jeudi 18 décembre 2014

Réflexions sur le monopole pharmaceutique - par Ondine

Présentation de l'auteure :

"Je m'appelle Ondine, je suis étudiante en 6ème année de pharmacie dans la fillière officine. J'arrive au terme de mes études et me pose des questions sur mon avenir dans la profession. En tous les cas je n'en suis pas moins une patiente qui vit dans le même système de santé que tout le monde, et je me sens concernée par les nombreux problèmes qui existent dans le corps médical, en particulier dans la relation patient/soignant."

*



Aujourd’hui j’ai envie de parler du monopole pharmaceutique. Ceux qui me suivent sur twitter (@Ondeejeune) le savent, je me sens un peu border line par rapport à la pharma, je suis en 6ème année et j’achève mes études non sans amertume car je ne me retrouve dans aucun des projets professionnels qui me sont destinés.
Quand j’ai commencé ma formation en 2007, on entendait parler du méchant M. Leclerc qui voulait vendre des médicaments sans ordonnances dans ses supermarchés (les médicaments conseils, ou OTC = Over the counter). M. Leclerc me faisait rien d’autre que sortir des campagnes de pub à la télé ou on voyait Madame D s’occuper de ses finances et regrettant ne pouvoir acheter des médicaments dans sa grande surface préférée.

https://www.youtube.com/watch?v=Cu5U-LTBY-8
(c’est vrai qu’elle est tête à claque cette pub)

Je n’ai jamais vraiment senti Leclerc comme une menace pour les pharmaciens à cette époque, car un spot de pub ne vaut pas grand-chose face au lobbying pharmaceutique et au syndicat des pharmaciens qui défendent bec et ongles leur monopole. Cela dit, à la fac, on voyait déjà fleurir des affiches dans les couloirs qui disaient « Non Monsieur Leclerc, les médicaments ne sont pas du PQ ». On avait tendance à vouloir nous faire croire que vente d’OTC chez Leclerc = Danger pour les patients, mais nous verrons que c’est loin d’être aussi caricatural. Nous avions aussi eu droit à une visite des carabins de la rue de l’école de médecine, tout enfaluchés, qui venaient se moquer de nous, les « épiciers ».
Les profs quand à eux, nous servaient un discours sensé nous brosser dans le sens du poil et nous motiver. En deuxième année, après avoir eu le concours, la doyenne a fait un discours à base de « Bravo, vous êtes l’élite de la nation. », d’autres profs commençaient leurs cours en parlant de la pharmacie comme étant « l’exercice d’un art ».
En cours de commentaires d’ordo, on a souvent entendu les profs dire « Vous avez le devoir de donner des conseils aux patients, c’est ce qui vous différencie du rayonniste de Franprix. »

J’écoutais tout ça sans trop savoir quoi en penser. D’un côté le discours ultra lubrifiant des profs, d’autre part quand je parlais à des gens en dehors du monde de la pharmacie, la conversation se déroulait souvent de la même manière « Tu fais pharma ? C’est en combien de temps ? SIX ANS ? Mais c’est énorme pour vendre des boîtes ! ». J’ai entendu cette phrase un nombre immesurable de fois, et au début ça me vexait. Je répondais souvent « Ben ouais les études sont longues mais faut bien justifier notre monopole. » Je croyais à l’époque en ces valeurs méritocrates qui sont l’une des bases les plus importantes du monopole.

Le Monopole Pharmaceutique et le Mérite:

Reprenons concrètement, déjà, il faut définir le terme de « monopole pharmaceutique », afin qu’on sache de quoi on parle.
« Le monopole est le privilège qui accorde à une entreprise ou un individu l'exclusivité pour fabriquer ou vendre un produit ou pour exploiter certains services.
Le monopole pharmaceutique garantit l'exclusivité des activités et des marchandises que peut vendre le pharmacien. »

Qu’est ce qui justifie à l’heure actuelle notre monopole ?

En cours de droit on a vu en 5ème année qu’il était justifié par :
- Un monopole de formation. Seules les facultés de pharmacie délivrent des diplômes d’état de docteur en pharmacie garantissant la connaissance et le savoir faire des praticiens par rapport aux traitements (voies d’administrations, posologies, indications, interactions médicamenteuses etc)
- Engagement à risque personnel de sa responsabilité. Le pharmacien est le dernier rempart permettant de repérer une éventuelle erreur de prescription d’un médecin, et d’assurer la sécurité du malade, y compris après que le traitement ai commencé. En cas de problème grave, le pharmacien est responsable d’un point de vue pénal.
- Les médicaments ne sont pas des produits de consommation anodins. Ils ont une certaine toxicité et nécessitent un conditionnement particulier, ainsi que des conseils lors de leur dispensation.
- Qualité du conseil pharmaceutique. Permettant au patient de suivre son traitement dans les meilleures conditions.
Ce sont des justifications très nobles. Néanmoins on verra qu’il n’est pas impossible d’ouvrir le monopole sans violer ces principes.

