mardi 15 septembre 2015

Qui a peur de l'obésité ? 3e épisode : Poids, genre et sexisme - par Catherine Grangeard

Voici le 3e épisode de notre "feuilleton" sur l'obésité. 
Lire le premier épisode : Le commerce des régimes 
Lire le deuxième épisode  : Le médecin le patient et les kilos en trop
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Le corps ne nous appartient pas si facilement. De croire que nous l’avons, à imaginer que nous le sommes… Il est à aimer ou détester, mais aussi à modeler et à offrir au regard. 
Jamais cette image que nous renvoie le miroir ne laisse indifférent-e. 
Le reflet dit quelque chose de nous. 
Est-ce lui qui nous fait désirable et désirant-e ?

En nous approchant autrement du symptôme, se traduit une intériorité complexe, qui exprime ce qui se voit avant même de se dire. C’est la psychanalyste qui parle ainsi. Pour comprendre comment se construit tout cela, ignorer le socius empêcherait de démêler les éléments extérieurs participant à un rapport singulier à soi-même.

L’excès de poids correspond à une époque, la nôtre.

Rappel de quelques données.

L’OMS parle de fléau avec 35% de la population mondiale en surpoids s’y ajoute 11% de la population mondiale en obésité (1). En France, la seule obésité concernait 15% des adultes en 2012, contre seulement 6% en 1980, soit près de 7 millions d'obèses, environ 3,3 millions de plus qu'en 1997.  Le surpoids concerne 15 millions de personnes, soit 32% de la population française (2).

Les causes de l’excès de poids puis de l’obésité sont bien sûr reconnues comme plurifactorielles. Les modifications de l’alimentation et la réduction de l’activité physique jouent un rôle incontestable dans l’émergence récente de l’obésité. Les causes biologiques ont été bien évidemment étudiées en tout premier lieu. Le rôle de l’environnement est largement incriminé. Les raisons psychiques ne sont pas ignorées quoique moins prises en compte car nous sommes peu nombreux à les souligner (3). L’interaction des différents facteurs est également reconnue.

Parler d’obésité, n’en considérer que le TROP, en négliger le manque, reviendrait à rater le premier virage, à sortir du décor et prendre une mauvaise direction…
Parce qu’il y a un manque à être, il y a quête.

Il est difficile de se passer de ce que l’on n’a pas reçu.

Voilà, pour introduire le premier point, fondamental, existentiel. Une pathologie de l’excès a pour vocation de rattraper le temps perdu, celui où n’a pas été reçu le nécessaire, le jugé- nécessaire car il s’agit d’une perception. Les faits comptent moins en la matière pour la personne que leur représentation.

On ne se nourrit pas que de pain mais aussi d’amour. Et, il en faut juste ce qu’il faut. Trop et il manque irrémédiablement l’espace du désir. On est gavé. Pas assez et ce sera l’attente de la caresse, de l’attention, du réconfort…et la non-satisfaction ne désarme pas. La recherche inlassable de réponse à cette quête est marquée du sceau du ratage. Il est des vies où la répétition laisse une empreinte tout autant indélébile qu’invisible. Entre les deux extrêmes, toutes les nuances existent.
Parfois, le corps se charge de montrer une faim insatiable, une enveloppe épaisse de protection, c’est selon l’individu, sa singularité, et voici le deuxième point essentiel, il n’y a pas de personnalité- type d’obèses parce que ce sont des personnes, comme toutes les autres, ce n’est pas l’habit qui fait le moine… Un seul critère ne saurait jamais résumer une personne.

Comment se sent-on justement quand l’approche contemporaine, qu’elle soit profane ou qualifiée, ignore la personne derrière l’IMC ?

Eh bien, ça dépend ! Si on a bien compris la brève introduction théorique ci-dessus, il va de soi que chaque personne réagit à sa façon. Car chacune a son histoire et qu’il s’y trouve les raisons pas raisonnables aux commandes, celles qui entraînent les comportements qu’il serait bien vain de tenter de modifier avant de résoudre les raisons qui sont dessous.

Nous avons suivi à l’épisode 2, comment Ange a pu déterminer Mar(c)tin Parce que je suis psychanalyste, je suis en colère contre les coups de rabot pour classifier les gens, pour ramener tout le monde à quelques stéréotypes.

