vendredi 24 août 2018

En finir avec l'aberration légale de la clause de conscience


La clause de conscience est une aberration légale contraire à l’éthique.

Dans un reportage de TMC repris par le site du Monde.fr, Bertrand de Rochambeau président du Syngof, syndicat de gynécologues obstétriciens (qui en 2017 comptait 1600 adhérents, soit un peu moins d’un quart des 6748 praticiens de la spécialité) déclare explicitement que l’IVG est un homicide – et que pour cette raison  il n’en fait pas (ou plus) ; qu’affirmer le contraire est simplement « une opinion », et que « la loi le protège, et sa conscience aussi ». 

Le président d’un syndicat professionnel est le représentant de ceux qui l’ont élu. Il énonce les positions politiques et sociales du syndicat, il est le porte-parole de ses réflexions et de ses décisions, il incarne ses valeurs. Quand il s’exprime, il le fait au nom de son organisation – à moins de dire explicitement que ses déclarations n’engagent que lui. Il n’y a donc pas trente-six manières de comprendre les récentes déclarations de B. de Rochambeau : il les a faites ès qualités, au nom de ses 1600 membres.  

Cette déclaration ne survient pas à n’importe quel moment. Il y a quelques semaines, la presse rapportait qu’à l’hôpital de Bailleul, à la Flèche (Sarthe), les IVG n’étaient plus assurées parce que les gynécologues locaux invoquaient la « clause de conscience » prévue par la loi pour refuser d’en faire. 

La déclaration de B. de Rochambeau vient remettre les pieds dans le plat, et de la manière la moins éthique qui soit. En effet, en s’exprimant en tant que président du Syngof, le praticien ne se contente pas d’exprimer une « opinion » différente de celle des femmes qui sont favorables à l’accès à l’IVG, pour elles-mêmes ou pour d’autres. En s’exprimant ainsi, il éructe un message d’une rare violence. 

D’abord dans la direction des femmes, en la personne de Valentine Oberti, la journaliste qui l’interroge. Pour B. de Rochambeau, ce qui se passe dans le corps des femmes est affaire « d’opinion », et non de liberté ou d’autodétermination. Le sourire qui accompagne la fin de la déclaration (« J’ai la loi et ma conscience pour moi ») est insupportable de morgue et de hauteur. Mais le président du Syngof ne peut pas être plus clair : il n’a que faire des femmes et de leurs « opinions ».  

Ensuite, à l’ensemble de la population, B. de Rochambeau déclare que non seulement il interprète la clause de conscience à sa guise, mais en plus que sa « conscience » de médecin l’emporte sur les droits et libertés des citoyennes. (Et aussi, implicitement, sur leur conscience, en supposant qu’elles en aient une, bien entendu…) 

Aux médecins qui pratiquent des IVG, régulièrement ou occasionnellement – parmi lesquels, probablement, des membres de son syndicat -, il déclare en substance : « Vous commettez des homicides » (« Peu importe que la loi dise le contraire ») et « Vous ôtez des vies » (« Moi, je dors mieux depuis que je n’en fais plus, merci ») – adoptant ainsi une position superposable à celle de l’Église catholique. (Les membres du Syngof sont-ils tous des membres pratiquants de l’Église en question ? Son président semble le suggérer. On attend les démentis…)  

De plus, il souffle à l’oreille des futurs médecins – gynécologues ou non : «  Ne vous préoccupez pas de l’ « opinion » des femmes en matière d’IVG, vous avez la loi pour vous ». Il leur donne ainsi le pire exemple qui soit : celui d’une profession médicale qui décide unilatéralement de ce qui est bon pour les personnes qu’elle est censée servir. Nul doute que parmi les médecins actuellement en exercice ou en formation, il s’en trouvera bon nombre pour s’appuyer sur la parole de cet « aîné » et invoquer la clause de conscience pour refuser de pratiquer des IVG, mais aussi, par extension (car la conscience, on le sait, est à géométrie variable) pour refuser des échographies avant IVG, et même, pendant qu’on y est, pour refuser de recevoir des femmes qui demandent un suivi gynécologique, une contraception, un bilan de fertilité ou une ligature de trompes, mais qui auront eu le mauvais goût de recourir à l’IVG au cours des semaines ou des années précédentes. 

