jeudi 24 novembre 2016

De but en blanc - Lettre d'une interne en médecine générale (Au-delà des Brutes en Blanc, 2)


6 nov. 2016

De but en blanc

C’est avec intérêt que j’ai lu votre livre « Les Brutes en blanc »,  M. Winckler. J’ai d’abord cru à une trahison, un coup de couteau par un membre de ma propre famille professionnelle. Et Dieu sait si c’est blessant. Touchée en plein coeur, j’ai eu mal.

Je crois que ces propos sont entrés en résonance d’une part avec une vérité nue que je n’ai jamais souhaitée (suis-je tombée si bas? suis-je si loin de mes convictions initiales?), d’autre part à ma propre souffrance en tant que membre d’un corps médical à l’agonie. Si cet écho sonne comme une vérité blessante, elle est aussi le reflet, la preuve tangible de notre propre souffrance nous professionnels de santé et de ses conséquences dramatiques. Et si nous osions nous l’avouer?

Cependant, il me semble qu’un pavé dans la mare est vain lorsqu’il ne produit pas d’ondulations à la surface de l’eau. Une vérité (qui plus est douloureuse) n’est bonne à dire que lorsque l’on espère qu’elle produira un quelconque changement. Et c’est là que je vois poindre une once d’espoir quant aux membres du corps médical que vous décriez tant, M. Winckler. Oui, ce livre serait vain et j’ose croire qu’il ne serait jamais sorti si vous ne pensiez pas qu’un changement soit possible. Si vous ne voyiez pas en ces brutes, des agneaux défigurés par un système inadapté. Je le vois donc comme un appel à accepter de regarder et panser ses blessures afin de pouvoir mieux s’occuper de celles des autres.

Je n’ai que 27 ans, quoique 9 ans d’études derrière moi, mais pas encore mon diplôme de docteur en médecine. L’on ne m’avait pourtant jamais prédestinée à devenir une brute… Je suis sûre de l’avoir pourtant déjà été, un peu, parfois, et pourtant…bien malgré moi. J’ai vu au cours de ces 9 années, s’effriter cet idéal qui m’a permis de franchir tant de caps difficiles. Un métier humain, me donnant jusqu’à une raison d’être au monde. Cette conception du métier s’est vu confrontée puis rapidement écrasée par une pratique uniformisée de la médecine générale avec des consultations de 15 minutes, les yeux rivés sur les aiguilles de la montre. 


Médecin impatient que le dit « patient » dégaine sa carte vitale, avant de débiter son motif de consultation (d’une traite si possible) en l’espace de quoi j’ai bon espoir qu’il commence à se déshabiller (dans le même temps si possible) pour que je l’examine, afin de différer l’explosion de ma salle d’attente puis ma propre destruction au travers d’un sentiment 
d’inachevé et de désespoir, j’ai passé quelque temps dans ces sombres méandres et ce désespoir déjà si jeune, j’y retourne parfois.

Mais j’ai, grâce à « des brutes formidables », vu que la laideur incarnée n’est pas forcément très loin des plus beaux chefs d’oeuvres humains, qu’il s’en faut peu pour passer du pire… au meilleur. Le désespoir et l’impasse ne se trouvent-ils pas dans l’incapacité à créer une nouvelle voie, un nouveau chemin ? J’invite donc toutes les brutes que vous avez mises en colère, à user de leur créativité. 

Après la brute, le bon ou le truand ?

Elodie-Mathilde Fossembas

(Interne en médecine générale, Paris VII)


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