lundi 11 janvier 2016

La confidentialité, l'histoire des patients, les médecins, les médias - par Marc Zaffran/Martin WInckler


Aujourd'hui, 11 janvier 2016, j'apprends avec tristesse la mort de David Bowie qui, au cours des derniers dix-huit mois, s'était discrètement "battu contre un cancer". (Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette terminologie guerrière que Susan Sontag décrivait dans La Maladie comme métaphore, mais ce sera pour une autre fois).

Quelque chose me dit qu'on n'entendra pas les médecins de David Bowie parler de son cancer. On ne connaîtra même pas leur nom. Pourquoi ? Parce que dans leur immense majorité, les médecins anglo-saxons ne parlent pas nommément des patients "célèbres" devant les médias. Pour eux, ce sont des patients comme les autres, et ils ont les mêmes obligations de confidentialité à leur égard.

En France, il en va autrement.

En 2004, sur mon site internet, j'ai exprimé ma façon de penser au sujet de Claude Gubler, le médecin de François Mitterrand, et du livre qu'il avait publié au sujet de l'ancien président.

Aujourd'hui, je lis que le cancérologue du chanteur français Michel Delpech "sort du silence" pour raconter que "son patient s'est battu jusqu'au bout".

Bonne occasion pour revenir sur la question de la confidentialité et de son respect, principe éthique fondamental et, en théorie, incontournable.

Le respect de confidentialité fait partie des obligations éthiques d'un médecin. 

Il consiste, purement et simplement, à ne rien  révéler à quiconque de ce qu'il sait au sujet d'un patient, à moins que le patient lui ait explicitement donné son consentement. En pratique, le patient autorise le plus souvent le médecin à partager des informations avec d'autres professionnels, ou à parler franchement de sa maladie devant ses proches, mais ça n'a rien d'obligatoire : parfois, des patients exigent que le médecin garde certaines informations pour lui et ne les partagent pas avec d'autres professionnels ou avec sa famille. Et ils en ont parfaitement le droit. Il n'appartient pas au médecin de révéler à la place du patient des informations le concernant, car il n'est pas le propriétaire de ces informations.

En France, on a longtemps utilisé le terme de "secret médical" pour désigner l'obligation de confidentialité, et il me semble que cette formulation est par trop ambiguë - et permet des interprétations abusives de la part des médecins. Ce que le patient révèle au médecin n'est pas nécessairement "secret" : le patient lui-même est amené à le partager avec d'autres. Par ailleurs, la confidentialité n'autorise pas le médecin à mentir au patient en invoquant le "secret médical" ou à refuser, sous le même prétexte, des informations à la famille quand le patient ne s'y oppose pas. Il ne s'agit pas tant de garder des "secrets" que de protéger le patient de ceux qui veulent profiter de sa vulnérabilité. Le "secret" qu'invoquent trop souvent certains médecins est une excuse pour ne pas faire ce qu'ils devraient faire - à savoir : parler au patient, lui expliquer ce qui se passe, lui donner les éléments qui lui permettront de prendre une décision. Or,  le médecin n'a pas de secrets à défendre contre le patient. S'il défend des secrets, il les défend avec (et non contre) lui.

L'obligation de confidentialité obéit à une règle très simple : les informations confidentielles que le patient livre au médecin ont pour fonction de permettre qu'on le soigne au mieuxle médecin n'a pas le droit de les utiliser à d'autres fins que la délivrance de soins appropriés, et avec l'accord du patient. Et tout ce que le patient révèle de sa vie est aussi confidentiel que ce qu'il révèle de son corps : le médecin n'a pas plus le droit de révéler les confidences d'un patient qu'il n'a celui de publier sa photo sur Facebook ou de la vendre à un tabloïd.

Car encore une fois ce qu'il sait du patient ne lui appartient pas et il ne peut pas en disposer à sa guise.

Le respect de la confidentialité n'est pas un concept à géométrie variable

Si l'on pose que, par principe, un médecin ne peut pas révéler une information concernant un patient, cela signifie que ce principe est absolu. Le transgresser n'est pas seulement une faute éthique, c'est aussi une faute professionnelle, et un délit, puisque les obligations des médecins sont inscrites dans la loi (en France : le Code de la Santé publique).

En pratique, il n'y a que deux situations dans lesquelles un médecin a l'autorisation de livrer à un tiers des informations concernant un patient :
- le patient l'y autorise ou le lui demande expressément - et notez bien que le médecin a le droit de refuser et de signifier au patient de le faire lui-même ;
- la loi (ou une décision de justice) impose la révélation de certaines informations - et le médecin doit en général s'y plier (certains, parfois, s'y refusent, à leurs risques et périls).

Les circonstances légales qui permettent d'enfreindre l'obligation de confidentialité sont peu nombreuses et très strictement délimitées. Par exemple, un médecin a l'obligation de signaler des cas de maladie contagieuse (comme la tuberculose ou la séropositivité au VIH), mais il lui est interdit de révéler l'identité de la personne concernée à la police, de prévenir le partenaire sexuel, la compagnie d'assurance ou l'employeur. Les autres circonstances qui permettent de transgresser la confidentialité sont, par exemple, le patient dangereux pour lui-même ou pour les autres en raison d'un comportement violent ou d'un trouble de la santé mentale, ou encore les violences commises sur un enfant ou une personne vulnérable.

L'obligation de confidentialité existe entre époux : un médecin n'a pas le droit de dire à un homme que sa conjointe a subi une IVG, par exemple ; elle existe même entre parents et enfants puisqu'un médecin n'a pas le droit de révéler à une mère ou à un père que leur fille prend la pilule - ou qu'elle a des relations sexuelles.

L'obligation de confidentialité existe vis-à-vis des forces de l'ordre : j'ai reçu un jour un appel de la gendarmerie de mon canton me demandant si j'avais, dans les jours précédents, soigné une personne blessée par arme blanche. J'ai répondu que je ne pouvais pas répondre à cette question. Le gendarme m'a dit : "Je sais, Docteur, mais je dois la poser et sachez malheureusement que tous vos confrères n'ont pas les mêmes scrupules."

L'obligation de confidentialité existe bien entendu à l'égard des tiers institutionnels : un médecin n'a pas à donner d'informations sur ses patients à la demande d'une administration, d'un établissement scolaire ou d'une société privée quelconques.

L'obligation de confidentialité est tout aussi absolue s'agissant des médias. En raison de mes engagements fermes sur les questions de santé des femmes, j'ai souvent reçu des requêtes de journalistes me demandant les coordonnées de patientes pouvant témoigner - de leur IVG, de maltraitances médicales, de refus de contraception ou de stérilisation. J'ai toujours refusé car le simple fait de donner le nom d'une patiente est un viol du secret (personne n'a même à savoir qu'elle est venue me consulter). Et j'ai aussi toujours refusé de servir d'intermédiaire ou de "rabatteur"  : il est contraire à l'éthique qu'un médecin pousse un.e patient.e à révéler à un tiers ce qui lui a été dit en confidence.