Car pratiquer une médecine « en conscience », au sens où l’entend B. de Rochambeau, c’est pratiquer une médecine inquisitrice et moralisatrice. Une médecine qui juge. Une médecine contraire à l’éthique. 

Enfin, par ses déclarations, le président du Syngof adresse aux pouvoirs publics un message clair et redoutable : « Ne comptez pas sur nous pour remplir les besoins des femmes.  Ne comptez pas sur nous pour participer aux politiques de santé. Ne comptez pas sur nous pour appliquer la loi. » 

En présentant la loi et les aspirations légitimes des femmes comme « des opinions » avec lesquelles il revendique de ne pas « être d’accord », B. de Rochambeau revendique avec morgue, la conscience tranquille, de faire passer ses « valeurs » avant la vie de la moitié de la population. 
Il revendique d’ignorer la réalité des femmes dans le monde -  25 millions d’avortements clandestins, 7 millions d’hospitalisations (et combien de décès ?) – réalité mortelle et invalidante à laquelle les femmes françaises ne peuvent échapper que depuis quarante ans. 
Il revendique d’oublier que la « clause de conscience » pénalise avant tout les femmes les plus pauvres  : de tout temps, les femmes riches ont trouvé des médecins qui acceptaient de les avorter « en toute conscience » et en échange de la somme ou du « service » adéquat. 

Cette posture est caricaturale et grotesque. Elle n’a cependant rien de risible, tant elle est stupéfiante d’obscurantisme et monstrueuse dans ses implications. Car si la gynécologie-obstétrique n’est pas, et c’est heureux, la seule profession médicale qui délivre des soins aux femmes françaises (les généralistes et les sages-femmes le font numériquement beaucoup plus), elle reste cependant la plus « visible », la plus tonitruante, la plus influente dans les médias et sur l’ensemble de la profession médicale. Ce sont ses membres qui, dans les CHU, sont en majorité responsables de la formation de tou.te.s les soignantes en matière de santé sexuelle et reproductive des femmes. Ce sont des membres de cette spécialité qui, dans les services qu’ils dirigent, contrôlent et souvent limitent l’accès à la contraception, aux IVG, à la stérilisation volontaire, à la PMA. 
Ce sont des membres de cette spécialité qui tous les jours, assènent (ou permettent, en fermant les yeux) commentaires sexistes, violences verbales et physiques et discriminations aux femmes en surpoids, aux femmes lesbiennes, aux femmes transgenres, aux femmes racisées, aux femmes pauvres. 
Ce sont des membres de cette spécialité qui poussent les parents à pratiquer des gestes chirurgicaux arbitraires sur les nouveau-nés intersexués. 
Ce sont toujours eux (ou elles, hélas !) qui ferment les yeux sur ceux de leurs confrères qui violent des patientes. 
Ce sont eux qui dans les salles de travail, imposent et pérennisent les maltraitances infligées aux femmes enceintes – en commençant par leur refuser la possibilité de s’exprimer et de décider comment elles veulent accoucher. 
Ce sont eux, qui à l’instar d’Élisabeth Paganelli (secrétaire du SYNGOF) ou d’Israël Nisand (président du CNGOF - Collège National des Gynécologues Obstétriciens, qui ne vaut guère mieux…) diffusent et pérennisent dans les médias, dans les services, dans les salles de cours de médecine, dans les écoles de sages-femmes et de soins infirmiers, dans les revues professionnelles et dans les congrès « savants », les idées et les « opinions » les plus réactionnaires, les plus archaïques, les plus paternalistes, les plus sexistes.

