vendredi 21 novembre 2014

L'école des soignants : un site pour penser "en dehors des cases"




Tel qu’il est dispensé à l’heure actuelle, l’enseignement de la médecine en France est, dans ses grandes lignes, inadapté aux besoins de la population ET contraire aux aspirations de nombreux étudiants: 

- Il n'est pas centré sur la relation de soin, mais sur la prescription.
- Il est dispensé à 95 % par des spécialistes hospitaliers hyperspécialisés et techniciens, non par des praticien.ne.s de terrain – alors même que les besoins de la plus grande partie de la population ne sont pas des soins spécialisés…
- Il ne tient pas compte de la perception par les patients de ce que sont la maladie et le soin. Il s'intéresse essentiellement à la pathologie et non aux innombrables variantes possibles de la "normalité".
- Il impose, tant sur le plan pratique que par son contenu, des modèles archaïques et moralement inacceptables : ainsi, enseigner l'examen gynécologique ou le toucher rectal sur des patient.e.s sous anesthésie générale qui n'en savent rien, ce n'est pas tolérable ; laisser entendre que le médecin est un être supérieur qui sait mieux que les patients ce qui est bon pour eux, ce n'est pas tolérable. 

Et ce n'est pas du soin. 

Prenons les choses à rebours : former des médecins, c'est avant tout former des soignants et non des techniciens ; les patient.e.s et les praticien.ne.s de terrain en savent plus sur le soin que les hospitalo-universitaires. Praticien.ne.s de terrain et patient.e.s doivent pouvoir s'exprimer et proposer aux étudiant.e.s leur savoir, leur savoir-faire, leurs réflexions. 

Imaginons un site internet, à la fois revue en ligne et base de données, destiné aux étudiants en médecine francophones qui cherchent des réponses (ou veulent savoir quelles questions on se pose) hors de l’enseignement en faculté. 

Ce serait un site coopératif, alimenté par les internautes (usagers et professionnels et étudiants), qui veulent des médecins qui ne soient pas « formatés ».

Il contribuerait à former es soignants, pas des docteurs.

Ce serait un site dont l’enseignement viendrait de la base, non du sommet ; de la vie quotidienne tout autant, sinon plus, que de la situation hyperspécialisée. 

Ce serait un site où on poserait les questions qu’on ne pose jamais ; où on remettrait en question les dogmes et les habitudes archaïques ; où on partagerait le savoir de manière informelle, sous des formes pédagogiques non soumises à la hiérarchie.  

(NB : Ce ne serait pas un forum sur les difficultés politiques et/ou syndicales et/ou économiques des étudiants ou praticiens en exercice : il y a d’autres sites pour ça.) 
  
Les articles seraient écrits par toute personne qui s’intéresse au soin et dispose d'une expérience à transmettre : patient.e, professionnel.le.s de santé, enseignant.e.s, chercheurs en sciences humaines et d’un point de vue général tout.e personne ayant une expérience et des réflexions à partager sur le sujet. Les personnes vivant/exerçant dans d’autres pays que la France et désirant apporter leur contribution sont les bienvenues, car l'arrogance culturelle hexagonale n'épargne pas les facultés de médecine, et nous avons beaucoup à apprendre des expériences vécues ailleurs...

La démarche d'écriture d'un article est simple, elle vise à répondre à la question suivante :

« Si on me confiait la formation d’un.e étudiant.e en médecine, quel enseignement pourrais-je puiser dans mon expérience pour l’aider à devenir un.e soignant.e digne de ce nom ? »

Cet enseignement pourrait être factuel ou intellectuel. Il pourrait être pratique ou réflexif. Penser, ça s’apprend. Apprendre à penser autrement que dans les cases, que sur les sentiers battus, c'est encore mieux.

On aurait le droit d'y publier des textes légers. (Il n'est pas interdit, il est même souhaitable, d'apprendre aussi en s'amusant.) 



Ce blog est le banc d'essai de ce site "idéal". 
C'est un blog participatif. 
Il est ouvert à toutes et à tous.
Toutes les contributions sont les bienvenues.

J'aimerais y publier des articles courts (entre une et quatre pages maxi), ou des feuilletons (pas plus de 2 pages à la fois) couvrant tous les domaines du soin.

