mardi 16 juin 2015

Une consultation gynécologique éprouvante

Soigner, c'est d'abord prendre en compte la perception de celles et ceux qu'on soigne.

Maud m'a envoyé ce témoignage, "à chaud" d'une consultation qu'elle venait de vivre. Il n'est pas fréquent que ce type d'expérience soit noté sur le champ. L'intensité de ce qu'elle a ressenti n'en est que plus frappante. Car soigner ça ne consiste pas seulement à faire des gestes stéréotypés sans les expliquer ni les justifier, à imposer sa manière de voir, à être inquisiteur, à porter des jugements de valeur. Soigner ça consiste à appréhender ce que le patient dit avec ses mots, selon ses propres termes et à adapter son savoir et son savoir-faire à chaque personne. Soigner, cela consiste toujours à s'interroger sur ses actes à travers perception que chaque personne peut avoir de ce qu'on lui fait, de ce qu'on lui dit. Un.e patient.e qui subit ses symptômes (ou ses craintes) ne devrait jamais avoir à subir, en plus, la maltraitance des soignants.

Je publie ce texte aujourd'hui à titre d'exemple de toute une ribambelle de comportements maltraitants. Vous les identifierez sans peine si vous vous mettez à la place de Maud. Tous les commentaires (de professionnels ou de patient.e.s) sont les bienvenus et seront publiés après validation.

M.W.

*****

Aujourd’hui je vais chez une gynécologue, c’est mon premier rendez-vous avec elle. C’est un médecin qui me suit qui me l’a conseillée alors je suis plutôt confiante. Je ne souhaite plus retourner chez mon ancien gynécologue depuis qu’il m’a dit que mes infections urinaires à répétition n’étaient pas des « vraies infections » et que le germe n’était pas un « vrai germe » ce qui a failli me valoir une pyélonéphrite (Note de MW : Infection rénale). J’ai appelé en janvier et n’ai eu rendez-vous que fin mai. Une gynéco à ce point overbookée elle doit être bien !

La salle d’attente est tellement bondée que tout le monde n’a pas une place assise. Elle a du retard, mais c’est surtout la dermatologue avec qui elle partage le cabinet qui est très en retard. Après 35 minutes d’attente c’est mon tour.

« Bonjour, allez-y je vous en prie » Au premier abord, elle parait chaleureuse, un bon point
  Installez-vous, et dites moi ce qui vous amène .
 —Je vais essayer de vous raconter, je ne sais pas vraiment comment faire 
 — Allez-y. 
 — Il y a un peu plus d’un an quand j’ai rencontré mon compagnon, très vite après le début de nos rapports, j’ai commencé à avoir des infections urinaires à répétition. Et aussi des mycoses, mais bon des fois c’était que urinaire. 
 — Des fois l’un, des fois l’autre, des fois les deux
 — Oui, c’est ça, donc ça c’était en mars et puis j’ai donc essayé tout un tas de choses, ça me rendait folle, j’ai fait 7 ou 8 infections, et en septembre j’ai décidé d’arrêter la pilule, parce que je sais que les hormones ça peut modifier un peu le terrain et je voulais tout remettre à plat dans mon corps, et du coup on a recommencé à mettre des préservatifs et alors je n’avais plus de problèmes. Je suis vraiment contente d’avoir arrêté la pilule.  Mais au bout d’un moment bin les préservatifs c’était compliqué sur le long terme et donc il me fallait une contraception. En fait au départ je voulais vous voir pour ça, mais comme je n’ai eu rdv qu’en mai, il valait mieux que je fasse quelque chose avant car ça devenait risqué, alors mon médecin traitant m’a mis un dispositif intra utérin, en cuivre, sans hormones.
 — C’est quoi comme stérilet ? 
 — Heuu short quelque chose 
 — Vous n’avez pas la carte qu’on vous donne avec ? A quelle date vous l’avez mis ? 
 — Heu non je n’ai pas la carte 
 — Donc short quelque chose……. 
 — Donc je l’ai mis le 23 mars ah oui mais aussi ce que je voulais vous dire c’est que depuis septembre où j’ai arrêté la pilule bin je n’ai plus mes règles enfin je ne les ai eu qu’une seule fois, en janvier. Et puis après pour mettre le stérilet le médecin m’a dit qu’il fallait le poser pendant les règles alors on a provoqué les règles parce qu’elles n’arrivaient toujours pas en mars, j’ai pris du duphaston et puis ça les a fait venir. Et puis après ça comme ça n’arrivait toujours pas tout seul elle m’a proposé de faire un bilan hormonal et puis il fallait encore faire la prise de sang pendant les règles alors on a reprovoqué les règles avec du duphaston et puis j’ai pu faire le bilan hormonal là très recemment, voilà les résultats
 — Ah très bien montrez moi. Alors… oui… effectivement… l’alpha hydroxy progesterone est trop élevée.. boh toute façon vous avez une dystrophie des ovaires vous… Pas de regard, pas d’explication enfin il faudra voir ça sous échographie
 — Ah mais heu j’ai fait des echographies l’été dernier justement parce qu’à force d’avoir des infections urinaires et bin j’avais tout le temps mal dans le bas du ventre, la douleur partait plus alors j’ai fait plusieurs echo et même une IRM, tout était normal, rien, pas d’anomalie, pas d’endométriose. J’ai justement le compte-rendu d’une échographie pelvienne tenez.
 —Oui enfin normal, normal… Y a pas les dimensions ... Vous n’avez pas les clichés ?
 — Non je les ai pas pris.
 —Vous aviez beaucoup d’acné adolescente ?
 —Non. 
 —Pas de boutons d’acné ? parce que là vous en avez un peu sur le visage
 —Bin justement depuis que j’ai arrêté la pilule j’ai de l’acné qui est apparu dans le dos surtout alors qu’avant j’en avais pas
 —Et quand vous étiez adolescente vous aviez des cycles réguliers ?
 —Heu bin en fait je sais pas trop parce que j’ai pris la pilule tout de suite
 —Vous avez eu vos règles à quel âge ?
 —Quatorze ans et demi
 —Et vous avez pris la pilule à quel âge ?
 —Quatorze ans et demi
 —Vous en aviez besoin en terme de contraception ou vous l’avez prise parce que vous aviez de l’acné ? Je vois pas pourquoi tu me demandes ça alors que je t’ai dit que j’avais pas d’acné
 —J’en avais besoin en terme de contraception Voilà maintenant tu sais à quel âge j’ai eu mes premiers rapports. 
 —Ah et aussi j’oubliais de vous dire mais depuis donc que j’ai mis le stérilet et que donc on a arreté les préservatifs j’ai eu très rapidement une grosse mycose, très douloureuse. Donc je me pose un peu la question par rapport à mon partenaire aussi, est ce que c’est possible d’avoir des « flores incompatibles » ?
 —C’est possible qu’il soit porteur de quelque chose si ça revient, est ce qu’il lui arrive d’avoir des petits boutons, des rougeurs, la peau qui pèle ?
 —Il avait consulté mais on lui avait dit qu’il avait rien à faire de son côté
 —Est-ce qu’il a déjà eu des boutons des choses comme ça
 —Bin il a déjà eu des petits boutons mais on lui a dit que c’était pas pathologique que c’était juste un excès de sé..
 —Vous fumez ? Heu elle vient de me couper la parole pour me poser une question qui n’a rien à voir, j’en reste bouche-bée. Je vous écoute hein, mais j’avance dans mon interrogatoire. Mince mes réponses sont trop longues peut être ? Il y a plein de patients dans la salle d’attente il faut que je me dépêche..
 —Heu non.
 —Venez je vais vous examiner

