lundi 11 janvier 2016

La confidentialité, l'histoire des patients, les médecins, les médias - par Marc Zaffran/Martin WInckler


Aujourd'hui, 11 janvier 2016, j'apprends avec tristesse la mort de David Bowie qui, au cours des derniers dix-huit mois, s'était discrètement "battu contre un cancer". (Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette terminologie guerrière que Susan Sontag décrivait dans La Maladie comme métaphore, mais ce sera pour une autre fois).

Quelque chose me dit qu'on n'entendra pas les médecins de David Bowie parler de son cancer. On ne connaîtra même pas leur nom. Pourquoi ? Parce que dans leur immense majorité, les médecins anglo-saxons ne parlent pas nommément des patients "célèbres" devant les médias. Pour eux, ce sont des patients comme les autres, et ils ont les mêmes obligations de confidentialité à leur égard.

En France, il en va autrement.

En 2004, sur mon site internet, j'ai exprimé ma façon de penser au sujet de Claude Gubler, le médecin de François Mitterrand, et du livre qu'il avait publié au sujet de l'ancien président.

Aujourd'hui, je lis que le cancérologue du chanteur français Michel Delpech "sort du silence" pour raconter que "son patient s'est battu jusqu'au bout".

Bonne occasion pour revenir sur la question de la confidentialité et de son respect, principe éthique fondamental et, en théorie, incontournable.

Le respect de confidentialité fait partie des obligations éthiques d'un médecin. 

Il consiste, purement et simplement, à ne rien  révéler à quiconque de ce qu'il sait au sujet d'un patient, à moins que le patient lui ait explicitement donné son consentement. En pratique, le patient autorise le plus souvent le médecin à partager des informations avec d'autres professionnels, ou à parler franchement de sa maladie devant ses proches, mais ça n'a rien d'obligatoire : parfois, des patients exigent que le médecin garde certaines informations pour lui et ne les partagent pas avec d'autres professionnels ou avec sa famille. Et ils en ont parfaitement le droit. Il n'appartient pas au médecin de révéler à la place du patient des informations le concernant, car il n'est pas le propriétaire de ces informations.

En France, on a longtemps utilisé le terme de "secret médical" pour désigner l'obligation de confidentialité, et il me semble que cette formulation est par trop ambiguë - et permet des interprétations abusives de la part des médecins. Ce que le patient révèle au médecin n'est pas nécessairement "secret" : le patient lui-même est amené à le partager avec d'autres. Par ailleurs, la confidentialité n'autorise pas le médecin à mentir au patient en invoquant le "secret médical" ou à refuser, sous le même prétexte, des informations à la famille quand le patient ne s'y oppose pas. Il ne s'agit pas tant de garder des "secrets" que de protéger le patient de ceux qui veulent profiter de sa vulnérabilité. Le "secret" qu'invoquent trop souvent certains médecins est une excuse pour ne pas faire ce qu'ils devraient faire - à savoir : parler au patient, lui expliquer ce qui se passe, lui donner les éléments qui lui permettront de prendre une décision. Or,  le médecin n'a pas de secrets à défendre contre le patient. S'il défend des secrets, il les défend avec (et non contre) lui.

L'obligation de confidentialité obéit à une règle très simple : les informations confidentielles que le patient livre au médecin ont pour fonction de permettre qu'on le soigne au mieuxle médecin n'a pas le droit de les utiliser à d'autres fins que la délivrance de soins appropriés, et avec l'accord du patient. Et tout ce que le patient révèle de sa vie est aussi confidentiel que ce qu'il révèle de son corps : le médecin n'a pas plus le droit de révéler les confidences d'un patient qu'il n'a celui de publier sa photo sur Facebook ou de la vendre à un tabloïd.

Car encore une fois ce qu'il sait du patient ne lui appartient pas et il ne peut pas en disposer à sa guise.

Le respect de la confidentialité n'est pas un concept à géométrie variable

Si l'on pose que, par principe, un médecin ne peut pas révéler une information concernant un patient, cela signifie que ce principe est absolu. Le transgresser n'est pas seulement une faute éthique, c'est aussi une faute professionnelle, et un délit, puisque les obligations des médecins sont inscrites dans la loi (en France : le Code de la Santé publique).

En pratique, il n'y a que deux situations dans lesquelles un médecin a l'autorisation de livrer à un tiers des informations concernant un patient :
- le patient l'y autorise ou le lui demande expressément - et notez bien que le médecin a le droit de refuser et de signifier au patient de le faire lui-même ;
- la loi (ou une décision de justice) impose la révélation de certaines informations - et le médecin doit en général s'y plier (certains, parfois, s'y refusent, à leurs risques et périls).

