"Je lis avec intérêt votre dernier livre, C’est mon corps. J’avais déjà lu votre livre Les Brutes en blanc et il m’est arrivé de consulter votre blog.
Je tenais d’abord à vous remercier pour toutes les informations précieuses que vous nous donnez sur plein de sujets sur lesquels la « vérité » est plus complexe de ce qu’on nous laisse croire, en tout cas plus complexe qu’au bout d’une consultation de 20 minutes à peine. J’ai notamment découvert des informations sur les kystes ovariens, qui ne sont pas tout à fait celles qu’on m’a données lorsqu’on m’a diagnostiqué d’« ovaires polykystiques » à 16 ans.J’aimerais vous écrire aujourd’hui concernant votre chapitre sur l’allaitement.
J’ai choisi de ne pas allaiter par choix. Après une tentative de 3 jours, je me suis dit que ça n’allait pas le faire après avoir fait un examen de conscience et après avoir réfléchi sur la façon dont je souhaitais que ça se passe dans les mois d’après, avec mon fils et mon compagnon.
Dans mon choix, ce qui m’a poussé à prendre une décision à la faveur du biberon a été la considération de ne pas vouloir être la seule responsable dans l’aventure de nourrir mon fils pour les premiers mois de sa vie ; suivie de l’exigence de vouloir retourner travailler au bout de maximum 4 mois après la naissance ; suivie de l’envie de garder mes seins pour un autre usage que celui de nourrir mon fils.
Je me suis dit, justement, que l’allaitement n’était qu’un facteur des soins et de l’éducation que j’aurais donnés à mon fils. Que d’autres facteurs, comme l’amour, la sécurité économique, les stimulations, les voyages, lui auraient apporté autant de bien et même beaucoup plus que le fait de l’allaiter au sein.
Mais ce qui m’a définitivement poussé à abandonner ma tentative (très courte) d’allaitement a été le conseil prodigué par une amie : « E., les gens te critiqueront pour beaucoup de choix que tu feras dans l’éducation de ton fils, le choix du biberon sera seulement une parmi les multiples critiques dont tu seras l’objet… Donc, fais ce qui te convient le mieux ».
Vous rappelez très justement que la santé des enfants découle de beaucoup d’autres facteurs que l’allaitement.
Vous rappelez, comme vous le faites à chaque chapitre, que chaque femme a le droit de choisir ce qui est mieux pour elle et que pour ces choix, il ne faut pas la critiquer ou la juger. J’apprécie beaucoup que vous le rappeliez, comme vous le faites bien sûr sur des sujets bien plus importants, comme le choix d’interrompre une grossesse ou d’interrompre plusieurs grossesses à la suite.
Toutefois, je me permets de vous écrire car, en début de chapitre, vous écrivez qu’il semble que les bébés allaités au sein souffrent de mois de problèmes de santé que ceux nourris au biberon. Et vous terminez en suggérant que dans l’idéal l’allaitement est selon toute probabilité préférable au biberon.
A la suite de mon choix de non allaiter, j’ai beaucoup lu sur le sujet et j’ai cherché de comprendre pourquoi tous les professionnels de santé m’expliquaient qu’il aurait été mieux pour mon fils, d’être allaité au sein. Qu’il aurait évité de multiples maladies, que je l’aurais préservé même pour le futur. Je les croyais, parce que je fais confiance en général dans les professionnels de santé, et aussi parce que je n’ai pas le savoir et les compétences pour pouvoir les challenger.
Or, il est nécessaire de rappeler que les études menées ne sont presque jamais conclusives à ce sujet. Il paraît que le seul terrain sur lequel un allaitement exclusif de 6 mois (comme le recommande l’OMS) serait bénéfique ce sont les infections de la petite enfance. Aucune étude n’a clairement démontré le lien entre mort subite du nourrisson et obésité, que vous citez pourtant dans votre liste.
J’ai découvert tout cela en lisant Lactivism de Courtney Jung et Bottled Up de Suzanne Barston, deux ouvrages extrêmement bien documentés et accessibles, sur le sujet.
La campagne assourdissante menée aux Etats-Unis sur l’allaitement ne laisse pas beaucoup de place au débat, mais ces actrices ont rappelé à force d’exemples et témoignages que l’allaitement n’est pas forcément mieux car les preuves scientifiques existantes sont très minces. Et qu’un discours sur l’allaitement exclusif ne fait que renforcer la culpabilité des femmes et stigmatiser celles qui, pour des raisons socio-économiques, ne peuvent tout simplement pas allaiter (souvent, les femmes les plus défavorisées).