 On se dirige dans la salle à côté, il y a une table courte avec les fameux étriers, et un petit coin caché d’un rideau pour se deshabiller. « Vous enlevez le bas »
Je m’installe sur la chaise, les jambes dans les étriers. Elle sort un speculum, et sans une parole sur ce qu’elle va faire, elle me l’introduit en disant

 Bon, j’arrive dans la course après donc je vous le dis quand même mais le stérilet en cuivre, ça comporte aussi ses risques, ça ne protège pas des infections hautes, voire même ça les favorise, hein parce que bon un champignon là ça va mais dès qu’il y a une bactérie, qui en temps normal resterait au niveau du vagin, et bin avec le stérilet, hop ça remonte, et ça va dans l’utérus, et moi je vois plein de jeunes filles qui font des salpingites sur stérilet ! Alors je préfère prévenir deux fois qu’une hein, il faut rester bien attentif à vos symptômes
 —Oui, je suis bien attentive
 —Non mais je préfère mettre en garde hein, parce que j’en ai vu tellement hein, qui pensent « j’ai un stérilet donc il peut rien m’arriver », le stérilet ne protège pas non plus des grossesses extra-utérines !
 —Ah oui ma mère a eu une grossesse sous stérilet et elle a fait une fausse couche à 5 mois de grossesse du coup
 —Non mais là vous parlez d’une grosse INTRA utérine, ça c’est PAS GRAVE moi je vous parle d’une grossesse EXTRA utérine c’est pas du tout pareil parce que dans le cas d’une grossesse EXTRA utérine, hein dans la trompe et bin la trompe après elle explose et on peut mourir d’une hémorragie interne.
 —….

Pendant ce temps elle m’introduit divers cotons-tige dans le vagin, toujours sans m’expliquer, je sens une sensation très désagréable et douloureuse au niveau du col de l’utérus, j’en déduis moi-même qu’elle fait un frottis, mais quand même c’est long.