Le contenu portera sur trois domaines principaux  : 

- la relation de soin et la manière dont elle devrait être enseignée (les exemples de ce qu'il ne faut pas faire sont les bienvenus...) 
- la pratique et la demande de soin au quotidien, que ce soit à l’hôpital ou en ville
- l’éthique du soin vue par les professionnels ET les usagers

Pour les articles fondés sur des connaissances scientifiques avérées, les sources doivent être citées par des références/liens en fin d’article.  
S’il s’agit de points de vue ou d’opinions ou de notions non démontrées scientifiquement, ils doivent être clairement présentés comme tels. 
S’il s’agit de témoignages, l’anonymat des auteur.e.s sera préservé à leur demande.
Dans le cas d’articles pratiques ou didactiques, les auteurs réviseront eux-mêmes périodiquement le contenu (tous les ans, par exemple) pour y intégrer les connaissances récentes.

Chaque contributeur/trice sera responsable de ses contributions ; celles-ci seront signées du patronyme ou d’un pseudonyme, ce qui permettra, sans nécessairement identifier les auteurs, de les joindre personnellement par courriel (indiqué sous la signature). Les auteurs des articles resteront en tout temps propriétaires du contenu. Un article publié ne pourra être modifié, complété, supprimé (par l'équipe gérant le blog) que sur la demande écrite de l'auteur. 

En attendant les premiers articles, je vous propose de contribuer à un petit exercice amusant :


A vous de jouer !

Marc Zaffran/Martin Winckler
ecoledessoignants@gmail.com. 




Petites phrases (de médecins) inacceptables


Un exercice d'éthique appliquée

Par Marc Zaffran/Martin Winckler



Pour tout professionnel de santé, l'exercice d'une pratique conforme à l'éthique repose sur quelques principes simples, et en particulier sur le respect dû à la personne. C'est ce qu'on appelle le principe d'autonomie : le patient est réputé, en première analyse, prendre ses décisions de manière libre et informée (l'un ne va pas sans l'autre), en dehors de toute pression ou manipulation de la part du soignant. Ce qui signifie aussi qu'on n'a ni le droit de lui imposer un geste – utile ou inutile, ni celui de lui faire subir quoi que ce soit sans son consentement explicite. Et on ne peut pas donner son consentement si on n'a pas été informé.

Application pratique. Prenons l'exemple suivant :
Un chirurgien enseignant invite ses étudiants à venir apprendre l'examen gynécologiques sur des femmes endormies en salle opératoire. Lorsqu'un(e) étudiant(e) lui rétorque que c'est inacceptable, il répond : "Si tu le prends comme ça, tu n'apprendras jamais à faire un examen gynécologique."

Ce que propose l'enseignant est inacceptable pour une raison simple : les femmes qui servent ici à "enseigner" l'examen gynécologique ne sont pas au courant. On ne les a pas consultées. On ne leur a pas demandé la permission. Il s'agit donc d'un viol pur et simple de leur corps et de leur confiance, de leur intimité, du respect qu'on leur doit. L'argument selon lequel "Il faut bien que les étudiants apprennent" ne tient pas : le patient n'est pas un cobaye, il n'est pas un terrain d'apprentissage, il n'est pas subordonné aux besoins, désirs ou aspirations des professionnels. 

Notez bien que l'argument "d'apprentissage" ne tiendrait pas plus si l'on suggérait aux étudiants de pratiquer un examen de prostate par toucher rectal chez tous les hommes endormis qui n'ont rien demandé. Comme c'est beaucoup moins courant, la première situation est non seulement inacceptable mais, en plus, elle est sexiste. Donc, doublement indigne – de la part du soignant mais aussi envers et pour autrui.

L'argument tient d'autant moins que dans les communautés médicales où on s'est posé la question (au Canada, au Royaume-Uni, en Scandinavie, par exemple), le problème a été résolu : les étudiants apprennent l'examen gynécologique sous supervision stricte, en consultation, avec des patientes non seulement prévenues, mais volontaires (elles savent qu'elles auront affaire à des médecins en formation et elles sont désireuses de contribuer à leur formation). Cette collaboration des patientes fait l'objet de contrats très précis, rédigés et signés par toutes les parties, qui permettent de protéger les personnes volontaires. Et la participation des patientes n'est pas acquise une fois pour toute : les premières intéressées peuvent retirer leur consentement à tout moment.

Si j'ai pris cet exemple c'est pour vous inviter à réfléchir à la non-éthicité d'un geste qu'on peut percevoir comme physiquement non traumatisant (examiner quelqu'un qui dort ne l'est pas, en principe, puisque la personne ne sent rien et ne sait pas) mais qui est moralement extrêmement pénible à supporter : personne ne supporte l'idée qu'on abuse de lui ou d'elle quand il est impuissant. Ainsi, les viols commis sur des personnes incapacitées par l'alcool ou par un médicament peuvent ne pas s'accompagner de traumatisme physique, ils n'en restent pas moins des viols. Et stricto sensu, un examen gynécologique pratiqué sur une femme sans son consentement, pendant son sommeil, est, au minimum, un attouchement sexuel. Le fait qu'il soit pratiqué dans le cadre médical n'est ni une excuse ni une justification. 