J’ai envie avant ça de revenir un instant sur le mérite de notre monopole. Parce que 6 ans d’études. OK mais pourquoi 6 ans ? Lors de ma première année, avant de passer le concours, nous avons fait beaucoup de sciences fondamentales. Des maths à un niveau assez avancé, de la chimie organique, de la chimie physique et quantique. Nous avons appris par cœur la systématique végétale et animale, et mycologique, ce qui me donnait l’impression d’apprendre l’annuaire, on a fait de la génétique, de l’anatomie. Et même si étudier tout ça était intéressant et nous donnait des outils pour aborder la suite de nos études (de la même façon que pour apprendre la musique, il faut commencer par le solfège), je ne peux m’empêcher de me dire qu’apprendre à placer des électrons dans des orbitales atomiques, et apprendre par cœur le tableau de classification périodique des éléments de Mendeleïev ne m’a servit à rien pour la suite de mon apprentissage. Le but de la première année de fac est de sélectionner les étudiants.

Malheureusement on ne sélectionne pas les étudiants les plus empathiques ou passionnés par la pharmacie. On sélectionne les enfants issus des milieux les plus favorisés. L’élite de la nation n’est malheureusement pas composée de beaucoup de pécores et autres fils d’ouvriers. Pour réussir ce concours, sans être passé par un bac S, sans être inscrit à une prépa privée qui nous fait travailler dans un cadre rassurant, et sans habiter près de la fac (cad habiter dans Paris ou en proche banlieue, ce qui n’est pas donné à tout le monde), c’est quasiment mission impossible. Certains y arrivent, mais force est de constater que les futurs pharmaciens sont souvent fils et filles de médecins ou de pharmaciens. Je me demande si j’ai du mérite à avoir passé le concours, alors que mon privilège d’avoir des parents riches m’a permis d’avoir une prépa à plusieurs milliers d’euros l’année, et un studio à 30min de la fac (du temps de gagner pour réviser par rapport à ceux qui faisaient 2h de transports par jour).

Même une fois avoir passé le concours, il faut tenir encore 5 ans, et c’est loin d’être gagné et donné à tout le monde d’arriver au bout sans aide des parents. J’ai redoublé 2 fois personnellement, ce qui est le cas de beaucoup de mes confrères et consoeures. J’ai 25 ans et sans des parents pour m’aider j’aurais du arrêter mes études depuis longtemps. A 25 ans beaucoup ont une vie, un appartement à payer, des impôts et parfois un enfant à charge. Comment concilier tout ça avec des études aussi prenantes que pharma ? C’est impossible, on met notre vie entre parenthèses en attendant.

On comprend mieux qu’après avoir dépensé tant de thunes, les pharmaciens voient d’un mauvais œil que le « rayonniste de franprix » qui n’a même pas son bac puisse avoir le droit de vendre de l’aspirine.
Le monopole est un privilège de classe que nous cherchons à défendre. J’en ai assez de voir les pharmaciens tenir le discours de la sécurité des patients quand il s’agit surtout de ça. Quand on demande aux pharmaciens d’ouvrir leur monopole, on leur demande d’abandonner une partie de leur privilège, et ça pique.

Il y a quelques semaines, on a eu le Salon de L’Officine à la fac, et j’ai assisté à une table ronde sur le débat du monopole. Autour de la table il y avait quatre pharmaciens (une pharmacienne en industrie, une pharmacienne qui exerce en province, deux pharmaciens parisiens, dont un qui est prof à la fac), et un représentant d’une association de consommateur, qui malgré son bagout était bien seul pour défendre ses arguments. J’ai regretté qu’il n’y ai eu aucune personne autour de la table qui soit simplement un patient ou une patiente lambda. Ils sont après tout les premiers concernés puisqu’il s’agit de leur santé, et ne même pas leur donner la parole me donne le goût amer que j’ai souvent quand je vois des professionnels de santés mépriser leur opinion et leur ressenti. (on l’a bien vu avec les réactions des professionnels qu’a suscité le hashtag #PayeTonUtérus : mépris, condescendance, déni du problème. Les patients sont infantilisés et c’est aux grandes personnes, les personnes en blouse blanche, de régler le problème entre elles.)