 —Donc il faut bien faire attention
 —Heu oui mais vous savez moi je suis très attentive voire trop attentive, j’ai des tendances hypocondriaques alors peut être c’est pas la peine de me dire tout ça
 —Ah mais moi c’est comme ça que je fonctionne, c’est peut être pas la façon de faire de tout le monde mais c’est la mienne

Elle me retire enfin le speculum et prend un espèce de gros godemichet relié à une machine, sur laquelle elle déroule un préservatif. Encore une fois, aucune annonce de ce qu’elle s’apprête à faire, aucune explication. Je suppose que c’est pas pour se gratter l’oreille mais j’aimerais quand même qu’on me previenne avant de m’enfoncer des objets dans le vagin enfin au moins qu’on m’explique pourquoi c’est nécessaire.
 Elle enfonce son godemichet et regarde son écran, en faisant des grands mouvements de droite à gauche, ignorant mes grimaces

 Bon le stérilet il est bien posé, pour l’instant tout va bien… Bon comme je le disais, des ovaires dystrophiques…
 —Heu c’est quoi des ovaires dystrophiques ?
 —Ah, on vous a pas expliqué !

 Comment veux tu qu’on m’ait expliqué puisque tu viens de m’en faire le diagnostic il y a 5 minutes

 Non, on ne m’a pas expliqué
 —Et bien vous devez avoir des souvenirs, même s’ils remontent un peu loin, que l’ovulation est provoquée par un certain nombre d’hormones et de messages qui sont envoyées par l’hypophyse lui-même controlé par l’hypothalamus enfin bref c’est compliqué mais il y a plein de messages, d’influx nerveux qui commandent les ovaires et l’ovulation et il semblerait que pour un certain nombre de femmes, dont vous faites manifestement partie, il y a un problème au niveau de la commande et donc ça fait gonfler les ovaires et il y a plein de follicules..
 —Donc mes ovaires sont trop gros ?
 —Oui, un peu, mais c’est pas tant la grosseur que le fait qu’il y a plein de follicules mais sans qu’aucun domine pour faire une ovulation.
 —Donc j’ovule pas
 —Non, enfin peut être une ou deux fois par an c’est possible

Je me retiens de pleurer parce que plein de questions se bousculent mais je n’ose pas les poser et que ça me fait super peur ce truc d’ovaires dystrophiques mais qu’elle me dit pas si c’est grave, si c’est réversible, si il y a des traitements, si ça veut dire que j’aurai difficilement des enfants parce que bon j’ai 29 ans et je commence à y penser mais bon mon compagnon n’est pas prêt alors on va attendre mais….)

 —Attendez je vais vous palper les seins (je fais mine d’enlever mes jambes des étriers) NON je vous ai dit attendez je vais vous palper les seins
 —Ah donc je dois rester comme ça, les jambes écartées ?
 —J’en ai pas pour longtemps.
 —….
 —C’est qu’en fait si vous baissez les jambes vous perdez la position allongée. Ok..
 —Vous pouvez vous rhabiller

Je me sens étourdie

Donc en fait, vous m’avez ramené un certain nombre d’inquiétudes, concernant les infections à répétition, bon est ce que vous avez fait des prélèvements vaginaux ?
 —Oui
 —Mais quand vous avez été embêtée, par exemple là vous avez eu une mycose, pas le prélèvement d’il y a un an
 —Oui. Mais heu pour en revenir à cette histoire d’ovaires dystrophiques, heu..
 —Bon déjà ce qui est bien c’est de faire un contrôle, donc refaire une prise de sang car les bilans hormonaux, c’est pas toujours fiable donc on va en refaire un
 —Oui mais du coup…
 —Et en fait ça va pas vous faire plaisir mais le meilleur traitement c’est de prendre la pilule
 —Ah.
 —Bin oui c’est comme ça
 —Mais si le traitement c’est la pilule, si je veux avoir des enfants comment je fais
 —Bin il faut vous dépêcher ( !!) parce qu’il faut pas laisser s’installer la dystrophie des ovaires parce que si vous prenez pas la pilule ça va s’aggraver et dans quelques années ça va être difficile d’obtenir une ovulation

Ne pas pleurer

 Donc sur l’ordonnance donc un prélèvement vaginal (ah bon mais pourquoi je dois refaire un prélèvement vaginal j’ai dit que j’en avais déjà fait donc vous le faites en dehors d’un rapport sexuel hein donc pas de rapport la veille
 —D’accord..
 —Hein vous téléphonez vous prenez rdv et donc vous vous dites bin j’ai rdv demain donc ce soir bin pas de rapport ! j’avais compris la première fois merci
 —Et pour le frottis ça met un peu de temps pour les résultats vous inquiétez pas (je me serais pas inquiétée vu que tu m’avais pas dit que tu m’avais fait un frottis..).
 —Ok..
 —Et donc quand j’aurai les résultats, si besoin je vous appelle, et s’il faut se voir quelques minutes, je trouverai bien un petit moment. Quelques minutes
 —Ca fait 75 euros avec l’échographie. Donc c’était bien une échographie.

 Je repars avec la tête qui tourne, l’impression de flotter au dessus de mon corps. Je reprends mon vélo et je me perds, je me retrouve totalement à l’opposé, dans la commune au nord de la ville alors que je dois aller au sud.

Quand je rentre je me sens très mal et j’ai très envie de pleurer. Je vois juste un godemichet flotter devant moi et dire « il faut se dépêcher » en imaginant mes ovaires gonfler et éclater sans compter les fantasmes sur ce qui se passe dans mon hypophyse et mon hypothalamus. Je n’ai rien compris.

