Un exercice d'éthique appliquée
Par Marc Zaffran/Martin Winckler
Pour tout
professionnel de santé, l'exercice d'une pratique conforme à l'éthique repose
sur quelques principes simples, et en particulier sur le respect dû à la
personne. C'est ce qu'on appelle le principe d'autonomie : le patient est
réputé, en première analyse, prendre
ses décisions de manière libre et
informée (l'un ne va pas sans l'autre), en dehors de toute pression ou
manipulation de la part du soignant. Ce qui signifie aussi qu'on n'a ni le
droit de lui imposer un geste – utile ou inutile, ni celui de lui faire subir
quoi que ce soit sans son consentement explicite. Et on ne peut pas donner son
consentement si on n'a pas été informé.
Application
pratique. Prenons l'exemple suivant :
Un chirurgien enseignant invite ses
étudiants à venir apprendre l'examen gynécologiques sur des femmes endormies en
salle opératoire. Lorsqu'un(e) étudiant(e) lui rétorque que c'est inacceptable,
il répond : "Si tu le prends comme ça, tu n'apprendras jamais à faire un
examen gynécologique."
Ce que propose
l'enseignant est inacceptable pour une raison simple : les femmes qui servent ici
à "enseigner" l'examen gynécologique ne sont pas au courant. On ne
les a pas consultées. On ne leur a pas demandé la permission. Il s'agit donc
d'un viol pur et simple de leur corps et de leur confiance, de leur intimité, du respect qu'on
leur doit. L'argument selon lequel "Il faut bien que les étudiants
apprennent" ne tient pas : le patient n'est pas un cobaye, il n'est pas un
terrain d'apprentissage, il n'est pas subordonné aux besoins, désirs ou
aspirations des professionnels.
Notez bien que
l'argument "d'apprentissage" ne tiendrait pas plus si l'on suggérait
aux étudiants de pratiquer un examen de prostate par toucher rectal chez tous
les hommes endormis qui n'ont rien
demandé. Comme c'est beaucoup moins courant, la première situation est non
seulement inacceptable mais, en plus, elle est sexiste. Donc, doublement
indigne – de la part du soignant mais aussi envers et pour autrui.
L'argument tient
d'autant moins que dans les communautés médicales où on s'est posé la question (au Canada, au Royaume-Uni, en Scandinavie, par exemple),
le problème a été résolu : les étudiants apprennent l'examen gynécologique sous
supervision stricte, en consultation, avec des patientes non seulement
prévenues, mais volontaires (elles
savent qu'elles auront affaire à des médecins en formation et elles sont désireuses de contribuer à leur formation). Cette
collaboration des patientes fait l'objet de contrats très précis, rédigés et
signés par toutes les parties, qui permettent de protéger les personnes
volontaires. Et la participation des patientes n'est pas acquise une fois pour
toute : les premières intéressées peuvent retirer leur consentement à tout
moment.
Si j'ai pris cet
exemple c'est pour vous inviter à réfléchir à la non-éthicité d'un geste qu'on
peut percevoir comme physiquement non
traumatisant (examiner quelqu'un qui dort ne l'est pas, en principe, puisque la
personne ne sent rien et ne sait pas) mais qui est moralement extrêmement pénible à supporter : personne ne supporte
l'idée qu'on abuse de lui ou d'elle quand il est impuissant. Ainsi, les viols
commis sur des personnes incapacitées par l'alcool ou par un médicament peuvent
ne pas s'accompagner de traumatisme physique, ils n'en restent pas moins des viols.
Et stricto sensu, un examen
gynécologique pratiqué sur une femme sans son consentement, pendant son
sommeil, est, au minimum, un
attouchement sexuel. Le fait qu'il soit pratiqué dans le cadre médical n'est
ni une excuse ni une justification.
