Ces jours-ci, dans Le Monde, on pouvait lire dans l’article évoquant la promulgation de la loi Neuwirth légalisant la contraception, en 1967 :
« Il fallut un an pour
convaincre le parlement d’adopter et de promulguer la loi Neuwirth autorisant
la pilule contraceptive, le 28 décembre 1967. Engagé dans les Forces
françaises libres au côté du général de Gaulle, Lucien Neuwirth (1924-2013)
découvrit la pilule à Londres un soir de juin 1944 : une Anglaise
avec laquelle il avait un rendez-vous amoureux lui glissa un contraceptif
effervescent dans la main. Le jeune homme fut abasourdi : la « gynomine »,
contraceptif à usage unique, était en vente libre dans les parfumeries
anglaises. » Le Monde, 19
décembre 2017
Ce premier paragraphe témoigne, de la part de l'auteur de l'article, d'une confusion née d’une méconnaissance historique.
Quand on connaît l’histoire de la
contraception, le problème saute aux yeux : en 1944, une Anglaise ne peut
pas mettre dans la main de Lucien Neuwirth une « pilule
effervescente ».
Tout simplement parce que les pilules contraceptives
(c’est à dire une contraception hormonale absorbable par voie orale) n’ont été
développées par Gregory Pincus (et testées à Porto-Rico) que dans les années
50. Elles ont été approuvées par la FDA (Food and Drugs Administration) américaine en 1957, et
mises sur le marché pour la première fois en 1960 aux Etats-Unis. Quant aux
seules « pilules à usage unique » existant pour le moment, le
lévonorgestrel (Norlevo) et son dérivé l’ullipristal (Ella One), elles n’ont été
commercialisées que dans les années 80 et 2000, respectivement.
Ce que la jeune femme met dans la main de Lucien
Neuwirth, le Gynomine, est un spermicide. Autrement dit : une substance
inactivant les spermatozoïdes, utilisée sans (ou avec) des préservatifs ou un
diaphragme – et donc, introduite dans le vagin. Le fait que le Gynomine soit
effervescent signifiait qu’il se dissolvait facilement au contact de l’humidité
et diffusait rapidement dans les secrétions vaginales.
Pris par la bouche, ça n’aurait pas vraiment
été efficace.
(Dans les années 70, en France, quand j'étais étudiant en médecine, il existait des capsules spermicides similaires, des crèmes et des éponges vaginales imprégnées de ces substances.)
Après l’allaitement et le retrait (qui sont
des méthodes qu’on peut qualifier de naturelles), les spermicides sont,
historiquement parlant, la méthode de contraception la plus ancienne. Dès que
les humain.e.s ont fait le lien entre éjaculation et fécondation, on s’est
préoccupé de tuer (ou de bloquer) le contenu du sperme. La première mention de
substances spermicides est décrite dans un papyrus égyptien datant de 1850
avant notre ère, le
papyrus d’El-Lahoun. On y parle d’excréments de crocodile, de blé fermenté,
de miel, de gomme arabique… Mais dans de nombreuses cultures, on utilisait
aussi des rondelles de citron posées contre le col, car l’acidité du jus était
défavorable à la circulation des spermatozoïdes…
Ce sont également les Egyptiens qui décrivent
pour la première fois des « fourreaux péniens » destinés à servir de
préservatifs.
Si des spermicides étaient déjà disponibles dans
les pays anglo-saxons dans les années 40 c’est parce que les recherches sur la
contraception y existent depuis toujours, sous toutes les formes. Le diaphragme
date de 1882, l’ovule spermicide à la Quinine de 1886 (il sera utilisé en
Angleterre jusqu’à la fin des années 40) ; les capes cervicales de 1890.
Toujours est-il que l’article du Monde cité plus haut aurait pu gagner en
sérieux en modifiant un seul mot dans le premier paragraphe. Il aurait fallu
écrire :
« Engagé dans les Forces françaises libres
au côté du général de Gaulle, Lucien Neuwirth (1924-2013) découvrit la contraception
à Londres un soir de juin 1944. »
Et la « découverte » de la contraception par le jeune
Neuwirth s’explique très bien : alors qu’en 1916, la militante Margaret
Sanger ouvre la première « clinique » de planification à Brooklyn et
que le ministère de la santé britannique autorise dès 1930 la diffusion des méthodes de contraception, en France en revanche, à partir de 1920, la loi
française interdit toute promotion, vente et prescription de méthodes
contraceptives pour encourager la natalité après l’hécatombe de la Grande
Guerre.
Cette loi ne sera abrogée qu’en 2001, par la loi sur la contraception* qui élargit
les délais de l’IVG, permet la délivrance gratuite de la pilule d’urgence aux
mineures et autorise (enfin) la stérilisation volontaire des personnes
majeures.
Cet
excellent article de « The Conversation » montre les variations
d’utilisation des différentes méthodes aujourd’hui dans le monde.
Pour un historique de la contraception, voyez cet
article de la défunte revue en ligne The Contraception Report (le PDF peut
être téléchargé).
*Rectificatif/Erratum : j'avais initialement et par erreur (je confonds souvent les deux) écrit "en 2002, par la loi Kouchner". Merci à Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien et par ailleurs émérite militant de la santé des femmes, de m'avoir indiqué l'erreur. :-)
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