En même temps, il est vrai que l’allaitement a plein d’avantages pour celles qui le pratiquement, et qu’il peut être mieux pour plein de facteurs qui seront décisifs pour une mère mais pas pour une autre, par exemple pour créer un attachement profond. Mais non toutes les mères ont envie de développer un "exclusive mothering ». Personnellement, je ne veux pas pratiquer et je ne crois pas dans ce modèle.
Sur ce sujet et la responsabilisation de la mère par rapport à l'allaitement, je viens de lire un article dans le magazine Cogito de Sciences-Po de Marta Dominguez Folgueras qui travaille sur l’allaitement dans sa thèse.
Enfin, j’aimerais que les professionnels de santé n’utilisent pas l’argument scientifique, surtout lorsque celui-ci n’est pas vraiment solide. Surtout quand on parle de l’allaitement au biberon comme un risque que l’on ferait prendre à son fils. Tout particulièrement, je ne pense pas qu’une mère qui décide de ne pas allaiter soit à comparer à une mère qui décide de continuer à boire et à fumer pendant la grossesse. A nouveau, comme vous le rappelez très justement, les mères font ce qu’elles veulent et c’est normal comme cela. Mais les preuves de dégâts que fait l’alcool sur les foetus, existent. Les preuves sur les dégâts d’un allaitement artificiel n’existent pas vraiment.
J’aimerais vraiment avoir votre avis sur ces questions. Et si vous avez des lectures sérieuses qui expliquent avec exemples concrets que ce que disent les autrices que j’ai citées est infondé, je suis preneuse.
Vous rappelez très justement que la santé des enfants découle de beaucoup d’autres facteurs que l’allaitement.
Vous rappelez, comme vous le faites à chaque chapitre, que chaque femme a le droit de choisir ce qui est mieux pour elle et que pour ces choix, il ne faut pas la critiquer ou la juger. J’apprécie beaucoup que vous le rappeliez, comme vous le faites bien sûr sur des sujets bien plus importants, comme le choix d’interrompre une grossesse ou d’interrompre plusieurs grossesses à la suite.
Toutefois, je me permets de vous écrire car, en début de chapitre, vous écrivez qu’il semble que les bébés allaités au sein souffrent de mois de problèmes de santé que ceux nourris au biberon. Et vous terminez en suggérant que dans l’idéal l’allaitement est selon toute probabilité préférable au biberon.
A la suite de mon choix de non allaiter, j’ai beaucoup lu sur le sujet et j’ai cherché de comprendre pourquoi tous les professionnels de santé m’expliquaient qu’il aurait été mieux pour mon fils, d’être allaité au sein. Qu’il aurait évité de multiples maladies, que je l’aurais préservé même pour le futur. Je les croyais, parce que je fais confiance en général dans les professionnels de santé, et aussi parce que je n’ai pas le savoir et les compétences pour pouvoir les challenger.
Or, il est nécessaire de rappeler que les études menées ne sont presque jamais conclusives à ce sujet. Il paraît que le seul terrain sur lequel un allaitement exclusif de 6 mois (comme le recommande l’OMS) serait bénéfique ce sont les infections de la petite enfance. Aucune étude n’a clairement démontré le lien entre mort subite du nourrisson et obésité, que vous citez pourtant dans votre liste.
J’ai découvert tout cela en lisant Lactivism de Courtney Jung et Bottled Up de Suzanne Barston, deux ouvrages extrêmement bien documentés et accessibles, sur le sujet.
La campagne assourdissante menée aux Etats-Unis sur l’allaitement ne laisse pas beaucoup de place au débat, mais ces actrices ont rappelé à force d’exemples et témoignages que l’allaitement n’est pas forcément mieux car les preuves scientifiques existantes sont très minces. Et qu’un discours sur l’allaitement exclusif ne fait que renforcer la culpabilité des femmes et stigmatiser celles qui, pour des raisons socio-économiques, ne peuvent tout simplement pas allaiter (souvent, les femmes les plus défavorisées).
En même temps, il est vrai que l’allaitement a plein d’avantages pour celles qui le pratiquement, et qu’il peut être mieux pour plein de facteurs qui seront décisifs pour une mère mais pas pour une autre, par exemple pour créer un attachement profond. Mais non toutes les mères ont envie de développer un "exclusive mothering ». Personnellement, je ne veux pas pratiquer et je ne crois pas dans ce modèle.
Sur ce sujet et la responsabilisation de la mère par rapport à l'allaitement, je viens de lire un article dans le magazine Cogito de Sciences-Po de Marta Dominguez Folgueras qui travaille sur l’allaitement dans sa thèse.
