vendredi 18 novembre 2016

Un "Module d’Humanisme Médical Transdisciplinaire", pourquoi faire ? - (Au-delà des "Brutes en Blanc", 1)

La publication des Brutes en blanc a suscité beaucoup de réactions. Certaines ont été très violentes, très sonores, et centrées presque exclusivement sur le titre (le communiqué de l'Ordre des médecins daté du 7 octobre 2016), mes intentions supposées ("régler des comptes") ou les conséquences néfastes du livre sur la relation de soin. 

Mais il n'y a pas eu que des réactions négatives, et de loin. 
Je compile actuellement les dizaines de témoignages reçus de patients qui ont subi des maltraitances et m'ont écrit à la suite de la publication ou de sa mention dans la presse. Je les publierai (anonymisés) dans les semaines qui viennent). 
J'ai reçu aussi beaucoup de témoignages de soutiens de professionnels de santé - médecins, infirmier(e)s, sages-femmes, psychothérapeutes, orthophonistes, et bien d'autres. 

Je vais eux aussi les publier au fil des semaines. 

Commençons par un long texte, qui m'a été adressé par trois enseignants en faculté de médecine. 

Dans un courrier daté du 17 octobre 2016, le Docteur Gérard Ponsot, professeur honoraire des universités et ancien chef de service de pédiatrie à l'hôpital Saint Vincent de Paul m'écrit : 

"J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre dernier livre Les Brutes en blanc et vous remercie de votre vigoureux cri d'alarme sur les différentes formes de déshumanisation que l'on rencontre en France chez beaucoup trop de médecins. 

(...) 

Permettez moi de vous faire parvenir le texte du "Module d'Humanisme Médical Transdisciplinaire". Son but est d'apporter dans des siguations où l'humanité des soignants est particulièrement sollicitée des réflexions éthiques et humaines à tous les internes, au moment où ils sont confrontés à ces situations et se posent des questions. 

Je me bats avec d'autres depuis plus de 2 ans pour que ce module fasse partie du cursus des études médicales et soit obligatoire. Il a été présenté à de nombreuses personnalités universitéaires et en particulier à la Commission Nationale des études de maieutique, médecine, odontologie et pharmacie qui est en charge de la réforme du troisième cycle. 

Il reçoit un bon accueil mais comme on dit familièrement, la "mayonnaise" n'a pas encore pris. Je sais que le combat sera difficile."  

J'ai proposé à Gérard Ponsot de publier le module sur ce blog. Il m'a demandé d'y associer le nom de deux de ses collègues, eux aussi très impliqués dans sa conception - et dans le combat pour le faire adopter : le Professeur Bernard Golse et le Docteur Pierre Canaoui, tous deux pédopsychiatres et enseignants à l’Hôpital Necker et à Paris Descartes. 

En voici le texte. 

Je ne doute pas qu'en France, d'autres enseignants tentent de proposer - et de diffuser - des modules similaires, destinés à pallier les manques de la formation médicale. Je serais heureux de publier ici des compte-rendus ou descriptions de leurs projets ou des formations déjà en cours. 

MW. 


***


Un    "Module d’Humanisme Médical Transdisciplinaire"  pourquoi faire ?
" La Médecine n’a de sens que si l’Homme y est mis au premier plan" 
(Professeur François- Bernard Michel)


I)              Argumentaire
Il y a un décalage, déjà ancien, mais qui risque de s’aggraver chez beaucoup de médecins, entre leur "accaparement " pour apprendre et maitriser les nouvelles technologies biologiques et médicales, acquisitions bien sûr tout à fait indispensables, et celles leur permettant de communiquer avec les malades, de les écouter, de soutenir leur autonomie souvent compromise par la maladie, le déni, la douleur et la dépression
L’Homme avec l’acquisition de ces nouvelles technologies, "contrôle et contrôlera" de plus en plus "Lui-même et son Environnement" ce qui est souhaitable, mais n’y a-t-il pas un risque de "déviation grave" si ce "contrôle" n’est pas "constamment accompagné" par une réflexion éthique et humaine ?

