lundi 2 mars 2020

Quand on est étudiant.e en médecine, que faire face à la maltraitance ?

Une étudiante en médecine m'a écrit... 


"Je suis encore au début du cursus, mais le hasard et la chance ont fait que j'ai déjà eu une expérience hospitalière, en tant que patiente puis à travers une mission d'un an en service civique à l'hôpital. Et la malchance fait que j'ai déjà été témoin de comportements brutaux de la part de professionnels de santé, à mon égard ou envers d'autres patient.e.s. 

Récemment j'ai reçu un cours sur la relation de soin dans le cadre d'un enseignement de sémiologie. Une psychiatre nous a exposé différentes composantes de la clinique et de la relation aux patient.e.s auxquelles nous devrions être vigilant.e.s le moment venu. La conférence m'a semblé globalement en accord avec le peu que je connaisse des principes déontologiques et éthiques, hormis quelques réflexions de sa part (par exemple sur la "fermeté nécessaire" "pour le bien du patient", ou la justification d'être expéditif avec un patient parce que "sa tête ne nous revient pas") qui m'ont semblé un peu douteuses.
Ainsi, je suis allée la voir à la fin du cours pour une question à laquelle j'ai souvent réfléchi mais qu'elle n'avait pas abordée: Je lui ai demandé quel était le comportement à avoir si, en tant qu'étudiant.e en médecine, nous étions pris à parti (dans le cadre d'une visite avec l'équipe par exemple) ou témoin d'une situation de maltraitance vis à vis d'un.e patient.e.
  • Faut-il afficher immédiatement et ostensiblement sa désapprobation vis à vis de ce qui se passe? 
  • Faut-il attendre d'être "entre-soi", sans le/la patient.e concerné.e pour évoquer la situation? 
  • Faut-il dénoncer et nommer la personne qui a maltraité, auprès de ses supérieur.e.s, sans lui en parler avant? 
  • Se rapprocher d'autres témoins plus proches de nous hiérarchiquement (autres externes, internes, chefs de cliniques,...)  pour "faire bloc" et appuyer sa légitimité/crédibilité contre la personne en question? 
  • Faut-il manifester du soutien au/à la patient.e sur le moment, montrer qu'on est pas d'accord?
  •  Attendre d'être seule à seule avec lui/elle pour lui faire part de notre soutient et/ou conseiller la personne de se plaindre auprès du conseil de l'Ordre, ou autre? 
J'avais quelques hypothèses sur la question, mais je suis venue en candide, disant que j'en n'avais pas la moindre idée (ce qui est en partie vraie, ce n'était pas qu'une "expérimentation" pour savoir à qui on aurait à faire s'il y avait lieu de se plaindre d'une situation insupportable dans le cadre de nos stages - il se trouve que cette dame est responsable d'une cellule d'écoute pour les étudiant.e.s en médecine ayant un mal être lié aux études). 
Sa réponse, et la discussion qui s'en est suivie, m'a laissée perplexe: elle admettait les possibles maltraitances médicales et la nécessité d'agir, quelque soit notre posture ou notre "grade" dans la profession, mais n'a pas attendu plus de trente secondes avant de me parler du devoir de confraternité, impliquant: pas de remise en question des actes d'un confrère/d'une consœur, qui plus est si on est en formation. Éventuellement tenter un "je n'ai pas bien compris en quoi il était nécessaire de faire/dire ceci ou cela à votre patient.e, j'ai sûrement mal interprété ce qui s'est passé, pourriez vous m'éclairer sur mon incompréhension", l'essentiel selon elle étant d'y mettre les formes. 
Quant à la manifestation de soutien et d'empathie assumée auprès du/de la patient.e sur le caractère intolérable de la situation, ce serait, selon elle... inadmissible: "en plus d'être anti-confraternel, ça embrouillerait le patient sur sa prise en charge, il ne saurait plus à qui faire confiance, déjà qu'ils ne sont pas bien dociles de nos jours..."
Ce que j'ai noté, c'est qu'elle a bien insisté sur la "confraternité nécessaire" au sein de la profession médicale, "c'est ce qui lui permet - nous permet - de tenir debout". "Chez les avocats ce n'est pas du tout comme cela et on voit bien le résultat". 

Donc voilà. Certains de vos collègues français ont toujours autant de recul sur la question, apparemment.  

Ma question n'étant toutefois (et heureusement) pas résolue par cette conversation, elle est toujours la même: concrètement, si, externe, je suis témoin d'une situation de brutalité, de maltraitance vis à vis de patient.e.s, que devrai-je faire? Quelle est la posture la plus efficiente à adopter dans l'intérêt des patient.e.s concerné.e.s? Y'a t-il vraiment une nuance à faire/une prudence à mettre en oeuvre dans mon comportement si je suis étudiante plutôt que soignante "titulaire" ? Si oui, pourquoi ?" 


Je lui ai répondu : 

Il me semble que votre première obligation est de vous protéger de celles et ceux qui pourraient vous nuire et donc, vous empêcher d'exercer - et donc de faire du bien. 

