Voici le 3e épisode de notre "feuilleton" sur l'obésité.
Lire le premier épisode : Le commerce des régimes
Lire le deuxième épisode : Le médecin le patient et les kilos en trop
********
Le corps ne nous appartient pas si facilement. De croire que nous l’avons,
à imaginer que nous le sommes… Il est à aimer ou détester, mais aussi à modeler
et à offrir au regard.
Jamais cette image que nous renvoie le miroir ne laisse indifférent-e.
Le reflet dit quelque chose de nous.
Est-ce lui qui nous fait désirable et désirant-e ?
Jamais cette image que nous renvoie le miroir ne laisse indifférent-e.
Le reflet dit quelque chose de nous.
Est-ce lui qui nous fait désirable et désirant-e ?
En nous approchant autrement du symptôme, se traduit une intériorité
complexe, qui exprime ce qui se voit avant même de se dire. C’est la
psychanalyste qui parle ainsi. Pour comprendre comment se construit tout cela,
ignorer le socius empêcherait de
démêler les éléments extérieurs participant à un rapport singulier à soi-même.
L’excès de poids
correspond à une époque, la nôtre.
Rappel de quelques données.
L’OMS parle de fléau avec
35% de la population mondiale en surpoids s’y ajoute 11% de la population
mondiale en obésité (1). En France, la seule obésité concernait
15% des adultes en 2012, contre seulement 6% en 1980, soit près de 7 millions d'obèses, environ 3,3 millions de plus
qu'en 1997. Le
surpoids concerne 15 millions de personnes, soit 32% de la population française
(2).
Les causes de l’excès de
poids puis de l’obésité sont bien sûr reconnues comme plurifactorielles. Les
modifications de l’alimentation et la réduction de l’activité
physique jouent un rôle incontestable dans l’émergence récente de
l’obésité. Les causes biologiques ont été bien évidemment étudiées en tout
premier lieu. Le rôle de l’environnement est largement incriminé. Les raisons
psychiques ne sont pas ignorées quoique moins prises en compte car nous sommes
peu nombreux à les souligner (3). L’interaction des différents facteurs est
également reconnue.
Parler d’obésité, n’en considérer que le
TROP, en négliger le manque, reviendrait
à rater le premier virage, à sortir du décor et prendre une mauvaise direction…
Parce qu’il y a un manque à être, il y a
quête.
Il est difficile de se passer de ce que
l’on n’a pas reçu.
Voilà, pour introduire le premier point,
fondamental, existentiel. Une pathologie de l’excès a pour vocation de
rattraper le temps perdu, celui où n’a pas été reçu le nécessaire, le jugé-
nécessaire car il s’agit d’une perception. Les faits comptent moins en la matière
pour la personne que leur représentation.
On ne se nourrit pas que de pain mais
aussi d’amour. Et, il en faut juste ce qu’il faut. Trop et il manque
irrémédiablement l’espace du désir. On est gavé. Pas assez et ce sera l’attente
de la caresse, de l’attention, du réconfort…et la non-satisfaction ne désarme
pas. La recherche inlassable de réponse à cette quête est marquée du sceau du
ratage. Il est des vies où la répétition laisse une empreinte tout autant
indélébile qu’invisible. Entre les deux extrêmes, toutes les nuances existent.
Parfois, le corps se charge de montrer une
faim insatiable, une enveloppe épaisse de protection, c’est selon l’individu,
sa singularité, et voici le deuxième point essentiel, il n’y a pas de
personnalité- type d’obèses parce que ce sont des personnes, comme toutes les
autres, ce n’est pas l’habit qui fait le moine… Un seul critère ne saurait
jamais résumer une personne.
Comment se sent-on justement quand
l’approche contemporaine, qu’elle soit profane ou qualifiée, ignore la personne
derrière l’IMC ?
Eh bien, ça dépend ! Si on a bien
compris la brève introduction théorique ci-dessus, il va de soi que chaque
personne réagit à sa façon. Car chacune a son histoire et qu’il s’y trouve les
raisons pas raisonnables aux commandes, celles qui entraînent les comportements
qu’il serait bien vain de tenter de modifier avant de résoudre les raisons qui
sont dessous.
Nous avons suivi à l’épisode 2, comment
Ange a pu déterminer Mar(c)tin … Parce que je suis
psychanalyste, je suis en colère contre les coups de rabot pour classifier les
gens, pour ramener tout le monde à quelques stéréotypes.