Justement, dans cet épisode 3, en nous intéressant aux stéréotypes de genre nous verrons les conséquences sur les identifications et les introjections qui en découlent. Le psychisme est plus poreux au bain dans lequel il évolue qu’on ne le dit.

Lorsque l’ignorance du genre génère de l’excès de poids…

Les données sur le surpoids et l’obésité révèlent des écarts importants entre les femmes et les hommes,  c’est un phénomène que la clinique connait bien. Citons les résultats d’une étude Sofrès/Le quotidien du médecin d’avril 2014 révélant qu’une femme sur 3 et un homme sur 4 souhaitent perdre du poids.

Le sociologue Thibaut de Saint Pol souligne combien être en excès de poids revêt des connotations fort différentes pour les femmes et pour les hommes, dans un chapitre qu’il n’hésite pas à nommer « Inégalités de poids et poids du genre » (4).

L’expérience clinique confirme que les femmes « se mettent au régime » pour quelques kilogrammes qu’elles estiment superflus alors que les hommes consultent pour des raisons de santé lorsque l’excès pondéral est notable. (5)

Les filles se trouvent trop grosses dès la préadolescence. Selon ce même rapport de l’ANSES de novembre 2010, 47% des jeunes filles de 11 à 14 ans souhaitent peser moins alors que « seulement » 30 % se trouvent trop grosses. En 2006, l’Institut de veille sanitaire (InVES) montrait que 18% des enfants entre 3 et 17 ans sont en surpoids ou obésité. La disproportion entre ces pourcentages, 18% réellement concernées par une question d’excès de poids, 30 % se trouvant « trop grosses » et 47% de filles voulant maigrir, laisse perplexe. Pourquoi tant de filles ont le sentiment de devoir perdre du poids ? (6)

Pour traiter cette question de genre, curieusement… fort peu de travaux, à ce jour.

1° temps. Un pan de l’environnement est totalement laissé en friche, celui des idéaux physiques et de leurs représentations, auxquels se réfèrent les individus. Comment, en Occident, les images, dans lesquelles nous baignons, représentent-elles les femmes ? Ces publicités, ces modèles façonnent insidieusement une « psychologie simpliste et manichéenne » en dictant des modèles de beauté de plus en plus tôt. Les petites filles jouent désormais aux poupées Barbie dès l’âge de 4 ans. Cette identification et cette introjection sont les ressorts d’injonctions paradoxales efficaces, à bas bruit. « Inviter » à coller à un modèle, culpabiliser en cas d’échec, consommer des solutions médico comportementales sont des solutions coûteuses, à tous niveaux.

2° temps. Ces  références produisent ensuite inévitablement des troubles alimentaires lorsque les conséquences en terme de « design physique » ne colle pas aux idéaux. La souffrance psychique est déniée par une société qui refuse d’être troublée par cette image qui lui est renvoyée. Le paradoxe dérange, il est gommé.

La pathologie contemporaine de l’excès de poids est cette fabrication sociale, passée sous silence.

3° temps. En réponse à ces injonctions (que nous soulignons comme paradoxales) chaque femme se cherche une stratégie qu’un marché en constante progression encourage. Ce sont les régimes, les produits minceurs, les sites internet… malgré la crise : 3,4 milliards de chiffre d’affaires pour ce secteur économique, en France en 2014 selon une étude montrant également une spécificité féminine. (7)

Une question de société devient une pathologie individuelle lorsque le formatage social s’immisce dans l’intrapsychique jusqu’à en constituer une sorte d’empreinte. Un faux-self se développe alors à partir de représentations sociales introjectées. Ces identifications amènent des comportements pathogéniques chez de nombreuses femmes, insatisfaites de leur corps. De là, des tentatives de maîtriser leur silhouette et un effet a contrario de prises inéluctables de poids. La privation crée de la frustration qui mène à la transgression.

Nous alertons sur les effets pervers qu’un courant médico psychologique actuel, considérant  les femmes comme des êtres émotionnels, en mal de maitrise, est en train de fabriquer. Implicitement une nouvelle dévalorisation chez les femmes s’en suit en parlant de ces fameux « kilos émotionnels ». 

L’effet de genre agit dès l’enfance et flambe à l’adolescence des filles. Si l’être humain est à la fois un être social et un individu singulier, les psychanalystes se sont trop peu penchés sur ces questions contemporaines.