On en déduira également que les le médecin n'a pas le droit (légal ou moral) de se servir de ce qu'il sait comme d'un outil de pression morale ; les informations confidentielles sont des repères (de diagnostic, de traitement, de suivi), ce ne sont pas des leviers ; le médecin n'est nullement en droit de s'en emparer pour influer sur les choix ou les décisions des personnes. En pratique, quand un patient m'avait révélé incidemment un secret personnel ou un secret de famille au cours d'une consultation, je ne le mentionnais jamais par la suite. Je considérais que c'était à lui de ré-aborder le sujet, s'il le jugeait nécessaire. Je considérais que je n'avais même pas à lui rappeler que je connaissais son secret : après tout, il préférait peut-être que je l'oublie ou que je ne l'aie jamais entendu...

Les confidences du patient visent à éclairer l'appréhension du problème médical par le médecin, elles ont donc essentiellement pour but la liberté décisionnelle du patient ; elles ne doivent, en aucun cas, entraver son autonomie.

Et rappelons-le, le médecin n'est pas libéré de son obligation de confidentialité par la mort du patient. 

Même si, dans les faits, les histoires de certains patients circulent, leur identité doit rester cachée

La seule chose qui autorise les médecins à raconter les histoires des patients qu'ils ont croisés, c'est le fait que ces récits font partie de la transmission du savoir, du partage, de l'échange. Mais partager des histoires n'équivaut pas à disposer librement de l'identité des personnes.

Quand un médecin "raconte des histoires de patients", il y a en gros quatre cas de figure.

Dans l'article ou le livre professionnel, l'histoire de patient est un "cas", qui vient en appui ou en illustration d'un propos dont l'objectif est le partage du savoir ou d'une réflexion sur le soin. Dans les ouvrages de santé ou d'éthique, les cas exposés le sont toujours de manière confidentielle (sauf quand les personnes concernées ont d'elles-mêmes révélé leur identité par la suite), accompagnés d'une simple initiale, ou d'un pseudonyme, et dépouillés des détails qui permettraient d'identifier le patient concerné. Ce n'est pas l'identité du patient qui importe mais les éléments médicaux, sociaux, psychologiques, médicaux de son histoire.

Dans le roman (mais aussi le film, la télésérie, la bande dessinée), l'histoire de patient fait partie d'une narration dont les éléments (personnages, événements, cadre) sont définis et organisés par l'auteur. Il n'est pas impossible qu'une personne se reconnaisse dans une fiction, mais ça peut être à tort : je ne compte pas le nombre de lecteurs qui m'ont dit s'être "reconnus" dans certains de mes personnages. Le risque de trahir la confidentialité existe, bien entendu, mais il est très faible lorsque la figure réelle qui a inspiré le personnage est inconnue du grand public - et lorsque le personnage se voit mêlé à des figures ou à des événements imaginaires. Il l'est encore plus quand l'auteur médecin s'inspire de personnes qu'il a croisées par le passé et qui ne font pas partie de sa patientèle actuelle. J'ai transposé dans mes romans des dizaines d'histoires et de situations réelles puisées dans mes souvenirs et soigneusement retouchées, remaniées, réinventées, modifiées, mêlées à des éléments purement imaginaires, pour protéger les personnes concernées bien entendu mais aussi et surtout pour les besoins d'une scène, d'un conflit, d'une révélation - bref, d'un effet narratif. La fiction, ce n'est pas la réalité (même si elle l'évoque avec force).

Ai-je jamais trahi la confidentialité de certains patients ? Pour être tout à fait honnête, il m'est impossible de l'exclure. Tout ce que je peux dire, c'est que j'écris des romans où on croise beaucoup de personnages, qui sont inspirés par beaucoup de patients (souvent deux ou trois pour chaque personnage, ou trois personnages pour un seul patient), ce qui limite beaucoup les possibilités d'identification. Même dans celui qui en contient le moins (En souvenir d'André), le travail de transformation est tel que je défie quiconque de reconnaître les modèles originels (à commencer par le modèle du narrateur...)
Je ne peux parler que pour moi ; je ne sais pas ce que font les autres médecins romanciers. Mais, encore une fois, le risque existe, et même si je n'exerce plus, mon obligation de confidentialité ne disparaît pas quand j'écris des romans ou des nouvelles.

(NB : Il m'arrive  également, de dessiner dans mes romans des personnages inspirés par des membres de mon entourage, et bien sûr d'autres médecins. Certains trouvent ça amusant ; d'autres grincent des dents - tout dépend de ce que je mets en scène. Mais même si j'ai écrit pis que pendre à leur sujet, je n'ai violé aucune obligation de confidentialité : ils n'étaient pas  mes patients.)

Dans le récit, les mémoires ou le témoignage, le médecin qui écrit parle de personnes réelles, avec pour objectif de dire la vérité. Le prototype (détestable) de cette situation est, encore une fois, le livre de Claude Gubler. Dans cet ouvrage, François Mitterrand est désigné nommément, puisque le propos de l'auteur était, précisément, de faire toute la lumière sur la maladie de son patient et les mensonges dont il avait abreuvé la presse et les citoyens. Si Gubler avait été journaliste d'investigation, il n'y aurait rien à redire : c'est le boulot d'un journaliste de faire la lumière. Mais comme Gubler était d'abord le médecin de François Mitterrand, il ne pouvait être que son médecin, et pas une "taupe" ou un espion. Il avait le droit de publier ce qu'il voulait... mais il était logique qu'on lui interdise ensuite d'exercer. En tant que soignant, le viol de la confidentialité l'avait disqualifié. Et ni la personnalité ni le statut de Mitterrand n'y changeaient rien.

Autre exemple infâme de viol de la confidentialité : le psychanalyste J-B Pontalis fit jadis, dans l'un de ses livres (dont je ne donnerai pas le titre), le récit de la psychanalyse d'une personnalité (que je ne nommerai pas), quatre ans seulement après la mort de celle-ci. Que la personne en question fût décédée, ça n'y changeait rien. Elle n'avait certainement pas autorisé Pontalis à raconter sa psychanalyse et à révéler ses confidences de manière aussi transparente dans un ouvrage destiné au grand public. Le décès était si récent et les informations si précises qu'on n'eut aucun mal à l'identifier. Aujourd'hui, d'autres auteurs font nommément référence à cette personnalité dans leurs propres ouvrages consacrés... à Pontalis. Il est vrai que ce n'est pas leur patient. Seulement leur modèle...

(NB : Pontalis n'était pas médecin, mais l'obligation de confidentialité concerne toutes les professions de santé et apparentées...)


Et j'en arrive au quatrième cas de figure : l'exposition médiatique 

Je trouve, pour ma part, inacceptable qu'un médecin parle en tant que médecin d'une personne vivante ou morte scrutée par les médias.

(PS : Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit : les médecins ont leur place dans les médias grand public, pour rassurer, éclairer, expliquer ; mais tout ça, ils peuvent le faire sans compromettre la confidentialité - c'est à dire sans parler de personnes identifiables.)

