dimanche 8 mai 2016

"Les blouses blanches qui ne voient qu'un utérus sur pattes" - par Anna

Ce texte est le contenu - légèrement édité - d'un courriel qui m'a été envoyé par "Anna". Après l'avoir lu, j'ai demandé à son auteure l'autorisation de le reproduire ici. Il me semble très significatif des relations difficiles que rencontrent aujourd'hui les femmes auprès des médecins en général, et des gynécologues en particulier, quand elles ont envie de dialoguer, de s'informer, et d'avoir une attitude responsable. 
MW  


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Je viens de lire un article aujourd'hui, qui citait un rhumatologue argentin en ces termes: "Le soin constitue une démarche infiniment plus complexe et subtile que la seule mise en oeuvre d’un protocole ou l’administration d’un geste ou d’une substance et comporte – et devrait normalement intégrer – des dimensions culturelles, sociales, relationnelles et psychologiques".

Ces lignes m'ont refait penser à une situation dans laquelle je me trouve et à votre livre, Le Choeur des femmes, que j'ai lu il y a quelques années.

Inquiétant "seulement si ça dure plus de dix jours"

En novembre dernier j'ai eu des saignements anormaux (je suis sous pilule que je prends en continu et n'ai donc jamais de règles, depuis des années) accompagnés de douleurs vraiment, vraiment aigües. Je prends rarement rendez-vous chez le médecin, mon rendez-vous annuel chez ma gynécologue approchait... Je me suis contentée d'appeler son cabinet et l'ai un peu avancé.

Elle m'a dit que seuls des saignements durant plus de dix jours ou des douleurs "vraiment particulièrement anormales" devaient m'inquiéter. Bon, j'ai pris ça pour moi, même si je trouvais mes douleurs anormales.

Le contrôle s'est fait de manière normale (je consulte souvent votre site, www.martinwinckler.com, je sais que vous indiquez qu'un frottis n'est nécessaire que tous les trois ans pour les jeunes femmes (je viens d'avoir 28 ans) mais bon... Pour obtenir la pilule en Suisse, il est obligatoire de consulter chaque année et ma gynéco fait un frottis d'office (en gros elle fait un peu tout l'inverse de ce que vous préconisez, exigeant de ses patientes qu'elles se mettent totalement nues, pas super à l'écoute, et avec une consultation qui dure en général 5 minutes, entre le moment où je sonne à la porte d'entrée et celui où je me retrouve devant la porte de l'ascenseur).

Suite à ce contrôle, elle m'a dit qu'a priori, tout allait bien "au-revoir-à-l'année-prochaine". Une semaine après, je rentre chez moi et trouve une lettre m'indiquant qu'on ma décelé une "petite infection du col de l'utérus". En lien, deux pages imprimées d'un site internet avec des questions-réponses sur le HPV. Déjà, là, j'ai eu un certain choc. Je ne savais pas quoi faire de cette lettre, j'ai tout de suite appelé mon ami, qui n'était pas avec moi ce soir-là. Bref, j'ai senti mes entrailles se serrer et un sentiment de malaise global qui ne s'est jamais évanoui depuis. 

J'ai bien sûr lu qu'une énorme partie de la population était porteuse de HPV, que tous les papillomavirus ne sont pas oncogènes, que la plupart du temps le virus disparaît de lui-même, que les pharmas sont bien contentes de l'inquiétude que la menace de ce virus peut générer pour pouvoir vendre d'autant plus facilement leur Gardasil (qui ne m'a pas été proposé, car il s'est généralisé au moment où il était déjà trop tard pour moi, selon ma généraliste)...

Mélange de banalisation et de messages préoccupants

Mais j'affrontais un mélange d'info qui banalisaient l'affection et la rendaient préoccupante à la fois. Et je ne parvenais pas à définir l'attitude à adopter rationnellement face à ça. Mon feeling, lui, était assez sûr: cette histoire, je la sentais mal. J'avais la tête bourrée de questions, et beaucoup tournent toujours.

Dans tout ça, j'ai eu une chance: mon ami s'est montré extrêmement présent et à l'écoute, sans dramatiser les choses mais en prenant mes signaux au sérieux. Ce que j'aurais attendu, en partie, du corps médical.

Le problème, je crois, c'est que tous les médecins que j'ai vu depuis se foutent totalement de ma personne (je n'ai pas d'autre expression...). Ma gynéco voulait me donner un rendez-vous un mois après m'avoir envoyé la lettre. J'ai dû insister pour dire que je voulais la voir le plus vite possible. Sa secrétaire se voulait rassurante: "Mais vous savez, c'est rien, on en voit tous les jours, des cas comme vous, faites comme si de rien n'était". Je n'avais pas spécialement envie de faire "comme si de rien n'était", je voulais savoir ce que j'avais et ce que je devais faire. 