On a vu ce qui pousse les pharmaciens à défendre leur monopole. Mais en plus d’être professionnelle de santé, je suis aussi une patiente parfois, et une consommatrice souvent. De plus, mes parents en ayant marre de me soutenir financièrement, je galère de plus en plus avec mon pèze, et j’ai des intérêts à voir les médicaments en vente moins chers.

J’ai demandé sur les réseaux sociaux ce que les gens qui me suivaient pensaient du fait d’acheter des médicaments OTC dans une grande surface. Voici quelques réponses :

« Ce qui me fait peur c'est que les gens consomment trop et surtout mal des médicaments. Prendre un médicament n'est pas quelque chose d'anodin, on a un passif tout ça, du coup, j'ai peur que ça devienne un réflexe de consommation. "J'achète mes pâtes et mes suppositoires". »

« Ca peut être pratique. Et tant qu'il y a un·e pharmacien·ne pour conseiller c'est bon. Niveau horaires par ex les grandes surfaces sont plus pratiques que les pharmacies. »

« Quand j'étais en Angleterre c'était franchement confortable parce que moins de jugement qu'en pharmacie et c'était aussi moins cher - ,50£ pour une boîte de paracétamol »

« Ah et j'ajoute que depuis deux ans j'achète les médocs de base (ibu, paracétamol, strepsils,...) dans une immense pharmacie-parapharmacie où ils sont en accès libre, et j'adore ne plus devoir demander! Perso, ça me soule +++ de devoir subir un interrogatoire (vous êtes enceinte? vous savez comment le prendre?) chaque fois que je vais acheter de l'ibuprofène »

« Oui. Juste pour ne pas sentir le regard-screening quand tu demandes 2 tests de grossesse. »

« Au Canada c'est normal, et ya toujours un point pharmacie dans le Shop, du coup si besoin ya des pro dispo pour des conseils. »

« Oui, ça me plairait beaucoup pour des raisons égoïstes. J'achète tous les médicaments et produits sans ordonnance en pharmacie Lafayette pas chère, et même si elle n'est pas trop loin de chez moi je suis obligée de sortir spécifiquement à cet endroit. Comme mon supermarché est superpascher, ça me permettrait de faire tout en une sortie. Pareil pour les timbres. »

« Je suis pour pouvoir acheter n'importe quelle molécule dans n'importe quelle circonstance.»

« J’ai presque jamais eu de conseils en pharmacie… »

« On peut trouver 50 crèmes antirides en pharmacie, mais j’ai souvent besoin de faire commander un médicament qui m’est prescrit. »

On voit que les préoccupations premières des patients/consommateurs, en plus de l’aspect économique, est l’aspect pratique.

Un débat polarisé et non objectif

On défend notre monopole avec force, de peur de devoir partager le gâteau avec d’autres, mais on refuse d’être taxés d’épiciers, on met en avant la qualité de notre conseil pharmaceutique, mais les pharmaciens le savent bien, lorsque les patients arrivent par vagues, et aux heures de pointes, ou un jour de marché, et qu’on fait 30 ventes à l’heure, a-t-on vraiment le temps de conseiller chaque patient pour la moindre boite de paracétamol ? Lorsqu’un étudiant en pharmacie, ou un préparateur est au comptoir, garantit-il la sécurité de la personne en face de lui ? Et quand la pharmacie ne dispose pas d’espace de confidentialité approprié, comment s’assurer que le patient soit dans de bonnes dispositions pour répondre à des questions touchant parfois à l’intime ?

Et que se passerait-il si Leclerc avait le droit de vendre des médicaments ? 

Pourrait-on passer à la caisse avec nos pâtes et nos médicaments OTC ? Bien sur que non. Il existe déjà des espaces de parapharmacies dans des supermarchés, et ils sont séparés du reste, avec un pharmacien à la caisse. Un pharmacien diplômé qui sort des mêmes facs que les autres. Avec le même diplôme et les mêmes qualifications, et la même éthique professionnelle.
Lors de la table ronde, un des pharmaciens officinaux a dit « Mais les pharmaciens Leclerc seront écrasés par l’obligation de performance et de faire du chiffre. »

N’est ce pas déjà le cas chez les pharmacies franchisées que l’on voit fleurir partout dans nos villes depuis ces 10 dernières années ? Quand j’ai commencé mes études il y en avait très peu, mais aujourd’hui j’en vois partout. Et ils ont les mêmes attentes au niveau du chiffre que Leclerc aurait avec ses pharmaciens.

