vendredi 18 décembre 2015

Le consentement vu par une patiente - par A. L.

Ce texte a été écrit par A. L., internaute lectrice de ce blog et de beaucoup d'autres. Je la remercie de l'avoir envoyé et d'autoriser sa publication. 
Elle y rappelle qu'à l'hôpital, et tout particulièrement dans une maternité, les patient(e)s ne sont pas des objets et que le consentement n'est pas optionnel. Il devrait faire partie de chaque interaction et ne peut pas être "implicite", mais doit toujours être demandé explicitement et délivré librement. Elle rappelle aussi, et ce n'est pas anodin, que la délicatesse, la courtoisie et la demande de consentement, ça n'est pas inné, ça s'apprend. 
MWZ

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Je suis depuis quelques mois les débats sur les réseaux sociaux et les blogs sur la question des maltraitances gynécologiques et sur le recueil du consentement auprès des patients. Je me suis intéressée à la question progressivement, de lecture en lecture sur internet. Je suis enceinte de 8 mois et depuis que j'ai annoncé ma grossesse, beaucoup de femmes de mon entourage ont commencé à me raconter la façon dont elles ont vécu leurs grossesses, à me parler de toutes ces choses qu'on n'évoque jamais avant d'y être confronté : la péridurale, l'épisiotomie, les perfusions d'ocytocine, le déclenchement, les suites de l'accouchement. Bref, en essayant de m'informer j'ai entendu beaucoup de choses, lu énormément de textes, parfois très instructifs et intéressants, parfois caricaturaux et moralisateurs, énormément de témoignages aussi, parfois terribles et assez anxiogènes pour la femme enceinte que je suis.        

Je ne vais pas, par ce texte, ajouter un nouveau témoignage sur la maltraitance gynécologique. Je pourrais vous parler longuement de ma gynécologue. Elle est très compétente, mais en même temps, elle est clairement très nataliste et se permet des jugements moraux qui n'ont pas leur place dans une consultation médicale. Cela fait dix ans qu'elle me suit et j'ai bien pensé plusieurs fois aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Je dois avouer que, de peur de tomber sur pire, je me suis dit que, pourvu qu'elle me soigne correctement, je ferais abstraction de ses réflexions mal placées. Et puis surtout, je suis plus vieille, je me laisse moins impressionner que lors des premières visites dans son cabinet. Dans un monde idéal, elle se contenterait de me soigner et ne m'inciterait pas à repeupler la France en mettant au monde six enfants.    
   
Si j'écris aujourd'hui c'est plutôt parce que depuis le début de ma grossesse, j'ai eu l'occasion de voir de nombreux personnels de santé, de fréquenter assez assidument un CHU et d'observer des médecins et des sages femmes, confirmés et en formation. On parle beaucoup en ce moment du consentement des patients, de la façon dont il faudrait le demander dans les CHU et ailleurs (par écrit ? Par oral? Pour chaque acte ? Dès qu'on franchit la porte de l'hôpital ?), de la légitimité de le demander dans le cadre de la formation des médecins.

En tant que patiente, je suis très consciente de l'importance pour les futurs médecins de pouvoir s'exercer régulièrement sur de vrais patients, lors de consultations, et je suis tout à fait disposée à leur accorder le temps nécessaire. Pour moi, en ce moment, le recueil du consentement du patient, ce n'est pas un papier qu'on me fait signer en trois exemplaires, c'est quelques chose de beaucoup plus simple et naturel que ça, c'est juste un instant qui dure 15 secondes dans une consultation, pas plus, pas moins.

C'est le moment où, avant de me faire une échographie pelvienne, le médecin ou la sage femme demande : « je peux vous examiner ? » et où je réponds « oui ». C'est bête, ça dure 15 secondes, ça ne coûte rien, ça ne révolutionne pas la façon dont se déroule une consultation, mais purée, qu'est-ce qu'on se sent mieux quand ces 15 secondes-là ont existé par rapport à la consultation où on a juste le droit à « plus près du bord les fesses » marmonné sans un « s'il vous-plaît Madame »...        

Il y a sans doute des cas où recueillir le consentement du patient, en cas d'urgence, c'est plus compliqué et j'ai beau être une patiente ignorante, je suis assez sensée pour le comprendre. Récemment, au cours d'une discussion avec ma sage femme, elle m'a expliqué qu'en cas d'épisiotomie le jour de l'accouchement, on ne me demanderait sans doute pas mon avis. Devant mon étonnement, elle m'a expliqué : « faire une épisiotomie, c'est une décision qu'en tant que praticien on prend au dernier moment, en cas de nécessité et quand on la prend, il faut aller vite alors il est très probable qu'on ne vous le dise pas. Si vous tenez vraiment à ce qu'on vous prévienne si jamais cela devait arriver, dites-le au tout début de l'accouchement, comme ça la personne le gardera en tête et vous le dira si elle doit pratiquer une épisiotomie. » Cet échange pour moi a été fondamental. J'ai lu tellement de mises en garde sur cette maudite épisiotomie et sur les abus en la matière…

