans à la suite d’une épidémie d’encéphalite survenue dans les
années trente. À l’époque, on vient de commencer à tester la l-dopa, le
médicament utilisé pour soigner la maladie de Parkinson, et il a l’idée de
faire la même chose avec ses patients. Et ça donne des résultats spectaculaires
puisque beaucoup se réveillent, se remettent à parler et à bouger, mais les
effets des médicaments sont imprévisibles et pour certains, ne durent pas. Et
ces patients, qui ont été voués au silence pendant des décennies, lui demandent
de raconter leur histoire et ce sera L’éveil.
Il aura beaucoup de mal à le publier, il devra d’ailleurs retourner en
Angleterre pour ça, car la communauté médicale est très hostile à ce qu’il
transcrive les expériences de patients de cette manière. Ils collaboreront avec
lui à un documentaire pour la BBC, et son livre sera adapté au cinéma avec Robin Williams et Robert De Niro, tous deux remarquables.
Le film soulève de nombreuses questions éthiques, sur l'expérimentation empirique (le médecin administre à des patients léthargiques un médicament qui n'a jamais été utilisé dans cette situation) et sur ses conséquences. Mais aussi sur la manière dont on abandonne les patients à leur sort, lorsqu'on ne sait pas quoi faire pour les soigner.
Le film soulève de nombreuses questions éthiques, sur l'expérimentation empirique (le médecin administre à des patients léthargiques un médicament qui n'a jamais été utilisé dans cette situation) et sur ses conséquences. Mais aussi sur la manière dont on abandonne les patients à leur sort, lorsqu'on ne sait pas quoi faire pour les soigner.
Je n’ai pas le temps de vous raconter toute la vie d'Oliver Sacks, et je
le ferai moins bien que lui, mais je vous recommande vivement son autobiographie, c’est un beau
récit, très émouvant, souvent très drôle, truffé de textes de jeunesse
passionnants. C’est aussi un livre lui même on
the move : il prend beaucoup de libertés avec la narration en
retournant en arrière ou en anticipant sur la narration. Pour le moment il
n’est disponible qu’en anglais, mais je suis sûr qu’il sera traduit bientôt –
et j’adorerais le traduire, car comme vous l’aurez senti, je me sens très
proche d’Oliver Sacks, qui a consacré une grande partie de sa vie à faire
entendre la voix des patients tout en montrant, c’est clair dans cette
autobiographie, qu’il ne s’est jamais senti différent de ceux qu’il a
soignés, comme en témoigne un autre texte autobiographique, Sur une jambe.
MWZ
Une version audio de cette chronique figure sur le site des Eclaireurs, l'émission du samedi sur Radio-Canada :
Le texte dans lequel, au début de l'année 2014, Oliver Sacks annonçait qu'il était en phase terminale de son cancer est sur le site du New York Times.
MWZ
Une version audio de cette chronique figure sur le site des Eclaireurs, l'émission du samedi sur Radio-Canada :
Le texte dans lequel, au début de l'année 2014, Oliver Sacks annonçait qu'il était en phase terminale de son cancer est sur le site du New York Times.
Merci Martin de nous faire saliver avec un livre illisible par beaucoup d'entre nous ! :-) Mais c'est bien d'inciter à le faire traduire.
RépondreSupprimerParmi les livres passionnants d'Oliver Sacks j'ai une préférence personnelle pour celui qui a été traduit et publié en France sous le titre "Musicophilia - La Musique le cerveau et nous". Je l'ai trouvé excitant autant que fascinant ! Et donc je le recommande à tout le monde !
Enfin une question : dites-nous Martin, quand vous avez commencé à écrire Les Cahiers Marcoeur, vous avez choisi le nom d'Abel, Bruno, Charlie, Daniel, Emmanuel et Frédéric Sachs/Sacks/etc. en hommage au Dr Oliver Sachs ?
(Et oui, Alexis Z. est toujours aussi curieux :-) )