dimanche 25 septembre 2022

Le paternalisme des gynécologues a encore de vilains restes - par Marc Zaffran/Martin Winckler

24 septembre 2022

Ces jours-ci, une internaute m'a envoyé cet entretien publié dans Ouest-France. 

Je vous invite à le lire, et je vous en reparle après. 



Vous avez lu ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Je vous invite à me l'écrire (martinwinckler (at) gmail.com), votre opinion m'intéresse. 

En attendant, je vous donne mon sentiment. Je ne peux que m'appuyer sur ce que dit Ghada Hatem, et que retranscrit le quotidien. Mais les mots sont importants. 

"C'est un problème qu'il va falloir affronter". 

 Mmmhhh... Je signalais déjà le problème en 1998, dans La Maladie de Sachs, je l'ai décrit très précisément en 2009 dans Le Choeur des femmes,  j'y suis revenu à la louche en 2016 dans Les Brutes en blanc, et des livres comme Le Livre noir de la gynécologie de Mélanie Déchalotte ou Accouchement les femmes méritent mieux de Marie-Hélène Lahaye ont largement enfoncé le clou depuis, ainsi que bien d'autres livres qui seraient trop nombreux à citer. 

Alors, oui, il serait peut être temps d'examiner le problème et de le prendre à bras-le-corps, au sein de la profession, plutôt que "l'affronter", parce qu'il s'agit justement de faire cesser les violences exercées sur, et ressenties et décrites par les femmes, dans le cadre de leurs interactions avec les gynécologues. 

"Des médecins qui essaient de bien faire leur métier mais qui parfois ne sont pas assez attentifs/empathiques et qui ne s'intéressent pas toujours au vécu de leurs patientes

What the fuck ????  L'empathie, l'attention à l'autre et l'intérêt pour le ressenti des personnes soignées ne sont pas des "options" professionnelles. Elles font partie intégrante de ce qu'on nomme dans beaucoup de pays le professionnalisme des médecins (et de toutes les professionnelles de santé, d'ailleurs). C'est ce qu'on regroupe sous le terme général de bienveillance, qui n'est jamais facultative, mais fait partie des obligations éthiques de tout.e soignant.e. 

Alors je suis désolé, mais on ne peut pas "bien faire son métier" sans ça. Et il ne suffit pas de dire aux médecins inattentifs et non-empathiques "Hé les gars, faudrait l'être un peu plus" pour "affronter le problème". 

"D'un autre côté, on a des femmes qui ont perdu un peu confiance en la médecine"

Euh, non, elles ont pas perdu confiance "en la médecine" (qui ne se résume pas aux médecins, y'a des dizaines de professions de santé et des dizaines de milliers de soignantes qui contribuent à la médecine) elles ont perdu confiance en un groupe professionnel - en l'occurrence les gynécologues - lesquels sont censés être spécialisés dans les soins de santé des femmes. 

Les griefs des femmes ne manquent pas, mais ils ne se limitent pas aux interactions directes avec un grand nombre de médecins, ils comprennent aussi les discours culpabilisants ou terroristes tenus par ces médecins. 

Il ne faut pas oublier que jusqu'à l'apparition de l'internet et des réseaux sociaux, le discours médical était vertical et n'allait que dans un seul sens. Avant ça, quand un.e gynécologue disait dans les journaux, à la télé ou à la radio : "Une femme qui ne voit pas un gynéco chaque année est inconsciente", ou encore : "Attendre d'avoir plus de trente-cinq ans pour faire un enfant est irresponsable", ou encore : "Ne pas aller à la mammographie de dépistage c'est jouer avec votre vie", la plupart des femmes n'avaient aucun moyen de savoir qu'il s'agissait d'un discours purement terroriste, ne reposant sur aucun fondement scientifique. 

Depuis qu'elles peuvent aller chercher des informations en ligne, elles savent que c'est du terrorisme. Et elles se méfient. A juste titre.  

Ce n'est donc pas en "la médecine" qu'elles n'ont pas confiance, mais en des professionnel.les qui pratiquent de la mauvaise médecine jusque dans leur manière d'en parler en public

"... se sentent agressées et exigent plus de pédagogie, plus de respect, et elles ont raison." 

 Est-ce que c'est moi, ou bien est-ce que j'entends un cargo de paternalisme dans cette phrase. Les femmes ne veulent pas être "mieux éduquées" par les gynécos (c'est ce que le "plus de pédagogie" suggère). Elles veulent qu'on leur parle comme à des adultes !!!! 

Elles ne veulent pas "plus de respect", elles veulent qu'on les respecte, un point c'est tout. Le respect, ça ne se délivre pas en pourcentage. On se sent respectée ou non. Et en ce moment, beaucoup de femmes disent qu'elles ne le sont pas.  