Les cas de figure - réels - auxquels je pense sont, par exemple :

- l'urgentiste qui disserte de la manière dont va mourir un alpiniste coincé au sommet d'une montagne (c'est indécent et pénible pour la famille) ;

- le gynécologue qui décrit l'accouchement de sa patiente célèbre et donne le bilan de santé de l'enfant (c'est à la famille ou au porte-parole de le faire, pas au médecin)

- le médecin diététicien qui décrit le régime, les efforts, les désespoirs et le métabolisme du patient qu'il accompagne sur un plateau (le patient est assez grand pour s'exprimer sans son médecin) ;

- le psychothérapeute qui "analyse" des patients-témoins venus raconter leurs difficultés en direct ou en différé (il n'est pas leur thérapeute, il est seulement le faire-valoir et la "caution scientifique" de l'émission) ;

- le médecin du sport qui commente à l'antenne la blessure d'un athlète (ou bien il ne sait rien de cette blessure et il ne fait que postuler de manière gratuite ; ou bien il a eu accès à des informations confidentielles et il est tenu au silence) ;-

- le cancérologue qui raconte la longue maladie de son patient célèbre (là encore, la famille est en droit de le faire ou non, mais le médecin a l'obligation de se la boucler). En toute bonne logique, lorsque ce cancérologue (je n'ai pas retenu son nom et franchement, ça m'est équilatéral) parle de ce patient en public et se confie devant une caméra, il viole, quoi qu'il en dise, son obligation de confidentialité dès qu'il révèle l'avoir traité ! 

En plus du viol de confidentialité, il y a au moins une autre raison de trouver ce type d'attitude inacceptable : c'est que lorsqu'il apparaît sous les projecteurs aux côtés d'un patient "spectaculaire" ou pour parler en son nom, un médecin n'est pas en train de faire son métier. Il ne fait, purement et simplement, que se mettre lui-même en valeur.  

Il ne soigne personne ; il se contente de soigner son image.

Marc Zaffran/Martin Winckler



dimanche 10 janvier 2016

D'autres écoles pour former les soignants - par Marc Zaffran

(Ce texte est extrait de Le patient et le médecin, Presses Universitaires de Montréal, 2014) 

***

J’ai fait un rêve

A la fin de mes études, j’ai été interne, pendant deux périodes successives de six mois chacune, dans deux services contigus de médecine. L’un s’occupait plutôt d’affections cardiaques, l’autre plutôt d’affections digestives, mais comme il s’agissait d’un hôpital régional, les patients étaient reçus à mesure qu’ils entraient, et on les soignait pour ce qu’ils avaient. La diversité des situations, la polyvalence des médecins et des infirmières, mais aussi leur capacité à travailler ensemble (certains se connaissaient depuis vingt ans) faisait plaisir à voir. Les chefs de service (un homme dans l’un, une femme dans l’autre) ne se voyaient pas (et ne se comportaient pas) comme des patrons, mais comme des capitaines d’équipe. L’une des infirmières du service m’avait eu comme stagiaire infirmier quelques années plus tôt. Lorsque je suis devenu interne dans le service dont elle était la surveillante, elle m’a accueilli avec un grand sourire en me disant : « Une des filles est en congé de maladie. Tu veux bien faire les prises de sang pendant que tu fais ta visite ? » Sans réfléchir, j’ai immédiatement répondu oui. Elle a éclaté de rire en me disant qu’elle blaguait. Moi, j’étais très sérieux. J’avais vu des internes américains faire des prises de sang, poser des perfusions, faire des prélèvements. Ils n’allaient pas les ajouter aux infirmières, déjà surchargées.
J’ai dit à ma surveillante : « On fait le même travail, de toute manière. » Je le pensais et je le pense toujours.
Il n’y a pas de discontinuité entre ce que font les professionnel.les du corps infirmier et du corps médical. Les membres des deux professions sont en contact direct avec le corps des patients. Les uns et les autres font des diagnostics, décident de conduites à tenir, assurent la surveillance, procèdent à des gestes invasifs ou réparateurs.
Ce sont des professions différentes, direz-vous. Certes, mais en quoi ? Et pourquoi ?
La différence ne tient pas aux gestes – fondamentalement ce sont les mêmes, et certains gestes très spécialisés peuvent parfaitement être pratiqués par des infirmières, comme c’est le cas dans d’autres pays que la France.
Elle ne tient pas non plus au savoir ou aux capacités intellectuelles. Les infirmières chevronnées en savent beaucoup plus et sont souvent bien plus intelligentes – et bien plus soignantes – que les jeunes médecins qu’elles forment… et que certains vieux médecins. Yvonne Lagneau, la surveillante du service des IVG où j’ai pratiqué pendant quinze ans, aurait parfaitement pu pratiquer les IVG elle-même si elle en avait eu l’autorisation. Elle connaissait non seulement les moindres gestes, mais savait aussi très bien lire sur le visage et dans les soupirs des femmes. C’était une soignante accomplie, l’une des meilleures que j’aie rencontrées.
La différence entre la profession infirmière et la profession médicale ne tient pas aux compétences de leurs membres respectifs, mais uniquement à la différence de statut. Cette différence a longtemps été associée au genre – les hommes devenaient médecins, les femmes infirmières – mais ce n’est plus vrai : il y a aujourd’hui plus de futures médecin femmes que d’hommes. Non, la différence est, à l’heure actuelle, purement et simplement, une différence de classe.
Les médecins (femmes et hommes) continuent à être issus des classes les plus favorisées. Les infirmiers et infirmières, les sages-femmes (qui en savent souvent plus que les obstétriciens), les orthophonistes (qui en savent souvent plus que les neurologues) viennent plutôt de classes sociales qui ne peuvent pas financer de longues études à leurs enfants.
Le jour où j’ai pris conscience de cette distinction arbitraire, qui tend à s’estomper dans les pays plus égalitaires  - ceux où on forme des infirmières cliniciennes et où les sages-femmes deviennent docteure en bioéthique – mais qui persiste dans les pays où les soins sont les plus hiérarchiser, j’ai fait un rêve.
C’est un rêve ambitieux. Je n’en trace ici que les grandes lignes, car je ne suis pas architecte. Je me contenterai de lancer des idées simples, mais praticables, à taille humaine, en m’inspirant du travail accompli dans des pays riches comme dans des pays où on manque de tout et des idées modestes, mais élégantes et vivaces, énoncées par le britannique E. F. Schumacher dans Small Is Beautiful: Une société à la mesure de l’homme (1973).
La France a besoin de soignants, ses facultés de médecine préfèrent former des Docteurs. Il semble hors de question de changer la mentalité d’institutions aussi archaïques. Alors, il faut nous en passer. Et, plutôt que de chercher à changer le système par le haut, le faire changer en partant du terrain, en élaborant de nouvelles manières de délivrer des soins, à l’échelle des besoins communautaires.
Imaginons de nouvelles écoles. Des écoles de soignants. Elles ne seraient pas téléguidées depuis la capitale, mais fondées et financées solidairement par les collectivités – régions, départements, communes – et par les entreprises locales.
Dans ces écoles, on formerait des soignants de première ligne, voués à prodiguer des soins de premier recours, à diffuser l’information sanitaire, à assurer les mesures de prévention seraient invités à s’y engager.
Leur formation serait financée par le biais de contrats communautaires : ils auraient la perspective, une fois formés, d’être les salariés d’un département ou d’une ville de leur région. Ils sauraient dès le début qu’ils vont travailler dans leur communauté, pour la population dont ils sont issus.
Pour se familiariser avec la réalité quotidienne des soins, ils passeraient un an au moins à travailler comme aide-soignants hospitaliers, auxiliaires de puéricultures, aides à domicile. A l’issue de cette première période, ils réévalueraient leur décision de devenir soignants, au vu des appréciations des patients, de leurs superviseurs, de leurs camarades et de leur propre expérience.
Ceux et celles qui se révèleraient trop peu empathiques ou trop pervers  – bref, incapables de tirer du plaisir du soin au quotidien – se verraient invités à se réorienter.
Ceux qui seraient convaincus de (et encouragés à) vouloir soigner s’engageraient dans la formation infirmière, apprendraient à panser et penser les soins au jour le jour, à faire du dépistage et des diagnostics courants, à délivrer du conseil contraceptif et de l’éducation sanitaire. Après avoir tous reçu la même formation initiale, ils iraient exercer leur métier de soignant de proximité. Au bout de deux ou trois ans ils pourraient décider de reprendre leur formation, pour devenir infirmier.e spécialisé.e, sage-femme, médecin de famille, chirurgien.ne, psychothérapeute, orthophoniste, physiothérapeute – ou devenir cadre, chercheur en épidémiologie, responsables de plans de santé communautaires, etc. Le salaire, fixé par la collectivité, serait identique pour toutes les professions de santé et toutes les spécialités et n’augmenteraidt qu’avec l’ancienneté. Ce serait un salaire confortable, équilibré par des horaires de travail compatibles avec une vie de famille mais aussi avec la possibilité de continuer à se former. Ceux qui opteraient pour une spécialisation ne le feraient pas pour obtenir un meilleur statut –tout le monde aurait un statut équivalent - mais parce que cela correspondrait à leurs aspirations, à leurs capacités, à leurs découvertes, à leur désir d’évoluer.
Dans ces écoles, on ne formerait pas de futures élites, mais des alliés des patients. Des professionnels polyvalents, qui travailleraient ensemble, en réseaux fluides et inventeraient sur le terrain de nouvelles manières d’assurer les soins, d’utiliser les ressources disponibles et de compenser les lacunes.
Dans ces écoles de rêve, pendant la formation intiale et la formation spécialisée, l’enseignement serait assuré collégialement par des professionnels de tous les champs du soin, des sciences humaines, des arts et de tous les domaines utiles au soin – ainsi que par des patients. Cette collégialité assurerait que la formation repose sur le partage des savoirs et répond aux besoins de la collectivité – les patients seraient là pour le vérifier.
Les soignants auraient tous le même statut – soignant communautaire ; la même fonction : délivrer des soins équitables ; le même objectif : œuvrer à une plus grande justice sociale par l’amélioration de la santé des citoyens. Ils assureraient le recueil et la diffusion des informations sanitaires nécessaires au maintien de la santé dans la communauté et par la mise en œuvre d’un savoir multidisciplinaire, feraient barrage à la désinformation commerciale et industrielle. Leur réflexion éthique ne se limiterait pas à la santé, elle porterait – comme cela devrait être le cas – sur tous les aspects de la vie dans la cité.
Leur réseau s’étendrait sur tout le territoire de leur région d’apparenance et serait connecté au réseau des régions limitrophes. Ce serait une « toile » humaine.
Une toile d’humanité.
Bien sûr, de par leur statut et leurs responsabilités, ces soignants ne seraient pas à l’abri des transgressions et de la tentation d’user de leur aura. Mais l’équivalence des statuts et l’horizontalité des relations réduirait beaucoup ce risque ; la possibilité de passer d’une profession, d’une spécialité à une autre, leur éviterait de s’épuiser dans une fonction, ou de s’y ennuyer.
Ils seraient tous, à égalité, allié.e, héraut, champion des patients, qu’ils accompagneraient et soutiendraient grâce au réseau qu’ils auraient contribué à tisser.
C’est un rêve, j’en suis bien conscient. Mais regardez vos écrans, cliquez sur les liens et vous verrez, partout sur la planète, dans des pays pauvres et des pays riches, que des bouts de ce rêve existent et fonctionnent déjà, ici et là. Pourquoi ne pas essayer de les reproduire et de les tisser ? 
Nous sommes tous des patients, c’est à nous de dire de quels soignants nous avons besoin. Alignons, ensemble, bout à bout, les idées, les songes, les fragments d’ADN qui nous aideront à engendrer les soignants de demain.