Justement, dans cet épisode 3, en nous intéressant
aux stéréotypes de genre nous
verrons les conséquences sur les identifications
et les introjections qui en
découlent. Le psychisme est plus poreux au bain dans lequel il évolue qu’on ne
le dit.
Lorsque l’ignorance du
genre génère de l’excès de poids…
Les données sur le surpoids et l’obésité révèlent des écarts
importants entre les femmes et les hommes,
c’est un phénomène que la clinique connait bien. Citons les résultats d’une étude Sofrès/Le quotidien du médecin d’avril
2014 révélant qu’une femme sur 3 et un homme sur 4 souhaitent perdre du poids.
Le sociologue Thibaut de Saint Pol
souligne combien être en excès de poids revêt des connotations fort différentes
pour les femmes et pour les hommes, dans un chapitre qu’il n’hésite pas à
nommer « Inégalités de poids et poids du genre » (4).
L’expérience clinique confirme que
les femmes « se mettent au régime » pour quelques kilogrammes
qu’elles estiment superflus alors que les hommes consultent pour des raisons de
santé lorsque l’excès pondéral est notable. (5)
Les filles se trouvent trop
grosses dès la préadolescence. Selon ce même rapport de l’ANSES de novembre
2010, 47% des jeunes filles de 11 à 14 ans souhaitent peser moins alors que
« seulement » 30 % se
trouvent trop grosses. En 2006, l’Institut de veille sanitaire (InVES) montrait
que 18% des enfants entre 3 et 17 ans sont en surpoids ou obésité. La disproportion
entre ces pourcentages, 18% réellement concernées par une question d’excès de
poids, 30 % se trouvant « trop grosses » et 47% de filles voulant
maigrir, laisse perplexe. Pourquoi tant de filles ont le sentiment de devoir
perdre du poids ? (6)
Pour traiter cette question de
genre, curieusement… fort peu de travaux, à ce jour.
1° temps. Un pan de
l’environnement est totalement laissé en friche, celui des idéaux physiques et
de leurs représentations, auxquels se réfèrent les individus. Comment, en
Occident, les images, dans lesquelles nous baignons, représentent-elles les
femmes ? Ces publicités, ces modèles façonnent insidieusement une
« psychologie simpliste et manichéenne » en dictant des modèles
de beauté de plus en plus tôt. Les petites filles jouent désormais aux poupées
Barbie dès l’âge de 4 ans. Cette identification et cette introjection sont les
ressorts d’injonctions paradoxales efficaces, à bas bruit.
« Inviter » à coller à un modèle, culpabiliser en cas d’échec,
consommer des solutions médico comportementales sont des solutions coûteuses, à
tous niveaux.
2° temps. Ces références produisent ensuite inévitablement
des troubles alimentaires lorsque les conséquences en terme de « design physique » ne colle pas aux
idéaux. La souffrance psychique est déniée par une société qui refuse d’être
troublée par cette image qui lui est renvoyée. Le paradoxe dérange, il est
gommé.
La pathologie contemporaine de
l’excès de poids est cette fabrication sociale, passée sous silence.
3° temps. En réponse à ces injonctions (que nous soulignons comme paradoxales)
chaque femme se cherche une stratégie qu’un marché en constante progression
encourage. Ce sont les régimes, les produits minceurs, les sites internet…
malgré la crise : 3,4 milliards de chiffre d’affaires pour ce secteur
économique, en France en 2014 selon une étude montrant également une
spécificité féminine. (7)
Une question de
société devient une pathologie individuelle lorsque le formatage social
s’immisce dans l’intrapsychique jusqu’à en constituer une sorte d’empreinte. Un
faux-self se développe alors à partir
de représentations sociales introjectées. Ces identifications amènent des
comportements pathogéniques chez de nombreuses femmes, insatisfaites de leur
corps. De là, des tentatives de maîtriser leur silhouette et un effet a contrario de prises inéluctables de
poids. La privation crée de la frustration qui mène à la transgression.
Nous alertons sur
les effets pervers qu’un courant médico psychologique actuel, considérant les femmes comme des êtres émotionnels, en
mal de maitrise, est en train de fabriquer. Implicitement une nouvelle
dévalorisation chez les femmes s’en suit en parlant de ces fameux « kilos
émotionnels ».
L’effet de genre
agit dès l’enfance et flambe à l’adolescence des filles. Si l’être humain est à
la fois un être social et un individu singulier, les psychanalystes se sont
trop peu penchés sur ces questions contemporaines.