Les circonstances légales qui permettent d'enfreindre l'obligation de confidentialité sont peu nombreuses et très strictement délimitées. Par exemple, un médecin a l'obligation de signaler des cas de maladie contagieuse (comme la tuberculose ou la séropositivité au VIH), mais il lui est interdit de révéler l'identité de la personne concernée à la police, de prévenir le partenaire sexuel, la compagnie d'assurance ou l'employeur. Les autres circonstances qui permettent de transgresser la confidentialité sont, par exemple, le patient dangereux pour lui-même ou pour les autres en raison d'un comportement violent ou d'un trouble de la santé mentale, ou encore les violences commises sur un enfant ou une personne vulnérable.

L'obligation de confidentialité existe entre époux : un médecin n'a pas le droit de dire à un homme que sa conjointe a subi une IVG, par exemple ; elle existe même entre parents et enfants puisqu'un médecin n'a pas le droit de révéler à une mère ou à un père que leur fille prend la pilule - ou qu'elle a des relations sexuelles.

L'obligation de confidentialité existe vis-à-vis des forces de l'ordre : j'ai reçu un jour un appel de la gendarmerie de mon canton me demandant si j'avais, dans les jours précédents, soigné une personne blessée par arme blanche. J'ai répondu que je ne pouvais pas répondre à cette question. Le gendarme m'a dit : "Je sais, Docteur, mais je dois la poser et sachez malheureusement que tous vos confrères n'ont pas les mêmes scrupules."

L'obligation de confidentialité existe bien entendu à l'égard des tiers institutionnels : un médecin n'a pas à donner d'informations sur ses patients à la demande d'une administration, d'un établissement scolaire ou d'une société privée quelconques.

L'obligation de confidentialité est tout aussi absolue s'agissant des médias. En raison de mes engagements fermes sur les questions de santé des femmes, j'ai souvent reçu des requêtes de journalistes me demandant les coordonnées de patientes pouvant témoigner - de leur IVG, de maltraitances médicales, de refus de contraception ou de stérilisation. J'ai toujours refusé car le simple fait de donner le nom d'une patiente est un viol du secret (personne n'a même à savoir qu'elle est venue me consulter). Et j'ai aussi toujours refusé de servir d'intermédiaire ou de "rabatteur"  : il est contraire à l'éthique qu'un médecin pousse un.e patient.e à révéler à un tiers ce qui lui a été dit en confidence.

On en déduira également que les le médecin n'a pas le droit (légal ou moral) de se servir de ce qu'il sait comme d'un outil de pression morale ; les informations confidentielles sont des repères (de diagnostic, de traitement, de suivi), ce ne sont pas des leviers ; le médecin n'est nullement en droit de s'en emparer pour influer sur les choix ou les décisions des personnes. En pratique, quand un patient m'avait révélé incidemment un secret personnel ou un secret de famille au cours d'une consultation, je ne le mentionnais jamais par la suite. Je considérais que c'était à lui de ré-aborder le sujet, s'il le jugeait nécessaire. Je considérais que je n'avais même pas à lui rappeler que je connaissais son secret : après tout, il préférait peut-être que je l'oublie ou que je ne l'aie jamais entendu...

Les confidences du patient visent à éclairer l'appréhension du problème médical par le médecin, elles ont donc essentiellement pour but la liberté décisionnelle du patient ; elles ne doivent, en aucun cas, entraver son autonomie.

Et rappelons-le, le médecin n'est pas libéré de son obligation de confidentialité par la mort du patient. 

Même si, dans les faits, les histoires de certains patients circulent, leur identité doit rester cachée

La seule chose qui autorise les médecins à raconter les histoires des patients qu'ils ont croisés, c'est le fait que ces récits font partie de la transmission du savoir, du partage, de l'échange. Mais partager des histoires n'équivaut pas à disposer librement de l'identité des personnes.

Quand un médecin "raconte des histoires de patients", il y a en gros quatre cas de figure.

Dans l'article ou le livre professionnel, l'histoire de patient est un "cas", qui vient en appui ou en illustration d'un propos dont l'objectif est le partage du savoir ou d'une réflexion sur le soin. Dans les ouvrages de santé ou d'éthique, les cas exposés le sont toujours de manière confidentielle (sauf quand les personnes concernées ont d'elles-mêmes révélé leur identité par la suite), accompagnés d'une simple initiale, ou d'un pseudonyme, et dépouillés des détails qui permettraient d'identifier le patient concerné. Ce n'est pas l'identité du patient qui importe mais les éléments médicaux, sociaux, psychologiques, médicaux de son histoire.