 Maud 

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Sur le même thème, dans ce même blog, on pourra lire 
"Pourquoi tant de gynécologues français sont-ils maltraitants ?" 


mardi 26 mai 2015

Est-il "transgressif" de ne pas suivre les conseils des médecins ? Transgressions et responsabilités dans la relation de soin - par Marc Zaffran/Martin Winckler

à Ulysse :-) 

Préambule : 


La médecine occidentale est de plus en plus centrée sur la prévention, la surveillance, la prédiction. Dans la droite ligne du Knock de Jules Romains, pour qui "Tout bien portant est un malade qui s'ignore", les médecins contemporains, répondant bien sûr à une préoccupation générale, mais faisant ainsi le jeu des commerçants, assomment les patients de conseils, de prescriptions, d'ordonnances et de diktats autoritaires, tandis que leur rôle devrait consister à informer, et à ne prescrire que ce dont les patients ont besoin (s'ils choisissent de le recevoir) ou ce qu'ils demandent (si c'est approprié à leur état).  

L'exemple qui suit n'est qu'un exemple. La réflexion qui l'entoure est valable pour toutes les situations mais la femme enceinte est un "patient" très particulier pour les médecins, et sa situation focalise de nombreux travers de la médecine actuelle.


*

Une journaliste en préparation d’un livre me parle de sa récente grossesse. Elle m’explique qu’elle a remarqué que pendant tout le déroulement de celle-ci, elle n’a cessé de recevoir des injonctions contradictoires – de sa famille, de ses amies, des médecins. Elle s’interroge après s’être sentie particulièrement vulnérable au milieu de tous ces discours et, malgré qu’elle soit informée et critique, d’avoir souvent été tentée de se plier aux recommandations des médecins, même lorsque ces conseils ne lui paraissaient ni scientifiquement fondés, ni même de bon sens. Ainsi, à l’interdiction de manger des fromages au lait cru (motivée par le risque de listériose, qui touche… trois cents personnes par an en France, toutes n'étant pas des femmes enceintes) elle me disait : « Connaissant le faible risque, j’ai continué à en manger, en ayant le sentiment de commettre une transgression. » Ce dernier mot m’a fait dresser l’oreille. 

Les transgressions des soignants

La notion de transgression fait depuis longtemps partie de mes réflexions personnelles sur le rôle du médecin. C’est le « mot caché » que dans mon roman La maladie de Sachs, le Dr Bruno Sachs prononce au téléphone (et que son interlocuteur, Diego, n’entend pas) en évoquant le sentiment grandissant qu’il éprouve pour une patiente. Dans mon esprit, la transgression, pour un médecin, c’est le fait de franchir une ligne interdite – maltraiter, manipuler, abuser de la confiance d’un. e patient. e pour le/la séduire ou lui soutirer de l’argent, par exemple. En l’occurrence, même si Bruno n’a rien transgressé au moment où il parle, il y pense (il aimerait revoir cette patiente autrement qu’en consultation) et la crainte de la transgression l’étreint.

Il y a transgression chaque fois qu’un professionnel de santé enfreint les règles écrites – ou implicites – de sa profession. Ces règles couvrent, pour simplifier, deux domaines : les rapports avec les patients et le corps social ; les rapports avec les autres soignants (et, en particulier, ceux de son corps professionnel).
Ce qui m’intéresse ici est avant tout la transgression à l’égard des patients – car c’est le pendant à la transgression dont parle mon interlocutrice, et sur laquelle je reviendrai en deuxième partie de cet article. (La transgression envers les autres professionnels est elle aussi importante à envisager mais elle fera l’objet d’un autre texte.)

Pourquoi y a-t-il des lois et des règles écrites indiquant clairement les obligations des professionnels engagés dans des relations de soin ? Tout simplement parce que la « conscience » des soignants (symbolisée par le serment d’Hippocrate qui, rappelons-le, se faisait originellement en invoquant les dieux de l’Olympe, ce qui le rend un tantinet obsolète aujourd’hui) ne suffit pas à les empêcher d’agir contre l’intérêt des patients. Si le fait d’être médecin suffisait pour avoir un comportement respectueux envers autrui, il n’y aurait pas eu de médecine nazie, d’expérimentations sur les Noirs ou les orphelins aux États-Unis, de stérilisations abusives de malades mentaux et de handicapés en France, et j’en passe.

Les règles écrites et non écrites, juridiques et bioéthiques sont destinées avant tout à protéger les patients. Leur respect est le garant de la confiance dont bénéficient les professionnels. Comment pourrions-nous, en effet, nous faire soigner par de parfaits étrangers si nous ne pensions pas qu’une « autorité » supérieure (autrefois, les dieux ; aujourd’hui, les lois et les principes éthiques) contrôle les actes qu’ils font sur nous ?

