vendredi 9 février 2024

Petit lexique médical des temps nouveaux - par "La médecienne des neiges"


A.L.D.
: officiellement : Affection de Longue Durée. Officieusement : Affectation de Larges Dividendes  (à des soignants qui le méritent certainement). 

Anxiolytiques : substances magiques aux pouvoirs multiples : rassurer, procurer un trip en soirée (si  mélangé à… Non mais, vous ne pensez quand même pas que je vais vous filer la recette des cocktails  étudiants du vingt-et-unième siècle !), apaiser les soucis qui tapent sur le système. Prescrits à tout âge,  ils sont les chouchous des médecins - soucieux des finances des patients (car remboursés,  contrairement aux psychothérapies), – pressés, aussi. 

Aqua-poney : néo-discipline ayant supplanté le golf pour justifier l’absence d’une soignante. Ex :  « J’peux pas, j’ai aqua-poney. » Dans certaines régions, persiste la formule : « J’peux pas, j’ai ski. » 

BC : dans un dossier médical, selon l’âge et le genre, Bouchon de Cérumen ou Bouffée de Chaleur. 

BC (1) : Bouchon de Cérumen : objet de tricherie du médecin incompétent en otoscopie (Voir  Otoscope) 

BC (2) : Bouffée de Chaleur : doléance à prédominance féminine expliquant le retard du médecin.  Ex : « Je viens pour renouveler mon traitement de la tension, parler du sevrage du tabac, vous montrer  deux grains de beauté qui grattent, que vous prescriviez la prochaine prise de sang et de la kiné pour  mon dos qui fait mal à cause de mon patron qui m’en met plein le rachis. Ah oui, aussi Docteur, faut  qu’j’vous dise, je crois que j’ai des bouffées de chaleur… » 

Carte Professionnelle de Santé : support plastifié, de couleur hivernale, qu’il est préférable de laisser  dans le TLA (Voir le terme) – Elle est au pessaire ce que la Carte Vitale est au spéculum -. 

Carte Vitale : Support de puce, de couleur végétale, que les acteurs de santé apprécient d’introduire  (Calmez-vous…) dans les vagins des TLA, puis les en retirer, et cela un certain nombre de fois. Tous les  jours. La nuit, aussi. 

Consultation : temps dédié à l’accueil et l’écoute d’une quinzaine de motifs d’un patient qui sera  ensuite examiné (s’il l’accepte) puis invité à s’assoir sagement et meubler (sans distraire le médecin) le  temps qu’elle passe sa Carte Vitale, lui prescrive les examens et renouvelle son traitement.  

CPTS : Collectif de Protection des Traumatisés du Soin : regroupement de soignants, rémunéré par les  Agences du Risque Sanitaire, ayant pour mission de faire régner empathie, bienveillance et déontologie  dans un territoire. Anges gardiens des patients. Humbles promoteurs de bons soins : ils sauvent le  monde et ne le savent même pas. 

Déclaration de Médecin traitant : accord mutuel entre un assuré et un médecin, qui garantit au  premier le remboursement de ses soins et au second d’en profiter grassement.

Dégradée : se dit d’une feuille de soins électronique en pourtant bon état. On ignore l’origine de ce  terme. Permet de télétransmettre une facture pour un patient tout nu (= sans Carte Vitale), déjà venu  au cabinet, déjà examiné (Voir Consultation et Règlement). 

Ecoute empathique : mission à longue durée, auto-déclarée par des médecins persuadés que la  patiente la réclame (alors qu’elle vient, tout simplement, pour Renouvellement d’ordonnance -Voir le  terme-, notamment des Anxiolytiques). 

Ehpad : Lieux de regroupements (prétendument volontaires) de personnes ayant dépassé l’âge où leurs  souhaits étaient pris en compte par leurs aidants (alias futurs héritiers) avec la complicité des médecins  (et des Neuroleptiques). Parfois lieux uniques de garantie de leur sécurité, où ni eux ni leurs enfants ne  souhaitent pourtant qu’ils emménagent. 

Féminisation de la démographie médicale : ajout d’un petit truc en plus (une barre sur le Y devenu X)  dans chacune des cellules d’organismes à l’intelligence supérieure et à la ténacité leur permettant alors de coloniser les Ecoles de Santé et d’en réussir les concours. Phénomène ayant conduit à des  néologismes tels que docteure, professeure, … Pour « médecin », les linguistes hésitent. Ex : « Je tousse  depuis 12 jours, je vais aller chez la médecine » est encore peu communément usité. 

Glycémie à jeun : dosage (à répéter au moins une fois) que les médecins en quête de ROSP (Voir le  terme) font réaliser après 12 heures de jeûne, optimisant la remontée glycémique réactionnelle, objectivée au moment de la ponction. Permet de « diagnostiquer » des diabètes chez des patients (qui  ne demandent rien et n’en ont pas tant) dont l’hémoglobine glyquée sera parfaite. Récompense par  l’Assurance Maladie garantie ! 

Maintien du dispositif : statut du patient dépossédé de médecin traitant suite retraite, décès ou  déménagement. 

Ma patientèle : paramètre de rémunération du médecin traitant (Voir ROSP) dont la taille fait l’objet  de comparaison en soirées de formation (anciennement Soirées de labo - Voir le terme-) pour savoir  qui a la plus grosse, et ce malgré la Féminisation de la démographie médicale. 

Migrant : personne physique non francophone non équipée de la Carte Vitale, ayant de multiples  problématiques complexes de santé-sociales-professionnelles-psychologiques-chronophages ; en  général, le migrant qui cherche à consulter a le chic pour contacter des médecins qui « ne prennent  plus de Nouveaux patients (Voir le terme) ». C’est ballot. 

Mon Médecin traitant : entité rare que le patient se doit de respecter, brosser dans le sens du poil, et  surtout conserver en bonne forme sous peine de basculer dans le Maintien du dispositif et voir sa  facture monter. Confitures, chocolats, cadeaux acceptés (en sus du Règlement). 

Musicothérapie : pratique de soin basée sur l’utilisation de la musique dans la relation soignant/soigné. 

Naturopathie : pratique de soin basée sur les bienfaits des végétaux et de la musique (les Fleurs de  Bach sont particulièrement recommandées pour les problèmes psychiques).  

Neuroleptiques : substances magiques administrées à : 

1. Des personnes âgées résidant en Ehpad ; l’horaire de prise est déterminé par l’heure de leur  coucher, lui-même conditionné par le nombre (unique, en général) de soignantes présentes  dans l’établissement après la tombée de la nuit (15h30 GMT en hiver) 

2. Des personnes déclarées « psychotiques », dont le comportement est « à risque » et nécessite  donc l’annihilation de leur esprit critique ou leur prise de recul

3. Des adolescents en souffrance ; comme les anxiolytiques, ils sont prescriptibles par les  médecins généralistes qui deviennent pédopsychiatres quand leur territoire en compte trop  peu (80% du pays). 

Nouveau patient : catégorie de consultant qui n’a pas de Votre-médecin-traitant (voir le terme) et  souhaite faire grossir la patientèle d’un médecin qui n’en prend plus. Critères mineurs pour obtenir un  Rendez-vous : être francophone, vieux mais pas trop, en bonne santé ; critère majeur : être en ALD,  diabétique de préférence (Voir Glycémie à jeûn). 

Otoscope : instrument de torture infantile dont l’utilité est aussi prononcée que le tensiomètre chez  l’adulte ; utilisation indispensable à la validation d’une consultation pédiatrique. L’otoscope est  l’instrument du mensonge du médecin généraliste. Prétendant qu’« Il y a une otite », alors qu’il n’a rien  vu (Voir Bouchon de cérumen). 

Règlement : moment redouté où une actrice de santé, ayant sué autant que la patiente qui se plaint de Bouffées de chaleur, lui demande de l’argent, en compensation de ses bons et loyaux services (en  tout bien tout honneur, évidemment). 

Rendez-vous : accord préalable soignée/soignante sur la date et l’heure de la Consultation. Par  opposition aux « Sans rendez-vous », les consultations « Sur rendez-vous » permettent de limiter  l’attente des patientes. Qui continuent de cultiver cette qualité malgré tout. La faute à l’Ecoute et aux  Bouffées de Chaleur, certainement. 