Mais j’ai beau vomir les déclarations de B. de Rochambeau, je ne peux que le féliciter de s’être si clairement exprimé. Quand  le président d’une organisation qui prétend « œuvrer pour la santé des femmes » exprime pareil mépris à l’égard de leurs besoins réels, il démontre sans le moindre doute que loin d’être les « alliés » des femmes et les garants de leur liberté, les membres de son syndicat en sont potentiellement les adversaires les plus dangereux. 

En déclarant « Nous ne sommes pas là pour retirer des vies », il invite tous les membres du Syngof – et aussi, implicitement, tous les spécialistes non adhérents, mais au nom de qui il pense peut-être s’exprimer – à dire s’ils et elles se reconnaissent dans ce « nous ». 

Aussi, j’invite toutes les femmes qui entreront désormais dans le bureau d’un.e titulaire de cette spécialité à lui demander posément : « De quel côté êtes-vous ? Du côté de B. de Rochambeau et des médecins qui invoquent la « clause de conscience », ou bien du côté des droits, de la santé, de la liberté et de la sécurité des femmes ? » 

Car à cette interrogation, on ne peut répondre ni par le silence ni par l'abstention. Il ne peut pas y avoir de demi-mesure : si l’on ne condamne pas purement et simplement les déclarations du président du Syngof, c’est qu’on est, objectivement, d’accord avec lui. 

Selon la réponse qu’elle entendra, chaque femme saura immédiatement à qui elle a affaire, et sera en mesure de le faire savoir à toutes les femmes qui sont assises dans la salle d’attente, qui gravissent l’escalier ou qui gravitent sur les réseaux sociaux. Et ce sera justice : puisque B. de Rochambeau n’a pas hésité à donner son avis sur les « opinions » des femmes, chaque citoyenne est en droit, en retour, de donner ouvertement son avis sur B. de Rochambeau et les médecins qui adhèrent à ses « opinions ». 

Jusqu’à ces derniers jours, j’avais sur la clause de conscience une position plutôt tolérante. Je présumais en effet que celles et ceux qui y font appel n’en respectent pas moins les femmes et leurs droits. Comme c’était naïf !  J’avais tort, et B. de Rochambeau vient de m’ouvrir les yeux : dans un pays moderne où les médecins se prétendent guidés par la science et la raison (et non par la religion, l’idéologie ou la pensée de classe), et où l’IVG est un droit inscrit dans la loi, une clause de conscience est une aberration contraire à l’éthique, car elle autorise la profession médicale, au gré des valeurs personnelles de ses membres, à se démettre de ses obligations aux dépens de la population qu’elle est censée servir. 
On ne peut pas être tolérant avec la clause de conscience telle que l’invoque le président du Syngof, on ne peut que la dénoncer : cette fameuse clause dans laquelle il se drape n’est qu’un voile d’hypocrisie réactionnaire suintant d’obscurantisme. 

Cette clause doit disparaître de la loi ; les médecins qui se forment ou pratiquent déjà la gynécologie et l’obstétrique ne doivent en aucun cas pouvoir choisir les soins et les services qu’ils délivrent ; et tout.e professionnel.le qui use de son statut pour faire obstacle à la liberté des femmes doit être sanctionné.e.

Martin Winckler (Dr Marc Zaffran) 

7 commentaires:

  1. Excellent article aussi clair qu'éclairé. Merci.

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  2. Obscurantisme ? Intolérant ? C'est le cas de votre article.

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    1. C'est votre droit de le penser. Encore eût-il fallu l'argumenter. Dommage de nous priver ainsi de votre point de vue.

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  3. Merci pour l'addendum, je vous rejoins sur ce point.
    Par contre, concernant le cas de la jeune fille de 15 ans, les parents auraient pu se plaindre tant qu'ils voulaient, on ne peut pas obliger une mineure à se faire avorter, même si ses parents l'exigent: "Peut-on obliger une mineure à entreprendre une IVG ?
    Non, elle seule décide de demander une IVG.La mineure doit demander cette intervention à un médecin, en dehors de la présence de toute personne, que le consentement parental soit recueilli ou non.L’interruption de la grossesse sans le consentement de la femme est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 76 224,51 d’amende."

