samedi 14 mai 2016

La discrimination par un médecin est passible de la correctionnelle - par Marc Zaffran/Martin Winckler

Une internaute m'écrit via Twitter :

ma gyneco vient de refuser de me poser DIU cuivre car je "tue" une vie chaque mois 😔 A t-elle le droit ?


La réponse est Non. Un médecin n'a pas le droit de refuser une contraception pour un motif non scientifique. C'est une faute professionnelle, et le code de déontologie (qui fait partie du Code de la Santé publique, et fait figure de réglementation légale) est très clair à ce sujet (les italiques sont miens).

Article 8 (article R.4127-8 du CSP) Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles.

Dans l'état actuel des connaissances scientifiques, un médecin ne peut pas affirmer qu'un DIU tue "une vie". Il inactive des spermatozoïdes par le cuivre ou les hormones qu'il diffuse. Point final. (La meilleure preuve qu'un DIU n'est pas abortif, c'est qu'il y a des grossesses sur DIU ; elles sont beaucoup plus rares que sous pilule, mais il y en a.)  (1) 

Mais de toute manière la question n'est pas là. L'article 7 du code précise : 

Article 7 (article R.4127-7 du CSP) Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard.Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. 

Autrement dit : Quand une femme demande une contraception, le médecin n'a pas à lui opposer son opinion personnelle, morale ou idéologique sur ses choix de vie. L'objection de conscience invoquée par certains médecins (et parfois certains pharmaciens au sujet de la contraception d'urgence) ne concerne que l'IVG, pas les méthodes de contraception. 

Le problème c'est qu'en France, beaucoup trop de médecins semblent penser que le Code de Déontologie ne s'applique pas à eux. Il est vrai que la phrase : "le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance" est plus qu'ambiguë. Certains s'appuient sur elle pour faire ce qu'ils veulent, un peu comme certains Etats Américains s'appuient sur le 2e amendement de la Constitution pour autoriser la vente libre des armes à tout un chacun. Et on sait ce que ça donne. 

La prescription d'une contraception est un soin, même si elle s'adresse le plus souvent à des femmes en bonne santé ; c'est ce qu'on appelle un soin primaire, et une mesure de prévention, comme la vaccination des personnes de tous les âges ou la prescription de vitamine D. La "liberté" que certains médecins s'octroient d'accepter ou de refuser un soin est une entrave à la liberté des patientes qui la demandent, un abus de pouvoir et une infraction au code de déontologie. Mais refuser un DIU sous un prétexte idéologique signifie que le médecin pratique une discrimination. C'est donc un délit passible de la correctionnelle. 

Le Code de la santé publique pose comme principe à l’article L. 1110-3 qu’ « aucune personne ne peut faire l’objet de discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins ». 

Ce qu'en dit le Code pénal : 

Article 225-1 
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales » 

Le code prévoit des sanctions attachées à la reconnaissance d’une discrimination à l’article 225-2 :

« La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 Euros d'amende lorsqu'elle consiste : 1° A refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ; 2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ; 3° A refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; 4° A subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 5° A subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 6° A refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros d'amende ». 

(Si le médecin qui refuse - un DIU ou une échographie pour dater une grossesse avant IVG, par exemple - travaille dans un hôpital ou une clinique, il s'agit de lieux publics. On peut également porter plainte contre la dite institution, qui est responsable de ce que font ses salariés.)  

Par conséquent, devant un refus de soin, en toute bonne logique, le ou la patiente qui l'a subi devrait aller porter plainte au commissariat de police. Cette plainte (gratuite) sera transmise au procureur. Il n'est pas inutile également d'écrire au Conseil de l'Ordre pour l'informer de la plainte, ainsi qu'à la sécurité sociale (et, le cas échéant, au directeur de l'établissement où ce médecin pratique) et d'envoyer une copie de la lettre au médecin. Pour qu'il dorme moins bien, dans un premier temps. 
Il sera convoqué au commissariat pour donner sa version de l'affaire. 
Une plainte ne suffira peut-être pas, mais si plusieurs patient.e.s portent plainte, on commencera à s'intéresser à son cas.