Pour conclure ce point, les travaux sur l’obésité, l’excès de poids et le genre est ridiculement bas au regard de l’ampleur du phénomène. Face à la pensée formatée, nous voulons contribuer à la déconstruction d’a priori, afin de favoriser une politique différente de prévention collective (8) incluant une approche thérapeutique individuelle. Les effets de genre ont des influence au masculin tout autant qu’au féminin. Cet épisode traite du féminin. Prendre le temps d’y réfléchir n’est pas superflu.

Le galbe du mollet des femmes…

Témoignage de N, 30 ans, femme forte en apparence. 

« Aurions-nous trop joué aux Barbie ? Bizarrement, ça me faisait déjà peur quand j’étais petite de voir mes copines se rêver en future poupée, blonde, sexy. Aurions-nous eu tort de jouer aux Barbie ? Plus tard, quand j’ai commencé à ressentir sur moi des regards un peu trop appuyés, des sourires en biais, j’ai eu un flash… Barbie ! J’ai eu envie de fuir, de hurler. Au lieu de cela, j’ai baissé les yeux. Quelle horreur ! Ma réaction, ça a été de regarder le pavé. 

Je m’en suis voulu, vous ne pouvez pas imaginer. Ces regards sales et c’est moi qui ai honte ?  Quelle violence terrible, ce fut alors. A la fois, que ces mecs, anonymes, se permettent de mater, dans les deux sens du terme, ainsi n’importe quelle jeune fille qui passe et que j’en sois réduite à courber l’échine… Pour m’éviter ça, bye bye Barbie… j’ai décidé de ne pas leur offrir mon corps en sacrifice. 

Je me refuse à être leur objet de fantasme. Je me suis protégée par des kilos, clairement. Une violence vulnérable s’est emparée de moi. Je n’ai pas été violée, pas agressée mais j’ai saisi le risque que je prenais si j’étais dans les normes de désir affichées sur les panneaux des abri- bus. Les mannequins sont des objets qui incarnent une idée du désir masculin, c’est clairement explicité aux enfants, il y a Barbie et il y a les mannequins et les chanteuses. Garçons et filles sont formatés. J’ai choisi de résister. Evidemment, ce n’est devenu conscient que dans l’après-coup, en psychanalyse. Jeune adulte, j’ai essayé de perdre du poids, comme tout le monde. C’est bête mais j’ai eu envie de ne plus avoir les cuisses qui frottent l’été… C’est inconfortable, quand il fait chaud. J’ai eu envie de me libérer de l’enveloppe de protection. J’ai fait tous les régimes de la terre, dépensé plein de sous mais je ne tenais pas très longtemps face aux frustrations. Je m’étais un peu trouvée, sexuellement, et j’ai commencé à comprendre que le poids, ce n’était franchement pas une solution… 

Récemment, j’ai entendu à la radio, sur France Culture tout de même, un vieux médecin, connu, réputé dans l’univers de l’obésité dire quelque chose sur le galbe des mollets des femmes, à son interlocuteur, médecin également, avec un ton de connivence. J’ai été scotchée. J’ai revu les regards torves des jeunes mecs. C’est la même chose, ça dépend du milieu social, de l’éducation mais ils se permettent pareillement ces considérations sur les femmes comme objets de leur désir. C’est incroyable ! J’ai énormément réfléchi depuis ce galbe du mollet(9). Les femmes ont- elles vraiment saisi toute l’ampleur des dégâts ? On peut en douter à regarder le premier kiosque à journaux venu. Les magazines dits féminins sont surtout un outil d’introjection d’un modèle les installant en position d’objets. Elles s’y refilent les trucs pour correspondre à ce qui est perçu comme désirable pour attirer les hommes. Se chercher un mari, c’est donc toujours le principal projet, comme autrefois ? On aura beau obtenir la parité si on n’a pas l’égalité, beaucoup de jeunes filles feront comme moi, pour sauver leur peau en tant que sujet, il vaut mieux être grosses ! »

*

J’ai toujours aimé citer des paroles de patient-es pour expliciter les choses. (3, 10) La clinique m’a amenée à me pencher sur les questions d’obésité. Vous savez que kliné vient du grec, c’est le lit. Ainsi ce n’est pas du haut de son savoir que le praticien parle mais incliné, penché au chevet du patient alité. C’est en écoutant les gens que l’on s’interroge. Ce n’est pas en plaquant des concepts.
En me penchant sur ce que dit N, je me suis demandé si beaucoup de femmes ressentent ce bain culturel dans lequel nous évoluons. Si c’est le cas, et c’est le cas effectivement lorsque l’on prête une oreille attentive, pourquoi est-ce si peu relevé, en dehors des milieux féministes ?