La question de la "confraternité" disqualifie, à mon humble avis, la réponse de cette personne. Vous ne pouvez pas être à la fois "confraternelle" ET soutenir les patient.e.s maltraité.e.s. C'est ce qu'on appelle un conflit d'intérêts. L'intérêt des médecins (et le vôtre, en tant que "collègue") et celui des personnes soignées. Il est important de choisir de quel côté vous êtes AVANT TOUT. Si vous choisissez celui des personnes soignées, ça ne vous empêchera jamais d'être solidaire de vos collègues quand ils ou elles seront dans l'adversité. (Et seulement dans ce cas.) Si vous choisissez d'abord la confraternité, ça se fera TOUJOURS aux dépens des personnes soignées. Ethiquement, le choix est simple : parce que vous êtes un.e professionnel.le favorisée, vous avez l'obligation de soutenir les personnes qui sont en situation de vulnérabilité. Ce n'est pas le cas, le plus souvent, de vos collègues et de vos supérieur.e.s hiérarchiques... Mais vous verrez malheureusement qu'on vous imposera (implicitement ou explicitement) de soutenir les professionnel.le.s avant les autres... 

Tant que vous êtes dans une situation de dépendance à l'égard de vos supérieur.e.s hiérarchiques, je pense qu'il vous faut être très prudente et ne confier vos réserves ou vos colères qu'à des personnes dont vous êtes absolument sûre. La différence entre soignante titulaire et étudiante n'est pas vraiment importante si le chef de service peut vous interdire l'accès de son service. Or, malheureusement, c'est ainsi que fonctionne l'institution hospitalière encore, en 2020 : la hiérarchie est telle que si vous déplaisez (de quelque manière) aux "chefs", votre carrière est en péril (ou, au moins, votre tranquillité d'esprit). Pendant longtemps, vous aussi serez susceptible d'être maltraitée. Soyez donc très prudente. 

Même s'il ne vous est pas possible d'intervenir face à une situation de maltraitance, il est cependant possible pour vous de chercher si dans l'hôpital où vous êtes formée, existe une antenne du Défenseur des droits. C'est là que vous pouvez faire une déclaration, et attirer l'attention sur des comportements indéfendables, en demandant à rester anonyme.

Enfin, il est TOUJOURS possible de consigner par écrit ce que vous observez et de le "documenter" (d'en garder des traces écrites ou photographiques par exemple démontrant ce que vous avez vu). C'est très important, car il est possible que vous vous en serviez plus tard sous une forme ou une autre. Je n'ai pas procédé autrement : j'ai noté, jour après jour, ce que je vivais à l'hôpital. C'est ce qui a ensuite nourri mes livres, fictions ou essais. Et ça m'a permis de ne pas m'appuyer seulement sur ma mémoire - laquelle, vous le savez, est transformée par les émotions et le temps. 

Alors observez, notez, exprimez-vous quand vous pensez que c'est possible (sous forme interrogative, comme vous l'avez fait avec cette psychiatre, et vous avez bien vu de quel côté penchaient ses préférences). Et n'hésitez jamais à écouter et à soutenir un.e patient.e, car contrairement à ce que dit cette psy, tout soutien vaut mieux que le silence et la maltraitance. Les personnes maltraitées ont besoin de savoir que tout le monde ne les maltraitera pas. Elle ne sont pas "confuses" par rapport à ça. (Quel mépris de dire une chose pareille...) 

Et elle m'a écrit en retour :  

"Merci beaucoup, pour votre réponse et la précision de vos conseils. Je "prends note" de tout cela, pour mes futurs stages et expériences hospitalières. Je reste partagée sur l'idée de faire prévaloir mon confort (au sens, comme vous le dites, de ma tranquillité d'esprit et de la stabilité de mes perspectives d'exercice) à la défense des personnes qui pourraient être malmenées, maltraitées par mes pairs, ou par ceux.celles qui doivent m'enseigner la médecine - le soin en général. Même si je sais que l'un n'interdit pas l'autre, j'ai conscience que tous les leviers d'action ne sont pas compatibles avec cette situation de dépendance que nous vivons en tant qu'étudiant.e.s, et plus tard en tant que jeunes professionnel.le.s de santé. Votre réponse m'aide à structurer ma pensée là dessus, je vous en remercie sincèrement."

--------

Vous vous sentez, vous aussi, isolé.e en faculté de médecine (ou dans une autre école professionnelle de santé) ? Ne restez pas seul.e.  Parlez-en à vos camarades les plus proches si c'est possible. Ecrivez si vous en avez le désir. Sachez, en tout cas, que tout ça ne se passe pas dans votre tête. Quand des professionnelles autour de vous vous semble maltraitant.e.s, c'est parce qu'ils et elles le sont. Si tel n'était pas le cas, vous ne vous sentiriez pas aussi mal. 
Et vous avez raison de ne pas accepter cette maltraitance et de vous révolter contre elle, dans la mesure de vos moyens. 

MW 

3 commentaires:

  1. Si on m'avait dit tout ça avant je ne serais pas en burn out aujourd'hui
    Suis bien ces précieux conseils, reste droite dans tes bottes. Cherche bien, il doit y avoir d'autres pensant comme toi autour de toi. Et sinon fuis, avant d'y laisser trop de plumes... mais n'abandonne jamais un patient !!!

    RépondreSupprimer
  2. ça fait plaisir de voir des soignants se poser les bonnes questions et ne pas défendre tête baissée tout et n'importe quoi au détriment des personnes soignées

    RépondreSupprimer
  3. "déjà qu'ils ne sont pas bien dociles de nos jours..." (les patients donc) c'st pas mal non plus dans le genre méprisant.
    J'essaie de me dire que c'est le vécu de plus en plus difficile pour les soignants et le personnel hospitalier à cause de leurs conditions de travail de plus en plus intenables qui provoque ce genre d'attitude, à terme, mais je sais hélas que ce n'est pas que ça... :/

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont modérés. Tous les commentaires constructifs seront publiés. Les commentaires franchement hostiles ou désagréables ne le seront pas.