jeudi 20 juillet 2017

Vol au-dessus de Fort Boyard - par La Folie Ordinaire





On pourra penser que cet article est opportuniste et profite de la bulle médiatique autour de cette problématique levée récemment à la suite d’énergies multiples. Probablement. Et ce n’est pas un problème pour autant. J’assume.

Si j’ai participé en tant que psychiatre, psychothérapeute et blogueuse sous mon pseudo “La Folie Ordinaire” en cosignant la tribune du Monde du 10 juillet 2017 intitulée Fort Boyard: la maladie mentale n’est pas un jeu, c’est que ce type de divertissement participe directement à la stigmatisation de la maladie mentale en la représentant de façon archaïque. De nombreux articles ont abordé le sujet dans la presse depuis sa première diffusion le 24 juin 2017. Vous trouverez une bonne partie de ceux-ci en bas de l’article.


L'Asile de Fort Boyard

En pratique, ce jeu consistant à mettre un participant en chambre d’isolement capitonnée et en camisole pour récupérer des balles avec sa bouche dans un environnement angoissant surfe sur la vague des peurs, comme à l’accoutumée dans Fort Boyard. En effet, il y a plusieurs types d’épreuves dans ce jeu: celles demandant des compétences sportives, une habileté dans un contexte stressant, une réflexion et celles pouvant mettre face aux peurs archaïques que chacun peut avoir.

Parmi celles-ci, il y a  les classiques phobies des animaux qui sont régulièrement mises en oeuvre. Quoi de plus stressant de voir pour le spectateur la tête du participant avec des insectes grouillants, des araignées, des serpents, des rats ou autres bestioles qui ont une cote de popularité relativement pauvre...


La psychophobie

Sauf que cette année, les producteurs ont accepté des scénaristes de l’émission de surfer sur une nouvelle phobie: la psychophobie. La phobie de la maladie psychique, mentale. Bref, la peur du fou ou de le devenir et de se faire hospitaliser en psychiatrie. “Interner” comme je l’entends encore trop souvent, au point de faire saigner mes oreilles. Beaucoup de gens ont encore peur de se faire enfermer à vie comme cela avait pu être le cas à une époque révolue depuis longtemps. Les fantasmes de la Folie et de ses soins restent ancrés sur des représentations effrayantes qui ont eu un certain succès cinématographique.


 Vol au dessus d'un nid de coucou


Et oui, beaucoup de personnes sont encore dans leur imaginaire à l’époque de Vol au dessus d’un nid de coucou  de Milos Forman qui avait consacré Jack Nicholson dans un rôle de fou qu’il jouera tout aussi bien dans un registre différent en 1980 dans Shining de Stanley Kubrick. Dans Vol au dessus d’un nid de coucou, l’hôpital psychiatrique est représenté avec tous ses rituels, ses soins qui asservissent le patient à l’institution avec toutes les formes de traitement qui retirent la liberté d’agir. Les murs, les barreaux, les traitements neuroleptiques qui zombifient, l’isolement, la contention physique avec les camisoles, les électrochocs faits à l’époque sans anesthésie générale, jusqu’à l’ultime lobotomie. Désolée de spoiler pour ceux qui ne l’avaient pas vu, mais le film reste génial à voir même si on en connaît le déroulé.

Il évoque juste une pratique révolue ! Mais que continue à véhiculer ce genre d’épreuve de l’émission. Beaucoup de non usagers de la psychiatrie et de non soignants pensent encore qu’il s’agit du vrai visage de la psychiatrie d'aujourd’hui. Que le capiton et la camisole restent monnaie courante. Et du coup, lorsque les besoins de se soigner se font sentir, les gens n’osent pas recourir aux soins. En retardant l’accès aux soins, le pronostic de certaines maladies s’en voit aggravé. Pour les courageux , voici des articles de publications scientifiques sur le sujet (1-3).


Stigmatisation


Voir un(e) psychiatre est encore trop souvent considéré comme uniquement indiqué pour les fous. Toutes les expressions qui persistent dans le langage courant attestent encore de cette stigmatisation: “t’es fou”, “t’es malade”, “va te faire suivre” sont autant d’injonctions qui manquent de bienveillance. On se méfie du fou, de "l'anormal", de celui dont les réactions paraissent ne pas respecter les codes de la société. La crainte du passage à l'acte agressif est souvent sous-jacente, alors qu'il est bien connu dans le monde psychiatrique que les personnes atteintes d'une maladie mentale sont d'abord les victimes de violences avant d'en être les auteurs, de très loin. (4) Oui, mais dans le monde psychiatrique. Alors il faut diffuser cette information pour combattre les quelques rares passages à l'acte médiatisés que retient le grand public.