Tourmens, 1973 – Montréal, 2014

mardi 22 décembre 2015

Origines du dogmatisme et des comportements non soignants de nombreux médecins français - par Marc Zaffran/Martin Winckler

  
En guise d’introduction, une mise en situation personnelle 

Quand, à la fin des années 90, j’ai commencé à écrire Contraceptions mode d’emploi (1), je croyais tout connaître sur mon sujet, ou presque : je travaillais dans un centre de planification et d’IVG depuis 1983, j’avais lu presque tout ce qui était publié en France,  je demandais régulièrement conseil à plusieurs gynécologues de ville ou de la maternité voisine, soucieux du bien-être des patientes et disposés à partager ce qu’ils savaient. (Jacky, Jackie, Didier, Catherine, Philippe, encore merci !)

Mais à partir de 1995-1996, à mesure que l’internet naissant me permettait d’élargir mon champ de recherche, j’ai découvert que j’ignorais l’essentiel des notions utiles, et surtout que je n’avais pratiquement pas eu accès à beaucoup de travaux scientifiques qui venaient, selon le cas, valider mes notions théoriques ou discréditer mes idées reçues.

La littérature en langue anglaise ne manquait pas : on la trouvait sur des revues spécialisées destinées aux professionnels comme la (désormais disparue) revue en ligne Contraception Report » du Baylor College de Houston (Tx), mais aussi dans des bulletins d’organismes internationaux de planification familiale (IPPFEN) ou encore sur des sites consacrés à la santé des femmes (Our Bodies, Ourselves).

Sur le site de l’IPPF, sur celui de The Population Report de l’université Johns Hopkins, sur les sites canadiens de l’époque et bien sûr sur celui de l’OMS, on trouvait des informations en français. Si vous voulez télécharger les recommandations actuelles (en français) de l’OMS en matière de santé reproductive, il suffit de cliquer ICI.

Les livres médicaux sur le sujet ne manquaient pas non plus. Ceux dont je me suis le plus souvent servi à l’époque (et encore aujourd’hui) étaient l’énorme traité Contraception de David Serfaty et son Abrégé (Ed. Masson, le seul ouvrage complet en français), le Clinical Guide for Contraception de Speroff (Lippincott) et Contraception : Your Questions Answered du Britannique John Guillebaud, que je considère comme le plus pratique pour tous les professionnels. C’est de ce dernier que je me suis le plus inspiré pour écrire mes propres livres sur le sujet.

Je me suis senti honteux en découvrant que je donnais des conseils souvent rigides et parfois inefficaces ;  que je défendais mordicus des principes qu’on m’avait inculqués en faculté, répétés par livres et revues sans l’ombre d’une discussion ; que je refaisais de manière mécanique des gestes pénibles pour les patientes et pour certains, parfaitement inutiles. J’ai commencé à changer de discours et de comportements.

Soucieux de ne pas garder ce nouveau savoir par-devers moi, j'ai résolu de le partager dans un ouvrage qui soit lisible aussi bien par les femmes curieuses de savoir, de comprendre et de choisir leur méthode, que par les enseignant(e)s, les travailleurs sociaux et les professionnel(le)s de santé concernés. Ce que j’avais envie de faire, c’était à la fois un ouvrage de référence en langue française ET un guide pratique tel Contraception Today, (Guillebaud encore) ou le très chouette Mon Guide Gynéco d’Agnès Ledig (sage-femme) et Teddy Linet (gynécologue) qui sera publié en janvier 2016 chez Pocket. Bref, je voulais écrire le bouquin que j’aurais aimé trouver en librairie au moment où je m’étais mis à faire des remplacements.