Renouvellement d’ordonnance : activité principale du médecin traitant, consistant en l’utilisation de  la souris : click droit => copier, click gauche => coller. Le renouvellement est demandé (ordonné) par le patient, le médecin le rédige (s’exécute). Réévaluation et modifications fortement déconseillées (sous  peine de courroux du patient).  

ROSP : Racket Organisé Sur le dos du Patient : Sommes colossales distribuées à des médecins pour  récompenser leur travail soigné de l’année. Dépend du nombre de patients déclarés « médecin  traitant » et des pathologies suivies. Sont exclues de la palpation des substantielles dividendes :  généralistes pratiquantes de la gynécologie, la pédiatrie, le suivi des pathologies mentales, adeptes de  l’écoute active, ou recevant des migrants. Pour les autres : quinzième mois. 

Soirée de labo : gavage commercial dont la fréquence a nettement chuté au cours de ce siècle.  Ségur

1. Ancien Testament (= avant l’élection monarchique de DieuAvecNous*) : Comtesse contant la malice de Sophie 

2. Nouveau Testament : loi du numérique ayant pour projet de rendre les soignantes ingénieures  en informatique (et chèvres, aussi). 

Spécialiste : médecin très pressé,souvent inhospitalier, dont la mission consiste à regarder, grâce à des  capacités supersoniques, les résultats (mais surtout pas les yeux) du patient, lui réclamer 70 euros  (parce qu’il le vaut bien, lui) après cinq minutes d’entretien, et dicter un courrier pour sa médecine traitante (généraliste).  

Télétransmission : système informatisé de communication entre les soignantes et les caisses, à visée  d’économie des secondes au détriment de dépenses (en matériel informatique) des premières. Son  taux conditionne le montant du ROSP.

TLA (lecteur de cartes bi-fentes) : calice à Carte Vitale et Carte Professionnelle de Santé ; l’une change  trois fois par heure, l’autre pas (surtout pas !!!). 

Votre-médecin-traitant : expression utilisée par le Spécialiste pour ponctuer la majorité de ses  phrases : « Pour le bon de transport, voyez avec votre-médecin-traitant », « Pour les ordonnances de  sortie après six mois en Soins de Suite et de Réadaptation, voyez votre-médecin-traitant », « J’envoie  le courrier à votre-médecin-traitant » (Sous-entendu : « pour lui dicter la liste des prescriptions que je  n’ai pas le temps de rédiger, mais que je suis sûr qu’Elle, oui »). 

*France, 2017. Réédition 2022. 

***


Les "rendez-vous manqués" de la Santé - par MW/MZ



J'ai été médecin de famille en cabinet privé pendant 12 ans (2 ans en remplacement, 10 ans à mon compte). J'ai été médecin en consultation publique - au centre de planification et d'IVG de l'hôpital du Mans) pendant 25 ans (de 1993 à 2008). 

Je ne sais pas à combien de rendez-vous manqués j'ai eu droit. Je n'ai jamais compté. Ne serait-ce que parce que je recevais de manière mixte : sans rendez-vous à certains moments de la semaine, avec rendez-vous à d'autres (et à l'hôpital - où il m'est souvent arrivé de recevoir des patient.e.s qui venaient sans RV).

Certaines personnes entraient dans la salle d'attente en dehors des heures de RV et ne voulaient pas attendre (ni prendre rendez-vous) et d'autres venaient à l'heure des rendez-vous et proposaient d'attendre que le dernier soit passé (ou demandaient à passer entre deux). 

Certaines personnes ne voulaient jamais prendre rendez-vous ou venir au cabinet médical mais demandaient que je passe les voir chez elles. C'était l'époque où il était courant de faire des visites à domicile, tout simplement parce que certaines personnes ne pouvaient pas se déplacer, pour diverses raisons ; ça "faisait partie du boulot". Notez bien que certains généralistes refusaient déjà de faire des VAD, et que d'autres recevaient déjà seulement sur rendez-vous. 

L'un des plus grands privilèges des médecins, c'était (c'est encore) qu'ils peuvent recevoir qui ils veulent, quand ils veulent. (Il y en a même qui refusent de recevoir les personnes pauvres ou qui sont à l'AME. Ceux qui n'ont pas d'âme, sans doute...) 

Si je dis qu'il ne m'est jamais venu à l'esprit de "compter" les rendez-vous manqués (ceux des patient.e.s), c'est parce que je savais pertinemment que je n'étais moi-même pas d'une rigueur absolue : il m'arrivait de ne pas arriver à mon cabinet à l'heure où mes consultations (avec ou sans RV) commençaient, mais d'avoir du retard pour diverses raisons : la vie, c'est compliqué. La mienne l'était autant que celle de n'importe qui.

Et je pas souvent vu des patient.e.s me reprocher mon retard ; de toute manière, lorsque j'arrivais, je présentais toujours des excuses (et lorsque ma secrétaire était sur place, je l'appelais pour lui demander de les prévenir. Mais elle n'était qu'à mi-temps, et il arrivait souvent que les patients m'attendent sans savoir quand j'arriverais ni même si j'allais venir.) C'était mon boulot. Si je n'étais pas à l'heure, c'est moi qui manquais à mes obligations. 

Par ailleurs, il faut dire que j'avais aussi pour réputation de ne jamais "expédier" un.e patient.e. L'un d'eux m'a dit un jour qu'il en avait entendu deux autres parler dans la salle d'attente. Le premier (qui venait pour la première fois) demandait s'il fallait attendre longtemps, et l'autre lui avait répondu : "Parfois, mais quand vous êtes avec lui, il vous donne tout le temps qu'il vous faut." 

Inutile de dire que je n'ai jamais gagné beaucoup d'argent avec mon activité libérale. (Je n'en ai pas gagné non plus à l'hôpital, mais j'étais rémunéré à la vacation -- demi-journée--, pas à l'acte.) 

*

Il m'est donc arrivé plus d'une fois, en vingt-cinq ans, de raccompagner une personne, d'aller en chercher une autre et de trouver la salle d'attente vide. 

Au début, c'était un peu angoissant : les premiers mois de mon activité, quand je me suis installé, je n'étais pas submergé de travail. 

Je ne sais pas au bout de combien de temps j'ai commencé à voir du monde (ça non plus je ne l'ai pas mesuré) et j'imagine qu'aujourd'hui il en va très différemment, un MG qui s'installe a du monde très vite, tant les besoins sont grands. 

Mais quand je me suis mis à travailler régulièrement, les rendez-vous manqués n'ont pas diminué, mais augmenté en nombre. Et c'est logique : plus votre patientèle est grande, plus le nombre de rendez-vous est important, plus le nombre de "ratés" s'accroît. C'est une question de probabilité.  

Et puis, ma perception des  "ratés" a changé au fil des années. La plupart du temps, ils ne me gênaient pas du tout. Je les accueillais comme une pause, une respiration dans une journée ou une fin d'après midi chargées. Et je laissais la porte de mon bureau ouverte : au cabinet médical, elle donnait directement sur la salle d'attente, alors j'entendais les gens entrer. A l'hôpital, elle donnait sur le couloir et je les voyais passer en direction du bureau de la secrétaire. 

En attendant que la personne suivante arrive, je m'asseyais à mon bureau pour rédiger une lettre, je rangeais des dossiers ou des instruments, je passais un coup de fil ou je lisais quelque chose -- j'ai toujours eu de quoi lire et écrire avec moi, depuis que j'ai quinze ans.. 

Quand une personne omettait de se présenter à l'heure du dernier rendez-vous, je me disais : "Bon, ben je vais rentrer plus tôt, j'aurai le temps de lire une histoire à mes enfants avant qu'ils aillent se coucher." Enfin, quand j'avais pas encore une ou deux visites à faire. 

Les seuls rendez-vous manqués qui me contrariaient (un peu ou beaucoup) étaient ceux qui concernaient une personne pour laquelle je me sentais très investi professionnellement et émotionnellement. Et s'il m'est arrivé de temps à autre d'appeler la personne en question, c'était toujours pour m'enquérir de son état de santé, jamais pour lui reprocher de ne pas être venue. 