Je suppose que certains et certaines, à cette lecture, protesteront que l'épisiotomie est rarement nécessaire et que c'est scandaleux de ne pas demander l'autorisation expresse de la patiente au moment de la faire. Pour ma part, maintenant que j'ai eu cet échange, si on m'apprend qu'il a fallu procéder à une épisiotomie, je ne serais certes pas ravie, mais je ne me sentirai pas abusée : je savais que ça pouvait se produire de cette manière là, on m'avait expliqué pourquoi ça se passerait comme ça, bref j'avais été prévenue. Pour la personne qui fait ce geste, c'est un geste technique et banal qu'elle juge nécessaire, rien de plus. Pour la patiente qui accouche la première fois, c'est la bête noire, une source d'angoisse, un geste qui aura sans doute des conséquences sur sa vie sexuelle qu'elle ne peut pas mesurer, ça n'a rien de banal. Ça mérite qu'on en parle de manière claire et simple en amont, non ?        

J'ai lu et entendu quelques témoignages de médecins qui prétendent qu'on ne peut pas demander systématiquement le consentement des patients dans le cadre de la formation des étudiants en médecine. Que si on demandait à chaque fois, il y aurait tellement de refus qu'on ne pourrait pas former correctement les médecins. Nombreux de leur confrères ont exprimé leur désaccord. Je voudrais juste pour ma part apporter un modeste témoignage, celui d'une patiente qui accepte volontiers de participer à la formation des futurs médecins, pourvu qu'on y mette les formes.        

J'ai accepté il y a quelques semaines de « prêter mon ventre » de femme enceinte pour le passage d'un DIU d'échographie gynécologique et obstétricale et ai servi de cobaye à quatre candidats. Pourquoi ai-je accepté de revenir spécialement à l'hôpital, de perdre concrètement 1h30 de mon temps pour me prêter à cet exercice alors même que j'avais déjà passé ma dernière échographie et que je savais que tout allait bien ? Le plaisir de voir encore une fois mon bébé ? Pas vraiment. À ce stade, il est trop grand pour qu'on puisse le voir autrement que par petits bouts, pas toujours simples à identifier pour le non spécialiste. Je pourrais aussi vous répondre que je suis enseignante, que j'ai passé et fait passer beaucoup d'examens et que cela me paraissait naturel de venir.

Honnêtement, la seule et vraie raison pour laquelle je suis revenue, c'est tout simplement qu'on me l'a demandé gentiment. C'est parce que les sages femmes qui se sont occupées de moi depuis le début de ma grossesse m'ont toujours mise à l'aise, ont toujours été prévenantes et respectueuses que quand à ma troisième échographie on m'a demandé : « est-ce que vous accepteriez de revenir pour l'examen d'échographie ?», j'ai tout de suite dit oui. Évidemment, vous me direz, passer une échographie et accepter un toucher vaginal ou un toucher rectal, ça n'a rien à voir et je ne me serais pas portée volontaire pour subir ce genre d'examen s'il n'était pas nécessaire à ma santé.        

Je persiste néanmoins à penser que le consentement du patient pour participer à la formation des étudiants en médecine est entièrement lié à la confiance qu'il a dans le médecin et à la façon dont celui-ci le considère. Il est beaucoup lié à l'état d'esprit du patient : est-il confiant ? Stressé ? Angoissé ? Lorsque je me suis présentée pour servir de cobaye ce jour là, j'étais très détendue, je savais que mon bébé allait bien, que j'allais bien, il n'y avait pas d'enjeu particulier. J'étais donc en état d'être bienveillante envers ces pauvres médecins et sage femmes, tous très stressés qui passaient leur examen, de les rassurer sur le fait que l'examinateur était très gentil. 

J'étais tout à fait en mesure de leur pardonner ce qui a pu me mettre un peu mal à l'aise et qui, dans un contexte de consultation normale, m'aurait probablement rendue beaucoup plus vulnérable : le médecin qui dit à peine bonjour et ne me regarde pas une seule fois, celui qui laisse son poignet en appui pendant 10 min sur mon pubis alors même qu'il discute avec l'examinateur et ne regarde pas sur l'écran de l'appareil ce que la sonde posée sur mon ventre donne à voir, celui qui laisse la porte entrouverte alors que je suis à moitié nue et que le couloir est plein, etc.

La donne est complètement différente lorsqu'on attend les résultats d'un examen médical potentiellement stressant. Une amie m'a raconté une mésaventure qui lui est arrivée. Après une première grossesse interrompue à 5 mois en raison d'une malformation du fœtus, elle est retombée enceinte. Étant donné la façon dont sa grossesse précédente s'était passée, les échographies étaient pour elle une source de stress et d'angoisse, d'autant plus qu'un soupçon de malformation cardiaque l'a obligée à faire une échographie supplémentaire. Lors de cette échographie, le médecin arrive accompagné de deux étudiants qu'il laisse s'entraîner sur le ventre de mon amie sans vraiment lui demander son avis.