Je pensais, naïvement, que tout le monde - à commencer par mes confrères - serait ravi de voir un tel livre enfin disponible. 
Je me trompais.

Contraceptions mode d’emploi a connu un beau succès : il s'en est vendu entre quinze et vingt mille exemplaires en trois éditions. (En même temps que la troisième en 2007, j’ai publié deux livres de plus petit format : Choisir sa contraception et Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les règles (éd. Fleurus), également destinés au grand public.)

Le livre a été largement couvert par la presse grand public et a même fait l'objet d'une émission de télévision. Son caractère polémique n'est pas passé inaperçu : L’Express relevait à l’époque ma critique vigoureuse de la prescription excessive de « Diane 35° » - sans pour autant que le fabriquant porte plainte. Des magazines féminins en ont parlé. Bref, l’accueil a été très positif. Sauf dans le monde médical.

En effet, alors que les médecins anglo-saxons n’hésitent jamais à chroniquer un livre médical destiné au plus large public, Contraceptions mode d’emploi n’a pratiquement fait l’objet d’aucun compte-rendu dans les journaux médicaux français. Pas même pour en critiquer le contenu scientifique (même si j’avais apporté beaucoup de soin à son écriture, on pouvait certainement y relever des approximations ou des manques). On m’a certes rapporté de vive voix ou par écrit les commentaires défavorables de professionnels qui me reprochaient mon « manque de rigueur » (sans précision), des « informations fausses » (sans dire lesquelles), l' "absence de bibliographie" (ils n'avaient pas lu le livre jusqu'à la fin) et ma « démagogie » (sans doute pour avoir écrit un livre destiné au grand public). Mais je n’ai pas reçu de mise en demeure du syndicat des gynécologues obstétriciens ou d'avertissement du Conseil de l'Ordre.
Pour une grande partie de la profession médicale française, ce livre n'a jamais existé.

De certains discours médicaux en France en 2015

Depuis, heureusement, beaucoup d’eau est passée sous les ponts. L’internet s’est développé en France, les forums se sont multipliés, le site (officiel) de l’INPES donne des informations fiables sur la contraception et les pages consacrées à la gynécologie et l’obstétrique abondent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Autant dire que les femmes françaises sont beaucoup mieux informées.

Et pourtant, beaucoup de médecins semblent toujours ne pas l’être. Il ne se passe pas de jour sans que je lise, dans mes courriels, sur des pages FB ou via Twitter, le récit de femmes françaises à qui l’on refuse l’accès à la contraception de leur choix sous des prétextes divers.

Parmi les prétextes invoqués par les professionnels pour refuser une contraception on entend les bêtises suivantes :

« Vous êtes trop jeune » (à des jeunes femmes qui ont déjà des rapports sexuels ou sont susceptibles d’en avoir)
« Vous n’en avez plus besoin » (à des femmes qui ne sont pas ménopausées)
« Tabac et pilule sont incompatibles » (à des femmes de moins de 35 ans) 
« Les DIU sont interdits aux femmes sans enfant »
« La prise d’anti-inflammatoires inactive l’efficacité des DIU »
« Les DIU favorisent les grossesses extra-utérines et la stérilité. »
« Il ne faut pas porter de « cup » avec un DIU, ça facilite leur expulsion. »
« L’implant provoque de l'ostéoporose. »
« La prise de pilule compromet la fertilité. »
« La prise de pilule en continu (pour ne pas avoir de "règles") est dangereuse pour la santé »
« La loi interdit aux femmes de moins de 35 ans qui ne veulent pas d'enfant de se faire stériliser. »

Et j’en passe.

Or, toutes ces affirmations sont fausses, et les preuves scientifiques, les directives professionnelles et les réglementations et lois de la République ne manquent pas pour le prouver. 

Qu'en 2015, alors que les usagères ont accès à de multiples sources d’information qui leur disent le contraire, bon nombre de professionnels de santé continuent à proférer sans honte ces affirmations erronées c'est, pour le moins, problématique.  

Ces jours-ci, une journaliste m’écrit :
« Je suis très intriguée par le retard des médecins français sur leurs confrères anglo-saxons, s'agissant de la prescription d'une pilule en continu. 
Est-ce juste une question de dogmatisme (et dans ce cas comment expliquer ce dogmatisme?) ou y a-t-il aussi d'autres raisons, par exemple la pression de certains lobbies (les marques de serviettes hygiéniques feront faillite si les femmes décident de ne plus avoir leurs règles !)? 
Je serais curieuse de savoir ce qui est enseigné aujourd'hui dans les facs de médecine françaises à ce sujet. J'ai l'impression que les plus jeunes générations de gynécologues sont plus ouvertes. »

La question soulevée est effectivement de taille : pourquoi tant de membres d’un corps professionnel qui affirme œuvrer pour la santé des femmes sont-ils encore si en retard dans leurs connaissances ? Pourquoi s’ingénient-ils à opposer des fins de non-recevoir à des demandes courantes et satisfaites sans problème hors des frontières de l’hexagone ? 

(Quelques exemples : Les DIU au cuivre de petite taille - donc, pour femmes sans enfant - sont commercialisés dans le monde entier, y compris en France, depuis au moins quarante ans. Aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou au Canada, on pose sans discussion un DIU au cuivre ou hormonal à la femme qui le demande, quel que soit son âge. La prise de pilule en continu est depuis plusieurs décennies une pratique courante et des marques de pilules à prendre 3 ou 6 mois d’affilée existent aux États-Unis et en Angleterre depuis dix ans au moins, etc.)

Comprenons-nous bien : un médecin n’est pas un robot qui inscrit quelque chose sur une ordonnance à la moindre demande d’un patient ; sa profession et l'indépendance qu'elle requiert l'obligent certes à diagnostiquer, éclairer, informer, guider, conseiller et prescrire de son mieux, mais certainement pas à répondre à toutes les demandes sans discrimination. Cependant, son autonomie professionnelle ne l'autorise pas non plus à défendre des positions scientifiques erronées, ou à opposer une fin de non-recevoir à des demandes légitimes.

Une profession qui se dit scientifique doit se maintenir à jour des connaissances scientifiques. Or, souvent, le type d’arguments que certains médecins, en particulier des gynécologues (2) opposent aux femmes ne sont pas des arguments scientifiques, mais des dogmes.

Le TLFI (Trésor de la langue française informatisé) définit le dogme comme étant une « proposition théorique établie comme vérité indiscutable par l'autorité qui régit une certaine communauté. » (C’est moi qui souligne.)

Les affirmations énumérées plus haut ne reposent pas sur des faits scientifiques et ne peuvent pas être discutées avec beaucoup de celles et ceux qui les martèlent - pas même, souvent, au moyen d’arguments scientifiques. A leurs yeux, ce sont donc des dogmes. En tant que tels, ils sont incompatibles avec l’éthique et la déontologie médicale. Rappelons que le code de déontologie des médecins français affirme : (Article 32, article R.4127-32 du CSP, et premier des « Devoirs envers les patients ») : Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents.

Malgré le Code de déontologie, parmi bon nombre de médecins français, les dogmes sont légion, et ils ont la vie dure. 
D’où viennent-ils, ces dogmes, et comment sont-ils inculqués à tant de praticiens ?

La réponse tient en une phrase. 