Pour conclure ce
point, les travaux sur l’obésité, l’excès de poids et le genre est ridiculement
bas au regard de l’ampleur du phénomène. Face à la pensée formatée, nous
voulons contribuer à la déconstruction d’a
priori, afin de favoriser une politique différente de prévention collective
(8) incluant une approche thérapeutique individuelle. Les effets de genre ont
des influence au masculin tout autant qu’au féminin. Cet épisode traite du
féminin. Prendre le temps d’y réfléchir n’est pas superflu.
Le galbe du
mollet des femmes…
Témoignage de N, 30 ans, femme forte en
apparence.
« Aurions-nous trop joué aux Barbie ? Bizarrement, ça me
faisait déjà peur quand j’étais petite de voir mes copines se rêver en future
poupée, blonde, sexy. Aurions-nous eu tort de jouer aux
Barbie ? Plus tard, quand j’ai commencé à ressentir sur moi des
regards un peu trop appuyés, des sourires en biais, j’ai eu un flash…
Barbie ! J’ai eu envie de fuir, de hurler. Au lieu de cela, j’ai baissé
les yeux. Quelle horreur ! Ma réaction, ça a été de regarder le pavé.
Je
m’en suis voulu, vous ne pouvez pas imaginer. Ces regards sales et c’est moi
qui ai honte ? Quelle violence
terrible, ce fut alors. A la fois, que ces mecs, anonymes, se permettent de
mater, dans les deux sens du terme, ainsi n’importe quelle jeune fille qui passe
et que j’en sois réduite à courber l’échine… Pour m’éviter ça, bye bye Barbie…
j’ai décidé de ne pas leur offrir mon corps en sacrifice.
Je me refuse à être
leur objet de fantasme. Je me suis protégée par des kilos, clairement. Une
violence vulnérable s’est emparée de moi. Je n’ai pas été violée, pas agressée
mais j’ai saisi le risque que je prenais si j’étais dans les normes de désir
affichées sur les panneaux des abri- bus. Les mannequins sont des objets qui
incarnent une idée du désir masculin, c’est clairement explicité aux enfants,
il y a Barbie et il y a les mannequins et les chanteuses. Garçons et filles
sont formatés. J’ai choisi de résister. Evidemment, ce n’est devenu conscient
que dans l’après-coup, en psychanalyse. Jeune adulte, j’ai essayé de perdre du
poids, comme tout le monde. C’est bête mais j’ai eu envie de ne plus avoir les
cuisses qui frottent l’été… C’est inconfortable, quand il fait chaud. J’ai eu
envie de me libérer de l’enveloppe de protection. J’ai fait tous les régimes de
la terre, dépensé plein de sous mais je ne tenais pas très longtemps face aux
frustrations. Je m’étais un peu trouvée, sexuellement, et j’ai commencé à
comprendre que le poids, ce n’était franchement pas une solution…
Récemment, j’ai entendu à
la radio, sur France Culture tout de même, un vieux médecin, connu, réputé dans
l’univers de l’obésité dire quelque chose sur le galbe des mollets des femmes, à son interlocuteur, médecin
également, avec un ton de connivence. J’ai été scotchée. J’ai revu les regards
torves des jeunes mecs. C’est la même chose, ça dépend du milieu social, de
l’éducation mais ils se permettent pareillement ces considérations sur les
femmes comme objets de leur désir. C’est incroyable ! J’ai énormément
réfléchi depuis ce galbe du mollet(9).
Les femmes ont- elles vraiment saisi toute l’ampleur des dégâts ? On peut
en douter à regarder le premier kiosque à journaux venu. Les magazines dits
féminins sont surtout un outil d’introjection d’un modèle les installant en
position d’objets. Elles s’y refilent les trucs pour correspondre à ce qui est
perçu comme désirable pour attirer les hommes. Se chercher un mari, c’est donc toujours
le principal projet, comme autrefois ? On aura beau obtenir la parité
si on n’a pas l’égalité, beaucoup de jeunes filles feront comme moi, pour
sauver leur peau en tant que sujet, il vaut mieux être grosses ! »
J’ai toujours
aimé citer des paroles de patient-es pour expliciter les choses. (3, 10) La
clinique m’a amenée à me pencher sur les questions d’obésité. Vous savez que kliné vient du grec, c’est le lit. Ainsi
ce n’est pas du haut de son savoir que le praticien parle mais incliné, penché
au chevet du patient alité. C’est en écoutant les gens que l’on s’interroge. Ce
n’est pas en plaquant des concepts.