II)  Objectif du Module

Le but du module est d'apporter, dans des situations ou l’humanité des soignants (voir plus bas) est particulièrement impliquée, des réflexions éthiques et humaines à tous les internes en début d’internat ou au cours de celui-ci au moment où ils sont confrontés à ces situations et où ils se posent des questions.
Ce Module ferait partie du cursus des études médicales et serait obligatoire. Il serait organisé par les Facultés de Médecine car ce sont les médecins qui sont en responsabilité dans ces situations de vulnérabilité Humaine, mais transdisciplinaire - sciences humaines et sociales, juridiques, politiques en fonction des thèmes. 
Cet enseignement traiterait sept Thèmes (Voir plus bas) correspondant à des situations ou l’humanité et l’éthique des soignants sont particulièrement impliqués. Il pourrait être ouvert aux autres médecins, ville, EPHAD, instituts médico-sociaux mais aussi aux infirmières, aides-soignantes, psychologues, aidants- professionnels en activité  car tous ces professionnels sont  appelés à travailler ensemble dans toutes ces situations complexes, douloureuses comme celle de  la fin de vie. Il pourrait s’adresser également  aux citoyens en tant qu’auditeurs libres, car beaucoup  d’entre eux (8 à 10 millions en France) sont ou seront des Aidants proches ou familiaux, des Aidants bénévoles dont le  rôle est essentiel dans l’accompagnement des personnes atteintes  d’affections graves, des personnes âgées ou handicapées, des personnes en fin de vie ».

Les enseignants appartiendraient  aux différents spécialités indiquées plus haut, médecins, urgentistes, réanimateurs, médecins des soins palliatifs, médecins de ville et des EHPAD, professeurs d’éthique, psychiatres , soignants non médecins infirmières, psychologues etc., chercheurs, sociologues, philosophes, enseignants des différentes religions (Catholiques, Protestants, Juifs et Musulmans), juristes et politiques, sans oublier les patients, les parents, les familles  dont les témoignages sur plusieurs sujets indiqués plus haut, n’ont pas d’équivalent sur le plan de l’Humanité.

A ce niveau de compétences, d’expérience et de formation des participants, le module doit proposer des modalités d’enseignement adaptées, très peu de cours , surtout des échanges ,débats, tables rondes contradictoires ou non et des témoignages qui doivent occuper une place importante.

Il  est  essentiel dans ce module d’humanité médicale de donner une grande place aux témoignages, de médecins hospitaliers, de ville, d'EHPAD, d’Instituts médico-sociaux pour relater les difficultés qu’ils rencontrent dans toutes ces situations complexes et proposer des solutions, d’infirmiers ou infirmières qui ont une « proximité particulière »avec les patients dans ces situations complexes et douloureuses, de personnes ayant une maladie grave, de parents, de familles ayant accompagné un fils, une fille, un frère, une sœur lors de leur phase de fin de vie, de parents ayant été confrontés à l’annonce d’un handicap, d’aidants proches ou familiaux, de bénévoles accompagnant une personne atteinte d’une maladie grave ou en fin de vie etc …
      
          III  Description du module
Sept Thèmes :
  1) La relation de confiance Médecin /patient : derrière  ce corps  à soigner, il y a une « personne », une « Famille » un « environnement ». La relation de confiance permet d’avoir une vision globale de la personne, essentielle pour la soigner et l’accompagner avec compétence et humanité. Elle permet aussi d’envisager avec le patient au cours de « discussions anticipées » les différents aspects de sa maladie, les thérapeutiques à employer son évolution et, d’aborder progressivement  des situations douloureuses comme la fin de vie  ce qui pourrait permettre de faciliter la rédaction conjointe  Médecin /Patient  des « directives anticipées » ou en cas de personne en situation de grande vulnérabilité (personne qui ne peut pas donner son avis) de « recommandations anticipées » avec la famille, les proches ,le tuteur  (1/2 Journée)

2) La mort, son accompagnement, les soins palliatifs  avec ses différents aspects, médicaux, psychologiques, éthiques, philosophiques, sociétaux, spirituels, juridiques et politiques .
 (2 Journées)

3) Prendre soin de ceux qui ne guériront pas : Les maladies et  affections chroniques .Le Médecin, les soignants, les autres accompagnants   confrontés à «l’incurabilité» (1 Journée)

 4) Les personnes différentes : Les Personnes âgées, les Personnes très vulnérables (Handicapées, états de conscience minimale), les Personnes dyscommunicantes (Troubles du spectre de l’autisme) Leurs spécificités physiques et surtout cognitives, communicatives et affectives .Comment les accompagner au cours de leur vie jusqu’à leur  fin de vie ?  L’annonce d’un handicap et l’accompagnement des familles. Leur accueil dans des milieux qui les connaissent pas ou mal et qui sont souvent « hostiles » pour ces personnes très fragiles : Hôpital, Urgences etc .. . (2 Journées)