J'ai fini par obtenir un rendez-vous qui ne m'a rien apporté. Il s'agissait pour ma gynécologue de me dire de prendre rendez-vous avec un autre collègue pour une colposcopie. "Il peut vous faire une séance de laser dans la foulée, c'est l'avantage avec lui. Il faut juste que vous ameniez un acompte". Bon, ok... J'essaie de savoir si je suis donc contagieuse. "Oui". Et donc ce que je dois changer dans mes habitudes. "Rien, faites comme avant". 

Elle ne me demande pas si j'ai plusieurs partenaires, si mon compagnon a éventuellement d'autres relations, ni rien sur aucune de mes habitudes sexuelles. J'aurais été échangiste, on m'aurait donné un blanc-seing pour aller batifoler avec qui je l'entends... Pour une personne atteinte d'une maladie sexuellement transmissible, le message était perturbant.

La transmission? "C'est très mystérieux"

J'ai tenté d'en savoir plus sur la transmission, sur la date à laquelle aurait pu remonter mon infection, savoir si je devais prévenir mes ex.... "Oh, vous savez, c'est très mystérieux, la façon dont ça se transmet. Et ça ne veut pas dire que votre compagnon est infidèle, ça ne sert à rien de remonter dans votre historique". Comme si je cherchais un coupable, sauf que je cherchais à savoir si et qui j'avais pu infecter, car en général, lorsqu'on est sorti avec une personne durant un certain temps, c'est qu'on tient à elle et je ne voulais pas faire courir de risque à quiconque.... 

J'ai tenté un minuscule "Et les relations bucco-génitales?" et j'ai eu l'impression d'ennuyer. Mais la même réponse: "maintenant, vous l'avez, votre partenaire est éventuellement déjà infecté et porteur sain, donc ne vous posez pas de question". Je sors de cet entretien avec ces questions concernant des précautions à prendre, des attitudes ou pratiques à éviter... Et en face, rien. "Continuez tout comme avant"

Je prends rendez-vous avec le spécialiste. Sa secrétaire était surprise d'entendre que je prenais un rendez-vous pour une colposcopie ET un laser. "Ca se fait en deux fois, normalement, il faut d'abord qu'il vous observe". Bon, ok.... (bis). En attendant le rendez-vous, j'ouvre l'enveloppe que m'a remise ma gynéco à l'intention de son collègue. Ca y parle d'ASC-US, d'atypies cytonucléaires de signification indéterminée et de HPV haut risque, mais autre que 16 ou 18. Je tente de garder la tête froide, j'essaie d'expliquer ce que je peux à mon compagnon, bien obligée de lui dire qu'au fond, je ne suis sûre de rien.

Le nouveau gynéco me reçoit mi-décembre. Entre les deux, ma libido s'est quelque peu effondrée, je suis perturbée par le fait de porter un virus dont la première gynéco m'a dit qu'il se transmettait lors des rapports, mais que "c'est assez mystérieux" et que le préservatif ne protège que partiellement face à ça. Je me sentais... porteuse d'un truc un peu sale et qui se refile et qui peut potentiellement causer le cancer. C'est schématique, mais c'est ce que je ressentais.

"On peut se demander si ça vaut la peine"

A l'examen, à peine le spéculum posé, il me dit "y a une mycose, là". Ah bon... Moi je n'avais rien senti. Je lui demande si une mycose a pu se développer en un mois, entre mon rendez-vous gynécologique et ce jour. "Oh, elle est là depuis longtemps, surtout si vous n'avez pas vraiment ressenti de symptôme". Je lui demande s'il est normal que rien n'aie été détecté au précédent rendez-vous. Pas de réponse. Il fait la colposcopie. Me dit de me rhabiller. Je passe dans son bureau. Il m'indique un "score" de 8. M'explique en vitesse l'échelle qui va jusqu'à 24. 

Je comprends que mon cas se développe depuis un certain temps, "aidé par la mycose", et ne partira pas tout seul et qu'il y a des lésions précancéreuses mais que le laser devrait régler tout ça. Je repartirai avec une prescription pour ma mycose, rendez-vous 4 mois plus tard, en mars, pour voir si elle est partie et alors on me fera du laser. Entre-deux, j'ai pour instruction de me badigeonner de Bétadine après chaque passage aux toilettes, douche ou rapport sexuel. Je me balade toujours avec ma petite bouteille, ça me fait un peu rire, mais c'est relativement contraignant, je dois dire.