C'est dans la suite que ça se gâte vraiment. 

"Il va falloir que l'on fasse un pas vers l'autre. Que les médecins acceptent de s'interroger sur leur pratique...." 

Examiner sa pratique, ce n'est pas une faveur qu'on consent à la personne qui vous le demande. 

C'est une obligation professionnelle. 

"Mais il faut aussi que les femmes comprennent que la pratique médicale est complexe." 

Ici, on constate que Ghada Hatem a le paternalisme bien ancré. "Il faut que les femmes comprennent". Ben oui, dame, elles peuvent pas comprendre, ce sont des femmes ! Et en plus elles sont pas médecin ! 

On rêve... 

Et ça se poursuit en beauté : "Dire à une femme qu'elle a peut-être du surpoids c'est pas de la grossophobie. Dire à une femme de 38 ans que faire un bébé dans quelques années ça sera difficile..." 

Ben, quand cette femme n'a rien demandé et ne consulte pas pour son poids ou pour son désir d'enfant, bien sûr que c'est une agression grossophobe !!!  Car ça sous-entend que le poids ou l'âge de la grossesse sont des éléments importants aux yeux du médecin. Mais si la femme n'a rien demandé, ce que le médecin pense du poids de ses patientes ou ce qu'il pense du fait qu'elle veut un enfant après quarante ans, ce n'est pas une information. C'est un jugement de valeur. Autrement dit : un manque de respect. Et ne parlons même pas de l'idée que les femmes "peut-être en surpoids" ne pensent pas déjà qu'elles le sont, et que celles qui envisagent peut-être une grossesse après quarante ans ne s'inquiètent pas de leurs chances de succès. 

Quand à dire à une femme de 38 ans que "dans quelques années", c'est encore se mêler de ce qui ne nous regarde pas. Surtout si elle n'a rien demandé. On n'a pas à "brandir l'horloge biologique" devant les yeux des femmes, comme si elles avaient besoin qu'on leur donne l'heure ! D'autant que parmi les femmes de 38 ans, il y en a un certain nombre qui ne veulent pas avoir d'enfants !!!! 

Comme si on ne les bassinait pas déjà suffisamment avec ça dans tous les médias, discours médical à l'appui !!!!  

Le paternalisme, ça se dépiste assez simplement, au fond : toute personne qui vous parle en laissant entendre qu'elle sait mieux que vous ce qui est bon pour vous, est paternaliste. Dans l'entretien ci-dessus, les propos attribués à Ghada Hatem sont furieusement paternalistes.  

"Question : Vous êtes choquée quand on parle de viol gynécologique ? 
Réponse de G.H. : Ca me heurte profondément même si techniquement, mettre un spéculum à quelqu'un qui n'est pas d'accord et qui n'a pas donné son consentement rejoint la définition du viol."

Qu'en termes élégants ces choses là sont dites ! Non, Ghada Hatem, y'a pas de techniquement qui tienne. 

Ce que vous avez décrit, c'est exactement la définition du viol par la loi"acte de pénétration sexuelle commis avec violence, contrainte, menace ou surprise" !!!! 

Et le fait que cet acte soit infligé par un médecin à une femme "qui vient se faire soigner" n'y change rien !!!! 

Et le paternalisme de Ghada Hatem revient au galop dans la suite "Bien sûr qu'il y a des médecins violeurs comme dans toutes les professions..." 

Et c'est tout ce qu'elle a à en dire ? Elle n'ajoute pas que c'est insupportable, que c'est intolérable, que ces gens-là devraient être interdits d'exercer et foutus en prison... Comme si au fond, ça n'avait pas d'importance. Comme s'il était acceptable que des médecins (comme tout le monde) violent les personnes qu'iels sont censées soigner ! Comme si un viol médical, c'était l'équivalent "accidentel" du viol commis par un type qui vous agresse dans l'obscurité d'un parking souterrain. "Bon, ça arrive, mais c'est rare..." 

Mais pas du tout !!! A son cours d'éthique professionnelle, elle aurait un zéro pointé, Ghata Hatem ! 

Sur le plan moral, un viol gynécologique, c'est exactement la même chose que le viol commis par un proche. C'est une agression d'autant plus grave qu'elle est perpétrée par une personne en qui on avait toute confiance. 

Et il y a une grande différence : nos proches ne prêtent pas serment. Les médecins, si ! Et le premier principe éthique, c'est "D'abord ne pas nuire" !!!!! 