5) Les nouvelles technologies : ciseaux génétiques (technique CRISPR-Cas 9), les cellules souches, le numérique avec en particulier les algorithmes, la robotique, l’intelligence artificielle qui vont pouvoir aider voire réparer l’homme mais qui, s’ils ne sont pas constamment encadrés par des réflexions scientifiques, éthiques, philosophiques, spirituels, peuvent être déviés dans leur utilisation pour "modifier" ou "transformer" l’Homme avec des conséquences imprévisibles d’une grande gravité.  .
(2 Journées)

6) Optimisation de l’organisation du système de santé en France pour obtenir un accompagnement plus efficace et plus humain des personnes malades

Quelle coopération entre les différents secteurs de santé, services publiques, cliniques privées, médecins de ville, soins à domicile, instituts médico-sociaux, EHPAD, pour améliorer la répartition des tâches, l’accueil, la circulation des informations dans et entre ces différents secteurs indispensables à l’Humanisation de l’acte Médical ? 

Mieux discerner les indications des examens complémentaires, éviter les examens inutiles, leur répétition (Les Internes sont souvent en première ligne pour les prescriptions +++) .Eviter, les thérapeutiques couteuses  et souvent à risque sans bénéfice pour le patient, les hospitalisations abusives, en faisant en sorte que les malades soient soignés et accompagnés, dans la mesure du possible, dans les lieux de leur choix, comme le domicile.

Cette optimisation des soins permettrait non seulement d’améliorer l’accompagnement des personnes malades mais aussi de diminuer le découragement, l’épuisement, les souffrances des Personnels de santé que l’on perçoit trop souvent dans les différents secteurs de soins sans entrainer un emballement des dépenses de santé au contraire. (2 Journées)

7) Etat de la Formation et des réflexions  sur les thèmes 2,4, 5 et 6  dans les pays d’Europe y compris Scandinaves, les Etats unis et le Canada. (1/2 Journée)

Ce Module serait en continuité et en complément  de tous les enseignements qui existent déjà sur ces sujets de soins et  d’humanité, lors des  1 er et  2émé cycle des études médicales, dans les enseignements et formation des soins palliatif ,des ateliers d’éthique, des formations continues, des DIU etc… Il  ne pourrait qu’inciter un plus grand nombre de médecins et paramédicaux à compléter leur formation sur ces grands thèmes de soins et  d’humanité en suivant ces enseignements essentiels (soins palliatifs, ateliers d’Ethique, formations continues, DIU etc…)
Mais  il serait fait à un moment ou  les médecins (Internes) sont confrontés à ces situations et où ils se posent des questions.

IV)          Organisation du module  (propositions)

Ce Module ferait partie du cursus des études médicales et serait obligatoire. Les internes ne pourraient pas passer leur thèse sans l’avoir suivi.

Ce module comprend 10 Journées. Il pourrait être organisé de la façon suivante :

 - Soit  entre la réussite au concours et le début de la prise des fonctions d’interne

 - Soit plutôt durant les 2éme et  3éme années d’internat (deux à trois thèmes par an), car durant la première année les internes sont accaparés par leurs nouvelles fonctions et responsabilités et durant la dernière année par leur DES, leur mémoire, la recherche d’un poste de clinicat etc ..

Ce module pourrait d’abord être organisé dans deux ou trois Facultés de Médecine (Deux à Paris et une en Province ?) et évalué avant d’être éventuellement étendu.


Gérard Ponsot, Bernard Golse, Pierre Canaoui 

Contact : gerardponsot@orange.fr
















3 commentaires:

  1. Bonjour,
    merci pour cette publication, je ne savais pas que des medecins travaillaient à un module d'humanisme médical, et j'en suis agreablement surprise. En tant que jeune medecin generaliste travaillant essentiellement en gynécologie, je vois les degats de relation medecin/patiente catastrophique, mais aussi le sourire et la serenité retrouvé après une prise en charge respectueuse et de qualité. Cette formation aurait été bénéfique pour apprehender la communication dans des situations difficiles, surtout pour les jeunes medecins que nous sommes!

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  2. Bonjour,
    Vraiment je ne comprends pas qu'il y ait un blocage pour ajouter 10 journées aux études médicales !

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  3. On peut peut être aider à la remuer , la mayonnaise pour qu'elle prenne...
    Bravo à cette initiative, et en effet Mr Ponsot, Golse et Canaoui, vous n'êtes pas seuls. Alors, on peut s'unir si vous voulez. To be continued.

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