(Illustration ci-dessus : couverture du Guide pour la santé des femmes de la ville de Lyon)
NB : Je rappelle que j'emploie ici le féminin générique pour désigner les professions majoritairement féminines.
Dans son édition du 28 février 2023, Libération publiait une tribune de Judith Aquien intitulée : "En France, l'accès à l'IVG reste à améliorer".
L'autrice, saluant l'entrée de la liberté - sinon du droit - à l'IVG dans la Constitution, y fait justement remarquer que la constitutionnalisation ne servira pas à grand-chose si, concrètement, les femmes ne peuvent accéder à la procédure.
Elle souligne, à juste titre :
- l'obligation inique d'avoir à recourir à des jours de congés pour se rendre à plusieurs reprises en centre de planification ;
- le refus fréquent et scandaleux que se voient opposer les femmes qui demandent un arrêt de travail après une IVG -- comme si une aspiration ou une expulsion médicamenteuse étaient des parties de plaisir ;
- la persistance d'une "clause de conscience" absurde qui, de fait, permet à certains gynécologues d'imposer aux femmes leurs propres valeurs et de leur empêcher d'accéder à un soin élémentaire.
Je ne peux que souscrire à l'ensemble de ses remarques et inquiétudes.
Concernant l'une d'elles, cependant - la "désertification gynécologique" je me permettrai de différer.
Ce n'est pas l'absence de gynécologues dans treize départements français qui pose problème. C'est le manque de soignantes compétentes en santé des femmes.
La santé des femmes n'a pas besoin de "plus de gynécologues". L'idée selon laquelle les spécialistes seraient les premières (et principales) pourvoyeuses (et défenseures) des soins de santé féminine est inexacte.
Historiquement, un grand nombre de gynécologues ont toujours été furieusement hostiles à la liberté et à l'autonomie des femmes : iels se sont opposés à l'IVG en 1975 et au prolongement de ses délais ; à la délivrance de la "pilule du lendemain" par les infirmières scolaires ; à la prescription de la contraception et à la pratique des IVG par les généralistes et les sages-femmes ; à la pratique des accouchements à domicile ou en maison de naissance ; à la stérilisation volontaire, légale depuis 2001, demandée par les femmes de tous âges qui ne veulent pas, ou plus, être encentes.
De fait, beaucoup de spécialistes entravent donc la délivrance de ces soins élémentaires par bien d'autres moyens que la seule "clause de conscience". Et, comme le souligne Judith Aquien, les violences gynécologiques sont la conséquence directe d'un "monopole" aussi absurde qu'il est délétère et, dans les faits, complètement fantasmatique : car dans les faits, aujourd'hui, comme depuis toujours, la délivrance des soins primaires aux femmes est assurée majoritairement par les généralistes et, de manière croissante -- on ne peut que s'en féliciter -- par les sages-femmes.
Et il suffit de regarder les chiffres pour en être convaincu : en 2022, il y avait
- 84 000 généralistes en activité (source : Ordre des médecins)
- 23 764 sages femmes (source : MACSF) dont 38% ont une activité libérale
- 5 636 gynécologues obstétriciennes (source : DRESS)
- 2 113 gynécologues médicales (source : DRESS)
(à noter que le diplôme de gynécologue médical(e), créé dans les années 50, a été supprimé en 1984 car il n'était pas reconnu en Europe ; toutes les gynécologues formées depuis sont également obstétriciennes)
Les professionnelles qui répondent en plus grand nombre aux demandes de santé des femmes ne sont donc pas du tout les spécialistes !
De tous temps, ce sont les praticiennes de première ligne - généralistes libérales/de PMI et sages-femmes - qui ont assuré cette fonction. Dans les centres d'IVG même, entre le vote de la loi Veil et 2010 - c'est à dire pendant près de 35 ans, ce sont majoritairement des généralistes qui ont procédé aux aspirations.
Loin de moi l'idée de dire que "toutes les gynécologues sont hostiles aux femmes" et encore moins qu'iels sont inutiles ! Les spécialistes bienveillantes, dévouées et féministes ne manquent pas sur le terrain. Et certaines publient des ouvrages essentiels à la santé des personnes qui manquent le plus cruellement de soignantes.
Les facultés de médecine devraient avoir pour objectif de former TOUTES les professionnelles médicales qui soignent des femmes, y compris les médecins généralistes et les sages-femmes :
- à la physiologie du corps féminin et à ses variantes, qui devrait devenir la physiologie de référence pour toutes les professionnelles de santé ;
- au conseil, à la prescription et aux méthodes de toutes les méthodes contraceptives aux femmes de TOUS les âges ;
- au traitement des troubles du cycle menstruel et au dépistage des affections invalidantes comme l'endométriose ;
- au suivi de la grossesse et à la pratique des accouchements physiologiques dans toutes les circonstances et situations, conformément aux désirs de chaque femme ;
- à l'accueil des femmes en demande d'IVG et à la pratique des méthodes d'interruption de grossesse ;
- au dépistage et au traitement des IST ;
- au dépistage préventif du cancer du col et au diagnostic précoce des cancers de l'ovaire et de l'endomètre ;
- à la bonne information (non terroriste et non contraignante) en matière de dépistage de cancer du sein ;
- à l'accueil et au suivi des personnes LGBTQIA+ et à la prévention des violences (mutilations, homophobie) dont elles sont victimes ;
- à la prévention et à la lutte contre sexisme et misogynie, aussi bien au cours de la formation des soignantes que dans la délivrance des soins par les professionnelles en exercice ;
- au dépistage des violences sexuelles et à l'accompagnement des femmes hors des situations dans lesquelles elles les subissent ;
- à l'accueil et au suivi des femmes migrantes et/ou en situation précaire ;
- au dépistage et au traitement des problèmes de santé sexuelle et reproductive spécifiques des femmes en situation de handicap ;
- au diagnostic, au traitement et au suivi des troubles de la ménopause et du vieillissement...
- à l'écoute, au partage et à la diffusion du témoignage des femmes, source inestimable d'enseignements sur leur santé et ce qui la compromet ou la favorise...
Le tout, avec la collaboration active et la contribution de citoyennes et patientes partenaires concernées par ces diverses situations, qui doivent participer à l'élaboration et à la mise en place des enseignements !!!
(La liste, bien sûr, n'est pas exhaustive...)
Toutes ces activités devraient, de plus, être offertes dans des modules de formation permanente à l'intention des professionnelles actuellement en exercice.
Il n'est jamais trop tard pour se former à la santé des femmes !!!
Il est en effet proprement scandaleux qu'en 2023, la santé de plus de la moitié de la population soit menacée non seulement par la baisse de la démographie médicale, mais aussi par l'obstacle - volontaire ou non - que facultés et écoles professionnelles opposent aux besoins des femmes en réservant des enseignements cruciaux à une petite fraction de praticiennes.
Ce monopole, archaïque et élitiste, est inique et contraire aux intérêts de santé publique.
Je soutiens de tout mon coeur l'inclusion de l'IVG dans la Constitution.
Mais j'appelle aussi, avec la même énergie, à ce que la santé des femmes devienne un objectif de santé publique -- constitutionnel lui aussi, pourquoi pas ? -- auquel toutes les professionnelles seraient associées, sans exclusion, sans monopole, pour et avec les premières personnes intéressées.
La santé des femmes est trop importante pour être confiée aux seules spécialistes.
Marc Zaffran/Martin WInckler
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