Il faut parfois plusieurs années pour qu'un médecin voie ses comportements remis en cause. C'est probablement parce que la plupart des patients ne savent pas comment réagir, ne réagissent pas ou réagissent de manière inefficace (les plaintes devant l'Ordre des médecins sont rarement suivies d'effet). Il est temps que ça change. 

En attendant, j'invite tous les lecteurs et lectrices de cet article à lire les articles 1 à 55 du Code de Déontologie (Devoirs généraux des médecins et Devoirs envers les patients) ainsi que ce document de l'Institut Droit et Santé de l'Université Paris-Descartes consacré au refus de soin opposé au patient, en particulier à partir de la page 38.

Le jour où vous vous trouverez face à un. praticien.ne qui viole l'un ou  plusieurs de ces articles, vous pouvez déjà faire quelque chose de très simple : vous lever, sortir et partir sans payer. L'article 53 du Code de Déontologie précise en effet que des honoraires ne peuvent être demandés que pour un acte réellement effectué. 

Le refus de soin n'est pas un acte médical. Vous n'avez pas à le payer. Lorsqu'il s'agit d'une discrimination, en revanche, celui qui vous le refuse doit en assumer les conséquences. 

Dr Marc Zaffran/Martin Winckler

(1) Il n'est pas question de me croire sur parole, mais de consulter des documents scientifiques. En voici un datant de cette année disant clairement qu'un DIU au cuivre ou un DIU hormonal agissent sur les gamètes (spermatozoïdes, ovocytes) et non sur les embryons. Malheureusement, il est en anglais, et un trop grand nombre de gynécologues obstétriciens français ne lisent pas la presse anglophone. Trop rétrograde, sans doute.

Voici également, par curiosité, ce qu'une journaliste (et théologienne) du National Catholic Reporter, magazine confessionnel américain, en disait en 2012. (En quelques mots : "Non, les DIU et les pilules du lendemain ne sont pas abortives. Et les refuser aux femmes est injuste et délétère.") 


3 commentaires:

  1. Bonjour Marc,
    Je pense que la loi sur la discrimination nous pose un problème, en tant que médecin. Parce que notre métier - particulièrement en soins primaire - repose sur la discrimination : je ne vais pas prendre en charge de la même façon une douleur thoracique chez une jeune femme sportive et chez un homme âgé fumeur et sédentaire, une HTA chez un patient d'origine européenne ou africaine, un diabète ou un asthme chez un patient cultivé ou vivant dans un milieu défavorisé, je ne vais pas proposer la même contraception à une jeune patiente fumeuse ou non-fumeuse ... A quel moment cette différenciation sur laquelle repose notre activité devient-elle discriminatoire ? Je me souviens qu'un patient avait porté plainte contre moi (heureusement débouté par l'ordre) parce que je lui avais coté une consultation en urgence et qu'il considérait que c'était discriminatoire à son encontre !

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    1. Adapter sa pratique aux conditions de vie d'un.e patient.e, ce n'est pas de la discrimination, c'est de la bonne pratique. La discrimination, ça consiste à refuser les soins ou à donner des soins de moins bonne qualité à quelqu'un parce qu'il fait partie de tel ou tel groupe, parce qu'il ne te plaît pas ou parce que TES valeurs comptent plus que les siennes. Je pense que c'est très clair, mais pas pour tout le monde : pas pour le médecin qui a refusé ce DIU à cette femme, et pas pour ton patient, qui a confondu la situation avec sa personne. C'était l'urgence que tu cotais, pas lui.

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    2. Ce que tu fais (adapter ta pratique au patient) c'est l'inverse de la discrimination, qui consiste à soumettre le patient à sa pratique (ou à ses idées).

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