Une internaute m'a écrit ce message à la suite de l'article précédent :
"Est-il donc si aberrant de vouloir choisir son médecin ?"
J'ai lu votre article sur le choix de son médecin avec beaucoup d'intérêt.
Cette demande de choix racial se présente très régulièrement dans un service d'urgence.
La demande ayant plutôt une connotation raciste " je ne veux pas être pris en charge par un médecin noir".
Nous avions convenu que, sauf si le patient demandait à être pris en charge par un médecin présent ce jour-là et dont il connaissait le nom, les urgences seraient distribuées équitablement et au hasard dans l'équipe présente aux soins d'urgence.
Ce genre de demande existait également pour les femmes de confession musulmane.
Ces règles avaient été établies en concertation avec la direction médicale.
L'urgence primant sur le choix du médecin et pour éviter la dérive que toute la charge de travail pourrait être reportée sur un seul membre de l'équipe en cas de binôme.
Votre avis à ce sujet m'intéresse.
Voici ce que je lui ai répondu :
Bonjour
Je pense que l'attitude de votre service est saine : il faut que la charge soit répartie équitablement.
Le droit des patients de choisir un médecin est aussi celui de le refuser. Ce n'est pas le droit d'imposer à des médecins qui ne sont pas là de venir les soigner. :-)
MAIS l'hôpital a l'obligation de soigner tout le monde. Ca complique beaucoup les choses...
Cela étant, j'ai connu moi aussi cette situation (vis-à-vis de médecins venus du Liban ou de Syrie, parfois de médecins Africains, nombreux dans l'hôpital où je travaillais), dans les années 70. Elle n'est pas nouvelle.
Le chef de service avait une recommandation qui était : "Avant de toucher les gens, écoutez-les et rassurez-les. Ca se passera mieux après."
Dans l'immense majorité des cas, on arrivait à résoudre le problème en discutant avec la/les personnes concernées pour savoir d'où venait leur refus - c'était parfois un préjugé raciste ; parfois, c'était autre chose : l'idée qu'un médecin non-français ne pouvait pas être aussi qualifié qu'un médecin "ayant la tête et le nom d'un français".
Quand la personne n'était pas seule, on intégrait l'accompagnant(e) à la discussion pour qu'il ne s'agisse plus d'un rapport de force mais d'une négociation. Souvent, ça permettait de rassurer tout le monde.
Souvent, les infirmièr(e)s les plus chevronné(e)s et les plus bienveillant(e)s parvenaient à trouver une procédure acceptable par tout le monde.
Il m'est arrivé à plusieurs reprises, aux urgences pédiatriques où un de mes internes, citoyen Malien, était souvent de garde, de le voir dire très tranquillement : "Votre enfant a mal, est-ce que vous permettez qu'on le soulage ?" Ca faisait déjà tomber l'angoisse des parents, qui étaient beaucoup plus ouverts, ensuite, à ce qu'il examine leur enfant. J'ai moi-même utilisé cette méthode en tant qu'interne (j'avais une grande barbe noire et le teint mat) quand on me regardait avec inquiétude.
Il nous arrivait aussi de contourner le problème en envoyant un(e) externe ou un(e) infirmièr(e) chevronné(e) accepté par le/la patiente pour l'examiner/interroger. Bref, on arrivait à se débrouiller.
Mais bien sûr, il y avait toujours (quoique pas souvent) des personnes qui ne voulaient rien savoir...
Et souvent, la solution était simple : le médecin-chef du service (c'était toujours un homme blanc, à l'époque) était d'astreinte et on l'appelait, même si ça le dérangeait. C'était son boulot, aussi...
Je crois que dans les cas les plus épineux, le statut d'autorité d'un(e) chef(fe) de service permet de résoudre les choses. Encore faut-il que ce(tte) chef(fe) accepte de se déplacer...
Ca m'intéresserait beaucoup de savoir, en dehors du protocole que vous m'avez indiqué, comment en pratique, vous faites dans votre service.
----
Il me semble, plus généralement, que se focaliser sur le motif (apparent) du refus ("Je ne veux pas d'un médecin noir") est une perte de temps et d'énergie mais justifie qu'on se focalise sur autre chose : Qu'est-ce qui amène la personne aux urgences ? Il est rare qu'on n'ait qu'un médecin/une médecienne à proposer à un(e) patient(e). Il y a des infirmier(e)s, des internes, des externes. Soigner, c'est d'abord entrer en relation et rassurer. Le médecin (et son intervention) peut venir après.
Encore faut-il avoir des attitudes cohérentes par rapport aux personnes qui se présentent.
Cette situation illustre le fait que soigner doit toujours être une négociation. Or, pendant des décennies on a enseigné aux professionnelles que les personnes qui demandent des soins doivent se plier à leurs demandes, voire à leur présence. Il n'en est rien.
Pointer du doigt comme étant "anormales" les personnes racistes parmi les soignées évite d'avoir à considérer ces personnes comme des personnes qui ont besoin de soin - et de réfléchir non seulement à la manière de négocier avec elles, mais aussi au racisme à l'intérieur de la profession.
Accepter l'idée que les personnes soignées ont des préjugés (y compris racistes) ça impose de chercher comment les dépasser avec elles, quand c'est possible (et ça l'est souvent)... et comment lutter contre ces préjugés parmi les professionnelles.
Evidemment, ça ne se fait pas dans l'urgence. Mais ça devrait être fait pour préparer les professionnelles des urgences à ces situations.
Et j'ajouterai : ça m'intéresse de savoir comment les autres soignantes travaillant en service d'urgences appréhendent, se préparent, se forment, se comportent face à ce type de problème.
Ecrivez-moi, je publierai vos réponses ici en les anonymisant.
Martin Winckler
martinwinckler @ gmail.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires sont modérés. Tous les commentaires constructifs seront publiés. Les commentaires franchement hostiles ou désagréables ne le seront pas.