Je l'ai rarement fait : à moins que la personne en question et sa famille vous connaissent très bien, un appel de médecin est toujours ressenti comme inquiétant (surtout quand la personne appelée n'est pas là), parfois comme intrusif (la personne appelée n'a pas toujours envie qu'on sache qu'elle avait rendez-vous chez le médecin). 

*

Entre 1987 et le début des années 2000, j'ai participé à plusieurs groupes Balint. Ce sont des groupes de soutien et de partage consacrées à la relation de soin ; un peu l'équivalent des groupes d'alcooliques anonymes pour les professionnel.le.s de santé. 

Les médecins ne souffrent pas autant que les personnes souffrant d'addiction, mais leur souffrance professionnelle est réelle... Quand ils veulent bien la reconnaître, admettre qu'elle est liée à leurs propres travers de personnalité (non à la "méchanceté" des personnes qui les consultent) et s'engager à "travailler dessus", ça leur fait beaucoup de bien. Les groupes Balint ont changé ma vie de professionnel et fait de moi un soignant moins anxieux, plus attentif, plus compréhensif, plus... patient. 

La question du rendez-vous raté revenait souvent sur le tapis. "Pourquoi cette personne n'est-elle pas venue au rendez-vous ?" 

C'était particulièrement intéressant quand un.e d'entre nous racontait une longue histoire et, à un moment donné, déclarait : "Cette après-midi, elle avait pris rendez-vous et j'avais hâte d'écouter ce qui lui était arrivé depuis... et puis elle n'est pas venue !" 

Je me souviens qu'un jour, le groupe a réagi très vivement tant la frustration était partagée par tout le monde. Au milieu du brouhaha et des paroles de protestation qui s'élevaient toutes en même temps, nous avons entendu notre animateur - un vieux praticien nommé Pierre Bernachon, que nous aimions tou.te.s beaucoup - pousser un petit rire amusé. 

Nous nous sommes tourné.e.s vers lui. Il ne disait rien. L'un de nous a enfoncé le clou : "Ben oui, on voulait connaître la suite de son histoire !" 

Il a dit : "J'entends. Mais peut-être que la suite de cette histoire ne vous regarde pas. Ni le groupe, ni vous !  a-t-il conclu en désignant celui ou celle qui venait de raconter."  

Ca nous a laissés sans voix, et je pense que nous lui aurions demandé ce qu'il voulait dire par là si ça n'avait pas été la fin de la séance. 

Je ne me rappelle pas si nous en avons parlé à la séance suivante. Je sais en revanche que je me suis répété cette phrase de nombreuses fois pour essayer de deviner ce qu'il avait voulu dire. 

***

Au fil des années - des décennies, à présent, car j'ai commencé à "écouter professionnellement" en... 1977 - je me suis peu à peu "fait une philosophie" -- on peut même dire une éthique -- au sujet des rendez-vous (manqués ou non). 

Elle tient en quelques principes simples. 

1. En dehors de ma rémunération, fixée par un tiers (la sécu), les personnes que je soigne ne me doivent rien. Et je préfère soigner une personne sans rémunération (et sans rendez-vous) plutôt que refuser de soigner quelqu'un qui n'a pas les moyens de me payer (ou qui n'a pas pris rendez-vous, ou qui en a raté un). 

2. Les raisons qui font qu'une personne fait appel à moi sont multiples, mais je n'en vois qu'une qui me concerne au premier chef : elle le fait parce qu'elle me fait confiance, à ce moment précis, pour des raisons médicales qui lui sont propres. Cette confiance est parfois durable, parfois ponctuelle. Et je n'ai pas le pouvoir, grâce au ciel, et encore moins le désir d'exiger une confiance permanente. (Peut-on exiger la confiance, d'ailleurs ?) 

3. Les raisons non médicales qui animent ces personnes ne me regardent pas. Je veux dire par là qu'elles sont seules juges de ce qu'elles me disent car je ne suis pas leur confesseur. Je suis toujours prêt à les entendre, mais je n'ai pas besoin de tout savoir d'elles pour les soigner, ni même pour établir une relation constructive avec elles.

4. La vie quotidienne de la plupart des personnes est plus importante, plus lourde, plus contraignante que ses relations occasionnelles avec un médecin.

5. Une rencontre, une visite à domicile, une consultation avec ou sans rendez-vous, ne sont qu'une partie infinitésimale de la vie des individus. Imaginer que cette consultation est importante au point qu'un.e patient.e ne devrait jamais rater un rendez-vous, ce n'est pas seulement irréaliste, c'est égocentrique et immature. 

***

Tout ça pour dire que je suis toujours perplexe quand je lis que des groupes de médecins (et a fortiori un ministre) entendent partir à la "chasse aux lapins" (Quelle expression horrible !!!) -- comprendre : lutter contre les rendez-vous qui ne sont pas "honorés" par les patient(e)s. 

D'abord, les rendez-vous manqués ne sont pas, ne peuvent jamais être un problème comptable. Pour plusieurs raisons et en particulier celles-ci (la liste n'est pas exhaustive) : 

-- Quand il y a des millions de consultations, il est inévitable (c'est une réalité statistique) qu'un certain nombre de personnes n'aillent pas à leur rendez-vous. 

-- Les additionner au niveau d'une population n'a pas de sens : chaque personne a des circonstances différentes et, à moins de faire une enquête poussée sur ces circonstances, il est impossible d'en tirer la moindre conclusion. Les rendez-vous manqués, c'est comme les accidents. Pour s'efforcer de les prévenir, il faut d'abord chercher à définir quelles sont leurs causes. Et il y en a sûrement beaucoup, dont la prévention n'est pas la même pour toutes. 

-- Attribuer la responsabilité des rendez-vous manqués aux seules personnes concernées est un jugement à courte vue (Qui n'a jamais été retenu sans pouvoir prévenir ?). De plus, cela suggère qu'un rendez-vous est une obligation

Or... 

(Là, je vais écrire quelque chose qui va peut-être vous faire hurler. 

Respirez un bon coup, parce que vous allez peut-être en avoir besoin. 

Vous êtes prêt.e ? 

Bon, alors voilà :)  

Les personnes soignées n'ont pas d'obligation(s) morale(s) envers les médecins. 
Déclarer le contraire est une posture de classe. Point final. 

Oui, vous avez bien lu. 
(Ah, non, je ne vais pas justifier cette déclaration. Va falloir réfléchir un peu. Après vous être calmé.e.)   

Oui, je sais, vous allez dire (ou crier) : "Mais alors on peut se faire traiter de tous les noms, se laisser cracher dessus, se laisser jeter comme des kleenex ?" 

Si vous êtes constamment traité.e ainsi par bon nombre de patient.e.s, si ça fait longtemps que ça dure, si ça vous mine et ça vous épuise, vous devriez peut-être envisager de changer de métier. Vos conditions de travail sont indiscutablement horribles, et je vous plains sincèrement. Pourquoi vous imposez-vous de continuer ? 

Si vous avez seulement peur d'être traité.e ainsi (parce que c'est occasionnel, même si c'est irritant) et si ce n'est pas votre réalité pluri-quotidienne, alors l'attitude constructive serait sûrement de réfléchir à cette peur, à ces sentiments pénibles (et parfaitement respectables) et d'aller participer à un groupe Balint, ou peut-être d'aller voir un.e (psycho)thérapeute (comportementale ; surtout pas un.e psychanalyste). Vous ne vous en sentirez que mieux, je peux en témoigner. Votre valeur n'est pas fonction du nombre de vos rendez-vous manqués. 

Mais dans aucun cas vous n'êtes en droit de reprocher aux patient.e.s, à titre individuel, votre mal-être, votre sentiment de dévalorisation ou vos frustrations quotidiennes quand l'un.e de ces patient.e.s ne vient pas à son rendez-vous.
C'est malvenu, c'est injuste, et c'est du caprice d'enfant gâté. 

Car le fond de l'affaire, c'est que soigner est un métier difficile,
et il l'est d'autant plus que la vie des gens qu'on soigne est difficile, elle aussi. 
Mais faut quand même pas prétendre qu'on souffre plus qu'eux, et par leur faute, encore !!! 