En me penchant
sur ce que dit N, je me suis demandé si beaucoup de femmes ressentent ce bain
culturel dans lequel nous évoluons. Si c’est le cas, et c’est le cas
effectivement lorsque l’on prête une oreille attentive, pourquoi est-ce si peu
relevé, en dehors des milieux féministes ?
Le conformisme
des Sachants existe tout autant que
celui du reste de la population. Ils sont tout autant imprégnés des normes
d’une époque. Et à leur insu, ils peuvent prononcer des énormités, tel le galbe du mollet. Heureusement,
finalement, ainsi ce lapsus (pourrait-on dire) permet d’entendre ce qui motive
finalement leur désir de faire maigrir. Ainsi certains médecins ont une idée de
ce que doit être une femme, de ce qu’elle doit être pour éveiller le désir.
Alors, les méthodes suivent… bien sûr que la plupart seront civilisés, polis,
respectueux même, mais ils ont une vision de LA femme qui précède la rencontre
de telle patiente. Il va de soi pour eux qu’elle aura comme projet de devenir
ce type de femme, entrant dans leur désir.
C’est ce non-dit
qui est une catastrophe !
L’idéologie
sous-jacente ne s’exprime pas ouvertement la plupart du temps… Quoique ces
derniers temps, certains se lâchent. En France, la société s’est focalisée sur
le Mariage pour tous. Les positions se sont durcies et se sont alors exprimées
ouvertement. Bernard Waysfeld s’était déjà illustré, avant l’émission dont N
parlait. Son livre « la peur de grossir » est un plaidoyer anti-
féministe, il accuse ce mouvement d’être cause de l’obésité actuelle. On pourra
lire ma réponse « les chèvres-émissaires » dans le blog du think tank
obésités. http://thinktankobesites.com/feminisme-femme-objet-et-tca/
Si je me suis ensuite intéressée
de près aux sites-minceur dirigés par des médecins, ce sont mes patients qui en
sont à l’origine. J’ai découvert la mode qu’ils constituent. Pour être plus
explicite, le phénomène de mode est construit à partir d’une logique
simpliste : la grande masse des patient-es pourra accéder aux « bonnes »
consultations de ces médecins qui se sont construits grâce aux médias. Les
moyens modernes qu’internet rend possible, rend accessible le meilleur au plus
grand nombre… Cette auto-affirmation n’engage que celui qui y croit finalement,
comme toute promesse… Qui a dit que ce sont les meilleurs médecins ? Qui a
dit que se rendre sur un site avait le même intérêt qu’une consultation en face
à face ? Jacques a dit, vous connaissez la chanson !
La politique de l’édredon
Ainsi, on a dit qu’il fallait
être mince et que tous les moyens sont bons… Mais faut-il vraiment être
mince ? Peut-on interroger ce point de départ ? Il le faut !
Sinon, on part sans savoir pourquoi.
Certaines études semblent avoir
été étouffées. Celles menées par Katherine Flegal en particulier (11), se
référer au 1er épisode, publié ici-même… Une nouvelle étude, portée
à la connaissance du grand public ces dernières semaines (12) est dans la même
veine. Et probablement de nombreuses autres…
Le silence assourdissant autour
de leurs conclusions est patent. On peut discuter leurs résultats, les
conditions de leurs réalisations… Ne pas le faire, les traiter par le mépris,
les ignorer c’est en soi un parti-pris. Là aussi, il ne saurait y avoir de
hasard. Bien moins diffusées que les messages anxiogènes menant des millions de
personnes à tester différentes méthodes pour perdre quelques kilos de trop, les
études montrent que l’on fait d’un
non-problème un problème rentable. On ne peut que se révolter du marché de
la Santé puisse être considéré comme n’importe quel autre marché. Et franchement
se fâcher quand ce sont des médecins eux-mêmes qui se fourvoient dans cette
direction.
Ainsi donc travailler en amont
s’impose pour dénoncer cela et pour que le grand public puisse choisir de
persévérer pour obtenir un « corps de rêve », c’est-à-dire un corps
tel qu’il est conçu par des ordinateurs retouchant les photos de mannequins
déjà non représentatives de la population féminine. Un corps correspondant aux
fantasmes eux-mêmes fabriqués, exposés par Playboy
pour justement que les boys puissent
avoir des joujoux…
Cette image du corps est
intériorisée et correspond à un objectif à atteindre, en oubliant le leurre
dont il s’agit. Cette vision imaginaire de l’idéal s’impose aux personnes
vivant dans le monde occidental.