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    1. Vous avez tout à fait raison, sur le principe. Dans la réalité, cela s'est fait et se fait peut-être encore, si j'en crois un certain nombre de témoignages, entendus plusieurs années après les faits... Evidemment, c'est moins visible quand ça se passe en clinique privée...

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  4. Je trouve un peu ahurissant que l'on puisse se prononcer de la sorte sans envisager les cas nombreux d’avortements qui sont forcés par pression sociale.
    Si les parents disent à la fille de 17 ans, si tu le gardes on te fiche à la porte, elle avortera contre son gré. Dans l'indifférence générale. Si une secrétaire de 35 ans qui tombe (ah ah) enceinte et dont le patron explique que ce n'est pas le bon moment elle pourrait être forcée d'avorter pour conserver son poste dans une période de pénurie d'emploi.

    Dès lors se battre contre la clause de conscience est une dérive totalitaire. Il y a toujours une bonne raison pour obliger les gens. S'il manque de médecin pour avorter, vous pourriez y retourner à temps partiel pour compléter les rangs puisque vous êtes médecin. Il suffirait que les militantes féministes fassent des études de médecines pour s'occuper exclusivement de cela, il suffirait d'ouvrir la possibilité d'avortements à d'autres personnes que des médecins, si c'est un acte si banal.

    Il y a des tonnes de possibilités afin de permettre à des gens à qui cela ne pose pas de problèmes de le faire plutôt que de pointer du doigt ceux qui ne veulent pas le faire. C'est une pente dangereuse. très dangereuses. Elle l'est d'autant plus que la société dans son ensemble est plutôt pro-avortement (trop jeune, trop vieille, la carrière d'abord, le mari doit décider (j'en connais de mes amies)...)

    Il y a un irrespect de la personne humaine qui transfuse partout. C'est dommage de lire ces lignes sous votre plume. Comme si l'avortement était surtout une libération de la femme. Elle l'est pour celle qui le souhaite véritablement, mais c'est un crève-coeur pour celles qui sont obligées d'une manière ou d'une autre. Mais étonnamment personne ne lève la question, personne pour en faire un combat humain et politique. c'en est déprimant.

    herve_02

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    1. Oh mais je suis tout à fait d'accord avec vous sur un point : n'importe qui devrait pouvoir pratiquer une IVG. Par médicament (c'est facile) ou par aspiration (c'est facile aussi). et les militant.e.s féministes le faisaient dans les années 60 et 70 avant la loi. Ca ne me choquerait pas du tout que des femmes et des hommes non médecins apprennent à les faire.

      Là où je ne peux pas vous suivre c'est quand vous dites "c'est un crève-coeur pour celles qui y sont obligées". De qui parlez vous ? Quelles enquêtes vous disent ça ? Quels chiffres avez vous sur les femmes qui sont "victimes de pressions sociales" et êtes vous sûr qu'elle est plus fréquente que la pression sociale qui contraint les femmes à GARDER leur grossesse non désirée ?

      Et que préférez-vous ? Que les femmes avortent (quelle que soit la raison) de manière violente ou de manière sûre et sans danger pour elles ?

      Vous n'êtes pas dans la tête des femmes qui choisissent d'interrompre leur grossesse. Alors ne décidez pas pour elles si leurs raisons sont valides ou non. Elles ne sont - de toute manière - pas discutable par des tiers.

      Si j'ai appris quelque chose pendant mes vingt-cinq ans de pratique, c'est que s'enquérir de la "validité" d'un motif est une violence. Ca laisse entendre qu'il y a de "bonnes" et de "mauvaises" raisons. Et ce n'est pas aux médecins - ou à quiconque - de le décider à la place de la femme.

      La seule chose que nous pouvons faire, c'est faire en sorte que ça se passe le moins mal possible. S'ériger en "garant moral" de la "détresse" de femmes qui ne vous ont rien demandé (et rien dit) c'est, encore une fois, du paternalisme.
      Et les femmes n'ont pas besoin de ça. Elles ont déjà beaucoup trop donné.

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