Personne ne m'a demandé quel genre de vie sexuelle j'avais, à aucun moment. C'est moi qui ai dû venir en expliquant que j'avais eu plusieurs partenaires courant 2014-2015, et que je m'inquiétais des conséquences pour ces personnes. Face à ces questions, le second gynécologue a eu une réaction: "Bon, on peut se demander si ça vaut la peine de traiter au laser si c'est pour aller à droite et à gauche. Parce que plus il y a de partenaires, plus on s'expose." Le ton m'a un peu bloquée. J'aurais très bien compris s'il m'avait dit une tournure du genre "Si vous souhaitez que le traitement soit efficace, il faudra limiter le nombre de partenaires" par exemple. Mais ce "Si c'est pour aller à droite et à gauche", sans s'adresser vraiment directement à moi... Je l'ai un peu pris comme un jugement de valeur par ce type en blouse blanche qui venait de me trifouiller le col.

Je ne savais pas si je devais en vouloir à ma gynéco d'être passée à côté de la mycose ou si ce sont des choses qui arrivent. Ce que voulait dire "elle est là depuis longtemps". Un mois? Un an? Plus? Et ce papillomavirus? Depuis quand est-il planqué là? Depuis mes premiers rapports? Vais-je rester infectée (même si je ne suis plus contagieuse) toute ma vie? Vais-je devoir à l'avenir envisager d'expliquer à d'éventuels nouveaux partenaires avant l'acte "Tu sais, j'ai un HPV qui peut refiler le cancer, mais à mon dernier frottis tout était normal"? Bon, j'ai la chance de ne pas devoir insister sur cette question car je vis avec un homme formidable, et je compte rester avec lui longtemps. Mais bon, à 28 ans, on se dit qu'on a un peu la vie devant soi. Et ces réflexions sur l'avenir des relations, ça compte aussi...

Deux partenaires, un seul traitement

Une fois rentrée, j'ai parlé de tout ça avec mon compagnon et un proche, professionnel de la santé sexuelle. Tous les deux ont ouvert de grands yeux en entendant que j'étais revenue avec un traitement pour ma mycose seulement. Ils m'ont expliqué que, dans leur souvenir, on traite systématiquement les deux partenaires, sous peine de se refiler mutuellement la mycose, qui aura été traitée chez l'un mais pas chez l'autre. On est allé se renseigner en pharmacie, où il nous a été expliqué que "si le médecin a dit que c'était comme ça qu'il fallait traiter, alors il n'y avait rien de plus à faire".

Les fêtes approchaient, on partait en vacances... On s'est mutuellement mis d'accord pour limiter les relations bucco-génitales (avec un HPV et une mycose, ça ne donne pas vraiment envie d'y mettre la langue, si j'ose dire...). A notre retour, j'ai tenté de voir ma généraliste pour lui dire que j'étais perdue, que je ne faisais pas confiance à mon ancienne gynéco, que je n'avais pas l'impression d'être entendue par le nouveau, que j'avais pas mal de questions. "Oh, vous savez, on meurt de plein de choses avant de mourir du col de l'utérus", finit-elle par lâcher, tout sourire. 

Ajoutant qu'elle ne peut pas faire grand chose pour moi: "Suivez les instructions des médecins, tout ira bien". A ma sortie, elle me lâche qu'en revanche, le jour où j'aurai "un projet de maternité", je ne dois pas hésiter: "la porte est ouverte". Sauf que je n'ai pas de projet de maternité, j'ai un HPV dont j'aimerais qu'on s'occupe, et sur le remplissage de mon utérus, qu'on me laisse en paix... Mais je crois que c'était sa façon à elle de se montrer rassurante.


Merci le planning...

Après tout ça, j'ai fini par appeler le planning familial où une adorable dame qui s'est excusée plusieurs fois de ne pas être médecin a répondu à bien plus de mes inquiétudes que tous les autres représentants du corps médical. A conseillé à mon compagnon, qui se sentait un peu laissé-pour-compte, de prendre rendez-vous pour une auscultation chez un spécialiste, à nous deux d'effectivement éviter les contacts avec la bouche tant que la mycose traînait, que mes colocataires ne risquaient pas d'attraper ce HPV mais qu'il m'était conseillé de séparer le linge... Des conseils pratiques, en somme. Sur la vie de tous les jours, sur ma vie sexuelle aussi... Qui était comme niée chez les praticiens, comme s'ils voulaient ne pas voir qu'on ne parlait pas que de mon col de l'utérus, mais aussi de moi, de mon partenaire, de mes ex...