Tout comme il existe des magasins Ikéa,
vendant des meubles à assembler, il existe une image du corps- prêt à porter…
S’y conformer semble la raison menant des préadolescentes à entamer un régime
pour perdre des kilos qu’elles n’ont pas en trop !
Des millions de témoignages
circulent partout, sur le net, dans les magazines, sur les ondes, de ces femmes
jamais satisfaites de leurs corps… prêtes à avaler tous les anorexigènes qui
soient leur promettant des corps minces, toniques… Et du côté des jeunes hommes
ce sera plutôt musclé façon body- bulding. Quand ce sera le moment de
déconstruire les effets de genre au masculin, on sera tout autant effaré de
constater la manipulation. Ce principe du pré- fabriqué semble rassurant, il
offre des repères. Offre ou impose ? Derrière, se planque le marketing de
ce marché de la Santé.
Comment être bien dans sa peau
dans un tel contexte ? Nous ne sommes plus à l’époque de Sigmund Freud… La
famille s’est considérablement élargie et ce n’est pas en raison des mariages
de toutes sortes. Les préceptes circulent et les écrans veillent en permanence,
ils nous interpellent jusqu’à nous prescrire notre assiette.
Joseph (14) : « ça me
rappelle que je devrais faire quelque chose. C’est obsédant. Vous allez bien,
et pof, on vient sur votre portable vous dire que vous avez un problème…
Certains jours, ça plombe l’ambiance ! Certains jours, où je suis déjà
déprimé, c’est pire… je ne comprends pas que des médecins aient le droit de se
comporter comme des marchands de soupe. Un médecin, c’est le patient qui le
consulte… pas l’inverse ! ».
Ainsi une obsession complètement
nouvelle est engendrée et nourrie par ces médecins qui ont trop lu de manuels
d’économie. Cette caution introduit une confusion supplémentaire, scandaleuse.
Perverse, au sens propre du terme, pour le bien de celui qui émet la
proposition. C’est un abus de pouvoir d’une personne ayant autorité. La
violence est symbolique, puisque bien sûr aucun médecin n’utilise la force pour
s’imposer. Mais, il revient sans cesse sur l’écran personnel, intime de Joseph…
Il est faux que ce soit pour la
santé que les gens démarrent un régime. C’est pour correspondre à une norme,
fictive, totalement construite. Pour rappel, la fourchette haute de l’IMC dit
normal était de 27 avant qu’il ne soit abaissé à 25, de manière totalement
arbitraire. Ce n’est qu’un indice, statistique.
Aléatoire. Contesté dans les
milieux scientifiques.
Ainsi un non-problème est devenu
l’agent de destruction massive de vies ! Et, oui, des médecins y
participent !
Qui sait aujourd’hui qu’il n’y a aucun problème à être un peu enrobé ?
Qui sait que ce système
oppresseur n’a strictement aucune raison d’être ? Le corset a été remplacé
en mille fois plus actif, le fléau de l’obésité a été mondialisé. Le corset
était réservé à une certaine élite, la taille fine était déjà le signe de la
noblesse, il déformait déjà les corps. La pression sociale s’est démocratisée.
Elle est complètement introjectée et la servitude totalement volontaire…
Voilà pourquoi légiférer les sites-minceur
est indispensable.
Voilà pourquoi il faut aussi
s’inquiéter quand certaines mutuelles remboursent certains abonnements sur
internet à une entreprise commerciale alors que la consultation diététique en
cabinets de diététiciennes diplômées ne l’est pas. Cela signifie que le lobby a
été puissant. Et c’est tout ! De même quand certaines méthodes psy le sont
et pas d’autres. Ce sont encore des histoires de pressions commerciales, de
rapports de force, pas du bien de l’adhérent… Posez les questions à vos
mutuelles, vous serez surpris-es.
« Entre le fort et le faible, … c’est la liberté qui opprime et la
loi qui libère » Lacordaire.
Une femme jette sur mon
bureau un petit magazine. Pourquoi cette colère ? Résumons. C’est le n° 1, de juin 2015, de « Comment ça
va ? ». Extraits de l’édito : « Consacré à la santé
connectée… dans la salle d’attente de cotre médecin… 7 millions de
Français sont des mobinautes –c’est-à-dire qu’ils utilisent leur téléphone
mobile pour chercher de l’information santé sur internet- et que 13% d’entre
nous ont déjà acheté un objet connecté… »…
Une revue diffusée gratuitement
dans les salles d’attente des médecins, et consultables sur un site internet,
fait la publicité des sites minceur. C’est également scandaleux. Qui plus est
l’ARS est partie prenante affirme la couverture. Et, un médecin-expert vante le coaching en
ligne… en oubliant de préciser qu’il est un propriétaire de ce type de sites.