Dans le roman (mais aussi le film, la télésérie, la bande dessinée), l'histoire de patient fait partie d'une narration dont les éléments (personnages, événements, cadre) sont définis et organisés par l'auteur. Il n'est pas impossible qu'une personne se reconnaisse dans une fiction, mais ça peut être à tort : je ne compte pas le nombre de lecteurs qui m'ont dit s'être "reconnus" dans certains de mes personnages. Le risque de trahir la confidentialité existe, bien entendu, mais il est très faible lorsque la figure réelle qui a inspiré le personnage est inconnue du grand public - et lorsque le personnage se voit mêlé à des figures ou à des événements imaginaires. Il l'est encore plus quand l'auteur médecin s'inspire de personnes qu'il a croisées par le passé et qui ne font pas partie de sa patientèle actuelle. J'ai transposé dans mes romans des dizaines d'histoires et de situations réelles puisées dans mes souvenirs et soigneusement retouchées, remaniées, réinventées, modifiées, mêlées à des éléments purement imaginaires, pour protéger les personnes concernées bien entendu mais aussi et surtout pour les besoins d'une scène, d'un conflit, d'une révélation - bref, d'un effet narratif. La fiction, ce n'est pas la réalité (même si elle l'évoque avec force).

Ai-je jamais trahi la confidentialité de certains patients ? Pour être tout à fait honnête, il m'est impossible de l'exclure. Tout ce que je peux dire, c'est que j'écris des romans où on croise beaucoup de personnages, qui sont inspirés par beaucoup de patients (souvent deux ou trois pour chaque personnage, ou trois personnages pour un seul patient), ce qui limite beaucoup les possibilités d'identification. Même dans celui qui en contient le moins (En souvenir d'André), le travail de transformation est tel que je défie quiconque de reconnaître les modèles originels (à commencer par le modèle du narrateur...)
Je ne peux parler que pour moi ; je ne sais pas ce que font les autres médecins romanciers. Mais, encore une fois, le risque existe, et même si je n'exerce plus, mon obligation de confidentialité ne disparaît pas quand j'écris des romans ou des nouvelles.

(NB : Il m'arrive  également, de dessiner dans mes romans des personnages inspirés par des membres de mon entourage, et bien sûr d'autres médecins. Certains trouvent ça amusant ; d'autres grincent des dents - tout dépend de ce que je mets en scène. Mais même si j'ai écrit pis que pendre à leur sujet, je n'ai violé aucune obligation de confidentialité : ils n'étaient pas  mes patients.)

Dans le récit, les mémoires ou le témoignage, le médecin qui écrit parle de personnes réelles, avec pour objectif de dire la vérité. Le prototype (détestable) de cette situation est, encore une fois, le livre de Claude Gubler. Dans cet ouvrage, François Mitterrand est désigné nommément, puisque le propos de l'auteur était, précisément, de faire toute la lumière sur la maladie de son patient et les mensonges dont il avait abreuvé la presse et les citoyens. Si Gubler avait été journaliste d'investigation, il n'y aurait rien à redire : c'est le boulot d'un journaliste de faire la lumière. Mais comme Gubler était d'abord le médecin de François Mitterrand, il ne pouvait être que son médecin, et pas une "taupe" ou un espion. Il avait le droit de publier ce qu'il voulait... mais il était logique qu'on lui interdise ensuite d'exercer. En tant que soignant, le viol de la confidentialité l'avait disqualifié. Et ni la personnalité ni le statut de Mitterrand n'y changeaient rien.

Autre exemple infâme de viol de la confidentialité : le psychanalyste J-B Pontalis fit jadis, dans l'un de ses livres (dont je ne donnerai pas le titre), le récit de la psychanalyse d'une personnalité (que je ne nommerai pas), quatre ans seulement après la mort de celle-ci. Que la personne en question fût décédée, ça n'y changeait rien. Elle n'avait certainement pas autorisé Pontalis à raconter sa psychanalyse et à révéler ses confidences de manière aussi transparente dans un ouvrage destiné au grand public. Le décès était si récent et les informations si précises qu'on n'eut aucun mal à l'identifier. Aujourd'hui, d'autres auteurs font nommément référence à cette personnalité dans leurs propres ouvrages consacrés... à Pontalis. Il est vrai que ce n'est pas leur patient. Seulement leur modèle...

(NB : Pontalis n'était pas médecin, mais l'obligation de confidentialité concerne toutes les professions de santé et apparentées...)


Et j'en arrive au quatrième cas de figure : l'exposition médiatique 

Je trouve, pour ma part, inacceptable qu'un médecin parle en tant que médecin d'une personne vivante ou morte scrutée par les médias.