Ces dogmes naissent d'une structure pyramidale et d'un enseignement paternaliste, contraires à l'éthique du soin, qui écartèlent les étudiants entre des loyautés contradictoires, et les transforment en médecins phobiques et dépendants

***

Démonstration 

Structure pyramidale…

Le dogmatisme médical français est directement lié aux conditions de la formation, paternaliste et profondément élitiste, que subissent les étudiants. (Oui, on voit ça aussi ailleurs qu’en France, mais dans ce texte, il s’agit de balayer devant la porte de l'Hexagone.)

La médecine est une discipline qui nécessite simultanément l’acquisition d’un très grand nombre de notions scientifiques théoriques et un apprentissage pratique difficile et émotionnellement éprouvant. En principe, cet apprentissage « au lit du malade », qui fonctionne comme un compagnonnage, devrait venir compléter les notions théoriques et scientifiques acquises auparavant, les nuancer, les relativiser, les mettre en situation. Il devrait aider les étudiants à utiliser le savoir comme un outil au service du soin, et non comme une entrave. Il devrait aussi contribuer à aider le médecin à affronter les difficultés morales du soin.

De même qu’un professionnel de santé soucieux d’éthique considère le patient comme son égal, le formateur soucieux d’éthique doit considérer l’étudiant comme l’égal de l’étudiant qu’il a lui-même été, à savoir un futur collègue, un sujet en formation pensant et agissant, non une éponge qu’il s’agit de gorger jusqu’à ce qu'elle dégoutte. Aujourd’hui plus qu’hier, étudiants hospitaliers et résidents entrent à l’hôpital avec un bagage incomplet et encore hésitant, mais déjà très important. Sur certains points, ils ont des notions plus fraîches que celles des cliniciens à qui ils auront affaire.

Dans l’idéal, la relation entre enseignant et étudiant est une relation de partage et d’échanges réciproques. Dans la réalité, les relations entre enseignants et étudiants varient énormément selon la société, le milieu considéré et la personnalité des individus.

Quand société, milieu et individus tendent vers la réciprocité, la relation est horizontale et dynamique : l’apprenti s’enrichit de l’expérience du formateur et en retour soulève les questions que son aîné ne se pose pas (ou plus) et le pousse à réexaminer sa pratique.

Quand la société et le milieu sont autoritaires et paternalistes, la relation est verticale, descendante et unilatérale. 

Depuis la réforme de 1958, le monde hospitalo-universitaire français est structuré de manière pyramidale ; tout chef de service règne en monarque absolu dans "son" service : dans les départements de CHU voués au soin, à l’enseignement et à la recherche, le « Patron », comme son nom l’indique, décide de tout

Ce pouvoir considérable a bien entendu de lourdes conséquences sur le fonctionnement des services en matière de soin et de recherche, mais je vais me cantonner ici à ce qui concerne l’enseignement. Le Patron a en effet tout pouvoir sur les médecins en formation – et en particulier, celui de favoriser, de ralentir, voire de mettre un terme à leur carrière.

… enseignement paternaliste…

Pendant longtemps (et c’est encore le cas dans de nombreuses facultés), l’enseignement médical français était fondé sur un certain nombre de prémisses non dites, mais parfaitement intégrées par la majorité de ses membres :

Certaines de ces prémisses concernent la relation de soin :

« Un médecin sait, les patients ne savent pas. » (Et même si on leur expliquait, la plupart ne comprendraient pas.) 
« Le médecin acquiert son savoir en observant des patients et en écoutant ses maîtres. Jamais en recevant ce savoir des patients eux-mêmes. »
« Les patient(e)s ont des attentes inappropriées (puisque c'est le médecin qui sait) et donc tantôt excessives, tantôt insignifiantes. »
« Le patient n'est jamais rationnel ; le bon médecin, lui, l'est toujours. » (Ou, en tout cas, toujours plus que le patient.) 
« Le patient qui prend une décision contraire à ce que le médecin a recommandé court de grands risques. » Et, par conséquent, « Il est parfois nécessaire d'imposer au patient ce qu'il ou elle ne veut pas, pour son bien. »

D’autres prémisses concernent la relation entre formateurs et étudiants :

- Héritage direct de la société monarchique, l’autorité d’un « Maître » en médecine et sa compétence découlent exclusivement de son titre et de son statut dans la hiérarchie hospitalo-universitaire. (Le fait qu'il soit totalement incompétent n'y change rien.) Ladite hiérarchie étant pyramidale, le « Patron », s'il est "Professeur en chaire" est l’autorité pédagogique suprême dans sa spécialité. 

- Bien entendu, seuls les médecins peuvent former les médecins et leur servir de « modèle ». Une infirmière, une sage-femme, une orthophoniste ne le peuvent pas. Et, à une poignée d’exceptions près, les « Maîtres » sont des hommes. (La féminisation de la profession médicale semble à peine modifier les choses, puisque le sommet de la hiérarchie reste majoritairement masculin.) 

- Enfin, l’autorité d’un « Maître » vient toujours du fait qu’il est Patron ou que le Patron lui a délégué son autorité. Tout « Maître » est donc, peu ou prou, une extension du Patron. 

D'autres prémisses, enfin, ne sont pas spécifiques de l’hôpital : on les retrouve dans d’autres environnements d’apprentissage, universitaires ou non, en France ; mais ils témoignent d’une mentalité féodale et quasi religieuse, fondée sur l’idée d’un pouvoir suprême, transmis par cooptation et s’exerçant exclusivement de haut en bas.

Ainsi :
- « Ce que le Patron sait, l’étudiant ne peut pas le savoir avant que le Patron le lui ait inculqué. Il n’a pas le droit de contester ce savoir, ou de le questionner.
- « Ce que le Patron enseigne aujourd’hui comme vrai ne peut pas être faux demain. »
- « Ce que le Patron tient pour faux ne peut pas être vrai. » (Et ce dont il n’a pas connaissance n’existe pas.) 
- « Le Patron n’a pas à (s')expliquer. S’il le fait, c’est par faveur, non par obligation. Et il appartient à l’étudiant d’assimiler à tout moment, de comprendre s’il en est capable et d’appliquer sans discuter ce qu' a dit le Patron.
- « Ce que le Patron fait, l’étudiant doit le faire comme lui. Il ne peut pas envisager de le faire autrement sans son autorisation. » (Mais suggérer de faire autrement, c’est insultant pour le Patron. Donc, irresponsable, indigne de la profession, etc.)
- « Les interdits du Patron ne doivent jamais être transgressés, sous peine de mort » (celle du patient, bien entendu).


A maints égards, la formation médicale française illustre parfaitement l’expérience de Milgram : une figure d’autorité (le Patron ou le Maître) ordonne à un sujet « naïf » (l’étudiant, le résident) d’exécuter des ordres portant sur un tiers (le patient) sans qu’il soit possible de discuter le bien-fondé de ces ordres.

Le conformisme, auquel tous les êtres humains sont prédisposés, même pour les tâches les plus anodines ou les plus absurdes, contribue à plonger d’emblée le nouvel arrivant dans un environnement où on ne discute pas la parole du Patron. 

L’expérience de Milgram laissait les sujets libres de rejeter les ordres de la figure d'autorité. Dans les facultés de médecine françaises fonctionnant sur ce modèle, l’obéissance est assurée par le fait que la figure d’autorité a tout pouvoir pour expulser le sujet du service, voire l'exclure du cursus, s'il se rebelle contre elle.