Si l’on invite les étudiants et professionnels en formation à étudier soigneusement les principes fondamentaux de la bioéthique en même temps que les lois, c’est parce que la loi ne peut pas tout : elle ne peut porter que sur de grands principes. Une loi, c’est un cadre. Les principes de bioéthique permettent d’appréhender, dans ce cadre, des situations sous l’angle de la clinique (la rencontre individuelle), de la prise en charge collective par une équipe, ou encore de manière plus large, plus sociétale.

Je prends un exemple très simple : dans la plupart des pays développés, la loi stipule qu’aucun geste d’examen ou de soin ne peut être pratiqué sur un patient sans son consentement. Si l’on prenait cette règle à la lettre, des gestes non médicaux qui peuvent tout à fait être « soignants » (ou au moins bienveillants) seraient strictement interdits. Il serait donc impossible de caresser la joue d’un enfant pour le rassurer ou de prendre la main d’une personne qui pleure. La loi n’interdit rien de tel. La réflexion éthique, elle, nous invite à penser qu’une manifestation de sympathie ou d’empathie (prendre la main) est parfaitement éthique, mais que prendre la main de quelqu’un qui a demandé explicitement qu’on ne la touche pas ne l’est pas du tout.

Transgresser, quand il s’agit d’un soignant, c’est enfreindre la loi et les règles écrites, ou bien les principes de l’éthique. Ainsi, la loi n’interdit pas de dire à un patient que s’il n’est pas opéré, il risque de mourir. L’éthique, elle, interdit d’utiliser la menace de mort pour contraindre un patient à accepter une intervention. Et même en l'absence de menace explicite, un ton, une attitude ou des sous-entendus menaçants sont inacceptables. 

On comprend que, quand on est soignant, il y a beaucoup d’occasions de transgresser. Et cela, d’autant plus que le patient est dépendant, vulnérable, fragile et a des difficultés à prendre des décisions ; mais aussi d’autant plus que le soignant dispose d’un ascendant très fort : l’ascendant d’une aide-soignante du service de chirurgie oncologique et celle du patron de ce même service ne sont pas du tout comparables. Plus on est – matériellement ou symboliquement – puissant, plus les occasions de transgresser sont nombreuses, plus les transgressions peuvent être graves.

Les « transgressions » des patients

Affirmons-le d'emblée : s’agissant d’un patient qui décide de ne pas suivre les conseils, l’avis ou la prescription d’un médecin, on ne peut pas parler de transgression. Car, précisément, il n’existe aucune loi imposant à un patient d’obéir aux prescriptions médicales ! Le soignant est au service du patient, non l’inverse. Si la loi et l'éthique protègent le patient, c'est bien parce que statut et ascendant du soignant lui permettent d'abuser de lui, alors que la réciproque n'est pas vraie ! 

(Aparté sur les « abus » du patient : Bien sûr, un patient peut agresser un soignant ; mais il s’agit d’une agression, non d’un "abus" de son statut de patient. Et comme tout le monde peut manipuler tout le monde, un patient peut tenter de manipuler un soignant en particulier par le biais des sentiments. Mais le patient qui tente d’« abuser » en essayant, par exemple, d’obtenir du soignant un service indu ne dispose pas du tout des mêmes moyens de pression que le soignant qui tente d’abuser d’un patient. Un patient ne peut pas dire à un soignant : « Si vous ne faites pas ce que je vous demande, vous mourrez ; vous n’allez tout de même pas faire ça à votre femme et à vos enfants ! » [Il peut lui dire « Je mourrai » mais le soignant sait que ça n’est pas vrai.] Il ne peut pas lui dire : « Faites ce que je vous demande, c’est mieux pour vous. » Il ne peut pas lui dire : « Si vous ne faites pas ce que je vous demande, je ne m’occuperai plus de vous. » Fin de l’aparté.)

Lorsqu’un patient fait appel à un professionnel de santé – mettons qu’il s’agisse d’une femme enceinte qui fait appel à un médecin – les obligations sont du côté du soignant : il a un devoir d’information, de soin (si nécessaire), d’accompagnement – tout ça de manière loyale – autrement dit : sincère et dévouée.

De cette relation (comme de toute relation de soin) sont absolument exclus, par principe, les attitudes menaçantes, le chantage, les ordres et toute forme de contrainte physique ou morale. Une femme enceinte n’est pas moins un sujet agissant qu’une femme non enceinte ou un homme. Son autonomie doit être respectée de la même manière. L'informer, ce n'est pas la faire plier. 

[L’objection selon laquelle le praticien aurait aussi des obligations envers le fœtus n'est pas recevable dans des pays comme la France ou le Canada, dont il est question ici : une femme enceinte peut faire ce qu’elle veut pendant sa grossesse, car le fœtus n’a pas de statut juridique. S’il en avait une, il serait interdit d’avorter. Être enceinte ne réduit et ne modifie en rien la liberté de la femme à l’égard des médecins ni les obligations des médecins envers cette femme. La patiente du médecin, c’est la femme, pas le fœtus, sauf si la femme le lui demande explicitement. Et même dans ce cas, toute décision concernant le fœtus reste dépendante – sauf décision de justice – du consentement de la femme.]