Les soins psychiatriques


En psychiatrie en France, l’organisation des soins repose toujours en grande partie sur le secteur (cf cet article). Ce réseau est capital. Ceux qui le contestent parfois n'en comprennent généralement pas le rôle.


Pour revenir aux représentations des films, fort heureusement, à notre époque, il n’y a plus de lobotomie. Les électrochocs persistent parce que c’est le meilleur traitement existant sur le marché dans certaines indications précises (je ferai plus tard un billet sur le sujet). Mais en salle de réveil, sous anesthésie générale, en respectant un protocole strict qui permet l’absence de complications majeures outre des problèmes de mémoire. 

La camisole n’existe plus ou pratiquement plus bien que j'ai eu l'occasion de la voir une fois (cf cet article d’une expérience lorsque j’étais interne). Cependant la contention physique persiste sous d’autres formes (lire cet article).

Elle peut être discutée dans un certain nombre de cas. Inutile dans d'autres. De même que les chambres d’isolement. Ces pratiques sont actuellement souvent encore nécessaire pour des raisons triviales que voici.


Elles sont utilisées majoritairement dans des situations de crise ou l’agitation d’un patient amènera à un besoin de canalisation. Cette canalisation peut être faite par la voie de la parole quand les soignants qui s’occupent de ces problématiques sont suffisamment nombreux et formés. Chose qui tend à être plus fragile avec une tendance à s’aggraver ces dernières années.



Les soignants en psychiatrie


La psychiatrie est souvent le parent pauvre de la médecine. Les budgets alloués sont souvent en deçà des besoins. Les équipes manquent de personnel. Le diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique (ISP) a disparu en 1992 (5) et les jeunes générations d’infirmiers n’ont que la formation générale qui leur permet de passer de la psychiatrie à la réanimation ou la cardiologie de manière aisée.

L’importance du relationnel en psychiatrie, de l’empathie et de l’aptitude à déjouer les crises nécessite un sens inné ou une formation spécifique qui n’existe plus. Alors les soignants apprennent sur le tas. Ou pas. Je ne jette pas la pierre. Qui peut faire ce qu’on ne lui apprend pas. Il existe bien des formations a posteriori mais tout le monde n’y a pas forcément accès tout de suite et elles sont moins vastes que celles dispensées dans l’ancien diplôme d’ISP.



Changer les choses


Plutôt que de montrer la Folie sous cet angle, apportons donc un peu d'humanité, de soutien et participons à une meilleure connaissance des maladies psychiatriques qui permettront d'amoindrir les croyances qui laissent la peau dure à cette image négative de la psychiatrie et de la Folie.

Malgré le fait de raconter certaines histoires souvent tristes de mes patients, je suis plutôt une fille qui aime rire. Je peux même avoir une certaine tendance à aimer l’humour noir. Je relis par moments Pierre Desproges avec délectation. Mais là, cela n’a rien à voir avec de l’humour. C’est discriminant. Peut-être que c'est sans s'en rendre compte. Que vous ne voyez pas où est le problème. Mais c'est une réalité pour de nombreuses personnes. Alors s’il vous plaît France 2,  admettez-le et retirez cette épreuve de votre émission !

Merci aux nombreux Twittos avec qui j’ai pu échanger sur le sujet et qui ont participé à la constitution de la Tribune du Monde. Je ne serai forcément pas exhaustive puisque nous étions plus de cinquante, alors pardonnez-moi, mais je cite @CdFous, @Babeth_AS, @Martinez_J_, @alexnlm, @Galatee, @DrPsydufutur, @LePsylab, @pedrosanchau, @Anne_A_P, @BeaulieuBap, @MartinWinckler, @Linternee, @Litthérapeute, @garsanis, @DelarueJC, @PhilippeBanyols, @odile31, @SolUsagersPsy, ...

Voici les articles de la presse sur le sujet, classés chronologiquement:

le 27 juin:  
 


le 28 juin:


le 29 juin:


le 3 juillet:


le 5 juillet:










le 8 juillet:


le 10  juillet:


le 11 juillet:


le 12 juillet:

Et les quelques rares citations qui appuient le discours scientifique sous-jacent.







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont modérés. Tous les commentaires constructifs seront publiés. Les commentaires franchement hostiles ou désagréables ne le seront pas.