mercredi 20 avril 2016

La souffrance des soignants - par Franck Wilmart, médecin généraliste

J’ai envie de crier ce soir devant cette épidémie qui frappe tragiquement de plus en plus de soignants dans une relative indifférence des autorités françaises; une épidémie silencieuse qui voit nombre d’entre nous disparaitre brutalement (Un jeune confrère il y a quelques jours, un confrère plus âgé hier et il y a moins d’un mois deux autres soignants ) ou tenter de le faire (un copain de promo il y a quelques mois) !

Et toujours cette même phrase : « vous comprenez, ils avaient des problèmes personnels » ! Circulez, il n’y a rien à voir. On tourne la page. C’est toujours un cas différent donc on ne peut pas comparer disent-ils ! 

Et pendant ce temps-là, le taux de suicide chez les soignants explose (Je ne suis même pas sûr que les tentatives de suicide soient toutes comptabilisées !)

Et que dire de tous ces soignants en souffrance que l’on reçoit chaque jour dans nos cabinets ? Ils craquent, sont en pleurs, épuisés, démotivés. Surtout ne pas faire le lien avec leurs conditions de travail, des techniques de management du personnel sans nom (« Comment ? Vous ne vous imaginez pas dans quel pétrin vous me mettez  pour le planning ! Vous ne pouviez pas m’avertir avant, qu'on allait vous hospitalier en urgence ? »). 

Surtout, ne pas faire le lien avec les conséquences sur la vie de famille justement, sur ces couples qui se déchirent et se séparent pour aboutir parfois (souvent?) aux drames dont je parlais plus haut.

On parle souvent de la maltraitance envers les patients : quand prendra-t-on enfin à bras  le corps celle des soignants ? Quand les politiques , les décideurs de tout poil comprendront-ils que pour bien soigner un soignant a besoin d’être au mieux ?

Dégrader les conditions de travail comme c’est le cas actuellement en ville comme à l’hôpital, c’est maltraiter les personnels soignants avec les conséquences désastreuses que l’on constate désormais chaque semaine, c’est aussi risquer de voir se majorer la maltraitance des patients !

A terme c’est le soin qui est menacé : beaucoup de jeunes ne veulent plus s’installer et recherchent des postes moins exposés ! Comment ne pas leur dire qu’ils ont raison de se protéger, de protéger les leurs de toute cette violence que notre société leur inflige !

Finalement, peut-être qu’après 15 ans de médecine de campagne, je ne commence qu’à apprendre à l’école des soignants … Ou alors  j’ai tout simplement mal de voir cette école de vie perdre trop de ses élèves ! Et avec  le règlement intérieur que notre société applique à l'école des soignants, il ne faudra pas s’étonner qu’elle ferme faute de candidat pour apprendre à soigner !

Franck Wilmart

3 commentaires:

  1. Infirmière dans un service de santé au travail d'un CHU, je ne peut que confirmer le mal être des soignants,comme le décrit très bien Dr Franck Wilmart. Je vient de voir l'article du Figaro sur les Hôpitaux qui ont le plus d'absentéisme..Ça me met hors de moi!! qu'on puisse dire que le personnel se met en arrêt sur les jours qu'on lui a refusé...Le problème devrait être pris à l'envers pourquoi temps de personnel en arrêt ?? Le top des plus mauvais Hôpitaux qui ont un mauvais management !!! on oublie que l'employeur est responsable de la sécurité et de la santé de ses employés....

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  2. En effet les soignants sont expurgés de leur force par des directions hospitalières qui ne regardent que leur chiffre, la sacro-sainte activité, la t2a etc... Les soignants sont écartelés entre ces directives et les demandes des patients et de leur famille. En libéral les demandes de la sécurité sociale sont de plus en plus importante, avec des "punitions" pour ceux qui prescrivent trop de ceci ou de cela... il faut gérer les erreurs administratives de la sécurité social de l'urssaf de la carmf du rsi... et faire son métier soigner des patients! Et soigner ça demande du temps et un cerveau disponible qui n'est pas encombré par des sollicitations parasites. Et c'est comme ça qu'on en arrive à être tiraillé de partout et à force de tirer sur la corde, elle se brise! Qui s'occupe des soignants c'est une bonne question. J'ai depuis la fin de mon clinicat remplacé plusieurs médecins dans des cabinets ou structures hospitalières et partout j'ai rencontré un médecins qui avait fait un burn out ou une histoire de tentative de suicide... Alors que fait-on? La jeune génération ne veut pas s'installer parce qu'elle ne veut pas sombrer (stratégie de l'évitement). Une de mes amies s'est installé récemment, elle a failli fermé boutique car elle était trop sollicité, trop de patients trop de consultations, horaires sans fin. Elle a fini par rester en imposant ses limites elle ne travaille pas le mercredi ni le week end et fini ses consultations à 18h30 et elle peut enfin voir ses enfants! Et c'est comme ça qu'elle va pouvoir continuer à soigner ses patients. Pour se protéger soi entant que soignant, il faut connaître ses limites et savoir dire non ( aux administrations, aux patients et à soi même ) Aucun soignant n'est surhumain.

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  3. Le déni de la société sur la souffrance des soignants n'est pas qu'une affaire de plannings. Les gens sont angoissés. La ou le soignant, avec son professionnalisme, son calme, ça rassure. C'est l'ultime filet de sécurité face à la mort. Il ne PEUT PAS être malade. D'ailleurs les professions médicales ont dérivé des clercs à l'origine, non ? En tous cas, je n'oublierais plu de demander "comment allez-vous, docteur" à ma prochaine consultation.

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