Par conséquent, quand un médecin recommande – c’est tout ce qu’il peut faire, et ce n’est pas rien – par exemple, à une femme enceinte de ne pas consommer de fromages au lait cru, la femme n’a aucune obligation, ni légale, ni réglementaire, d’obéir à ces recommandations. A-t-elle une obligation morale de le faire ? Envers son foetus, peut-être, mais ça n’est pas au médecin de le définir ou de le décider puisque l'éthique lui interdit d'imposer des contraintes morales aux patients !

Il n’est donc pas exact de dire qu’une patiente enceinte qui ne suit pas les conseils alimentaires du médecin « transgresse » quoi que ce soit. En agissant comme elle le décide, elle assume sa liberté – et les risques inhérents à celle-ci.

Le « sacré » dans la relation de soin

Pour qu’il y ait « transgression », il faudrait que la parole (ou les prescriptions) du médecin ait un caractère obligatoire, réglementaire… ou sacré.
Autrefois (et ce n’est pas tout à fait faux aujourd’hui), les professions de santé étaient fortement teintées de sacré – de par l’appartenance des soignants au champ du religieux, de par l’emprise de la religion sur la population et, il faut bien le dire, en raison de l’ignorance de tous en matière de physiologie, de maladies et de traitements. 

Quand on s’adressait à un shaman, on s’adressait à travers lui aux esprits bienveillants ou malfaisants et longtemps, la prière a été – pour de nombreux humains, elle est encore – une attitude fréquente face à la maladie. Dans ce contexte, les médecins (qui, en France au moins, ont longtemps été supervisés, contrôlés et formés par l’Église) ont longtemps joué simultanément le rôle de soignants, de directeurs de conscience et de prêtres. 

Cette image complexe n’a pas été éradiquée de l’inconscient collectif par les développements scientifiques. Aujourd’hui encore, pour tout un chacun, faire appel à un médecin, c’est un peu faire appel au shaman qui « sait » et « voit ». Le problème, c’est que les choses ont changé. Ce que les médecins « savent » et « voient » ne repose plus sur leur perception personnelle (comme c'était le cas du shaman) ou sur les dogmes des églises, mais sur des données scientifiques susceptibles d’être révisées à tout moment. Données qu'aucun médecin ne peut prétendre connaître toutes... 

Quand on dit à une femme enceinte : « Consommer des fromages au lait cru expose au risque de listériose, maladie infectieuse grave chez la femme enceinte », il ne s’agit pas d’un dogme, ni même d’une vérité absolue : tous les fromages au lait cru ne contiennent pas du Listeria et toutes les femmes enceintes qui en consomment ne font pas de listériose. Il s’agit d’un risque, d’une éventualité, d’un possible et non d’une certitude.

La femme à qui on donne cette information ne devrait aucunement se sentir contrainte par ce que lui dit le médecin. Car ces informations doivent lui permettre de prendre ce qu’on appelle une décision éclairée. Ce qui signifie qu’elle peut choisir de ne pas consommer de fromages au lait cru, ou au contraire de le faire en connaissant le risque et en l’acceptant.

Pourquoi a-t-on le sentiment de « transgresser » en ne suivant pas les « ordres/conseils/recommandations/prescriptions » d’un médecin ?

Il y a probablement autant de réponses que de personnes, mais je vais en suggérer deux, en invitant les lecteurs à formuler les leurs.

Une première explication tient au statut du médecin tel qu’il est perçu. Dans la conscience collective, en particulier dans les pays très paternalistes comme l'est la France, toute figure d’autorité est (en première approximation) assimilée à un détenteur/applicateur de la Loi (humaine ou divine). Ne pas suivre les conseils du médecin, c’est courir le risque d’être puni — par les dieux, le diable, les hommes ou les médecins. « Vous allez me gronder, Docteur, mais j’ai pas pris les médicaments comme vous m’aviez dit, j’espère que ça n’a pas aggravé ma maladie. »

Une autre explication, moins irrationnelle, tient à notre capacité à gérer l’incertitude. Se trouver face à quelqu’un qui « sait » – et qui l’affirme – c’est rassurant. Et consulter un médecin, c’est d’abord demander à être rassuré. Pour entendre : « Il existe un faible risque de contracter une listériose en mangeant des fromages au lait cru » et en tirer des conclusions opérationnelles (« Je cours le risque » ou « Je ne cours pas le risque ») il faut savoir ce qu’est un risque, et accepter que la personne qu’on a en face de soi n’est pas un pilier de certitude, mais un professionnel qui fait son travail le plus honnêtement possible – en tenant compte des limites du savoir.

Il n’est pas insultant d’admettre que nous ne sommes pas tous égaux quand il s’agit de prendre des décisions « informées » face aux risques encourus. Certains patients ne supportent pas l’incertitude et exigent des réponses absolues. Certains médecins sont tentés de leur en donner – pour tout un tas de raison, par exemple parce qu’ils tolèrent mal l’angoisse des patients et ne savent pas l’atténuer…

D'autres médecins n'ont pas de mal à supporter leurs propres doutes, et à rassurer les patients sans leur mentir mais en relativisant les risques. ("Vous courez plus de risques en ne bouclant pas votre ceinture en voiture qu'en mangeant des fromages au lait cru. Et au moins, contre la listériose, on a des antibiotiques...")