D'ailleurs, sauf erreur de ma part, il y a plus de professionnel.le.s qui s'installent en ville et dans des quartiers riches qu'au milieu de nulle part ou dans des quartiers défavorisés. Je crois que ça veut bien dire ce que ça veut dire -- beaucoup de médecins préfèrent ne pas avoir à soigner les gens qui souffrent le plus et qui manquent de tout ! 

(J'oubliais : si vous ne supportez pas les rendez-vous manqués parce que c'est un manque à gagner, et que vous ne savez pas quoi faire des 15, 30 ou 45 minutes que ça libère, tant pis pour vous : vous auriez dû devenir psychanalyste lacanien. Ca n'a que des avantages : on n'a pas besoin de toucher les gens, ni même de leur expliquer quoi que ce soit (de toute manière leur inconscient est coupable) ; on peut s'endormir pendant qu'ils parlent ; et on peut exiger le montant de la consultation même s'ils ne viennent pas.) 

***


Par ailleurs, quand on est ministre, se mettre (ou appeler) à la "chasse aux lapins" (Mais quelle expression horrible, vraiment !) 

-- c'est dégueulasse quand on connaît les difficultés matérielles, temporelles et de transport de la majorité des citoyen.ne.s ; 
-- c'est purement et simplement hypocrite quand on voit que les généralistes sont scandaleusement sous-rémunérés, et que les infirmières le sont encore plus ; 
-- c'est crapuleux venant de l'employeur abusif de milliers de médecins étrangers, eux aussi sous-payés,  qui font tourner les hôpitaux sans avoir la moindre perspective de pouvoir s'installer en France ; 
-- c'est monstrueux parce que ça avalise l'idée que la santé est un marché et que les soignant.e.s sont des petit.e.s commerçant.e.s, 

--- alors que la Santé ça devrait être un service public, et que c'est le rôle et la mission des pouvoirs publics de fournir à tout.e.s les Français.e.s des un système de délivrance des soins digne de celles et ceux qui les donnent et de ceux et celles qui en ont besoin !!!! 

Le seul "rendez-vous manqué" en France, aujourd'hui, c'est le "lapin" que tous les gouvernements en place posent depuis 1958 à la population en ne lui assurant pas le système de santé dont elle a cruellement besoin et auquel elle a droit !!! 


Merci de votre attention. 


Mar(c)tin Zaffran/Winckler

mercredi 8 novembre 2023

Le scandale des implants "Essure" - Témoignage après retrait du dispositif - par Caroline Morel

Les implants Essure, qui avaient été présentés comme une alternative pleine de promesses pour les femmes désirant une stérilisation tubaire, ont été commercialisés en 2002. Quinze ans plus tard, ils étaient retirés du marché à la suite de nombreux incidents et complications, pour certaines très graves - survenues aussi bien juste après leur insertion que dans les mois ou années suivantes. 

On considère à l'heure actuelle que 200 000 femmes ont reçu ces implants en France, et qu'ils ont été retirés chez 30 000 d'entre elles. Cette proportion, très importante, est sans précédent dans l'histoire des dispositifs médicaux. 

Beaucoup de ces femmes ont été longtemps ignorées et dénigrées avant d'être crues, car les médecins qu'elles consultaient ne voulaient pas admettre que leurs symptômes étaient attribuables au dispositif. On sait aujourd'hui que ça n'était pas "dans leur tête". 

Pour celles qui en sont encore porteuses, on ignore les effets à long terme des composants du dispositif (en particulier le nickel, métal très allergisant) sur leur santé

Le problème a été considéré comme sérieux par la FDA (agence de sécurité sanitaire) américaine, qui a poussé au retrait du dispositif en 2018, date à laquelle 16000 femmes aux Etats-Unis avaient porté plainte contre le fabriquant, Bayer.  

Aujourd'hui, la FDA continue à recueillir les observations venant des utilisatrices ou de leurs médecins. 

En France, l'ANSM (Agence sur la sécurité du médicament) lui consacre aussi une page de son site

Un groupe FaceBook rassemble un certain nombre des personnes concernées et un livre récent a été consacré à cette affaire par Delphine Bauer et Jacqueline Maurette. 

Une autre page facebook (La vie après les implants Essure) mérite aussi votre attention. 

Enfin, la page FB de l'association RESIST est ouverte à toutes. 

Ces jours-ci, Caroline Morel, qui vient d'être opérée pour qu'on lui retire ses implants, m'a envoyé son témoignage. 

MW 


Pour moi, tout a commencé en 2013. 

Je venais d'avoir 40 ans, j'avais déjà deux filles de 12 et 14 ans, j'étais mariée et ne désirais plus prendre de pilule. Je l'oubliais trop souvent. 

Une personne de ma famille, gynécologue, m'a alors parlé des "Essure" comme alternative révolutionnaire à la contraception hormonale. C'était remboursé par la sécurité sociale. 

J'ai rencontré une professeure à la clinique St Luc St Joseph de Lyon, enthousiaste, qui me les a posés après les 4 mois de délai réglementaire, par voie basse, sans anesthésie (un souvenir assez désagréable).

Comme mon mari m'a quittée à ce moment là, ma vie est rentrée dans une période de turbulences, de dépression, d'instabilité, j'ai perdu 10 kg en 3 mois, et je n'ai plus vraiment pensé aux essures, qui étaient bien placés à la radio de contrôle. 

C'est en 2017 que j'ai eu un épisode de douleurs inexpliquées dans le pelvis côté droit. Après de nombreux examens, on n'a pas trouvé autre chose qu'un fibrome assez gros. Un radiologue s'est posé la question des essures sans plus. 

À partir de 2018, j'ai enchaîné avec des problèmes de santé qui me semblaient '' la vie comme elle va'', une 2ème hernie cervicale, des maux de dos, un burn out, et la périmenopause. 

C' est l'année dernière, fin octobre 2022 que je tombe sur un article du Monde en rapport avec les Essure, à propos d'un rapport de l'agence de santé mis de côté. De fil en aiguille, je vais sur le lien de l'association RESIST qui milite pour faire reconnaître les dégâts causés par les implants. Je lis cela d'un oeil distrait. 

Je savais que certaines femmes implantées se plaignaient de nombreux effets indésirables mais je me pensais non concernée. Puis, en lisant attentivement la liste des symptômes non exhaustifs je commence à me dire que j'en ai au moins 25 sur 40, ça fait beaucoup.

Après une semaine de réflexion et de pas mal d'angoisse, je contacte ma généraliste pour lui demander de faire les premiers examens de contrôle. Elle ne connaît pas du tout la problématique mais écoute attentivement et prescrit une échographie, des analyses. 

Moi je repasse en revue, tous mes problèmes de dos, de sommeil, mes yeux secs, mes dents cassées, mes coups de fatigue inexpliqués... Je sais que je suis en début de ménopause aussi et qu'il y a certains problèmes que je ne suis pas en mesure d'attribuer. 

Bref c'est en adhérant à l'association RESIST que je suis mieux informée, je prends connaissance de nombreux témoignages d'autres femmes. Je réalise le temps perdu pour mon corps. 

Après un malencontreux rendez-vous d'échographie (très froid et hostile, j'ai écrit au conseil de l'ordre du département de l'Ain et obtenu des excuses) j'ai pu rencontrer le très remarquable professeur Chêne de l'hôpital Femme Mère Enfant de Lyon qui a immédiatement abondé dans la direction de l'explantation. 

C'est à dire une laparoscopie pour retirer utérus trompes et col. Il conduit une étude de longue haleine sur la problématique Essure et rencontre lui-même de la résistance chez ses confrères. Après le rv pré opératoire de juin, accompagné d'un scanner, j'ai donc été opérée le 26 octobre 2023.

Je m'apprête à continuer à informer autour de moi, car sur les 200 000 femmes implantées, seules 30 000 ont été explantées. La technique ne va pas de soi, il y a eu des tâtonnements au dépens de nombreuses dames. Tous les médecins ne sont pas au courant, ou réceptifs. 

Beaucoup sont carrément sceptiques sur les troubles causés par les Essure (essentiellement à cause des intoxications aux métaux lourds). 