Le conformisme des Sachants existe tout autant que celui du reste de la population. Ils sont tout autant imprégnés des normes d’une époque. Et à leur insu, ils peuvent prononcer des énormités, tel le galbe du mollet. Heureusement, finalement, ainsi ce lapsus (pourrait-on dire) permet d’entendre ce qui motive finalement leur désir de faire maigrir. Ainsi certains médecins ont une idée de ce que doit être une femme, de ce qu’elle doit être pour éveiller le désir. Alors, les méthodes suivent… bien sûr que la plupart seront civilisés, polis, respectueux même, mais ils ont une vision de LA femme qui précède la rencontre de telle patiente. Il va de soi pour eux qu’elle aura comme projet de devenir ce type de femme, entrant dans leur désir.

C’est ce non-dit qui est une catastrophe !

L’idéologie sous-jacente ne s’exprime pas ouvertement la plupart du temps… Quoique ces derniers temps, certains se lâchent. En France, la société s’est focalisée sur le Mariage pour tous. Les positions se sont durcies et se sont alors exprimées ouvertement. Bernard Waysfeld s’était déjà illustré, avant l’émission dont N parlait. Son livre « la peur de grossir » est un plaidoyer anti- féministe, il accuse ce mouvement d’être cause de l’obésité actuelle. On pourra lire ma réponse « les chèvres-émissaires » dans le blog du think tank obésités. http://thinktankobesites.com/feminisme-femme-objet-et-tca/

Si je me suis ensuite intéressée de près aux sites-minceur dirigés par des médecins, ce sont mes patients qui en sont à l’origine. J’ai découvert la mode qu’ils constituent. Pour être plus explicite, le phénomène de mode est construit à partir d’une logique simpliste : la grande masse des patient-es pourra accéder aux « bonnes » consultations de ces médecins qui se sont construits grâce aux médias. Les moyens modernes qu’internet rend possible, rend accessible le meilleur au plus grand nombre… Cette auto-affirmation n’engage que celui qui y croit finalement, comme toute promesse… Qui a dit que ce sont les meilleurs médecins ? Qui a dit que se rendre sur un site avait le même intérêt qu’une consultation en face à face ? Jacques a dit, vous connaissez la chanson !

La politique de l’édredon

Ainsi, on a dit qu’il fallait être mince et que tous les moyens sont bons… Mais faut-il vraiment être mince ? Peut-on interroger ce point de départ ? Il le faut ! Sinon, on part sans savoir pourquoi.

Certaines études semblent avoir été étouffées. Celles menées par Katherine Flegal en particulier (11), se référer au 1er épisode, publié ici-même… Une nouvelle étude, portée à la connaissance du grand public ces dernières semaines (12) est dans la même veine. Et probablement de nombreuses autres…

Le silence assourdissant autour de leurs conclusions est patent. On peut discuter leurs résultats, les conditions de leurs réalisations… Ne pas le faire, les traiter par le mépris, les ignorer c’est en soi un parti-pris. Là aussi, il ne saurait y avoir de hasard. Bien moins diffusées que les messages anxiogènes menant des millions de personnes à tester différentes méthodes pour perdre quelques kilos de trop, les études montrent que l’on fait d’un non-problème un problème rentable. On ne peut que se révolter du marché de la Santé puisse être considéré comme n’importe quel autre marché. Et franchement se fâcher quand ce sont des médecins eux-mêmes qui se fourvoient dans cette direction.