Dans ces conditions, le Patron et ses extensions peuvent, de fait, pratiquer un enseignement, fondé sur l’argument d’autorité (« Moi, le Patron, je dis que… »), lequel fait alors figure de vérité indiscutable et donc, de dogme. Or, l’enseignement dogmatique est l’inverse de la réflexion scientifique, qui repose sur la confrontation et la mise en commun des expériences, le questionnement des « vérités » d’antan, l’énoncé d’hypothèses nouvelles, la recherche de preuves tangibles ou chiffrées pour les étayer - et donc, pour remettre en cause les notions dépassées. 

Un exemple caricatural d’argument d’autorité : l’interdiction de prescrire des anti-inflammatoires à une femme portant un DIU au cuivre. Ce dogme, strictement franco-français, découle d’une hypothèse formulée dans les années 80 par un Patron, et promue par la suite comme une Vérité alors qu’elle a été maintes fois démentie par des études cliniques.

Aux prémisses citées plus haut, ajoutons une dernière, qui n'est pas spécifique du monde médical, mais tout à fait représentative de la culture française, très cloisonnée, très fermée sur elle-même, très ethnocentrique, à savoir : 

« Ce qui s'écrit et se fait en médecine hors de France est au mieux douteux, au pire sans intérêt ; si c'est écrit en anglais, ça ne peut pas être de la bonne médecine car les médecins anglo-saxons sont essentiellement motivés par l'argent ; tandis que les médecins français, eux, sont mus par le souci des patients. »

(Si, si, je vous assure que c'est souvent aussi caricatural que ça.)

… contraires à l’éthique de la formation et des soins... 

Hiérarchie pyramidale, arguments d’autorité et isolationnisme intellectuel ont des conséquences incontournables et désastreuses.

D’abord, ils interdisent toute communication entre les facultés, qui se comportent comme des écoles de pensée (je devrais dire « des clochers ») aux valeurs contradictoires, parfois jusqu'à l'absurdité.

Ensuite, ils contribuent à répandre et pérenniser des valeurs moralement discutables, des notions erronées et des comportements opposés aux intérêts des patients : lorsqu’un Patron de gynécologie est idéologiquement opposé à l’IVG ou à la stérilisation volontaire, personne dans "son" service n’a le droit d’en pratiquer, alors que la loi le permet et que l'hôpital public doit appliquer la loi. 

Aucun des étudiants qui y sont formés ne peut apprendre à pratiquer les interventions "interdites". Même s'ils n'ont pas les mêmes objections que leur Patron, ils auront donc beaucoup de difficultés plus tard à offrir ces interventions à leurs patients. Si le même Patron est convaincu qu’un DIU provoque des infections, il enseignera aux étudiants à ne pas en poser à des femmes qui en ont besoin. S'il est convaincu que l'implant est une "mauvaise contraception", ses élèves n'en prescriront jamais. S'il est séduit par l'anneau vaginal, il leur en fera prescrire à tire-larigot. 

L’impossibilité d’interpeller le Maître et l’absence de diversité de points de vue interdisent tout apprentissage comparatif et critique, de sorte que les étudiants n’apprennent que selon des « lignes de pensée » étroitement balisées. Et ceci peut s'observer dans des départements de toutes les spécialités médicales, dans toutes les facultés de médecine françaises.

Enfin, cette situation favorise la manipulation intellectuelle et morale de plusieurs générations de médecins. En effet, puisque nul ne peut discuter la parole du Patron dans une spécialité donnée, il suffit de convaincre celui-ci d’adhérer à un traitement (un hypertenseur, une insuline, une pilule plutôt qu’une autre) pour que l’immense majorité des médecins qui seront formés dans "son" service prescrive le même traitement. 

Et, pour mettre un Patron dans sa poche, il n’est pas nécessaire de lui donner directement de l’argent (ce serait grossier). Il est plus efficace de le flatter en lui proposant de publier dans des revues prestigieuses, en lui conférant un statut d’"expert" (conférencier-vedette dans un congrès national, par exemple), ou en le chargeant d’ « expérimenter » un traitement nouveau sur les patients de "son" service. Ce mode de manipulation, couramment exercé par les industriels et très bien décrit dans le livre de Christian Lehmann, Patients, si vous saviez (Laffont), est particulièrement efficace dans les services où l'on ne pratique ni la critique scientifique ni le débat contradictoire. 


… des étudiants écartelés entre des loyautés contradictoires... 

En principe, tout médecin doit d’abord sa loyauté au patient qu’il soigne. Or, la formation médicale est conçue de telle manière que les étudiants sont d’abord massivement exposés à l’influence, au charisme et à l’autorité des Patrons, qui leur dispensent des cours magistraux bien avant de leur confier les soins d’une personne souffrante. Quand ces mêmes étudiants entrent à l'hôpital, leur regard sur le soin, la maladie et les patients a depuis longtemps été « préformaté » par les « modèles de rôle » qu’ils ont écoutés parler en amphithéâtre. 

Lorsque un Patron (comme j’ai vu le faire dans les années 70 à Tours) donne un cours sur l’alcoolisme en « présentant » aux étudiants un "patient alcoolique typique" dont il expose sans gêne les tremblements, la couperose, et le ventre distendu par l’ascite, il laisse entendre que traiter un malade comme un spécimen d'observation est une manière « normale » de se comporter. Puisque le patron le fait

Quand (autre observation personnelle) un autre Patron donne un cours sur le cancer de l’utérus en l’  « illustrant » au moyen de diapositives « humoristiques » montrant une femme obèse, au visage couvert de poils et à la culotte tachée de sang, il laisse entendre qu’il est « naturel » de se moquer des femmes qui souffrent de cette maladie. 

Enfin, on continue en France à pratiquer un « enseignement au lit du malade » en « grande visite »  – comme le montre le documentaire de Marie Agostini L’école de médecine (2007) dont vous pouvez voir bon nombre d'épisodes ICI

En voici un extrait particulièrement parlant, je trouve. 






Cette manière de procéder n’est favorable ni à la transmission de notions théoriques, ni à l’apprentissage clinique, ni à la démonstration de comportements respectueux envers les patients, ni même à de bons échanges pédagogiques entre enseignants et étudiants.

Dans ces conditions, il est très difficile pour les médecins en formation de se mettre du côté de la personne malade. Comment pourraient-ils s’identifier à elle alors que les enseignants n'hésitent pas à exposer, à ignorer, à humilier et à se moquer des patients ? Et souvent, à faire de même avec les étudiants !  

Comment les étudiants pourraient-ils protester contre ce type de « présentation » et sortir du cours ou de la chambre quand on leur signifie que "c'est comme ça qu'on apprend" et que toute contestation les expose à être punis, disqualifiés ou à devenir de mauvais médecins ? 