Ce qu'il ressortait à J+2 c'est déjà moins de douleurs articulaires bizarres le matin, et les yeux moins secs. Il était encore trop tôt pour les autres problèmes comme la fatigue chronique. Juste après l'intervention, c'est là qu'on réalise le scandale : avoir été obligée de subir une opération assez lourde pour simplement retirer des implants.

À J +12, je vais plutôt bien, les vertiges ont disparu et les cicatrices ne tirent que quand je suis allée marcher une heure. J'ai diminué les antidouleurs depuis 2 jours. 

Pour l'état général, c'est peut-être un peu tôt pour poser un bilan, mais j'observe une meilleure forme au réveil, beaucoup moins de douleurs articulaires (c'était chevilles genoux dos). Je reste prudente, mais cela semble se confirmer.

Caroline Morel 



jeudi 26 octobre 2023

Comment, pendant soixante ans, l'industrie et les médecins ont traité les femmes françaises par le mépris (A propos de "Pilules roses" de Juliette Ferry-Danini)

 

J'ai commencé à exercer la médecine au tout début des années 80, quand j'ai fait des remplacements de généralistes dans la Sarthe, le département où je terminais mes études. 

En 1983, je me suis joint à la rédaction de La Revue Prescrire, et j'y ai fait un apprentissage de la pharmacologie et de la prescription qu'on ne m'avait jamais délivré à la fac de médecine.

J'ai en particulier appris, avec stupéfaction, que sur les dizaines de milliers de "spécialités" (médicaments vendus sous un nom de marque -- il n'y avait pas de génériques à l'époque), l'immense majorité étaient sans aucune efficacité démontrée. 

Les médecins français prescrivaient alors à tour de bras des "dépuratifs hépatiques", des "toniques veineux", des "stimulants", des "neurotoniques" et autres huiles de serpent qui cachaient bien leur jeu. 

Le Spasfon faisait partie de ces médicaments. A l'époque, il était courant - pour ne pas dire "automatique" - de prescrire du Spasfon à toutes les personnes qui avaient mal au ventre pour des raisons indéterminées (des troubles digestifs, un côlon "paresseux" ou "irritable", une colique néphrétique) et aux femmes qui avaient des règles douloureuses.

J'en avais sûrement prescrit, moi aussi, avant de lire dans les colonnes de la revue que c'était un médicament inefficace. 

Comment se faisait-il que je ne l'avais pas appris en cours de pharmacologie ? Eh bien, tout simplement parce que les médicaments commercialisés avant les années 70-80 (c'est à dire avant qu'on commence à rechercher de manière objective les modes d'action et par conséquent les preuves d'efficacité de toutes les molécules disponibles) ne faisaient pas l'objet d'un examen sérieux. 

D'autant moins, bien entendu, qu'ils étaient sous licence française. 

Soucieux de "préserver" l'industrie pharmaceutique hexagonale, les gouvernements successifs évitaient soigneusement de mettre leur nez dans les fleurons du "génie" tricolore. 

Mais l'absence d'information sur l'efficacité d'un médicament est déjà, en soi, une information. Si vous ne pouvez pas apporter la preuve qu'une molécule produit l'effet qu'on lui attribue, on ne peut pas vous croire sur parole. 

Et il n'est pas de bonne politique de santé de dire "De toute manière ça ne fait pas de mal", car un accident, même rare, peut toujours se produire. 

Très vite, j'ai appris à ne plus prescrire de Spasfon. 

Et cela parce que j'avais bien vu que les principales utilisatrices étaient les femmes souffrant de leurs règles (ou de douleurs abdominales mal identifiées, qui pouvaient très bien être liées à une endométriose, par exemple). 

Or, on le savait déjà à l'époque, les molécules qui calment le plus efficacement les douleurs des règles (du moins, quand elles ne sont pas dues à une endométriose étendue et qu'elles ne sont pas devenues chroniques) sont les anti-inflammatoires non stéroïdiens - autrement dit : l'ibuprofène, le flurbiprofène et bien d'autres. 

Comment agissent-ils ? En diminuant les contractions utérines, qui sont les principales responsables des douleurs des règles. 

L'aspirine est elle aussi efficace sur les douleurs menstruelles ou utérines, mais son usage s'est restreint (à juste titre) parce qu'elle est agressive pour l'estomac mais aussi parce qu'elle est réputée "faire saigner" (ce qui n'est pas exact : les règles ne sont pas un saignement de l'utérus, c'est l'élimination d'un tissu qui contient du sang ; l'aspirine ne modifie pas les règles).  

Le Spasfon (de son nom chimique "phloroglucinol") n'a jamais montré qu'il calmait ces douleurs.Et pourtant, il est encore cité (sous tous ses noms de spécialités) dans la monographie en ligne du dictionnaire VIDAL, publication financée... par l'industrie. 


Il faut dire qu'il a longtemps été le médicament phare d'un laboratoire bien français, Lafon, qui a commercialisé également des produits d'utilité douteuse comme le Fonzylane ou l'Olmifon. Lafon a plus tard été racheté par une société américaine, Cephalon... qui n'a jamais commercialisé le Spasfon aux Etats-Unis... Aujourd'hui, c'est la société TEVA (qui a racheté Cephalon) qui commercialise le Spasfon.  

L'inefficacité de ce médicament, tous les médecins sérieux la connaissent. Je la mentionne depuis vingt ans dans mes livres (Tout ce que vous vouliez savoir sur les règles et Contraceptions mode d'emploi, en particulier) et sur mon site internet

La Haute Autorité de santé le déclarait clairement dans un rapport de 2008. Ledit rapport précisait que cet "antispasmodique" n'avait pas non plus d'intérêt pour les douleurs biliaires ou urinaires (en cas de colique hépatique ou néphrétique). 

En 2010, La Revue Prescrire, qui fait référence en matière de médicament, a signalé des réactions allergiques graves au phloroglucinol (nom générique du Spasfon) et concluait : "En somme, le phloroglucinol n'est pas un placebo. Il ne fait pas de bien et il fait parfois du mal." 

Plus récemment, en 2019, un article humoristique paru dans une revue de gynécologie américaine mais rédigé par des praticien.ne.s de l'hôpital Purpan de Toulouse déclarait qu' "enfin, on avait trouvé une utilisation au phloroglucinol" : il semble être utile pour faire disparaître les taches de polyvidone iodée (un antiseptique qui teint les tissus en rouge)... 

Et pourtant, malgré tous ces avertissements, beaucoup de praticien.ne.s français.e.s continuent à prescrire du Spasfon. 

Pourquoi ? 

C'est le sujet de l'excellent livre de Juliette Ferry-Danini, Pilules roses - De l'ignorance en médecine. 

L'ignorance dont elle parle, c'est celle dans laquelle on maintient les femmes. Son livre retrace très précisément l'histoire du phloroglucinol, mais il met aussi en évidence que si ce médicament inefficace (et parfois dangereux) reste si populaire en France et dans une poignée de pays dans le monde (Algérie, Maroc, Tunisie, Belgique, Luxembourg en particulier) c'est probablement en raison de sa prescription aux femmes.  

Pilules roses est un livre remarquable : 

-- il décrit la manière dont on devrait prouver l'efficacité d'un médicament, d'une manière claire et précise, accessible au plus grand nombre ; 

-- il raconte comment le phloroglucinol a été "expérimenté" de manière extrêmement problématique sur des malades chez qui l'on provoquait les douleurs qu'on entendait "soulager" par le phloroglucinol !!! 

-- il explique que très tôt, ce sont les femmes qui sont considérées comme la population la plus susceptible d'être "traitée" par la molécule : pour les migraines (qui frappent en majorité des femmes), et pour les "crises de foie", en particulier ; 

-- il décrit comment, par un tour de passe-passe très fréquent dans le monde pharmaceutique français des années 60, des "experts" ont glissé tout naturellement des "spasmes digestifs" aux "douleurs menstruelles", mais aussi de la forme injectable (utilisée pour les coliques hépatiques et urinaires) aux formes comprimé et... suppositoire (une spécialité française, elle aussi). 