Déjà angoissée par la situation, elle se sent de moins en moins bien. La consultation dure, dure et elle ne sait toujours pas si son enfant est viable ou non. Elle n'ose pas demander, ne pouvant s'empêcher de penser que, si on ne lui dit rien, c'est a priori mauvais signe. Elle n'en tient plus et finit par poser la question, un peu énervée. Le médecin, la regarde, étonné, comme si elle était un peu folle : mais oui Madame, tout va bien... Cette consultation aurait été beaucoup moins éprouvante pour elle si ce médecin avait juste pris la peine d'ouvrir son dossier médical, de voir ses antécédents, de la rassurer d'emblée avant de lui demander dans un deuxième temps si les deux étudiants pouvaient s'entraîner à faire passer une échographie.        

De manière générale, depuis que je suis suivie pour ma grossesse à l'hôpital, j'ai l'impression que les médecins et les sage femmes que j'ai croisés entretiennent des relations très différentes à leurs patients. Cette observation est très personnelle, ne concerne que quelques individus et ne se veut aucunement généralisatrice (il y a bien évidemment des médecins adorables et compétents et  sans doute des sages femmes incompétentes et maltraitantes), mais je me demande dans quelle mesure cette différence n'est pas un peu liée à leur formation. Les sages femmes ont toujours demandé l'autorisation avant de m'examiner, là où ma gynécologue de ville ne le fait jamais.

Lorsque j'ai servi de « cobaye » pour l'examen, deux médecins et deux sages femmes se sont succédés. Les deux sages femmes, même dans ce contexte stressant d'examen, se sont montrées beaucoup plus prévenantes que les deux médecins. Ce sont des petites choses très bêtes : « est-ce que vous voulez que je change le papier qui vous couvre ? » « Oh, désolée, je me rends compte que je regarde votre bébé et que je ne vous ai encore rien dit » (oui, le silence du soignant lors d'un examen est aussi une source d'angoisse pour le patient!) «C'est votre première grossesse ? ça se passe bien ? » C'est le fil de la sonde d'échographie qu'elles font passer au-dessus de leurs épaules pour éviter qu'il ne traine le long de mon ventre et ne me mette du produit partout, ce sont leurs excuses quand elles doivent appuyer un peu trop fort et que je fais la grimace. Bref… ce sont de toutes petites choses mais qui contribuent énormément à la qualité de la relation soignant-patient.

Et je ne peux m'empêcher de penser que si les sages femmes lors de cet examen ont eu ces attentions alors que les médecins, sans être particulièrement désagréables, ont été beaucoup plus distants et m'ont à peine parlé, c'est que ces petits rien sont de l'ordre du réflexe chez les uns et pas chez les autres. Ce sont des gestes et des questions que ces sages femmes ont tellement intégrés qu'elles les font et les posent sans y penser, alors même que leur main tremblait sur mon ventre à cause du stress de l'examen. Visiblement, les deux médecins qui m'ont examinée, aussi compétents soient-il, n'avaient pas ces réflexes. Je suis pourtant persuadée que leur formation comporte une foule de gestes, de paroles, de questions, qui répétés à n'en plus finir deviennent tellement naturels qu'ils sont effectués sans y penser. Ne serait-il pas salutaire que parmi ces gestes et ces paroles on trouve ces bêtes questions « Est-ce que je peux vous examiner ? » ou « Bonjour, je suis un étudiant en médecine, est-ce que vous voyez un inconvénient à ce que j'assiste à la consultation et à ce que je vous examine sous le contrôle du médecin ? ».

A.L. 


4 commentaires:

  1. Nous avons en France un gros problème avec une partie de la corporation médicale et en particulier avec une partie significative des médecins qui considère que le patient est un objet à leur service.

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    1. "Le patient un objet à leur service" voir l'exemple ci-dessous. Une véritable horreur d'un bout à l'autre.
      http://rue89.nouvelobs.com/2015/12/20/interruption-medicale-grossesse-lenfer-fait-subir-hopital-262521

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  2. Je rejoins cette impression d'une meilleure attention et donc d'une meilleure relation de confiance qui s’établit avec la sage-femmerie, là où les médecins sont moins dans cette disposition. On ne peut pas faire de généralité, mais je l'ai malgré tout quand même constaté. De ce fait, étant aujourd'hui sans enfant et sans projet d'en avoir dans l'immédiat, c'est une sage-femme qui fait mon suivi gynéco depuis plusieurs années.

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  3. Les médecins qui ne tiennent pas compte de la relation humaine seront bientôt avantageusement remplacés par des systèmes experts - qui auront l'avantage d'avoir "en-tête" tout le savoir médical et tout le dossier du patient.

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