En dehors des
situations d'extrême urgence (qui sont très particulières et ne nous
intéressent pas ici), on peut considérer comme une atteinte flagrante à l'autonomie d'un(e) patient(e) :
- l'absence
d'information sur les gestes envisagés ou pratiqués par les soignants
- le refus de
répondre aux questions du patient concernant son état de santé et les
traitements reçus
- l'absence de
consentement du patient
- la pratique de
gestes inutiles ; la pratique de gestes physiquement pénibles sans préparation,
analgésie ou, en l'absence d'analgésie possible, sans le consentement explicite
du patient
- le non-respect
des opinions, croyances, préférences ou décisions du patient (dérision,
jugement, dénigrement, humiliation)
- les pressions
morales – menace, chantage, culpabilisation
- le viol (ou le non-respect) de la
confidentialité
- l'utilisation de
la situation du patient, à son insu, à des fins autres que les soins qu'il
demande - une expérimentation, par exemple.
Cette liste
n'est pas exhaustive.
Les atteintes à l'autonomie peuvent être actives (le médecin fait un geste sans prévenir ni justifier) ou passives (omettre de donner une information, par exemple). Elles peuvent être physiques ou verbales.
La maltraitance verbale est une forme sournoise d'atteinte à l'autonomie, mais malheureusement courante. Je vous propose un petit exercice d'application.
Lisez les phrases qui suivent et répondez aux questions suivantes :
- Que signifie
cette phrase ? (Plusieurs réponses possibles).
- Pourquoi
est-elle inacceptable (sur le plan de l'éthique) venant d'un professionnel de
santé ?
- Quelle.s autre.s
phrase.s le patient serait-il en droit d'attendre de la part du professionnel ?
- Que doit faire
ou répondre un patient au médecin qui lui dit cette phrase ?
Rédigez vos
réponses et gardez-les précieusement. Et relisez-les quelques jours plus tard.
Bonne
réflexion, tou.te.s
Marc
Zaffran/Martin Winckler
Les
phrases a commenter :
"Allez-vous
pouvoir me payer ?"
"Commencez par vous
déshabiller !"
"Vous n'avez rien."
"Ce n'est pas vrai/c'est un
mensonge."
"C'est dans votre tête."
"Détendez-vous !"
"Je vous interdis (compléter avec les mots de votre choix)…"
"Si c'est comme ça, ce
n'est plus la peine de revenir me voir."
"C'est qui le médecin, ici
?"
"Taisez-vous !"
"Vous êtes fou/folle ?"
"Vous êtes irresponsable ! Pensez
à votre famille !"
"Je n'ai pas le temps."
"C'est interdit par la
loi."
"Où êtes-vous allé(e) chercher ça ?"
"Ne
bougez pas, ça sera pas long."
"Non,
non ça ne fait pas mal/Vous exagérez/Vous êtes douillet/te."
"Vous
devez vous laisser examiner. Sans ça, je ne peux pas vous soigner."
"Si vous ne
m'obéissez pas vous allez mourir/rester handicapée/rester stérile/tuer votre
enfant/etc."
"Vous m'ennuyez/Vous me faites perdre mon temps/Encore vous, vous le faites
exprès ou quoi ? !"
"Il
serait peut-être temps de penser à faire un enfant."
"Vous
verrez, vous changerez d'avis."
"Une ligature de trompes ? Vous perdez la tête ! Vous êtes inconsciente !"
"Faites-moi
confiance, je sais ce que je fais..."
"Je ne peux
plus rien pour vous"
"Vous ne
comprendriez pas/Vous ne comprenez pas."
"Vous
commettez une grave erreur."
"Qui est-ce qui vous a mis pareilles idées en tête ?"
"Si vous ne
suivez pas mes conseils, je ne réponds plus de rien."
"Croyez-moi,
c'est ce qu'il y a de mieux à faire."
"Ce qu'on
raconte sur l'internet, ce sont des conneries."
"C'est
votre inconscient qui vous travaille ! "
"Vous
devriez faire un effort et perdre du poids !"
"Vous êtes
très jolie/très belle/très sensuelle... "
"Ce que
vous avez là, sur le visage, c'est vraiment pas beau."
"Vous êtes
un peu trop jeune pour…. (compléter
avec les termes de votre choix)"
"Un enfant
à votre âge ? Vous n'y pensez pas !"