Ainsi donc travailler en amont s’impose pour dénoncer cela et pour que le grand public puisse choisir de persévérer pour obtenir un « corps de rêve », c’est-à-dire un corps tel qu’il est conçu par des ordinateurs retouchant les photos de mannequins déjà non représentatives de la population féminine. Un corps correspondant aux fantasmes eux-mêmes fabriqués, exposés par Playboy pour justement que les boys puissent avoir des joujoux…

Cette image du corps est intériorisée et correspond à un objectif à atteindre, en oubliant le leurre dont il s’agit. Cette vision imaginaire de l’idéal s’impose aux personnes vivant dans le monde occidental. 

Tout comme il existe des magasins Ikéa, vendant des meubles à assembler, il existe une image du corps- prêt à porter… S’y conformer semble la raison menant des préadolescentes à entamer un régime pour perdre des kilos qu’elles n’ont pas en trop !

Des millions de témoignages circulent partout, sur le net, dans les magazines, sur les ondes, de ces femmes jamais satisfaites de leurs corps… prêtes à avaler tous les anorexigènes qui soient leur promettant des corps minces, toniques… Et du côté des jeunes hommes ce sera plutôt musclé façon body- bulding. Quand ce sera le moment de déconstruire les effets de genre au masculin, on sera tout autant effaré de constater la manipulation. Ce principe du pré- fabriqué semble rassurant, il offre des repères. Offre ou impose ? Derrière, se planque le marketing de ce marché de la Santé.

Comment être bien dans sa peau dans un tel contexte ? Nous ne sommes plus à l’époque de Sigmund Freud… La famille s’est considérablement élargie et ce n’est pas en raison des mariages de toutes sortes. Les préceptes circulent et les écrans veillent en permanence, ils nous interpellent jusqu’à nous prescrire notre assiette.

Joseph (14) : « ça me rappelle que je devrais faire quelque chose. C’est obsédant. Vous allez bien, et pof, on vient sur votre portable vous dire que vous avez un problème… Certains jours, ça plombe l’ambiance ! Certains jours, où je suis déjà déprimé, c’est pire… je ne comprends pas que des médecins aient le droit de se comporter comme des marchands de soupe. Un médecin, c’est le patient qui le consulte… pas l’inverse ! ».

Ainsi une obsession complètement nouvelle est engendrée et nourrie par ces médecins qui ont trop lu de manuels d’économie. Cette caution introduit une confusion supplémentaire, scandaleuse. Perverse, au sens propre du terme, pour le bien de celui qui émet la proposition. C’est un abus de pouvoir d’une personne ayant autorité. La violence est symbolique, puisque bien sûr aucun médecin n’utilise la force pour s’imposer. Mais, il revient sans cesse sur l’écran personnel, intime de Joseph…

Il est faux que ce soit pour la santé que les gens démarrent un régime. C’est pour correspondre à une norme, fictive, totalement construite. Pour rappel, la fourchette haute de l’IMC dit normal était de 27 avant qu’il ne soit abaissé à 25, de manière totalement arbitraire. Ce n’est qu’un indice, statistique. 
Aléatoire. Contesté dans les milieux scientifiques.

Ainsi un non-problème est devenu l’agent de destruction massive de vies ! Et, oui, des médecins y participent !

Qui sait aujourd’hui qu’il n’y a aucun problème  à être un peu enrobé ?


Qui sait que ce système oppresseur n’a strictement aucune raison d’être ? Le corset a été remplacé en mille fois plus actif, le fléau de l’obésité a été mondialisé. Le corset était réservé à une certaine élite, la taille fine était déjà le signe de la noblesse, il déformait déjà les corps. La pression sociale s’est démocratisée. Elle est complètement introjectée et la servitude totalement volontaire…
Voilà pourquoi légiférer les sites-minceur est indispensable.

Voilà pourquoi il faut aussi s’inquiéter quand certaines mutuelles remboursent certains abonnements sur internet à une entreprise commerciale alors que la consultation diététique en cabinets de diététiciennes diplômées ne l’est pas. Cela signifie que le lobby a été puissant. Et c’est tout ! De même quand certaines méthodes psy le sont et pas d’autres. Ce sont encore des histoires de pressions commerciales, de rapports de force, pas du bien de l’adhérent… Posez les questions à vos mutuelles, vous serez surpris-es.

« Entre le fort et le faible, … c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère » Lacordaire.