Tout ça, en étendant peu à peu l'AMM (le document officiel qui précise les conditions d'utilisation d'un médicament) d'une molécule ancienne qui... ne servait à rien mais dont le laboratoire possédait la formule et le brevet. Le tout dans la plus parfaite indifférence des autorités sanitaires. 

A partir de ce rappel historique et scientifique rigoureux, Juliette Ferry-Danini démontre que le Spasfon illustre l'histoire du sexisme dans le monde médical - et la pensée - françaises, à travers la description du "concept" de  spasme (lui-même lié au "concept" d'hystérie), des publicités d'époque, des dessins humoristiques publiés dans la presse médicale...

Pilules roses est un livre important à mes yeux, pour trois raisons au moins. 

 D'abord parce que c'est un récit historique et scientifique. 

Ensuite parce que c'est une réflexion philosophique et critique d'une grande clarté, accessible au plus grand nombre - qui aborde aussi la question de l'effet placebo, de ce qu'on attend de lui et de la manière dont on l'emploie, à tort ou à raison. 

Enfin parce que c'est un livre par lequel une femme questionne la manière dont le monde médical et pharmaceutique français pratiquent l'enfumage (le gaslighting) des femmes -- comment, littéralement, on traite les douleurs des femmes par le mépris. 

Ce n'est pas seulement un livre militant, c'est un petit traité de libération personnelle et, par extension, collective. 


Martin Winckler 





mercredi 25 octobre 2023

La Charte des personnes soignées (On peut rêver...)

LA CHARTE

 

1° Je suis patient·e et je suis ton égal·e. Je te choisis pour me soigner.


2° Pour me soigner au mieux, physiquement, moralement et émotionnellement, tu mettras en œuvre ton savoir, ton savoir-faire, ton intelligence et ton humanité en prenant garde, en tout temps, à ne pas me nuire.


3° Tu respecteras ma personne dans toutes ses dimensions, quels que soient mon âge, mon genre, mes origines, ma situation sociale ou juridique, ma culture, mes valeurs, mes croyances, mes pratiques, mes préférences.


4° Tu seras confident·e et témoin de mes plaintes, mes craintes et mes espoirs sans jamais les disqualifier, les minimiser, les travestir, ou les divulguer sans mon accord. Tu ne les utiliseras pas à ton profit. Tu ne les retourneras pas contre moi. Tu ne me soumettras pas à des interrogatoires inquisiteurs ; tu ne me bâillonneras pas.


5° Tu partageras avec moi, sans réserve et sans brutalité, toutes les informations dont j’ai besoin pour comprendre ce qui m’arrive, pour faire face à ce qui pourrait m’arriver. Tu répondras patiemment, précisément, clairement, sincèrement et sans restriction à toutes mes questions. Tu ne me laisseras pas dans le silence, tu ne me maintiendras pas dans l’ignorance, tu ne me mentiras pas. Tu ne me tromperas ni sur tes compétences ni sur tes limites.


6° Tu me soutiendras dans mes décisions. Tu n'entraveras jamais ma liberté par la menace, le chantage, le mépris, la manipulation, le reproche, la culpabilisation, la honte, la séduction. Tu n’abuseras ni de moi ni de mes proches.


7° Tu te tiendras à mes côtés et tu m’assisteras face à la maladie et à toutes les personnes qui pourraient profiter de mon état. Tu seras pour moi avocat·e, interprète et porte-parole. Tu t’exprimeras en mon nom si je t’en fais la demande, mais tu ne parleras jamais à ma place.


8° Tu respecteras et feras respecter les lois qui me protègent, tu lutteras avec moi contre les injustices qui compromettent mon libre accès aux soins. Tu te tiendras à jour des connaissances scientifiques et des savoir-faire libérateurs ; tu dénonceras tous les obscurantismes ; tu me protégeras des marchands.


9° Tu traiteras avec le même respect toutes les personnes qui me soignent, et tu travailleras de concert avec elles, quels que soient leur statut, leur formation, leur mode d’exercice. Tu défendras solidairement tes conditions de travail et celles des autres soignant·e·s.


10° Tu veilleras à ta propre santé. Tu prendras le repos auquel tu as droit. Tu protégeras ta liberté de penser. Tu refuseras de te vendre.



L'Ecole des soignantes, P.O.L, 2019


mercredi 11 octobre 2023

Petit afflictionnaire médical - par Martin Winckler

 


J'ai "commis" ce petit texte (en hommage au Dictionnaire des idées reçues de Flaubert) il y a bientôt... vingt-cinq ans. Je ne suis pas sûr qu'il soit complètement démodé aujourd'hui. Je vous laisse juges. MW 
 




Acte médical : saynète de longueur variable jouée par au moins deux personnes, dont une au moins est médecin.

Antibiotiques : médicaments destinés à faire baisser la fièvre. Toujours source de fatigue, ils ne doivent jamais être absorbés avec du lait (ça le fait tourner). Cause d'allergie très fréquente.

Appendicite : maladie infantile bénigne dont le diagnostic est invariablement fait par les mères. Devient grave lorsqu'elle survient chez un adulte (on parle alors de “péritonite-septicémique-sur-appendice-perforé-gangréneux-atypique ”).

Auscultation :
1. (désuet) : technique consistant à écouter les bruits internes du corps au moyen de l'oreille (auscultation immédiate) ou d'un stéthoscope (auscultation médiate) posés sur le corps du patient.
2. (moderne) : examen du patient par le médecin. Ex : “ J'avais peur d'avoir un cancer du testicule mais il m'a bien ausculté et en fait c'est une mycose des parties. ” (Voir Consulter)

Blouse blanche : signe distinctif des soignants, la blouse blanche est un vêtement à la signification aussi polymorphe qu'un unifonne militaire. Curieusement, c'est moins la forme de la blouse blanche qui compte que ce qu'elle porte ou renferme. Ainsi, sous leur blouse blanche, les aides-soignantes sont en sous-vêtement (surtout l'été), les infirmières en jupe, les chefs de service en nœud papillon, les internes en “ pyjama opératoire ”, les kinésithérapeutes en bras de chemise, les réanimateurs en sueur. Et s'il arrive que les hommes en blanc aient le blues, c'est en revanche toujours le patient qui se fait blouser.

Cholestérol : équivalent moderne des divinités antiques. Lorsqu'il monte, on fait des sacrifices (plus de beurre, plus de viande, plus de sucre) ; lorsqu'il diminue, on se fait plaisir (plus de médicament).

Consultation : visite amicale que le patient rend 'a son médecin. Par extension : moment de la journée au cours duquel le médecin voit des gens qu'il ne connaît pas débarquer sans prévenir entre deux rendez-vous.

Consulter: ce terme s'applique indifféremment au patient ou au médecin, selon que :
1. Le premier pose au second un problème complexe, ou que;
2. Le second examine le premier (voir Ausculter) et;
3. Jette un coup d'œil dans l'annuaire pour y trouver les coordonnées d'un spécialiste (que l'on nomme alors un “ consultant ”).

Décès : rupture irréparable entre un malade et son médecin. Contrairement à une idée reçue, le décès n'est pas, aux yeux du médecin, une fin en soi. Ce n'est qu'une étape - souvent inévitable - de la relation médecin-malade, qu'il convient de retarder le plus possible, afin d'en jouir pleinement.

Diagnostic (1) : processus mental complexe à l'issue duquel
(a) le médecin nomme la maladie ou
(b) le malade meurt sans qu'on ait compris pourquoi. (Les deux propositions ne sont pas incompatibles.)
Ce cheminement intellectuel est la résultante et la conjonction de savoirs, d'intuitions, de tâtonnements et parfois d'illuminations prodigieuses, et peut être comparé à la résolution d'un problème de maux croisés dont les symptômes sont les définitions horizontales et les signes, les définitions verticales. Les outils diagnostiques du médecin sont au nombre de trois : la prise de sang, le recours au spécialiste et l'hospitalisation.

Diagnostic (2) : (par extension) capacité qu'a un médecin de résoudre plus ou moins souvent des maux croisés, c'est-à-dire de donner une explication à tout, y compris à un décès inexplicable (Ex. : “ Il a un bon diagnostic ”).