(PS : Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit : les médecins ont leur place dans les médias grand public, pour rassurer, éclairer, expliquer ; mais tout ça, ils peuvent le faire sans compromettre la confidentialité - c'est à dire sans parler de personnes identifiables.)

Les cas de figure - réels - auxquels je pense sont, par exemple :

- l'urgentiste qui disserte de la manière dont va mourir un alpiniste coincé au sommet d'une montagne (c'est indécent et pénible pour la famille) ;

- le gynécologue qui décrit l'accouchement de sa patiente célèbre et donne le bilan de santé de l'enfant (c'est à la famille ou au porte-parole de le faire, pas au médecin)

- le médecin diététicien qui décrit le régime, les efforts, les désespoirs et le métabolisme du patient qu'il accompagne sur un plateau (le patient est assez grand pour s'exprimer sans son médecin) ;

- le psychothérapeute qui "analyse" des patients-témoins venus raconter leurs difficultés en direct ou en différé (il n'est pas leur thérapeute, il est seulement le faire-valoir et la "caution scientifique" de l'émission) ;

- le médecin du sport qui commente à l'antenne la blessure d'un athlète (ou bien il ne sait rien de cette blessure et il ne fait que postuler de manière gratuite ; ou bien il a eu accès à des informations confidentielles et il est tenu au silence) ;-

- le cancérologue qui raconte la longue maladie de son patient célèbre (là encore, la famille est en droit de le faire ou non, mais le médecin a l'obligation de se la boucler). En toute bonne logique, lorsque ce cancérologue (je n'ai pas retenu son nom et franchement, ça m'est équilatéral) parle de ce patient en public et se confie devant une caméra, il viole, quoi qu'il en dise, son obligation de confidentialité dès qu'il révèle l'avoir traité ! 

En plus du viol de confidentialité, il y a au moins une autre raison de trouver ce type d'attitude inacceptable : c'est que lorsqu'il apparaît sous les projecteurs aux côtés d'un patient "spectaculaire" ou pour parler en son nom, un médecin n'est pas en train de faire son métier. Il ne fait, purement et simplement, que se mettre lui-même en valeur.  

Il ne soigne personne ; il se contente de soigner son image.

Marc Zaffran/Martin Winckler



3 commentaires:

  1. belle et necéssaire piqure de rappel
    merci
    CB

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  2. Merci de ce très bon topo. Si je puis me permettre, manque un point, et d'importance : le secret partagé... Ce secret partagé entre médecins sans s'être enquis de l'autorisation du patient.
    Or, non, la notion de partage d'informations entre médecins ne va pas de soi.
    Personnellement, j'interdis désormais à tous mes médecins d'échanger à mon sujet sans que j'ai copie du courrier et du dossier.
    Suis-je parano ?
    Non, je ne crois pas : j'ai juste dû, pour des raisons juridiques, demander copie de mes dossiers médicaux à plusieurs médecins et je suis tombé de haut en les lisant. A vrai dire, j'ai été extrêmement choqué de ce que certains médecins se permettent d'écrire à d'autres médecins en pensant que leurs courriers ne sera jamais lu par le patient en question : appréciations d'ordre moral, suppositions ("Il doit grignoter en plus des repas, mais ne l'AVOUE pas" !), jugement sur le comportement, jugement sur le patient lui- même ("On a peu à attendre d'une vie si pauvre", je cite...,) sur les choix d'alimentation, etc etc.
    Ecoeurant...
    Qu'en pensez-vous ?

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    1. Je pense comme vous. C'est suggéré au début du texte : "parfois, des patients exigent que le médecin garde certaines informations pour lui et ne les partagent pas avec d'autres professionnels ou avec la famille" et c'est parfaitement logique.

      Le partage entre médecins ne va pas de soi, et il devrait toujours se faire avec l'accord du patient.

      Mais il me semble que vous soulevez aussi ici un autre problème très important, et qui devrait faire l'objet d'une réflexion, lui aussi : c'est que la plupart des médecins considèrent que le dossier leur appartient, alors qu'il appartient au patient. Ils ne devraient jamais oublier que ce dossier peut être demandé à tout moment par le patient, et obtenu (il y a une législation pour ça). Et donc, ils ne devraient jamais oublier que leur éthique se lira dans les dossiers. Si certains l'oublient, c'est parce qu'ils continuent à penser de manière cloisonnée et paternaliste. Et avec une mentalité de classe. Or, le respect à l'égard des personnes n'est pas une attitude de façade. Il s'impose aussi quand on laisse une trace écrite. Merci d'avoir soulevé ce point... qui m'inspire un billet à venir.

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