Une femme jette sur mon bureau un petit magazine. Pourquoi cette colère ? Résumons. C’est le n° 1, de juin 2015, de « Comment ça va ? ». Extraits de l’édito : « Consacré à la santé connectée…  dans la salle d’attente de cotre médecin… 7 millions de Français sont des mobinautes –c’est-à-dire qu’ils utilisent leur téléphone mobile pour chercher de l’information santé sur internet- et que 13% d’entre nous ont déjà acheté un objet connecté… »…

Une revue diffusée gratuitement dans les salles d’attente des médecins, et consultables sur un site internet, fait la publicité des sites minceur. C’est également scandaleux. Qui plus est l’ARS est partie prenante affirme la couverture. Et, un médecin-expert vante le coaching en ligne… en oubliant de préciser qu’il est un propriétaire de ce type de sites. Conflit d’intérêt ?

Mais qui a réfléchi à cela ? C’est du même tonneau que le Conseil Général des Bouches du Rhône qui a récemment gaspillé 33 000 euros (des contribuables) avec une couverture de carnets de santé où l’on voyait la photo d’un garçonnet souriant, regardant en face l’objectif et faisant un geste au- dessus de sa tête comme si une toise montrait qu’il allait grandir et en retrait une fillette, le regard baissé sur sa taille, se serrant la ceinture avec un mètre de couturière, signifiant ainsi qu’elle doit faire bien attention à ne pas grossir… Bonjour les stéréotypes qui vont aider à se sentir bien dans sa peau ! Ces carnets de santé sont donnés à la maternité à la naissance de tout enfant. Des associations féministes ont exigé le retrait. Ce qui fut fait mais on a entendu dire qu’elles faisaient gaspiller de l’argent. N’est-ce pas plutôt les personnes ayant eu cette idée qui en sont coupables ? Quels fonctionnaires peuvent impunément diffuser de tels messages et ne pas se voir renvoyer de leurs fonctions ?

La fabrication d’obésité suit à la fois des chemins de traverses et des autoroutes. Il n’est pas possible de lutter contre les méfaits si on continue à inciter, de toutes parts, pour différentes raisons, idéologiques, mercantiles, visibles ou non…

Les déterminants qui façonnent les identités sont d’autant plus agissants qu’ils ne sont pas conscients. Permettre le débat avec ces stéréotypes qui accompagnent et aliènent tout le monde est une ouverture pour éviter une carrière d’obésité.

En tant que psychanalyste, je sais que rendre visibles et conscients les déterminants les désactivent.
Je sais aussi que les influences du contexte socioculturel ne sont pas suffisamment décortiquées.

C’est une des données les moins envisagées dans l’univers de l’excès de poids en particulier et pourtant pas des moins agissantes.

C’est un des impensés de l’obésité !



Catherine Grangeard

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Notes :

1/ OMS, site consultable sur internet, voir Aide Mémoire, n° 311, 2014.

2/ Etude ObEpi-Roche, résultats de 01/03 2012, sur un échantillon de 25 000 personnes, renouvelée tous les 3 ans.

3/ Catherine Grangeard, Comprendre l’obésité, une question de personne, un problème de société,  Albin Michel (2012)

4/ Thibaut de Saint Pol, Le corps désirable, Hommes et femmes face à leur poids, PUF (2010)

5/ ANSES, « Evaluation des risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement », rapport dirigé par le Dr Jean-Michel Lecerf (nov 2010)

6/ Catherine Grangeard, « Faim de régimes » in Le poids du corps à l’adolescence,  Livre collectif Albin Michel (2014)

7/ institut économique Xerfi (2014)

8/ Si en janvier 2014, le rapport Herceberg propose deux mesures (sur 10 mesures) relevant de cet environnement social : ne plus tolérer sur les podiums des mannequins en IMC inférieur à 18 et interdire les photos retouchées dans les magazines,  son application est curieusement freinée.


9/ http://www.franceculture.fr/emission-revolutions-medicales-le-poids-que-dit-il-de-nous-2014-06-17 

En réaction au sexisme réaffirmé en permanence de Bernard Waysfeld, voir: http://thinktankobesites.com/feminisme-femme-objet-et-tca/

10 / Catherine Grangeard, Obésités. Le poids des mots, les maux du poids. Ed Calmann Lévy, Paris 2007.

11/ Katherine Flegal, JAMA (The Journal of the American Medical Association) Janvier 2013



14/ voir mes blogs de Médiapart et du Huffington Post



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