Diagnostic complexe : il s'applique aux maladies rares ou mal connues (autrement dit les plus intéressantes) et met en jeu de nombreux moyens qui, selon la rareté de la maladie en cause, permettent au médecin :
1. de préparer la publication d'un article dans des périodiques spécialisés ;
2. d'énumérer les caractéristiques lui permettant de repérer, identifier, dépister ou débusquer (à des fins éthiques) les patients souffrant de la même maladie-entité ;
3. de proposer des voies de recherche et de vivisection humaine en vue d'expérimenter de nouveaux traitements, douloureux mais prometteurs ;
4. de faire progresser, sinon le savoir scientifique, du moins sa propre réputation.

Douleur : méthode de communication audiovisuelle utilisée depuis la nuit des temps par les patients (qui sont fort nombreux) pour attirer sur leur personne l'attention des médecins (qui le sont beaucoup moins).
Il a fallu plusieurs milliers d'années pour que les médecins comprennent que la douleur était un symptôme très fréquent, commun à de très nombreuses maladies. Entre 1880 et 1995, l'attitude raisonnable consistait à “ respecter la douleur ”, c'est-àdire à la laisser s'exprimer librement, de manière à “ ne pas masquer les symptômes ”. (Autrement, comment savoir si le malade souffre?)
Depuis le milieu des années 90, la douleur est considérée comme un symptôme intolérable dans une société civilisée. Par conséquent, l'attitude actuelle consiste plutôt à la traiter par le mépris.

Euthanasie :
1. Sujet tabou (dans les hôpitaux).
2. Sujet brûlant (dans les médias).
3. Méthode permettant d'amputer une famille d'un de ses membres sans risquer les poursuites, et en lui permettant de programmer l'inhumation ou l'incinération à date ferme.
4. Dernier recours quand un patient hospitalisé, malgré les (bons ou mauvais) soins que le(s) médecin(s) dispense(nt), n'en finit pas d'occuper un lit et de (faire) chier.

Examen clinique : rituel mystique (à ne pas confondre avec l'auscultation) au cours duquel le médecin examine un patient. La clé de voûte de l'examen clinique est la prise de la tension.

Famille : milieu pathogène universel, résistant aux antibiotiques, aux vaccinations et à toutes les méthodes thérapeutiques inventées depuis six mille ans. (Voir Médecin de famille)

Fièvre : symptôme qui justifie :
1. d'envelopper les bébés dans trois pulls et deux couvertures (pour éviter qu'ils n'attrapent froid) ;
2. d'appeler le médecin la nuit (pour être sûr qu'on le trouvera chez lui) ;
3. de prescrire des antibiotiques (pour prévenir une complication) 
4. de prescrire un arrêt de travail à la mère (pour s'assurer que le bébé ne fait pas d'allergie aux antibiotiques).

"Histoires de chasse" :
1. (désuet) histoires salaces, grivoises, extraordinaires ou invraisemblables que racontent les médecins à leurs confrères pour leur montrer qu'ils ont de plus beaux (de plus belles) malades qu'eux.
2. (moderne) conversations de salle d'attente au cours desquelles les patients et malades se racontent les erreurs diagnostiques de leur(s) ancien(s) médecin(s).

Homéopathie : méthode consistant à incorporer, dans des sucrettes facilement assimilables par les enfants de tous âges, des quantités indécelables de produits variés, afin de soigner d'innombrables affections de nature indéfinissable. Le médicament homéopathique se définit par son mode de fabrication et non par ses effets sur les symptômes. Il est donc parfaitement possible (et sans doute judicieux) de traiter les “ bouées de sauvetage ” par des granules de “ pneu 5CH ”. En tout cas, si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal.
Par ailleurs, l'homéopathie se distingue de l'allopathie par un concept fondamental : le “ principe de similitude ”. Celui-ci consiste à administrer au patient une substance toxique provoquant les mêmes symptômes que la maladie (mais en plus marqué), afin de lui prouver que le remède est souvent pire que le mal. On parle alors de “ valorisation du symptôme ” (Ex. “ Avec la chiasse que m'ont collée les granules juste avant de partir, pas étonnant que je n'aie rien chopé en Thaïlande ! ”)

Infirmière :
1. personne chargée d'effectuer les piqûres, prises de sang et/ou lavements que le médecin ordonne (à l'hôpital) ou que le patient exige (en ville).
2. maîtresse du chef de clinique (à l'hôpital) ; bonne-à-tout-faire du généraliste (en ville).
3. tortionnaire sadique (à l'hôpital) -, confidente impuissante (en ville).
4. professionnelle mésestimée (dans les médias).

Interrogatoire : conversation à bâtons rompus entre le médecin et le malade, parfois en présence d'autres intervenants. Pour le médecin, l'interrogatoire sert à transformer le motif de consultation en symptôme intelligible (au moins), ou en maladie répertoriée (au mieux). Pour le patient, il a pour but de poser au médecin les questions auxquelles ses confrères ont jusqu'à présent refusé de répondre.

Kinésithérapeute : homme de main à l'hôpital ; homme à poigne en ville. Plus souvent considéré comme un masseur par les patients que comme un confrère par les médecins.

Malade : patient atteint d'une maladie (c'est le médecin qui le dit). Tous les patients ne sont pas malades mais, pour justifier sa fonction et ses émoluments, le médecin préfère qu'ils le soient. Et il a horreur qu'on lui souffle la solution des maux croisés avant qu'il n'ait vu la grille (voir Diagnostic 1).

Maladie : ensemble de phénomènes désagréables qui brutalisent le corps et l'esprit d'un patient, et dont la cause, le déroulement et la nature sont codifiés, décrits et répertoriés dans tous les bons traités médicaux. Une maladie est souvent une hydre à plusieurs têtes. Qu'elle frappe le corps (maladies physiques), la psyché (maladies psychiques), les deux (tout un tas de saloperies) ou ni l'un ni l'autre (maladies psychosomatiques), son origine est soit externe (rougeole, dysenterie, paludisme, pollution chimique, radioactivité, conflit familial), soit interne (ressentiment, culpabilité, frustration, cancer), soit mixte (c'est la vie ... ).

Médecin : diplômé de la faculté ou sur le point de le devenir. Avant 1945, sa principale fonction était de faire des diagnostics. De 1945 à 1975, il s'est surtout appliqué à prescrire des antibiotiques et à prendre la tension. Depuis 1975, il hésite entre la lutte contre le cholestérol et la recherche de créneaux d'activité plus lucratifs (Voir Médecines douces).

Médecin de famille (anciennement "généraliste): espèce aujourd'hui en voie de disparition. La famille, entité qu'il était censé soigner, après avoir muté rapidement au cours des cinquante dernières années, a acquis une résistance accrue qui la rend parfois insensible à cette catégorie de soignants. Aujourd'hui, il n'est pas rare qu'une famille nécessite une polythérapie par médecin référent + spécialiste + psychiatre + homéopathe, ce qui stabilise au moins l'état général. Certains médecins de famille authentiques subsistent encore dans des régions reculées, mais il semble que l'exode rural et la généralisation des antennes paraboliques auront bientôt raison de ces dernières poches de sensibilité. (Voir aussi Famille)

Médecine(s) douce(s) : pratiques médicales fondées sur des principes radicalement opposés à ceux de la médecine classique (qualifiée de “ dure ”, sans doute parce qu'elle est increvable). Si cette dernière a pour fondements le respect du symptôme (Voir Douleur), la terreur et l'ignorance, ceux des médecines douces sont plutôt la valorisation du symptôme (Voir Homéopathie), l'angoisse et la crédulité.

Médicament
1. objet de profit.
2. instrument de pouvoir.
3. source d'allergies (Ex. “ Je suis allergique à tous les médicaments, mais surtout aux antibiotiques. ”)

"Mes malades" : terme par lequel un médecin exprime qu'un nombre considérable de patients ne peuvent pas souffrir sans lui.

"Mon médecin" : terme désuet. Aujourd'hui, il est remplacé par diverses expressions “ mon acupuncteur-iridologue ”, “ mon psychiatre d'adolescents ”, “ mon chirurgien plasticien ”, etc.

Motif de consultation : prétexte élégamment fourni par le patient pour permettre au médecin de se prostituer sans devoir racoler.