Ça me fait penser à mon suivi de grossesse pour n°2. Déjà les tests de dépistages (VIH et tout ce qui s'en suit), j'ai pu mettre mon véto sur le VIH, le seul pour lequel on m'a demandé mon avis, d'autant que je l'avais fait pour ma première grossesse 2 ans auparavant, que je suis toujours en couple avec le même homme, couple stable. Quand une gynéco m'a demandée pourquoi je n'avais pas fait le test et que je lui avais répondu que je l'avais fait pour la grossesse précédente elle m'avait répondue "on n'est pas forcément séronégatif toute notre vie" Hummm. C'est sûr, c'est vrai mais dans mon cas, on ne peut pas dire que le risque était élevé. Bref. Pour les autres tests quand j'ai demandé au labo si je devais absolument les refaire (puisque fait 2 ans auparavant) ils m'ont demandé si c'était dans ce labo, ma réponse, non, puisqu'on avait déménagé entretemps. "Alors il faut les refaire de toute façon". Genre. Entre labo on ne se fait pas confiance, c'est ça ?
RépondreSupprimerMais le pire, je crois que c'était pour le test au glucose. Je ne voulais pas le faire. Ma grossesse se passait bien, pas de prise de poids excessive, bébé "normal" à l'écho, pas de signes d'appel pour un éventuel diabète. Ma sage-femme voulait que je le fasse (seul point de discorde pendant le suivi avec elle), mon mari ne comprenait pas pourquoi je ne voulais pas le faire (je m'étais renseignée et ça me semblait particulièrement inutile de passer plusieurs heures en labo avec risque de vomissement et de malaise pour ça). Lors d'une écho faite avec un gynéco de l'hôpital où j'avais prévu d'accoucher, je lui demande son avis sur le test :
"Il faut le faire." Ah, pourquoi ?
"C'est important, c'est le seul test qui permet de déterminer s'il y a diabète.
– Et le taux de sucre dans les urines qu'on teste là ?
– C'est pas fiable comme test, les femmes enceintes peuvent avoir du sucre dans les urines sans que ça signifie qu'il y a diabète.
– Alors pourquoi on continue à le faire ce test ?
– Par habitude."
(Roulements d'yeux de ma part et soupir intérieur)
"Pourquoi devrais-je le passer le test du glucose, moi ? J'ai lu qu'il n'était pas systématique"
S'en suit quelques arguments bien bidons quand arrive le "risque"
"Vous avez fait un premier gros bébé"
"4kg050 ? Oui, à 51 g près, il ne rentrait pas dans la catégorie et vous nous avez vu avec mon mari, franchement on n'aurait pas pu faire une crevette de 3kg à terme ! (je fais 1m85 et mon mari 1m93), ce n'est pas un risque probant pour moi, surtout si c'est le seul.
– Eh bien, si vous voulez revenir au moyen âge..."
Aha, argument ultime heureusement que je ne lui aie pas dit que mon rêve ce serait d'accoucher chez moi...
Par pression médicale et pression de mon mari qui ne comprenait pas pourquoi je ne voulais pas faire ce test, je l'ai fait. Tout était normal.
J'aurai bien aimé votre avis sur la question, j'ai lu dans le livre "Vivre sa grossesse et son accouchement" d'Isabelle Brabant que ce test déterminait s'il y avait diabète mais le fait de le "contrôler" pour la fin de la grossesse ne diminuait pas les risques de morbidité (je crois que c'est le terme), en gros avec ou sans test, les bébés n'étaient pas en meilleure santé, ne mouraient pas moins. Que c'était surtout iatrogène comme test. Bref, désolée pour le pavé.
J'adore votre écriture, toujours si simple à comprendre et pleine de bon sens.
le professionnels de santé pensent qu'en étant cru est dans l’intérêt du patient
RépondreSupprimerEncore une : "mais c'est rien, ça!" (quand je fais la liste de mes antécédents médicaux à la demande d'un nouveau médecin)
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