Enfin, j’aimerais que les professionnels de santé n’utilisent pas l’argument scientifique, surtout lorsque celui-ci n’est pas vraiment solide. Surtout quand on parle de l’allaitement au biberon comme un risque que l’on ferait prendre à son fils. Tout particulièrement, je ne pense pas qu’une mère qui décide de ne pas allaiter soit à comparer à une mère qui décide de continuer à boire et à fumer pendant la grossesse. A nouveau, comme vous le rappelez très justement, les mères font ce qu’elles veulent et c’est normal comme cela. Mais les preuves de dégâts que fait l’alcool sur les foetus, existent. Les preuves sur les dégâts d’un allaitement artificiel n’existent pas vraiment.
J’aimerais vraiment avoir votre avis sur ces questions. Et si vous avez des lectures sérieuses qui expliquent avec exemples concrets que ce que disent les autrices que j’ai citées est infondé, je suis preneuse.
E."
Réponse de MW :
Vous avez tout à fait raison de rappeler ce que je dis moi-même dans les pages du livre : il y a bien d'autres facteurs que l'allaitement pour la santé et la croissance d'un enfant.
D'un point de vue scientifique, quand je déclare que le lait maternel est plus adapté que le lait maternisé, j'ai en gros deux arguments :
1° sa composition est "calibrée" pour les nouveaux-nés humains. Aucun lait maternisé ne peut en dire autant, malgré tous les traitements qui entrent dans leur composition pour transformer le lait de vache en lait assimilable par les nourrissons humains.
2° le lait maternel contient des substances spécifiques qui ne sont pas présentes dans le lait maternisé : anticorps (contre les maladies que la mère a déjà rencontrées), hormones, enzymes, cellules souches, bactéries du mamelon (qui participent à la colonisation du tube digestif de l'enfant), globules blancs...
Alors, je le répète, ces différences de composition ne sont pas un argument déterminant, ni suffisant pour préférer le lait maternel au lait maternisé (les bébés vivent et grandissent très bien en étant nourris au biberon) mais ils méritent d'être cités, justement pour que les femmes prennent une décision informée, en accord avec ce qu'elles préfèrent, ce qu'elles croient, ce qui leur permet d'être en accord avec elles-mêmes et, enfin, de ne pas se sentir inquiètes. (Oui, il est légitime et respectable de ne pas vouloir se sentir inquiète, et les soignantes devraient toujours respecter l'inquiétude des personnes qui font appel à elles.)
Certaines, en particulier, font le choix d'allaiter pour résister à la dimension commerciale de l'alimentation pour enfants - c'est un choix aussi respectable que celui, par exemple, d'acheter en vrac ou de ne pas consommer d'aliments provenant de l'exploitation animale. Et il est tout aussi respectable de vouloir partager l'alimentation d'un nouveau-né avec le père (ou la deuxième mère) en préférant le biberon.
Le fait est que, dans mon esprit et dans un monde idéal, les femmes devraient pouvoir choisir de nourrir leur enfant comme elles l'entendent, après avoir pris connaissance de, et pesé, tous les arguments (valides ou non).
Il est vrai cependant qu'il n'y a pas de preuve gravée dans le marbre - il s'agit, en fin de compte, d'une question de perception.
Comme vous, je pense qu'il n'est jamais acceptable de contraindre ou de culpabiliser les femmes des choix qu'elles font. Car, à long terme, il y a bien d'autres facteurs en jeu. Je suis donc parfaitement d'accord avec vous : utiliser l'argument scientifique pour culpabiliser une mère de ne pas allaiter, ce n'est pas seulement contraire à l'éthique, c'est indigne et c'est crapuleux. C'est toujours à la mère de choisir et le rôle des professionnelles de santé consiste exclusivement à la soutenir dans ses choix, quels qu'ils soient.
Ainsi, je vous rejoins tout à fait, comparer une mère qui n'allaite pas à une mère qui boit de l'alcool ou fume pendant sa grossesse, c'est malhonnête. (A mon avis, c'est même terroriste et crapuleux à l'égard des femmes qui boivent de l'alcool ou qui fument pendant leur grossesse, lesquelles ne devraient pas, elles non plus, être condamnées - tant les circonstances d'une maternité et de la vie d'une femme sont compliquées...)
Je voudrais, à l'occasion de votre courriel, signaler que le débat entre l'allaitement et la nourriture au biberon est, dans d'autres pays, traité dans les pages des grands quotidiens nationaux. Voir ces pages du New York Times.
Ailleurs qu'en France, on ne trouve pas ridicule ou futile de discuter de ces questions publiquement et de les qualifier de politiques, ce qu'elles sont sans aucun doute.
Merci de m'avoir appelé à préciser ma pensée et à élargir ce débat au-delà de l'espace (somme toute exigu) de mon livre.
Martin W.
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