Je vous écris car je suis énervée contre ces blouses blanches qui ne voient qu'un utérus sur pattes. Qui s'étonnent qu'on aille "chercher des informations sur internet", mais ne répondent pas à nos interrogations de patients. A qui il faut aller arracher des infos au lieu de recevoir des conseils... J'avais l'impression de devoir faire les démarches, et de ne pas être prise en charge. Comprenons-nous: j'ai fini par comprendre que je n'avais rien de particulièrement grave, quoique les termes utilisés (virus, IST, oncologique, laser, cellules précancéreuses...) soient assez flippants. Je trouve ce monde médical totalement inhumain et décharné

Je trouve irresponsable de dire aux gens atteints d'une maladie qui se transmet malgré le port du préservatif qu'ils peuvent "continuer comme avant". Je trouve qu'avant de préconiser la vaccination de toute la population pour trois souches du virus, on devrait faire dans la prévention. Je trouve difficile pour les partenaires masculins qu'ils soient mis de côté dans la prise en charge parce que "Chez eux, c'est moins grave, ils ne risquent pas le cancer et en plus c'est difficile à détecter", tout en se fichant du fait qu'ils peuvent être porteurs et le refiler plus loin. Il ne s'agit pas d'être parano et de prôner l'abstinence. Mais juste d'informer des risques et des devoirs de chacun...

Voilà, c'est une réflexion finalement relativement banale, mais j'avais je crois besoin de la partager avec quelqu'un. Même si vous ne lisez pas ce mail, finalement, vous m'aurez déjà aidée - sans même le savoir- en me permettant de mettre ce début d'histoire par écrit.

Je ne sais pas où tout ça me mènera. Mais une chose est sûre: je vais changer de gynécologue. 

Anna

Pour contribuer à ce blog participatif : ecoledessoignants@gmail.com

3 commentaires:

  1. Anna, merci ! Je viens de vivre exactement la même chose : frottis effectué, réception d'un courrier me demandant de payer un second test sans m'en expliquer la teneur, contact de la gynéco qui m'explique juste qu'elle suit les recommandations nationales mais que je dois tout de même faire une colposcopie - chose que je n'ai pas encore fait étant donné que je vis hors de France et que les soins ici coûtent un rein...

    Je me suis fait la même réflexion concernant mes différents partenaires, sachant que contrairement à toi je suis célibataire et donc ai eu plusieurs partenaires au cours de ces derniers mois...

    Bref... Toute cette situation est fort dommage...

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    1. Merci du retour!!

      Oui, ça travaille, psychologiquement parlant. Personnellement, je suis contente de ne pas avoir à me poser trop de questions avec mon homme, tout se passe bien entre nous. Mais si j'étais célibataire, à mener une vie normale et active, je crois que je serais super empruntée: tout arrêter? avertir le partenaire avant (mais bonjour le tue l'amour!)? Ne rien dire (un peu léger, comme attitude)?

      Toujours maintenant, et ça fait plus de 6 mois qu'on me l'a détecté, je peine à ne pas penser au HPV, notamment lors de relations sexuelles. Parfois, ça survient d'un coup, il faut se forcer à repousser cette pensée... Je ne sais pas, c'est usant.

      J'ai bien l'impression que la solution préconisée, c'est de continuer comme avant. Pourquoi pas après tout. Mais il est difficile d'intégrer que, d'une part, on doit éviter de rouler des pelles à son entourage quand on a la grippe, mais que si on est porteuse d'un virus (qui, à terme, a des risques de refiler un cancer, quand même), on n'a pas à trop se poser de question.

      Bref, courage pour la suite :)

      Anna

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  2. Merci Anna pour votre témoignage, il y a quelques années on m'a détecté des cellules pres-cancéreuses lors d'un frottis... en 1mois j'ai découvert que j'étais porteuse du Papillomavirus, que j'avais eu des clamidias ( qd ? comment ? Aucune idée pas vu passé. ..) et j'ai eu droit à une biopsie à vif et une connisation sous AG ds la foulée... tout ça avec aucune explication sur les conséquences... il semblerait que je ne puisse jamais porter de stérilet, mon col est trop court...mais comme à dit la dernière gyneco que j'ai consulté... à 40 ans et sans compagnon vous n'en avez pas besoin...
    WTF !!!???

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