Un petit nombre, fascinés par le système, se conforment si bien à ses attentes qu’ils réussissent, après s'être "coulés dans le moule", à se faire coopter par leurs aînés, à graver les échelons de la hiérarchie hospitalo-universitaires et parfois à devenir un Patron à leur tour. Pour mieux reproduire ce qu'ils ont subi. ("J'en ai bavé, et vous voyez où ça m'a amené. Alors quand je vous en fais baver, c'est pour votre bien. Vous comprendrez plus tard. ") 

D’autres étudiants, très critiques mais moins nombreux, s’ils ne sont pas d’emblée exclus ou rejetés par les Patrons et par leurs camarades, n’ont qu’une hâte : en finir avec le milieu hospitalo-universitaire et aller apprendre dans le monde réel ce qu'on n'a pas pu leur apprendre en faculté. Plus tard, ils créent un syndicat dissident comme le SMG et sa revue, Pratiques ; fondent une publication dissidente et/ou multidisciplinaire comme La revue Prescrire ou Exercer ; mettent sur pied un organisme d'information critique et indépendant comme le FORMINDEP ; animent un forum sur la médecine 2.0 comme Dominique Dupagne ou un blog critique et politique comme Christian Lehmann ; organisent le partage des connaissances en gynécologie comme le font médecins et sage-femmes sur Formagyn ou témoignent de leur expérience et de leurs réflexions sur des blogs, trop nombreux pour que je puisse les citer tous (mais en voici un qui les cite régulièrement). Et leur nombre ne fait que croître, ce qui est heureux. 
Tous ces militants du soin s'expriment, aujourd'hui, en réseaux virtuels, bien loin des facultés et des lieux de formation "officiels". 
L'itinéraire de ces "excentriques" et leur engagement expliquent que la majorité des critiques remettant en cause le système hospitalo-universitaire sont des médecins généralistes, des infirmier(e)s, des sages-femmes ou des praticien(ne)s délivrant des soins primaires notamment en centres de planification, en santé mentale, en médecine du travail.

Malheureusement, la majorité des étudiants d'hier et d'aujourd'hui, des médecins d'aujourd'hui et de demain ne font partie ni des ultraconformistes ni des dissidents. Ils se plient au modèle dominant, puisqu’il n’y en a pas d’autres et poursuivent leur formation sans perspective de pouvoir changer les choses de l'intérieur. Faute d'avoir acquis l'autonomie et l'esprit critique qui leur permettraient d'exercer hors de la sphère d'influence de la Faculté, ils deviennent des marionnettes entre les mains des industriels du médicament. Mais ont-ils jamais eu le choix ?  

… des médecins phobiques et dépendants. 

La formation d’un médecin dépend beaucoup de ce à quoi on l’expose ou le soumet, mais aussi bien sûr de sa personnalité propre. 

La plupart des étudiants en médecine français,  jeunes et juste sortis de l’enseignement secondaire, sont très sensibles à la pression des pairs et à l’influence des Patrons. Or, l’apprentissage du soin à l’hôpital – au contact de malades atteints d’affections graves, invalidantes et souvent mortelles est très éprouvant, émotionnellement parlant. Il favorise une vision très clivée de la réalité : les soins délivrés  à l’hôpital sont toujours une question de vie ou de mort ; à l’opposé, les problèmes de santé qui ne méritent pas l’hospitalisation sont négligeables et ne méritent pas les efforts des médecins, puisqu’ils ne méritent pas de leur être enseignés. L’exceptionnel est survalorisé par rapport au quotidien : dans un service de gynécologie, par exemple, on parle beaucoup plus de cancer (du sein, de l’utérus, de l’ovaire) que de contraception ; la grossesse et l’accouchement sont toujours traités comme des situations à risque, alors même que dans un pays développé comme la France, l’immense majorité se déroule sans aucun problème…  

Cette survalorisation des dangers contribue à convaincre les futurs médecins que leur métier consistera avant tout à « combattre la mort » (ou à "sauver des vies"). Or, la plupart des médecins, une fois diplômés, exercent hors de l’hôpital. Ils ont affaire en majorité à des patients qui consultent parce que quelque chose leur complique la vie, non parce qu’ils sont susceptibles de mourir du jour au lendemain. Cette médecine-là est très différente de celle qu’on leur a inculquée : elle est beaucoup moins spectaculaire et consiste surtout à dédramatiser, à proposer des gestes préventifs, à prescrire des traitements au long cours et en assurer le suivi, à écouter, expliquer, rassurer, soutenir moralement…  Bref, à délivrer des soins. Cela, leurs Patrons ne le leur ont pas enseigné, car ce n’est pas la médecine qu’ils pratiquent. Mais, comme ils ne connaissent que cette médecine-là, ils continuent à s'y référer, parfois longtemps après avoir fini leurs études. 

Mal préparés à la réalité du soin, beaucoup de médecins deviennent (et restent longtemps) phobiques : ils voient des cancers ou des maladies graves partout, multiplient explorations, consultations spécialisées, hospitalisations et traitements lourds. Incapables de critiquer leurs Patrons pendant leurs études, ils sont aussi très défensifs, une fois diplômés, devant tout ce qui remet en question la façon dont ils ont été formés. Certains se déferont de leurs phobies et se mettront à poser des DIU aux femmes sans enfant. D’autres continueront à affirmer mordicus que c’est « dangereux », sans voir que leur refus expose les femmes ainsi privées de contraception à des grossesses non désirées. 

La peur qui cantonne un médecin à prescrire de manière « conforme » et sans discussion critique compromet toujours profondément ses obligations envers les patients, et par conséquent la qualité des soins. 

Or, les patients ont besoin de professionnels de santé courageux.  


***

Un système immuable - même pour ceux qui tentent de le réformer

Le fonctionnement des facultés de médecine françaises, dont les coutumes sont ancrées dans la médecine du XIXe siècle, et dont la structure féodale a été transformée en administration rigide par la réforme de 1958, est un système fermé qu’il est très difficile, voire impossible, de réformer. 

Bien entendu, il y a des départements et des services, partout en France, où l'on pratique autrement. Mais ces lieux tranchent le plus souvent sur les départements qui les entourent et on ne les montre pas à la télévision.  

Et dans certaines facultés, les doyens (cela arrive régulièrement, je pense à Brest, en particulier) tentent de changer les choses, mais ils sont vite bloqués dans leur démarche, voire mis en échec par les Patrons les plus soucieux de maintenir le statu quo. Modifier les conditions de formation nécessite en effet de penser la médecine comme une activité fondée sur le partage des expériences à l’aune des connaissances scientifiques, le débat démocratique et le dialogue, l’interdisciplinarité via l’établissement de relations horizontales entre tous les professionnels de santé, la collégialité, le soutien aux étudiants, la participation active et constante des patients aux décisions qui les concernent. 

Ce qui exigerait, pour commencer, de remettre en question les statuts et prérogatives des personnes installées, torse gonflé et cul vissé, au sommet de la pyramide...

« ... Et voilà ce qui fait que votre fille est muette. »
Molière, Le médecin malgré lui (1666)


Cela dit, si certains lecteurs ont connaissance ou participent à des expériences novatrices de formation dans une faculté de médecine française, je les invite à temoigner de ces expériences sur ce blog. Ils y seront les bienvenus.

Marc Zaffran/Martin Winckler
ecoledessoignants@gmail.com


(1) 1e éd Le Diable Vauvert, 2001, 2e éd. Le Diable Vauvert, 2003, 3e éd. J’ai Lu, 2007
(2) Non, bien sûr, pas tous les gynécologues, et pas seulement les gynécologues. Mais beaucoup trop de gynécologues, certainement, puisqu’on voit passer beaucoup de protestations sur les réseaux sociaux, les forums, les sites, et aussi, à présent, dans les organes de presse en ligne. Et, venant de "spécialistes" de la santé des femmes, c'est très irritant...