Et certains patients, enfin, tolèrent l’incertitude aussi bien que possible, non seulement parce qu’ils ont une attitude scientifique (ils savent que rien n’est jamais certain) mais aussi parce qu’ils arrivent à vivre sans angoisse quand ils ne peuvent pas avoir de réponse à certaines questions.

Pour prendre un exemple personnel : je ne me suis pas fait doser mon cholestérol depuis environ trente ans et je ne le ferai pas ; l’état actuel des connaissances me permet d’affirmer que le « risque » que fait courir un cholestérol « élevé » (la définition est, en elle-même tout à fait discutable) est, au pire minime, au mieux inexistant chez une personne sans autre facteur de risque [je n’ai pratiquement jamais fumé, je ne suis pas obèse, je n’ai pas fait d’accident cardiaque, je ne suis pas diabétique et si je suis hypertendu, c’est probablement pas beaucoup, faudra que je voie ça un de ces jours…]

De même, je ne me soumettrai pas au dépistage d’un éventuel cancer de la prostate, car l’inquiétude, l’escalade des examens qui suivraient en cas de test positif, et l’éventualité d’une intervention mutilante me sont beaucoup plus désagréables que l’éventualité [qui n’est pas une certitude] d’un cancer. On peut aussi le dire autrement : même si on me trouve un cancer évolué dans dix ans, le confort des dix années à venir vaut largement plus, à mon âge, que les emmerdements associés au dépistage et à ses conséquences.

Il ne s’agit pas d’inconscience (je sais ce qui est en jeu) mais de choix. Seulement, j'ai pu faire ce choix parce que j’accepte l’incertitude d’être porteur ou non de cellules cancéreuses, par exemple. Pour reprendre une métaphore connue : j’accepte de ne pas savoir si le chat de Schrödinger est vivant ou mort et de ne pas ouvrir la boîte. 



Conclusion provisoire et ouverte

(27 mai : Ajout à la suite de réactions à ce texte sur ma page FB)

L'histoire de cette femme est exemplaire en ce qu'elle nous montre qu'aujourd'hui, dans les pays développés - et en particulier en France - les femmes enceintes sont considérées comme potentiellement (voire effectivement) "malades" - puisqu'elles doivent faire l'objet d'une médicalisation constante, et potentiellement "coupables" - de ne pas suivre les conseils des médecins. Dans un cas comme dans l'autre, cette perception et le fait de l'imposer aux femmes et de les y maintenir sont inacceptables et contraires à une pratique éthique. C'est également contraire à la loi puisque l'information de tous les patients, sans distinction, doit être loyale et les considérer de la même manière.

Une femme enceinte n'est ni malade, ni coupable (à l'avance) de ce qui arrivera à son embryon/foetus/bébé. Parmi tous les conseils qu'on peut donner aux femmes enceintes, il existe une hiérarchie de risque et de gravité. L'attitude éthique consiste à les informer sans déformer. Elle ne consiste pas à tout interdire ou à ne faire apparaître que les risques, au point de transformer la grossesse en "zone interdite", où tout geste non autorisé par les médecins peut être puni par une anomalie du bébé.

Car à la vérité, aucune procédure médicale ne peut prédire, prévoir, prévenir tous les aléas de la vie. Aucune. Les conseils que l'on donne ne sont que des conseils fondés sur des données statistiques et non sur une vérité absolue : il est recommandé de se faire vacciner contre le tétanos car il s'agit d'une maladie grave, très difficile à soigner et souvent mortelle. Pour autant, on sait que certaines personnes non vaccinées ne feront jamais un tétanos. Comme on ne sait pas lesquelles, on conseille de vacciner tout le monde (c'est ce qu'il y a de plus rationnel). Ca ne doit pas pour autant faire comprendre que ne pas être vacciné sera irrémédiablement "puni" par un tétanos mortel.

La menace de "conséquences graves" en cas de non respect des instructions médicales est un geste terroriste, non un geste de soin. Elle est le pendant "négatif" de l'illusion selon laquelle les médecins passent leur temps à "sauver des vies". Dans les deux cas, c'est un fantasme de toute-puissance.

Entretenir l'idée que la médecine dispose de pareils pouvoirs est, tout simplement, mensonger, et c'est aussi contre-productif : cela empêche les individus de se préparer à faire face à l'inévitable, en leur laissant entendre que l'inévitable ne peut pas se produire.

Or, quoi qu'en disent les médecins, la vie, c'est risqué. Et le risque existe avant même la conception : on ne contrôle pas les gènes dont on est porteur et qu'on transmettra à ses enfants ; on ne choisit pas toujours l'environnement dans lequel on les fera naître ; on ne contrôle certainement pas ce que sera leur vie. En un sens, mettre des enfants au monde, c'est accepter de se préparer à l'inévitable.