La fin de l'entretien est caricaturale. "Les jeunes femmes angoissées avec tout ce qu'elles lisent sur les réseaux sociaux." Oui, bien sûr, parce que c'est juste ce qu'elles lisent, c'est pas la manière dont elles, leurs soeurs, leurs mères, leurs amies, ont été traitées par les professionnelles. C'est juste les racontars sur Facebook et Instagram... 

Quant à "Mes collègues me disent qu'ils ne veulent pas finir devant le tribunal et qu'ils vont arrêter d'examiner leurs patientes"... c'est tout simplement lamentable. 

Une consultation de soins, ça ne se résume pas à un examen. Examiner le corps d'une personne soignée, ce n'est ni indispensable ni obligatoire : le plus important est de savoir ce qu'elle demande, ce qu'elle craint, ce qu'elle veut ou ne veut pas - et il est très facile de le savoir, il suffit de l'écouter. 

Ensuite, seulement on peut être amené à lui proposer de l'examiner si elle le veut. Et toujours en respectant sa pudeur, sa sensibilité et ses craintes. 

La meilleure consultation gynécologique, ce n'est pas celle que le/la professionnelle fait "selon les règles de l'art" (l'art médical défini par les médecins...), c'est la consultation dont la personne soignée sort en se sentant mieux qu'avant d'y être entrée - parce qu'elle (liste non exhaustive) a pu dire ce qu'elle avait à dire, parce qu'elle a été touchée (ou non) avec respect, parce qu'on lui a montré qu'elle était seule à décider de ce qui la concerne, parce qu'on ne lui a décoché ni commentaire désagréable ni réflexion déplacée, parce que (par exemple) on lui a proposé d'insérer le spéculum elle-même avant de lui faire un frottis, parce qu'on lui a rappelé qu'elle doit toujours être d'accord avant qu'on pose le petit doigt sur elle, parce qu'à aucun moment on n'a fait mine de la menacer ou d'exercer le moindre chantage...  

Bref, ça ne demande pas une grande expertise "technique". 

Soigner, encore une fois, ça commence par "D'abord ne pas nuire" !!!! (Il va falloir le répéter combien de fois ???) 

Et seule la personne soignée peut dire ce qui lui nuit ou non ! 

Soigner avec respect, ce n'est pas une "technique", c'est une attitude. Incompatible avec le paternalisme. 

Allez, Ghada Hatem (et le congrès des chirurgiens gynécologues de Rennes), encore un effort ! 

Ce n'est pas aux femmes de "faire un pas" vers vous. 

C'est à vous de remplir vos obligations professionnelles et éthiques ! Celles qui sont inscrites noir sur blanc dans le code de déontologie. Celles qui sont enseignées dans toutes les facultés de médecine du monde occidental -- sauf en France, semble-t-il. Celles qui devraient vous guider chaque jour, à chaque consultation, dans chaque rencontre avec chaque personne en demande de soin. 

Et, tiens, quitte à "accepter d'examiner vos pratiques", vous pourriez commencer par examiner votre manière de penser et de parler. 

Quand vous vous exprimez dans la presse, votre paternalisme se voit. Beaucoup... 


Martin Winckler, alias Marc Zaffran, médecin généraliste, ivégiste et poseur-de-diu-"planqué

2 commentaires:

  1. Merci, merci, merci. Vous n'imaginez pas tout ce que vous avez fait pour moi, et, par conséquent, pour ma fille qui, j'espère, grâce à l'information et l'éducation que je lui transmets, ne connaîtra pas ou saura se défendre contre ce que j'ai subi de la part de la grande majorité des gynécologues que j'ai consultés : pratique d'examens inutiles, examens pratiqués contre mon avis et ma demande, paternalisme, rabaissement ou refus de croire à mes ressentis, mensonges pour essayer de me rendre plus "docile" quand j'ai commencé à m'affirmer, menaces... Sans vous, mon estime pour moi-même serait nulle. Continuez, SVP.

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  2. Je n'aurai pas mieux dit. Moi aussi, je vous remercie du fond du cœur, pour moi et pour mes filles. Je me sens moins seule quand je lis des articles tels que celui-ci. Je me rends compte que je ne suis peut-être pas si dérangée, si fragile, si pudibonde que ce que l'on a voulu me faire croire quand j'ai essayé de parler de mon ressenti au monde médical. Tout se résume dans le terme "respect". Quand on respecte quelqu'un, on ne condescend pas, on ne minimise pas ses ressentis, on ne le brutalise pas, on n'excuse pas que quelqu'un qui lui manque de respect et/ou bafoue ses droits. Merci de la pertinence de vs propos qui peuvent sans doute peser alerter certaines patientes, certains proches de patientes et, je l'espère, des professionnels soucieux de l'éthique de leur pratique.

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