Morphine : drogue illicite, consommée exclusivement par ces toxicomanes irrécupérables que sont les malades en phase terminale. La morphine est la pire ennemie du médecin car, en faisant perdre au malade le sens de la douloureuse réalité, elle le rend moins dépendant du thérapeute.

Mouton à cinq pattes ” : terme imagé utilisé par les médecins pour qualifier un patient n'ayant pas eu la décence de mourir d'une maladie clairement identifiée.

Ordonnance : feuille de papier à en-tête du médecin sur laquelle ce dernier inscrit - le plus souvent, de manière illisible - le nom des médicaments qu'il a en tête depuis le passage du dernier visiteur médical, ou recopie ceux qu'il est parvenu à lire sur l'ordonnance périmée que lui a présentée le patient en entrant. De temps à autre, le médecin peut utiliser ces mêmes feuilles pour écrire à un confrère, attester de la bonne santé d'une mère de famille avant un stage de saut à l'élastique, ou demander au fisc un aménagement de ses versements obligatoires.

Patient : individu qui consulte un médecin. Le mot “ patient ” vient du latin pati, supporter. Le patient supporte l'attente, dans la salle du même nom, parce qu'il supporte mal de souffrir. On en déduira qu'un patient est le plus souvent (mais pas toujours) quelqu'un qui souffre. Du moins, c'est lui qui le dit. Le médecin, par conséquent, doit supporter - coûte que coûte ! - d'entendre le patient souffrir. (On appelle ça “ respecter le symptôme ”.)

Pharmacien : auxiliaire médical dont la principale compétence, acquise par l'expérience, est de savoir décrypter et traduire les ordonnances, et dont la principale fonction est de vendre du shampooing, du dentifrice et des crèmes amincissantes. En tubes.

Prescription : avec le diagnostic, qu'elle peut précéder, suivre ou remplacer complètement, c'est l'autre moment fort de l'Acte médical ; elle consiste à formaliser par l'écrit les pensées profondes du médecin, inintelligibles pour le patient. La prescription peut avoir un but diagnostique (prescription d'examens complémentaires), thérapeutique (prescription de plusieurs médicaments), administrative (prescription d'un certificat ou d'un arrêt de travail) ou conjuratoire (prescription d'une consultation spécialisée, d'une hospitalisation ou d'un internement en chambre capitonnée). La prescription est classiquement écrite à la main, et n'est alors lisible que par un pharmacien (lorsqu'il a beaucoup d'expérience et à condition qu'il s'agisse de médicaments qui existent).

Remboursement : système complexe de racket, de blanchiment et de recyclage de devises entre un producteur (le laboratoire pharmaceutique), un grossiste (le pharmacien), un dealer (le médecin) et un consommateur de drogues (l'assuré), sous la surveillance de deux organisations criminelles nationales (l’Etat et l'Industrie du médicament).

Sexualité :
1. sujet tabou (en consultation).
2. sujet de conversation (à l'antenne).
3. principal élément nutritif du milieu pathogène familial.

SIDA : en Occident, successeur historique de la peste, de la tuberculose et du cancer en tête du hit-parade (ou du Top 50) des maladies sacrées. A noter que cette distinction n'a rien à voir avec le nombre réel d'individus touchés. En Afrique, par exemple, paludisme, tuberculose et Sida sont si fréquents qu'on ne les considère pas comme des menaces, mais comme des traits de civilisation.

Signe : phénomène objectif que le médecin constate (froidement) sur le corps (encore chaud), dans le comportement ou dans le résultat des examens complémentaires d'un patient, qu'il soit malade ou pas. Un signe n'est pas forcément l'indice d'une maladie, mais peut souvent réveiller l'inquiétude du médecin et provoquer l'aggravation du bilan diagnostique. Pour les médecins, les signes les plus précis, les plus fiables et les plus riches d'enseignement sont, évidemment, observés à l'autopsie.

Spécialiste : Médecin qui ne fait pas de visites à domicile, et ne s'occupe que d'une partie de l'anatomie (les yeux OU les seins OU les hémorroïdes, mais pas les trois à la fois).

Symptôme : sensation désagréable perçue par le patient et parfois (mais pas toujours) observable par le médecin. A ne pas confondre avec le signe. Le symptôme le plus fréquemment ressenti par le patient est la douleur. De nombreux facteurs (physiologiques, psychiques et culturels) font qu'une douleur est décrite, rendue ou exprimée différemment par chaque patient. Certains pleurent et hurlent, d'autres grimacent discrètement sous leur oreiller. Le problème est complexe, du fait que la douleur - contrairement à d'autres caractéristiques physiologiques - n'est ni mesurable, ni comparable. Naturellement, lorsque les patients expriment ouvertement leur(s) douleur(s), les médecins ont tendance à penser qu'ils en font trop. Il est vrai que dans ce cas, il est beaucoup plus difficile de garder son calme, car les chambres sont mal isolées.

Tension (prise de la) : reflet objectif de la relation médecin-patient (Ex. : “ Il ne m'a même pas pris la tension ! ”) mais d'appréciation variable selon l'observateur :
1. pour le médecin, la tension “ normale ” est supérieure à 15,5 - chiffre au-delà duquel le patient occasionnel devient un “ malade sous traitement continu” - ou inférieure à 8 - chiffre au-dessous duquel une hospitalisation s'impose. Entre ces deux valeurs, on dit que le patient “ n'a pas de tension ”.
2. pour le patient, la tension est “ normale ” si, et seulement si, les chiffres obtenus sont strictement identiques à ceux de la mesure précédente, fût-ce trois ans plus tard. (Ex. : “ Comment ça, douze-huit ? 12année dernière j'avais treizeneuf. C'est pas normal ! ”)

Traitement :
1. honoraires que versent à leur médecin les patients amenés à le consulter régulièrement : tous les cinq ans pour le rappel de tétanos ; tous les ans pour la licence, le vaccin ou le frottis ; tous les six mois pour les allergies ; tous les trois mois pour la pilule ; tous les deux mois pour l'hypertension on ne sait jamais des fois que ça remonterait ; tous les mois pour les nourrissons ; tous les quinze jours pour les grossesses “ normales ” (les autres, il faut les hospitaliser) ; tous les dix jours pour les consultations de soutien des alcooliques ; tous les huit jours pour les ulcères de jambe ; toutes les semaines pour la morphine ; tous les trois jours pour les fièvres qui ne tombent pas *, tous les deux jours pour les emmerdeurs ; deux fois par jour pour les mourants.
2. attitude de la plupart des médecins à l'égard de leurs ex-patients (Ex. : “ Moi, je ne supportais plus la manière dont il nous traite ”.)
3. méthodes médicamenteuses ou chirurgicales qu'utilisent parfois les médecins pour mettre fin aux souffrances de leurs patients.
(Voir aussi : Antibiotiques. Douleur. Euthanasie. Morphine.)

Visite (désuet) :
1. déplacement imposé au médecin par un patient alité (visite urgente), en panne de voiture (visite de confort), ou très généreux (visite de politesse).
2. dans certaines circonstance, équivalent d'“ examen gynécologique ” (Ex. : “ Le docteur m'a bien visitée mais il n'a pas trouvé pourquoi mon fibrome me fait mal quand Jules fait ses affaires.”)

Visiteur médical (abrév. : “ VM ”) : personne qui campe valeureusement dans les salles d'attente afin d'illuminer la consultation du médecin et de lui laisser de quoi soigner gratuitement sa mère, sa femme et ses enfants. Il est rare que le VM soit un patient, mais il n'est pas exceptionnel qu'il soit complètement malade. Il en existe deux catégories : le VM (genre masculin) porte en général un costume trois-pièces, un attaché-case et un sourire torve. La VM (genre féminin) est reconnaissable à son cartable, son tailleur ajusté, ses escarpins et à la chaîne dorée (aux armes de l'employeur) qu'elle porte à la cheville. La caractéristique commune aux deux genres est une franche hypocrisie (“ Comment ? Vous ne connaissez pas encore mon produit ? ”) et une certaine tendance à prendre les médecins pour des imbéciles (ils n'ont tort qu'une fois sur dix, environ).