En dehors des situations d'extrême urgence (qui sont très particulières et ne nous intéressent pas ici), on peut considérer comme une atteinte flagrante à l'autonomie d'un(e) patient(e)

- l'absence d'information sur les gestes envisagés ou pratiqués par les soignants
- le refus de répondre aux questions du patient concernant son état de santé et les traitements reçus
- l'absence de consentement du patient
- la pratique de gestes inutiles ; la pratique de gestes physiquement pénibles sans préparation, analgésie ou, en l'absence d'analgésie possible, sans le consentement explicite du patient
- le non-respect des opinions, croyances, préférences ou décisions du patient (dérision, jugement, dénigrement, humiliation)
- les pressions morales – menace, chantage, culpabilisation
- le viol (ou le non-respect) de la confidentialité
- l'utilisation de la situation du patient, à son insu, à des fins autres que les soins qu'il demande - une expérimentation, par exemple. 

Cette liste n'est pas exhaustive.

Les atteintes à l'autonomie peuvent être actives (le médecin fait un geste sans prévenir ni justifier) ou passives (omettre de donner une information, par exemple). Elles peuvent être physiques ou verbales. 

La maltraitance verbale est une forme sournoise d'atteinte à l'autonomie, mais malheureusement courante. Je vous propose un petit exercice d'application.  

Lisez les phrases qui suivent et répondez aux questions suivantes :

- Que signifie cette phrase ? (Plusieurs réponses possibles).
- Pourquoi est-elle inacceptable (sur le plan de l'éthique) venant d'un professionnel de santé ?
- Quelle.s autre.s phrase.s le patient serait-il en droit d'attendre de la part du professionnel ?
- Que doit faire ou répondre un patient au médecin qui lui dit cette phrase ?

Rédigez vos réponses et gardez-les précieusement. Et relisez-les quelques jours plus tard. 

Bonne réflexion, tou.te.s

Marc Zaffran/Martin Winckler 



Les phrases a commenter :

"Allez-vous pouvoir me payer ?"
"Commencez par vous déshabiller !"
"Vous n'avez rien."
"Ce n'est pas vrai/c'est un mensonge."
"C'est dans votre tête."
"Détendez-vous !"
"Je vous interdis (compléter avec les mots de votre choix)…"
"Si c'est comme ça, ce n'est plus la peine de revenir me voir."
"C'est qui le médecin, ici ?"
"Taisez-vous !"
"Vous êtes fou/folle ?"
"Vous êtes irresponsable ! Pensez à votre famille !"
"Je n'ai pas le temps."
"C'est interdit par la loi."
"Où êtes-vous allé(e) chercher ça ?"
"Ne bougez pas, ça sera pas long."
"Non, non ça ne fait pas mal/Vous exagérez/Vous êtes douillet/te."
"Vous devez vous laisser examiner. Sans ça, je ne peux pas vous soigner." 
"Si vous ne m'obéissez pas vous allez mourir/rester handicapée/rester stérile/tuer votre enfant/etc."
"Vous m'ennuyez/Vous me faites perdre mon temps/Encore vous, vous le faites exprès ou quoi ? !"
"Il serait peut-être temps de penser à faire un enfant."
"Vous verrez, vous changerez d'avis."
"Une ligature de trompes ? Vous perdez la tête ! Vous êtes inconsciente !" 
"Faites-moi confiance, je sais ce que je fais..."
"Je ne peux plus rien pour vous"
"Vous ne comprendriez pas/Vous ne comprenez pas."
"Vous commettez une grave erreur."
"Qui est-ce qui vous a mis pareilles idées en tête ?" 
"Si vous ne suivez pas mes conseils, je ne réponds plus de rien."
"Croyez-moi, c'est ce qu'il y a de mieux à faire."
"Ce qu'on raconte sur l'internet, ce sont des conneries."
"C'est votre inconscient qui vous travaille ! "
"Vous devriez faire un effort et perdre du poids !"
"Vous êtes très jolie/très belle/très sensuelle... "
"Ce que vous avez là, sur le visage, c'est vraiment pas beau."
"Vous êtes un peu trop jeune pour…. (compléter avec les termes de votre choix)"
"Un enfant à votre âge ? Vous n'y pensez pas !"