Ce qui me gonfle avec ce débat, c’est qu’on entend des arguments tantôts incohérents, tantôts carrément malhonnêtes, c’est une discussion polarisée et non objective qui se base juste sur des conflits d’intérêts financiers au lieu de se soucier de la santé des patients. La question qu’il faut se poser est : La pharmacie est elle un centre de service ou de profit ?

D’un point de vue éthique professionnelle, je pense qu’on a énormément à gagner au fait d’ouvrir le monopole pour les médicaments OTC.

Premièrement si des patients décident d’aller acheter leurs médicaments sans ordonnance dans une grande surface, ça fait possiblement moins de queue dans les officines, et la possibilité d’accueillir les patients d’une meilleure façon. Cela dit ce n’est pas parce qu’un médicament n’est pas prescrit qu’il ne rentre pas dans une logique de soin, et les patients sont conscients de ça. En Italie, ou le marché est ouvert aux grandes surfaces, 80% des médicaments OTC sont vendus en officine. Les gens sont avides du conseil pharmaceutique et ne consomment pas les médicaments comme des bonbons. Ils achètent ces produits pour se soigner. Et pour les personnes les plus modestes, acheter un tube de Bépanthène à 4 euros dans une grande surface, contre 8 euros dans une pharmacie est une très bonne nouvelle.

Deuxièmement la pharmacie est plus qu’un commerce, car les pharmaciens ont une relation particulière avec leurs clients. Il les suivent parfois depuis des années. C’est plus vrai en province que dans les pharmacies parisiennes, mais c’est un aspect important à ne pas oublier, et si le pharmacien tient à ça, il faut savoir que le patient aussi. En travaillant dans des pharmacies parisiennes j’ai souvent entendu de la part de mes chefs « Le client de pharmacie n’est pas fidèle. » et en effet c’est assez vrai, moi-même je ne vais jamais dans la même pharmacie pour acheter mes médicaments, qu’ils soient sur ordonnance ou non. Cela dit ce modèle métropolitain ne doit pas masquer la réalité de ce que sont les pharmacies de provinces, qui bénéficient d’une autre qualité.
Une étudiante et fille de pharmacien qui vivait à Caen me racontait que la relation entre la pharmacie et les gens était très différente hors de Paris. Je ne pense pas que Leclerc puisse changer quoi que ce soit à cette situation.

Vers des nouvelles missions du pharmacien :

Je suis assez contente de voir que pendant mes dernières années d’études plutôt que de continuer à entendre les étudiants et les pharmaciens râler contre Leclerc, j’ai assisté à une remise en question du rôle du Pharmacien et de la Pharmacienne en tant que professionnels de santé.
Notamment avec les projets d’éducation thérapeutique du patient qui visent à rendre le patient acteur de sa santé et non pas consommateur passif de médicaments/consultations médicales.

Il n’est pas improbable que notre système de rémunération se fasse à l’avenir avec des honoraires qui permettraient de sécuriser 80% de nos revenus. Nous allons être attendus sur les services que nous pourrons donner aux gens. Et il n’est pas question de laisser tomber les personnes qui décident d’acheter leurs médicaments ailleurs que dans nos officines. Ce n’est pas parce qu’un patient as du mal à répondre à des questions au comptoir et préfère gagner du temps et de l’argent qu’il faut le mépriser et lui refuser tout conseil.

Lors de mes révisions de partielles, pour m’exercer au conseil de médication officinale, j’ai ouvert un compte Ask (ask.fm/ondeejeuneph) où je proposais les gens à me poser des questions de façon anonyme et gratuite par rapport à leurs traitements, à leur santé. Ca a été très bien reçu, et je suis sure que si les pharmacies offraient des services de ce genre, ça contribuerait à améliorer l’image des pharmaciens et donnerait une valeur ajouté à ce métier.

Je ne sais toujours pas comment je vois mon avenir dans ce milieu, en tout cas je ne suis pas inquiète pour la profession. Je ne pense pas que l’ouverture du monopole soit une menace pour la pharmacie, je pense que c’est surtout la compétitivité capitaliste. Tant qu’on cherchera le profit avant tout avant de se préoccuper de l’accueil des patients, on restera dans une impasse. Que Leclerc entre dans la partie ou pas.


YOLO on verra bien.

Ondine 
@Ondeejeune 

(NB : Ce texte est également en ligne sur le blog personnel d'Ondine : http://ondeejeune.wordpress.com/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont modérés. Tous les commentaires constructifs seront publiés. Les commentaires franchement hostiles ou désagréables ne le seront pas.