Croire que grâce aux outils médicaux actuels,  tout ce qui est évitable peut être évité, c'est vaniteux et faux ; croire qu'un jour, tout pourra être prévenu, c'est un fantasme. Bien sûr, chacun de nous a ses croyances et ses fantasmes. Mais le rôle d'un médecin, s'il a une attitude rationnelle, consiste d'abord à ne pas nous maintenir dans le fantasme et les pensées imaginaires.


*

Dans une relation de soin, patient et professionnel sont a priori tous deux pleinement responsables de ce qu’ils disent, pensent et font. Ils ne sont jamais responsables de ce que l’autre décide. Ils sont également responsables de la manière dont ils perçoivent l’autre. Les faits peuvent être objectivés, les paroles enregistrées, les actes filmés. Mais l'interprétation de ces faits, gestes et paroles n'appartient qu'à nous seuls. 

Du côté du médecin, penser que le patient « désobéit » n’est pas seulement une erreur d’appréciation [les patients, on ne cesse de le constater, ne font que ce qu’ils veulent…], c’est aussi une faute éthique, car c’est se poser en personne moralement supérieure à celui qu’on soigne. 

De l'autre, quand le patient a l’impression de « transgresser », ce n’est pas seulement [ni même toujours] parce que le médecin se comporte en donneur d’ordres, c’est d'abord parce qu’il le voit ainsi et ne remet pas en question cette perception. 

Autant dire que la relation de soin « idéale » — par son contenu, par ses échanges, par son caractère éthique – nécessite beaucoup de travail, de la part des uns et des autres.  


Marc Zaffran/Martin Winckler 





mercredi 8 avril 2015

Une histoire de stérilet - par Justine L.

Nous sommes en 2015 et je suis remontée comme une horloge.

Tout a commencé un dimanche soir avec le texto d’une amie « le stérilet ça rend pas stérile ? ».

Reprenons depuis le début. Non ça ne rend pas stérile si le gynéco fait correctement son travail. Non ça ne rend pas stérile si tu ne le plantes pas dans un terrain infecté. Non ça ne rend pas stérile et il en existe même de tout petits pour ne pas traumatiser ton innocent utérus de nullipare. Il existe des sites internet pour t’aider à choisir ta contraception…
Si cette amie, diplômée après 5 ans d’études supérieures et ayant un accès libre à internet me demande mon avis sur la question (pas que je sois contre le donner bien entendu) alors qu’en est-il des filles à qui on ne parle pas de leurs corps ni de leurs droits ? Qui ne savent pas à qui s’adresser ni comment ?

J’ai douze ans. Ma maman, qui s’en fout un peu du féminisme, m’emmène chez un gentil monsieur aux lunettes rondes et au crâne chauve. Elle me laisse avec lui. Et là… Ce Monsieur, gynécologue de profession, pendant une heure va m’expliquer tout de mon corps. Il m’a même laissé une BD sur les différents moyens de contraception et qui aborde aussi la question de l’avortement. Merci cher monsieur dont j’ai oublié le nom de m’avoir donné ce que j’ai de plus précieux dans ma vie : l’information. Impossible de remettre la main sur cette précieuse BD qui, à mon sens, devrait être disponible dans toutes les salles d’attentes de France.

Si ma mère avait fait du sexe un tabou, aurais-je osé aller me renseigner sans craindre un quelconque châtiment ? Ma mère a fait de moi une féministe malgré elle, en m’apprenant dès mon plus jeune âge que mon corps m’appartenait et que j’étais libre. Libre de lui poser des questions (à ma mère, pas à mon corps !) de m’informer, de réfléchir, de choisir.

Je suis remontée comme une horloge.

Tout le monde n’a pas eu ma chance et devant la montagne de préjugés à démolir, parfois je perds courage. La contraception, le rose bonbon, les qualités féminines, les réflexions déplacées au travail…

Tiens, parlons-en du travail ! Entendu dans la vraie vie a propos de la patronne de Yahoo : « mais elle est pas jolie en plus ! ». Je veux bien être moche comme elle si c’est le prix à payer pour accomplir ce qu’elle a fait. En attendant, pas assez de crèches collectives dans les entreprises ni de réunion à des horaires décents pour éviter aux femmes (à qui on laisse encore trop souvent de fait la responsabilité des enfants) d’avoir à faire un choix sous la contrainte.

Les préjugés partout qu’il faut dévisser un par un. Recommencer encore et toujours. Je me décourage souvent en me disant que cela ne sert à rien. Parfois, j’ai envie de tout lâcher, de me dire que rien ne va changer.


Mon téléphone vibre. T*** me répond (quant à son stérilet, si vous avez bien suivi ce que je raconte) : « je vais en parler à mon gynéco » (qui d’ailleurs le lui a posé sans sourciller). Alors je me dis que tout n’est pas perdu, qu’à mon échelle j’ai fait avancer le droit des femmes à disposer de leur corps avec trois textos. Des lettres envoyées avec une telle facilité. Elles ont pourtant un poids immense sous mes doigts : j’ai donné à une femme le droit d’avoir le choix.

Justine L.