Conflit d’intérêt ?
Mais qui a réfléchi à cela ?
C’est du même tonneau que le Conseil Général des Bouches du Rhône qui a récemment
gaspillé 33 000 euros (des contribuables) avec une couverture de carnets
de santé où l’on voyait la photo d’un garçonnet souriant, regardant en face
l’objectif et faisant un geste au- dessus de sa tête comme si une toise
montrait qu’il allait grandir et en retrait une fillette, le regard baissé sur
sa taille, se serrant la ceinture avec un mètre de couturière, signifiant ainsi
qu’elle doit faire bien attention à ne pas grossir… Bonjour les stéréotypes qui
vont aider à se sentir bien dans sa peau ! Ces carnets de santé sont
donnés à la maternité à la naissance de tout enfant. Des associations
féministes ont exigé le retrait. Ce qui fut fait mais on a entendu dire
qu’elles faisaient gaspiller de l’argent. N’est-ce pas plutôt les personnes
ayant eu cette idée qui en sont coupables ? Quels fonctionnaires peuvent
impunément diffuser de tels messages et ne pas se voir renvoyer de leurs
fonctions ?
La fabrication d’obésité suit à
la fois des chemins de traverses et des autoroutes. Il n’est pas possible de
lutter contre les méfaits si on continue à inciter, de toutes parts, pour
différentes raisons, idéologiques, mercantiles, visibles ou non…
Les déterminants qui façonnent
les identités sont d’autant plus agissants qu’ils ne sont pas conscients.
Permettre le débat avec ces stéréotypes qui accompagnent et aliènent tout le
monde est une ouverture pour éviter une carrière d’obésité.
En tant que psychanalyste, je
sais que rendre visibles et conscients les déterminants les désactivent.
Je sais aussi que les influences
du contexte socioculturel ne sont pas suffisamment décortiquées.
C’est une des données les moins
envisagées dans l’univers de l’excès de poids en particulier et pourtant pas
des moins agissantes.
C’est un des impensés de l’obésité !
****************
Notes :
1/ OMS, site consultable sur internet, voir Aide Mémoire, n° 311, 2014.
2/ Etude ObEpi-Roche, résultats de 01/03 2012, sur un
échantillon de 25 000 personnes, renouvelée tous les 3 ans.
3/ Catherine Grangeard, Comprendre l’obésité, une question de personne, un problème de société, Albin Michel (2012)
4/ Thibaut de Saint Pol, Le corps désirable, Hommes et femmes face à leur poids, PUF (2010)
5/ ANSES, « Evaluation
des risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement »,
rapport dirigé par le Dr Jean-Michel Lecerf (nov 2010)
6/ Catherine Grangeard, « Faim de régimes » in Le
poids du corps à l’adolescence, Livre
collectif Albin Michel (2014)
7/ institut économique Xerfi (2014)
8/ Si en janvier 2014, le rapport
Herceberg propose deux mesures (sur 10 mesures) relevant de cet environnement
social : ne plus tolérer sur les podiums des mannequins en IMC inférieur à
18 et interdire les photos retouchées dans les magazines, son application est curieusement freinée.
9/ http://www.franceculture.fr/emission-revolutions-medicales-le-poids-que-dit-il-de-nous-2014-06-17
En réaction au sexisme réaffirmé en permanence de
Bernard Waysfeld, voir: http://thinktankobesites.com/feminisme-femme-objet-et-tca/
10 / Catherine Grangeard, Obésités. Le
poids des mots, les maux du poids. Ed Calmann Lévy,
Paris 2007.
11/ Katherine Flegal, JAMA (The Journal of the American Medical
Association) Janvier 2013
12/ étude Bichat à consulter : Accidents cardiovasculaires : des liens surprenants avec l'obésité
13/ Comment ça va ? revue + site http://www.offremedia.com/voir-article/ids-sante-lance-comment-ca-va-nouveau-semestriel-gratuit-dedie-a-la-sante-connectee-disponible-dans-les-cabinets-medicaux/newsletter_id=203467/
14/ voir mes blogs de Médiapart et du Huffington Post
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